Au cours d'une des plus longues carrières cinématographiques — 110 films sur huit décennies —, elle a traversé l’histoire ducinéma parlant de 1931 à 2010.
La comédienne mène également une carrière internationale, qui la conduit en Italie, au Royaume-Uni, et aux États-Unis où elle tourne pour Universal Studios, la MGM et United Artists. Vingt ans avant Brigitte Bardot, cette comédienne imposait ses initiales : DD[2],[3],[4],[5].
Biographie
Enfance
Née au sein d'une famille de mélomanes, Danielle Yvonne Marie Darrieux[6] voit le jour à Bordeaux mais passe son enfance à Paris. Son père Jean Darrieux, bordelais, est ophtalmologue ; sa mère Marie-Louise Darrieux-Witkowski qui a des ascendances alsacienne, polonaise et provençale (familles Witkowski, Boitel, Ehrenpfort, Bez, Guigues, Imbert), est une célèbre cantatrice[7]. Elle a un frère cadet, Olivier (1921-1994), qui deviendra lui aussi acteur.
La mort prématurée de son père d'une crise cardiaque[8], alors qu'elle n'a que sept ans, contraint sa mère à donner des leçons de chant pour subsister[9]. Danielle Darrieux en retire très tôt un goût prononcé pour la musique. Elle est dotée d’une voix menue, mais juste et claire. Elle prend également des cours de violoncelle et de piano, puis, à quatorze ans, entre en classe de violoncelle au Conservatoire national supérieur de musique de Paris[10].
Débuts
Par l’intermédiaire du mari d’une élève de sa mère, Marie Serta, elle apprend que deux producteurs, Delac et Vandal, cherchent une héroïne de treize ou quatorze ans pour leur prochain film[11]. Elle se présente aux studios d’Épinay et fait des essais qui se révèlent concluants[12]. Elle débute à 14 ans dans Le Bal (1931) de Wilhelm Thiele et, séduisant les producteurs par son allant et sa spontanéité, elle obtient immédiatement un contrat de cinq ans. Ne pensant pas alors exercer le métier d'actrice, elle n'a jamais pris de cours d'art dramatique, préférant entrer à l'École commerciale, puis prendre des cours de dessin à l'académie Julian, tout en continuant à jouer du violoncelle, son « violon d'Ingres »[13].
Sa carrière commence avec des rôles de gamine facétieuse et fantasque aux côtés d'acteurs populaires du cinéma français d'avant-guerre : Jean-Pierre Aumont, Henri Garat, Pierre Mingand et surtout Albert Préjean avec qui elle forme, en six films, le couple de charme des comédies musicales françaises des années 1930 (La crise est finie, Dédé, etc.)[14]. Elle tourne dans plusieurs productions franco-allemandes de l'entre-deux-guerres, allant de Paris à Berlin et parfois à Prague et à Budapest[15]. Dès son premier film, elle chante et crée, dans bon nombre de ses films (bien souvent des compositions de Georges van Parys), des chansons populaires qui deviendront des succès : La crise est finie, Un mauvais garçon, Une charade et Premier rendez-vous.
Durant cette période, elle tourne dans Mauvaise Graine (sorti en 1934), co-réalisé par Alexandre Esway et par un scénariste autrichien exilé fuyant l’Allemagne nazie, Billy Wilder, et tourné en décors naturels dans les rues de Paris. « C’était une sorte de film d’avant-garde » dira Wilder[16] dont c'était le premier film.
On la surnomme alors « la fiancée de Paris[18] » et elle rencontre déjà le succès :
« Le succès, c’est un mystère, j’ai réussi peut-être parce que mon personnage n’était pas courant sur les écrans : je veux dire par là que je n’étais simplement qu’une jeune fille, alors que les autres gamines de quatorze ans jouaient déjà à la vamp[19]. »
Toujours en 1935, Anatole Litvak lui offre un rôle plus dramatique. Dans Mayerling, elle interprète une fragile et touchante comtesse Marie Vetsera aux côtés de Charles Boyer, déjà star en Amérique du Nord. Le film connaît un succès mondial qui lui ouvre les portes d’Hollywood : elle signe un contrat de 7 ans avec les studios Universal. En septembre 1937, accompagnée de son mari, elle s’embarque pour Hollywood à bord de Normandie pour aller tourner son premier film américain en 1938, La Coqueluche de Paris[15] avec Douglas Fairbanks Jr.. Nino Frank, journaliste, déclare : « Danielle Darrieux débute à Hollywood et elle le fait avec une grâce extrêmement nuancée, un charme dépourvu de timidité, un talent qui enchante parce qu’elle est à l’aise et ne le brandit pas comme un drapeau[18]. » Mais très vite elle s’ennuie à Hollywood et préfère casser son contrat. Elle rentre en France à bord de Normandie au mois de mai 1938.
Danielle Darrieux déclare à propos d'Henri Decoin :
« … J’ai toujours eu une absolue confiance en lui et je lui ai obéi en tout. Sans ses conseils, son flair et son appui, je serais sans aucun doute restée une jolie fille chantant et bêtifiant dans des productions mineures et j’aurais probablement quitté le métier assez rapidement. Il a su me mettre en valeur et me persuader que je pouvais jouer de grands rôles dramatiques. Il a même écrit pour moi, m’imposant ainsi dans un emploi où personne ne m’imaginait et ne me voulait. Il m’encourageait quand je perdais confiance ou quand je voulais abandonner. C’est à lui, et à lui seul, que je dois d'être ce que je suis devenue[12]. »
Les trois derniers films de Decoin sont des succès et Darrieux est l’une des vedettes les plus populaires du moment.
« … Le public plébiscite, ovationne Danielle Darrieux. Les femmes portent à son instar des cravates, des jupes souples, les cheveux ondulés et libres sur les épaules… N’est-elle pas (sondage de La Cinématographie française) la plus populaire des vedettes ? N’est-elle pas copiée par toutes les jeunes femmes et jeunes filles qui voudraient posséder son aisance, sa joyeuseté, son élégance jamais tapageuse, toujours dans le vent[20] ? »
Darrieux tourne un nouveau film avec Decoin, Coup de foudre, mais la guerre est déclarée et le film interrompu restera inachevé. Elle séjourne avec lui dans une villa au style basque à Saint-Palais-sur-Mer (près de Royan, en Charente-Maritime) surplombant la plage de Nauzan.
Les années de guerre
Divorcée d’Henri Decoin, en 1941, avec qui elle conservera toujours des relations amicales, Danielle accepte, la même année, de tourner dans Premier Rendez-vous pour la Continental[15].
« Comme j’avais – à l’instar de beaucoup de mes camarades – tourné en Allemagne avant la guerre, je n’avais pas une idée bien précise de ce que représentait cette compagnie[12]. »
Le film et la chanson éponyme connaissent un énorme succès[15].
Elle fait également partie du voyage à Berlin de mars 1942 (dans ce qui sera appelé le « train de la honte ») en compagnie d’autres acteurs français sous contrat avec la Continental, dont Albert Préjean, René Dary, Suzy Delair, Junie Astor et Viviane Romance[22],[23],[24]. Dans un documentaire diffusé sur Arte au début des années 1990, elle déclare qu’elle n'est partie en Allemagne qu'après un accord avec les Allemands l'assurant de pouvoir rencontrer son fiancé incarcéré Porfirio Rubirosa[25]. On lui reprochera cependant ce voyage[15].
Une fois son fiancé libéré, elle rompt son contrat avec la Continental, et l'épouse en septembre 1942 à Vichy[26]. Ils passent la fin de la guerre en résidence surveillée à Megève puis, sous un faux nom, dans la région parisienne[27]. Elle n'est que peu inquiétée à la Libération, notamment grâce au statut diplomatique de son époux[15].
L'après-guerre
Après trois ans d’interruption, Danielle Darrieux revient à l’écran décidée à tourner la page des rôles de jeunes filles écervelées de ses débuts.
Après quelques années un peu grises, elle se remarie une troisième et dernière fois le avec Georges Mitsinkidès avec qui elle adopte son unique fils[28] Mathieu[29], et commence une seconde carrière[30].
Un grand directeur d’actrices va exploiter son talent de tragédienne[32] et, revenu de son exil américain, Max Ophuls fait de Darrieux, au début des années 1950, son égérie.
Elle tourne dans trois films majeurs : La Ronde (1951) où elle incarne une épouse infidèle que ni son mari ni son amant ne parviennent à satisfaire ; Le Plaisir (1952) et surtout Madame de... Film qui commence comme une comédie légère et sombre dans le drame. Danielle Darrieux y est comparée à Dietrich et à Garbo[33].
« … de La Ronde au Plaisir, du Plaisir à Madame de…, les personnages interprétés par Danielle Darrieux découvrent la réalité du masque social dont ils finissent par être les victimes. Errant au milieu de tous les bonheurs possibles et jamais réalisés, celle qui fut la plus célèbre ingénue du cinéma français semble de film en film découvrir avec naïveté et étonnement l’univers des sensations et des passions. Parvenir à animer d’un frémissement ce visage et ce corps si ordinairement élégants, parvenir à attirer à la lumière du jour un peu de la femme dissimulée derrière l’image frivole et rassurante chère à l’actrice : voilà l’indice d’un certain plaisir ophulsien dont Danielle Darrieux fut plus que tout autre la victime consentante[34]. »
Elle fit aussi un tour de chant en 1967. À partir des années 1970, Danielle Darrieux partage équitablement sa carrière entre théâtre, télévision et cinéma. Une de ses fiertés théâtrales est d’avoir joué et chanté en anglais à Broadway en 1970, dans la comédie musicale Coco interprétant le rôle de Coco Chanel qui avait été joué auparavant par son idole Katharine Hepburn. La critique newyorkaise salua sa performance[36].
« […] Je reprenais le rôle de Coco Chanel, que Katharine Hepburn, mon idole, avait tenu durant sept mois […] C’est la seule personne à qui j’ai demandé un autographe. Je l’adorais. À mes yeux, il n’y avait personne de plus talentueux qu’elle. Dès mon arrivée à New York, elle a été adorable. Elle m’a emmenée dîner chez elle et m’a offert deux tailleurs Chanel. « Je ne m’habille jamais comme ça », m’a-t-elle expliqué. « Moi non plus ! », lui ai-je répondu. On était parfaites pour ce rôle toutes les deux[37] ! »
Les années 1980
À Demy, en 1982, elle a précisé : « Je suis un instrument, il faut savoir jouer de moi, alors on sait en jouer ou on ne sait pas. » « Un instrument, oui, rétorquera Demy, mais un Stradivarius[38]. ». Jacques Demy reprend alors le projet d’un film abandonné sept ans plus tôt, Une chambre en ville. Apprenant cela, Danielle Darrieux contacte le réalisateur, démarche qu’elle n’avait jamais entreprise pour aucun film, en espérant interpréter la baronne Margot Langlois, rôle prévu auparavant pour Simone Signoret. Demy, qui s’était toujours promis de retrouver l’actrice, n’osait pas la solliciter pour incarner le rôle d’une alcoolique. Danielle Darrieux effectue son retour pour ce film, un drame social entièrement chanté (seule elle et Fabienne Guyon chantent avec leur propre voix), succès critique mais échec public.
Paul Vecchiali la dirige dans En haut des marches (1983). Elle y incarne le premier rôle d’une institutrice, très proche de la propre mère du cinéaste, qui revient à Toulon quinze ans après la guerre, et affronte les souvenirs liés à la mort de son mari, accusé de collaboration et assassiné à la Libération. Elle y chante trois chansons. Danielle Darrieux avait déjà fait une apparition dans son premier film Les Petits Drames, et le retrouvera plus tard dans un téléfilm de 1988 avec Annie Girardot, Le Front dans les nuages.
En 1935, Danielle Darrieux épouse le cinéaste Henri Decoin (mort en 1969). Ils divorcent en 1941[44].
Le , elle épouse à la mairie de Vichy Porfirio Rubirosa, un diplomate dominicain (mort en 1965), rencontré à l'hôtel de Lamballe (16e arrondissement de Paris)[45],[46]. Cette noce célébrée dans la discrétion dans la capitale du régime de Pétain continue de porter son lot d’ambiguïtés que l’actrice a toute sa vie durant réfuté[47]. Le couple s'installe en résidence surveillée à Megève, en Haute-Savoie, jusqu'à la fin de la guerre et divorce en 1947[25].
Après une liaison avec le comédien Pierre-Louis[15], elle épouse le le scénariste Georges Mitsinkidès (mort en 1991). Ils adoptent un garçon, Mathieu. Celui-ci meurt en 1997 à l'âge de 40 ans. Mathieu était marié depuis 1985 à Sylvie Poiret, la fille de Jean Poiret et de l'écrivaine Françoise Dorin. Ensemble, ils ont eu deux enfants, Thomas et Julien[48].
Danielle Darrieux a possédé une demeure à Cœur-Volant à Louveciennes ainsi qu'une maison de campagne à Fourcherolles et à Dampierre, toutes deux en Île-de-France[49],[50]. En 1954, Danielle Darrieux achète aussi l'île déserte de huit hectares de Stibiden, dans le golfe du Morbihan, dont elle fait sa résidence secondaire[51]. À la fin de sa vie, elle ne vient plus sur l'île et elle la laisse à sa famille, louant à la place une villa à Larmor-Baden, où elle vient jusqu'en 2015[52].
Vers 1994, elle rencontre Jacques Jenvrin, de vingt ans son cadet. Elle se retire avec lui dans une maison de Bois-le-Roi (Eure)[53], où elle meurt en 2017[54].
« Récemment, Bruel l’a conviée à participer à son album de reprises. Ce garçon a bonne mémoire : l’hirondelle Darrieux, qui fit le printemps du cinéma français ne charma pas que la pellicule, mais aussi la bande-son. C’est qu’à l’époque, peu après les débuts balbutiants du cinéma parlant, la chanson y allait de soi. Et la jeune Bordelaise, fille d’une pianiste et chanteuse, elle-même pianiste et violoncelliste, orna de son timbre ailé bien des scénarios plus ou moins mémorables. Ses toutes premières chansons filmiques étaient signées de l’auteur des insubmersibles Gars de la Marine. Mais l’actrice dut attendre 1941 pour connaître son premier "tube" : ce swinguant Premier Rendez-vous, tiré du film [homonyme], qui a gardé toute sa fraîcheur. (...) La « drôle de gosse » devenue grande dame du cinéma français y laisse l’empreinte, visuelle et vocale, d’un charme éblouissant. »
— Anne-Marie Paquotte[55] à propos de reprises de chansons sur CD : Danielle Darrieux - Intégrale 1931-1951 (56 titres sur 2 CD - Fremeaux & Associés)
Titres de chansons et discographie
1931 : « Les Beaux dimanches », « La Chanson de la poupée » enregistrés sur disque Polydor et CD (Le Bal)
1945 : « Je vous aime » enregistré sur disque Le Chant du monde (Au petit bonheur)
1947 : « Le Temps d’y croire » non enregistré (Bethsabée)
1949 : « Tu ne sauras jamais » (en duo avec Jean Desailly) non enregistré (Occupe-toi d'Amélie)
1951 : « L’Amour toujours », « There’s danger in your eyes, chérie », « We never talk much » (en duo avec Fernando Lamas) enregistrés sur disque MGM et CD « C’est fini » non enregistré (Riche, jeune et jolie)
1951 : « La Complainte des infidèles » non interprété dans le film, enregistré sur disque DECCA (La Maison Bonnadieu)
1953 : « L’amour m’emporte » non interprété dans le film, enregistré sur disque DECCA (Madame de...)
1958 : « Ma petite chanson » (Robert Courtine / Marc Fontenoy) dans le disque La voix de son maître "Mais je m'ennuie"
1959 : « Bonjour mon cœur » enregistré sur disque La Voix de son maître (Meurtre en 45 tours)
1960 : « Aux quatre saisons » (Robert Nyel / Gaby Verlor) dans le disque La voix de son maître "Aux quatre saisons"
1960 : « Danielle Darrieux » 10 titres (« Petite fleur », « Monsieur Hans », « Que toi »...) Super 45 tours enregistré sur disque La Voix de son maître[56]
1961 : « J'imagine » (Robert Nyel / Gaby Verlor) dans le disque La Voix de son maître "Printemps de Paris"
1961 : « Plus rien que le soleil » (Robert Nyel / Gaby Verlor) dans le disque La Voix de son maître "Les sourires de Paris"
1961 : « Tchin-tchin à ton cœur » (Robert Nyel / Gaby Verlor)
1963 : « Méfiez-vous mesdames » non interprété dans le film, enregistré sur disque La Voix de son maître (Méfiez-vous, mesdames)
1990 : « La Chanson d’amour », « Le temps du muguet », « La Ballade irlandaise », « Laura »... « La Chanson d’amour » collection La Chance aux chansons. 19 titres sur CD EMI.
1993 : du Bal (1931) à Premier rendez-vous (1942). 26 titres CD VANNY RECORDS M.A.D. Éditions.
1997 : La chanson de « L’Horloge » dans le conte musical Émilie Jolie
Du au , un hommage à Danielle Darrieux été rendu à la Cinémathèque française à Paris, avec une programmation spéciale de plus de 90 films de sa filmographie.
Dans le film Inglourious Basterds (2009) de Quentin Tarantino, Danielle Darrieux est évoquée lors d'un dialogue entre le projectionniste et la jeune femme dans la cabine de projection, durant la préparation de l'attentat contre Hitler[59].
Son nom est évoqué dans le dernier épisode de la saison 3 de la série française Dix pour cent.
Henry-Jean Servat et le réalisateur Pierrick Bequet ont adapté ce livre en un documentaire de 2 heures, portant les mêmes titre et sous-titre, produit en 2011 par Cinétévé, (BNF42512317).
Jérôme Bimbenet, Voyage à Berlin : Danielle Darrieux sous l'Occupation, Paris, Tallandier, , 304 p. (ISBN979-10-210-5688-6, BNF47249338).
L'@ide-Mémoire - Volume 1 (2006) - Informations sur L'@ide-Mémoire
Christian Berger, « Nécrologie des personnalités disparues en 2017 : Danielle Darrieux », L'Annuel du Cinéma 2018, Editions Les Fiches du cinéma, Paris, 2018, 800 p., p. 766-767, (ISBN978-2-902-51632-2)
Gwénaëlle Le Gras et Geneviève Sellier, Danielle Darrieux ou la traversée d'un siècle, Bordeaux, PU Bordeaux , 4 juin 2020, 345 p., 24 cm (ISBN979-10-300-0489-2)
Documentaire
Danielle Darrieux, il est poli d'être gai de Pierre-Henri Gibert, Arte - Les Films d'Ici, 2018