Muse du sculpteur depuis l'âge de quinze ans, elle est désignée dix ans plus tard, en 1944, exécuteur testamentaire de celui-ci, qui la considérait comme sa fille, et devient galeriste. Choisie en 1972 par l'unique héritier de Maillol pour être son légataire universel, elle crée en 1983 la Fondation Dina-Vierny et ouvre en 1995 à Paris le musée Maillol.
Elle a six ans quand, en 1925[2], elle rejoint, via Odessa, Varsovie et Berlin, son père, qui a fui le désastre de la NEP[3] et a trouvé un emploi de pianiste accompagnateur dans un cinéma de Paris. L'appartement familial devient un lieu de rencontre d'une certaine intelligentsia[4].
Un ami de son père, l'architecte Jean-Claude Dondel, remarque la ressemblance de l'adolescente avec les statues d'Aristide Maillol[4]. En 1934[4], il la présente au sculpteur, qui ne fait plus poser sa femme, Clotilde, et a convoqué successivement plusieurs modèles. Le maître la choisit pour être son unique modèle. Elle n'a que quinze ans, lui soixante-treize, et lui redonnera le goût de faire de grandes sculptures. Il la fait poser tous les jours trois heures durant dans son atelier de Marly et lui aménage un pupitre pour qu'elle puisse faire ses devoirs sans cesser de poser. Elle devient dès lors la figure essentielle de l'œuvre du sculpteur. Il lui montre ses carnets, en fait la confidente de son processus de création. Cette initiation, totalement chaste même si elle n'est pas à sens unique, l'attitude du modèle n'étant pas toujours neutre, durera dix ans, elle est aussi une transmission. Dina Vierny pose aussi pour de nombreux amis de Maillol, tel Raoul Dufy[5].
Œuvres d'Aristide Maillol pour lesquelles Dina Vierny a posé
Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement de la Troisième République pourchasse les militants du Parti communiste. Depuis l'appartement d'invités que Maillol a mis avant guerre à sa disposition à Banyuls-sur-Mer, Dina Vierny fait le passeur pour ceux de ces antifascistes qui tentent de fuir par l'Espagne[2]. Elle l'avoue d'emblée au vieil homme, qui a puisé auprès d'elle les ressources d'un renouveau intellectuel et artistique[3]. Il lui indique alors un chemin de contrebandiers à travers les Pyrénées orientales[3], la « voie Maillol ». La robe rouge de « Didi », qui sert de signe de reconnaissance à ceux qui doivent la rejoindre à une terrasse de café[3], inspire en 1940 à l'artiste un tableau, Dina à la robe rouge[2].
Au bout de six mois de cette incarcération à Fresnes, en octobre 1943, Maillol profite de la visite à Banyuls d'Arno Breker[4], sculpteur officiel du régime nazi qui est un admirateur et est venu faire son portrait, pour rentrer avec celui-ci à Paris, où il doit superviser la fonte d'une sculpture[9]. Arrivé à Paris, Werner Lange, officier « planqué » du Propagandastaffel qui a été du voyage[9] et avait eu l'occasion de fréquenter Dina Vierny[10], obtient avec une étrange facilité la libération du modèle[11]. Elle paraît exempte de toute trace de violences[11].
Elle est mise dans le train pour Banyuls, où Maillol la rejoint bientôt[12]. Profondément marquée par sa détention, c'est durant cette période d'éloignement, alors que son mari se cache de son côté, que les liens avec celui-ci se distendent au point de rompre.
Sans nouvelle de sa muse, Maillol, mal remis d'un accident de voiture, meurt le 27 septembre à Banyuls en écrivant « Libérez Dina ! »[réf. incomplète]. Il a désigné celle-ci pour être son exécuteur testamentaire. Elle est d'emblée[13] chargée par Lucien Maillol (1896-1972), fils unique et héritier du sculpteur, de gérer et valoriser l'œuvre du « patron ». Elle va y consacrer le reste de sa vie en femme d'affaires responsable. Divorcée, elle épouse Jean Lorquin, son cadet de cinq ans dont elle aura deux fils, Olivier, né en 1949, et Bertrand (1952-2019)[14].
Conseillée par Henri Matisse, qui prend auprès d'elle la place de protecteur qu'occupait Maillol, elle ouvre en 1947 une galerie[5] à Saint-Germain-des-Près[2] au 36, rue Jacob. Elle est guidée dans son nouveau métier de marchande d'art par la galeriste Jeanne Bucher. Elle expose, entre autres, Maillol, Pablo Picasso et Henri Matisse. Elle s'efforce de promouvoir l'œuvre de Maillol auprès des musées, en particulier aux États-Unis.
En 1963[2], elle sollicite le ministre de la CultureAndré Malraux pour restaurer une statue exposée dans le jardin des Tuileries à Paris. Malraux enchérit et lui propose d'installer là-même, en plein air, toutes les statues monumentales de Maillol qu'elle acceptera de donner à la République française[15]. Dix huit statues[4] sont installées en 1964[2]; Dina Vierny elle-même supervisera leur installation, Robert Doisneau immortalisera la scène[16]. C'est une redécouverte du maître qui, en vingt ans, avait sombré dans l'oubli. Sa restauratrice est saluée par la voix d'Arletty dans un très court métrage célébrant l'installation, Dina chez les rois[17].
C'est à cette époque qu'elle envisage, pour faire connaître au public l'ensemble de l'œuvre d'Aristide Maillol, de créer une fondation, dont elle déposera les statuts en 1983[18]. Elle va, trente ans durant, y consacrer toute son énergie, achetant une à une les pièces de l'hôtel particulier du XVIIIe siècle dont elle habite, dans le 7e arrondissement de Paris, un appartement. En 1972, Lucien Maillol, âgé de soixante treize ans, meurt sans enfant en léguant à Dina Vierny son bien, mais en réservant à sa maîtresse, Mlle Wessel, l'usufruit de la maison que son père avait acquise à Banyuls-sur-Mer[13]. Le musée Maillol, propriété de la fondation Dina-Vierny, ouvre en 1995. Il est le résultat d'un travail de sauvegarde et de rénovation auquel Dina Vierny et l'architecte Pierre Devinoy, élève d'Auguste Perret, auront consacré dix-sept années.
Dina Vierny a voulu honorer la mémoire de l'artiste en créant un musée dans la métairie de l'artiste. Ferme isolée dans la vallée de la Roume, près de Banyuls-sur-Mer, Maillol y repose sous sa statue de la Méditerranée.
Vierny est décédée cinq jours avant son 90e anniversaire. Elle laisse dans le deuil ses deux fils, Olivier Lorquin, directeur du musée Maillol à Paris, et l'historien de l'art Bertrand Lorquin, conservateur du musée.
Rééd. Chants du Goulag, LDX 274933, Paris, Le Chant du Monde, 1992, CD.
Auteur
« Cauchemars », in O. Guitarkine, O. Kostroff, А. Kalinine & О. Padkoviéroff, Un couteau pour Madame Müller, Saint-Pétersbourg, Enregistrements des Étoiles, 1997.
Werner Lange, Les artistes en France sous l'Occupation : Van Dongen, Picasso, Utrillo, Maillol, Vlaminck ?, Éditions du Rocher, Monaco, 2015, 176 p. (ISBN9782268080543).