Surnommé « il mattatore » (d'après l'émission de télévision du même nom qu'il a animée en 1959, puis le film homonyme de Dino Risi sorti en 1960, dont le titre français est L'Homme aux cent visages), il est considéré comme l'un des meilleurs et des plus représentatifs acteurs italiens de tous les temps, dont on se souvient pour son professionnalisme (à la limite de la maniaquerie), sa polyvalence et son magnétisme. Artiste profondément enraciné dans le monde du théâtre le plus engagé, il a été le fondateur et le directeur du Teatro d'arte Italiano. Sa longue carrière en Italie et à l'étranger comprend d'importantes productions, ainsi que des dizaines de divertissements qui lui ont valu une grande popularité.
Vittorio Gassmann naît le dans l'actuel quartier génois de Struppa(it), alors municipalité autonome, d'un père allemand, Heinrich Gassmann (un ingénieur civil originaire de Karlsruhe, mort en 1936) et d'une mère italienne de confession juive, Luisa Ambron (née à Pise). En 1934, Luisa Ambron changera son nom en « Ambrosi » et retire un « n » du nom de ses fils[3].
À l'âge de cinq ans, il vit pendant un an à Palmi, dans la province de Reggio de Calabre, où son père travaille à la construction du nouveau lotissement Ferrobeton[4], une entreprise italienne opérant dans le domaine du béton armé. Gassman a souvent raconté les souvenirs de cette brève expérience dans la ville calabraise et comment il y est resté attaché, au point de la citer dans le film L'Homme aux cent visages (1960) de Dino Risi.
Il débute au théâtre en 1943, avec Alda Borelli, dans Nemica de Dario Niccodemi. Il continue ensuite au Teatro Eliseo, rejoignant Tino Carraro et Ernesto Calindri dans un trio resté célèbre : avec eux, il joue dans plusieurs pièces, de la comédie bourgeoise au théâtre intellectuel, sans difficulté pour passer de l'un à l'autre.
En 1952, il fonde et dirige avec Luigi Squarzina le Teatro d'Arte Italiano, qui produit la première version complète d'Hamlet en Italie, ainsi que des œuvres rares telles que Thyeste de Sénèque ou Les Perses d'Eschyle. Il joue Prométhée enchaîné d'Eschyle en 1954 à Syracuse pour le 13e cycle de pièces classiques, et en 1960 l'Orestiade mise en scène et traduite par Pier Paolo Pasolini.
À la télévision, il a dosé ses apparitions dans des programmes populaires, mais il a surtout participé aux émissions de Mina, Corrado et Pippo Baudo. Dans le domaine de la publicité, il a joué le rôle de Nostradamus dans un spot publicitaire pour l'Istituto Bancario San Paolo de Turin en 1997, dont la phrase d'accroche est devenue très connue : « Questo lo ignoro! »[17] (litt. « Ça, je l'ignore »).
Son autodérision et son sens de l'humour l'ont amené, dans les années 1990, à participer à une émission télévisée intitulée Tunnel(it) dans lequel il récitait, de manière très formelle et sérieuse, des documents tels que des factures de gaz, des menus de restaurants ou des annonces économiques[18] ; des « lectures » réalisées avec le même professionnalisme et le même ton docte qui l'avaient rendu célèbre lorsqu'il récitait la Divine Comédie de Dante. En 1999, il a joué dans l'émission Il Mattatore - corso accelerato di piccole verità, diffusée sur Canale 5 et qui a été sa dernière apparition à la télévision.
Il a également collaboré pour la télévision à de nombreux projets avec Rubino Rubini(it).
Retour au théâtre
Malgré ses succès cinématographiques, Gassman n'a jamais abandonné le théâtre. À la fin de sa carrière, il a ajouté la poésie à son répertoire, contribuant à introduire certaines œuvres étrangères en Italie.
Véritable perfectionniste jusqu'à la maniaquerie[19], il détestait la diction imparfaite ou les inflexions dialectales, même s'il était capable de rendre la plupart des dialectes italiens lorsque cela était nécessaire. Il a accepté le défi de mettre en scène Adelchi(it), l'un des opéras les moins connus et les moins faciles d'Alessandro Manzoni. La tournée de cette pièce a attiré un demi-million de spectateurs, traversant l'Italie avec son Teatro Popolare Itinerante (une nouvelle édition du célèbre Carro di Tespi)[20].
Ses productions théâtrales comprennent de nombreux auteurs parmi les plus célèbres du XXe siècle, ainsi que des retours fréquents à des classiques tels que Shakespeare, Dostoïevski et les grands dramaturges grecs.
Il a également fondé une école de théâtre au Théâtre Goldoni(it) de Florence, la Bottega Teatrale[21], qu'il a personnellement dirigée de 1979 à 1991 et qui a joué un rôle de premier plan dans le monde culturel florentin, attirant à Florence de nombreux noms parmi les plus célèbres du théâtre et du cinéma italien et international : de Giorgio Albertazzi (longtemps vice-directeur) à Orazio Costa(it), d'Adolfo Celi à Anthony Quinn, d'Antonella Daviso à Ettore Scola, d'Yves Lebreton à Siro Ferrone, pour n'en citer que quelques-uns.
Vie privée
Vittorio Gassman a eu six compagnes[22], toutes actrices, en épousant trois d'entre elles. De ces unions sont nés quatre enfants :
Anna Maria Ferrero avec qui il a une relation tumultueuse de 1953 à 1960, période au cours de laquelle ils se sont souvent associés dans le travail ;
Annette Strøyberg, actrice danoise, avec laquelle il est lié de 1961 à 1963 ;
Juliette Mayniel, importante compagne, qu'il n'a pas épousée, dont est né, le , leur fils Alessandro, également acteur et réalisateur qui l'a fait grand-père de Leo, auteur-compositeur-interprète ;
Diletta D'Andrea, sa troisième épouse, avec laquelle il reste marié jusqu'à sa mort en 2000 et dont il eut leur dernier enfant, Jacopo, metteur en scène. Il fut également pratiquement le second père d'Emanuele Salce(it), fils de Diletta D'Andrea et de son premier mari, le metteur en scène Luciano Salce.
Sa vie privée lui a souvent valu des critiques. Sa liberté débridée en matière d'amours, de mariage et de concubinage, couronnée par l'annulation de son premier mariage à la Rote romaine, un divorce aux États-Unis et un fils extraconjugal, Alessandro, a fait scandale dans les années 1950 et 1960, tout comme son athéisme[25]. Gassman a également souvent exprimé des commentaires directs et provocants, s'attirant de nombreux ennemis dans le monde du spectacle et de la culture.
Il est mort à son domicile de Rome à l'âge de 77 ans, le , dans son sommeil des suites d'un infarctus du myocarde. La chambre funéraire a été installée le lendemain au Palais sénatorial du Capitole dans la salle de la protomothèque et les funérailles ont eu lieu le dans l'église San Gregorio al Celio, en présence de nombreuses personnalités du monde du cinéma et du spectacle. Son corps a été incinéré, puis ses cendres inhumées dans la tombe de la famille D'Andrea, la famille de sa troisième épouse, dans le cimetière monumental de Verano. Une petite plaque de pierre en forme de livre ouvert porte l'épitaphe suivante, choisie par lui : « Non fu mai impallato! » (litt. « Il n'a jamais été empalé ! »)[30],[31],[32],[33],[34].
Hommages
La municipalité de Rome a dédié deux toponymes à Gassman dans deux zones différentes de la capitale : Largo Vittorio Gassman à l'intérieur de la Villa Borghese, dans le quartier de Pinciano, en 2003, et Lungotevere Vittorio Gassman dans une zone industrielle du quartier de Portuense, en 2006 (le nom précédent était Lungotevere dei Papareschi). Gassman, Anna Magnani et Marcello Mastroianni sont donc les seuls acteurs à être commémorés par deux zones différentes dans la municipalité de Rome.
Toujours à Rome, en 2004, l'historique Teatro Quirino a été baptisé Teatro Quirino - Vittorio Gassman en son honneur. Lors de l'inauguration officielle, le , son fils Alessandro Gassmann a déclaré que le fait d'avoir « son » théâtre représentait le seul rêve que Vittorio n'avait jamais réussi à réaliser au cours de sa prestigieuse carrière[35].
À l'occasion du dixième anniversaire de la mort de l'acteur, le , la municipalité de Milan a donné son nom à une rue du quartier Adriano - Marelli, la municipalité de Narni a donné son nom à une place d'un nouveau quartier résidentiel, tandis que le de la même année, la Mostra de Venise a ouvert ses portes avec un documentaire qui lui était consacré, Vittorio racconta Gassman, réalisé par Giancarlo Scarchilli(it) en collaboration avec Alessandro Gassmann.
Depuis 2010, le Festival international du film de Bari décerne un prix portant le nom de Vittorio Gassman au jeune acteur débutant (depuis 2011 au meilleur acteur principal) parmi les films du festival.
Bel canto, Il secolo d'oro del melodramma italiano, émission présentée par Anna Moffo avec la participation de Vittorio Gassaman et Mario Del Monaco, diffusée le .
Note : Pour les films franco-italiens des années 1980, aux côtés notamment de Fanny Ardant, il s'est lui-même exprimé en français.
Bibliographie
Vittorio Gassman,
Un grand avenir derrière moi - Vie, amours et prouesses d'un m'as-tu-vu, racontées par lui-même, Éditions Julliard, 1982 (Un grande avvenire dietro le spalle, éd. Longanesi et C, 1981)
Mémoires dans une soupente, Editions de Fallois, 1991.
Bernard Degioanni Vittorio Gassman, Éditions PAC, 1980
↑Pour Gian Piero Brunetta les cinq acteurs sont les « […] personnages absolus et toujours plus acclamés de la scène […] » et « les mousquetaires, ou "monstres" de la comédie italienne […] » ; voir (it) Gian Piero Brunetta, Storia del cinema italiano, vol. IV, Dal miracolo economico agli anni novanta, 1960-1993, Rome, Editori Riuniti, , 820 p. (ISBN88-359-3788-4), p. 139 et 141. Selon Callisto Cosulich, il a été, avec Alberto Sordi, Nino Manfredi et Ugo Tognazzi, un des « matadors » de la comédie à l'italienne ; voir (it) Callisto Cosulich, « Storia di un mattatore », Cinecittà News, (lire en ligne).
↑Cazzullo Aldo, « Gassman e la nuova «n»: l' ho aggiunta al cognome », Corriere della sera, (lire en ligne)
↑Simonetta Robiony, « Chiude il Tunnel dei dispiaceri », La Stampa, , p. 22 (lire en ligne)
↑(it) « Vittorio Gassman, 100 anni e rimane inarrivabile », sur ansa.it : « Personalità contrastata, psiche probabilmente bipolare, formazione classica, perfezionista nel lavoro, irrequieto nella vita e negli amori, questo e tanto altro fu Vittorio, il Mattatore. »
↑(it) Arianna Frattali, Testo e performance dal Settecento al Duemila. Esempi di scrittura critica sulla teatralità, EDUCatt Università Cattolica (ISBN9788867806157, lire en ligne)
↑(it) Giacomo Gambetti, Il teatro e il cinema di Vittorio Gassman, Gremese Editore (ISBN9788884404206, lire en ligne), p. 82