Décidé à faire du cinéma depuis sa jeunesse[4], Arnaud Desplechin suit les cours de cinéma de l'Université Paris III (dont ceux de Serge Daney et Pascal Kané) puis intègre en 1981 l'IDHEC (l'ancêtre de La Fémis) à sa deuxième tentative[5], et en sort diplômé de la section « Réalisation et prises de vue » en 1984. Il rencontre à l'IDHEC plusieurs de ses futurs collaborateurs dont Pascale Ferran, Noémie Lvovsky et Éric Rochant[4],[2]. Pendant cette période où Desplechin éprouve des difficultés à achever ses films de scolarité[5], il ne termine que deux courts métrages, inspirés de l'univers du romancier belge Jean Ray : Le Polichinelle et la Machine à coder en 1983 puis Le Couronnement du monde en 1984[6],[3]. Il découvre alors le travail d'un autre passionné de Jean Ray, le réalisateur Alain Resnais, dont Desplechin dira plus tard qu'il est « le cinéaste qui [l']a touché le plus violemment[6] » au cours de ses études.
En 1990, Arnaud Desplechin commence à travailler sur le moyen métrage La Vie des morts. Le film réunit plusieurs acteurs qui lui resteront fidèles, parmi lesquels Marianne Denicourt, Emmanuelle Devos, Emmanuel Salinger et Thibault de Montalembert, et marque également la première collaboration entre Desplechin et le directeur de la photographie Éric Gautier. L'intrigue tourne autour d'une réunion de famille dans une maison de province, après la tentative de suicide de l'un des cousins. La Vie des morts est présenté pour la première fois au Festival Premiers plans d'Angers en , où il reçoit plusieurs prix[7], avant d'être sélectionné pour la Semaine de la critique au Festival de Cannes dérogeant ainsi de manière exceptionnelle à sa règle d'exclusivité[8]. Le prix Jean-Vigo du court métrage lui est décerné la même année.
La même année, Pascal Caucheteux crée sa société Why Not Productions, et finance La Sentinelle, le premier projet de long métrage de Desplechin. Le film est coécrit avec Pascale Ferran, Emmanuel Salinger et Noémie Lvovsky. Le jeune cinéaste reprend une partie de l'équipe de La Vie des morts, et collabore pour la première fois avec Mathieu Amalric et László Szabó. Son frère Fabrice figure également dans la distribution. Le film, dont le thème rappelle Muriel, ou le Temps d'un retour de Resnais, traite des fantômes d'une guerre passée, ici la Guerre froide et les conflits européens. Le film est bien reçu par la critique et sélectionné dans les festivals. Il est notamment en compétition à Cannes en 1992[9] et est nommé aux Césars pour le meilleur premier film, le meilleur scénario original et le meilleur espoir masculin, que remporte Emmanuel Salinger, avant d'obtenir également le prix Michel-Simon 1993.
Fin 1994, Arnaud Desplechin démarre le tournage de son deuxième long métrage, coécrit avec Emmanuel Bourdieu, Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle). Mathieu Amalric interprète cette fois-ci l'alter ego de Desplechin, Paul Dédalus, un universitaire écartelé entre plusieurs femmes : Sylvia (Marianne Denicourt), Esther (Emmanuelle Devos), et Valérie (Jeanne Balibar). La sélection du film au Festival de Cannes, ses nominations aux Césars en 1996, son succès critique font de Desplechin un auteur important des années 1990. Les critiques cinématographiques parlent alors de « génération Desplechin[9] » pour décrire le jeune cinéma français et la vague de nouveaux acteurs qu'il a révélés.
En 2000, il coécrit avec Emmanuel Bourdieu un scénario adapté d'une nouvelle d'Arthur Symons. Esther Kahn est tourné en anglais et s'attache au passage à l'âge adulte d'une jeune fille anglaise issue d'une famille juive, à travers la découverte du théâtre et de l'amour. Le film semble un hommage à l'œuvre de François Truffaut parce qu'il traite d'une éducation comme L'Enfant sauvage (1969), qu'il est tourné en anglais comme Fahrenheit 451 (1966) et Les Deux Anglaises et le Continent (1971), mais aussi parce qu'il utilise des formes filmiques de la Nouvelle Vague et plus particulièrement du cinéma de Truffaut comme les fermetures à l'iris ou les nappes de musique. Le film est également en compétition pour la palme d'or, une troisième sélection pour Desplechin au festival de Cannes[9].
Trois ans plus tard, Desplechin prépare un diptyque autour de l'adaptation de Dans la compagnie des hommes d'Edward Bond avec Nicolas Saada. Le premier film doit s'appeler Répétitions de « Dans la compagnie des hommes » et se composer principalement de vidéo tournée pendant les répétitions, et le second film En jouant « Dans la compagnie des hommes » et être composé d'images vidéo et d'images argentiques dans les proportions inverses du premier film. Entre la réalisation de chacun des deux films, Desplechin prévoit d'en tourner un troisième, alors titré Rois sans arroi, reine sans arène[10]. Finalement, le tournage du troisième film est reporté à 2004, et Arnaud Desplechin termine successivement, après avoir présenté une version préliminaire de son travail au festival de Cannes en 2003, les films Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » qui est majoritairement en argentique, puis Unplugged, en jouant « Dans la compagnie des hommes » qui reprend les répétitions tournées en DV. Dans Léo, Sami Bouajila interprète le personnage de Léonard Jurieu, fils adoptif d'un industriel, fabricant d'armes, joué par Jean-Paul Roussillon, qui en décidant de s'affranchir de son père pour mener ses propres affaires va le ruiner. Desplechin mêle la trame d'Edward Bond avec celle de Hamlet, en introduisant notamment dans l'histoire le personnage d'Ophélie, interprétée par Anna Mouglalis. Léo sort dans une seule salle, au Cinéma du Panthéon à Paris, le , après avoir été diffusé sur ARTE la veille. Unplugged ne sera pas visible avant la sortie en DVD du film.
Cette même année, Desplechin achève Rois et Reine, coécrit avec Roger Bohbot. Le film trace deux récits, l'un burlesque et l'autre tragique, respectivement centrés sur un homme et une femme qui se sont aimés : Ismaël, un musicien excentrique et névrosé interprété par Mathieu Amalric — devenu son acteur fétiche et alter ego à l'écran[2],[11] —, et Nora, une bourgeoise ambitieuse, jouée par Emmanuelle Devos. Tandis qu'Ismaël se débat avec ses problèmes fiscaux dans un hôpital psychiatrique, Nora doit assister à la mort brutale de son père et l'aider à mourir, tout en se remémorant les circonstances éprouvantes du décès par balle de son premier mari. Le film marque aussi la deuxième collaboration de Desplechin avec Jean-Paul Roussillon, Hippolyte Girardot, et la première avec Catherine Deneuve, qui joue ici une psychiatre chargée du cas d'Ismaël. Le film est acclamé par la critique et connaît un important succès public. Rois et Reine reçoit plusieurs nominations et de nombreux prix, dont le prix Louis-Delluc en 2004, et le César du meilleur acteur pour Mathieu Amalric l'année suivante.
Desplechin est pris à partie à la sortie du film par l'actrice Marianne Denicourt qui l'accuse d'avoir utilisé des éléments de sa vie privée pour écrire Rois et Reine[12]. En janvier 2005, elle publie Mauvais génie, écrit en collaboration avec la journaliste Judith Perrignon, où elle décrit sa rencontre avec un réalisateur sans scrupules nommé Arnold Duplancher. Elle attaque finalement Desplechin en justice, pour atteinte à la vie privée, lui réclamant 200 000 euros de dommages-intérêts. Elle est déboutée le , mais n'est pas non plus condamnée en retour comme le demandait le producteur du film[13]. Le 29 août 2024, Marianne Denicourt revient sur cette affaire dans un entretien au magazine Elle : « Avec ce film, Arnaud Desplechin a violé mon intimité[14]. »
Desplechin commence, en 2007, deux films ayant trait à la famille. Dans le premier, L'Aimée, Desplechin filme son père, son frère Fabrice et ses neveux dans la maison familiale de Roubaix à la veille de la vente de celle-ci ; ils évoquent le souvenir de la grand-mère d'Arnaud Desplechin, morte deux ans après la naissance de son père. C'est la deuxième incursion dans le documentaire du cinéaste après l'expérience autour de Dans la compagnie des hommes. Le film est présenté à la Mostra de Venise en , dans la section « Horizons documentaires », où il reçoit de la province autonome de Trente le prix du meilleur documentaire, avant de sortir le au Cinéma du Panthéon.
Le second film, Un conte de Noël, reprend, en l'enrichissant, le canevas de La Vie des morts, montrant une réunion de famille à Roubaix, autour de la mère, Junon (Catherine Deneuve), atteinte d'un cancer, que seule peut sauver une greffe de son fils Henri (Mathieu Amalric), « banni » de la famille des années plus tôt par sa sœur Elizabeth (Anne Consigny). Un Conte de Noël est présenté en compétition au 61e festival de Cannes, mais le réalisateur repart pour la quatrième fois sans distinction[9].
En octobre 2013, Arnaud Desplechin prend position dans l'affaire Leonarda Dibrani en défendant la femme et les manifestations lycéennes qui la soutiennent et en dénonçant la décision du chef de l'État François Hollande de ne pas remettre en cause l'expulsion de Leonarda dans une tribune publiée dans le quotidien Libération[17],[18].
En septembre 2014, Arnaud Desplechin commence le tournage de Trois souvenirs de ma jeunesse qui constitue, avec les mêmes personnages dans leur jeunesse, une « préquelle » à Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) sorti vingt ans auparavant. Le film est retenu dans la section de la Quinzaine des Réalisateurs lors du Festival de Cannes 2015. Dans le contexte de la sortie du film en mai 2015, il confie avoir vécu « en état d’apartheid » à Roubaix, sa ville de naissance, en précisant que dans son lycée « il y avait la cour avec les Algériens et la cour avec les Blancs »[19].
Durant l'été 2015, il se voit confier par Éric Ruf, directeur de la Comédie-Française, l'ouverture de la saison de l'institution pour laquelle il choisit pour sa première réelle mise en scène – plusieurs de ses films étaient déjà consacrés à la fabrication de pièces de théâtre – la pièce Père d'August Strindberg[20] qui reçoit un accueil très favorable de la critique dramatique.
En août 2019, sort Roubaix, une lumière, avec Roschdy Zem, Léa Seydoux et Sara Forestier, qui avait été présenté la même année en compétition lors du Festival de Cannes[22]. Le film obtient sept nominations aux César en 2020, dont celui du meilleur acteur décerné à Roschdy Zem. L’histoire marque les premiers pas du réalisateur dans le polar. Il s’est inspiré d'un documentaire relatant un fait divers de 2002 : le meurtre d'une personne âgée par un couple de femmes toxicomanes[23].
Années 2020
En , plusieurs affiches et spots publicitaires de prévention de sécurité routière qu'il a réalisés sont diffusés[24].
En 2021, Arnaud Desplechin décide de mettre en œuvre un projet ancien, vieux d'une quinzaine d'années[25], en adaptant le roman Tromperie (1990) de Philip Roth qui met en scène peu d'acteurs – dans un « magnifique dialogue amoureux » selon les mots du réalisateur. Au casting de ce long-métrage on retrouve Denis Podalydès, Léa Seydoux, Anouk Grinberg et Emmanuelle Devos.
En , son dernier film, Frère et sœur, est sous le feu des projecteurs de la Croisette. Présenté en compétition officielle du Festival de Cannes, il narre l'histoire d'une relation conflictuelle entre un frère et une sœur qui approchent de la cinquantaine. Alice hait son frère, Louis, depuis plus de vingt ans, mais ils vont devoir renouer à l'occasion d'un événement tragique : un décès dans leur famille. La mort et les relations familiales sont une nouvelle fois au cœur de son film qui réunit Marion Cotillard, Melvil Poupaud, Patrick Timsit et Golshifteh Farahani[23].
Pour le retour sur Arte en 2022 de la série à succès En thérapie, Éric Toledano et Olivier Nakache font appel à quatre cinéastes différents pour réaliser les épisodes de chaque personnage dont Arnaud Desplechin qui réalise sept épisodes où il met en scène Lydia (interprétée par Suzanne Lindon), une jeune étudiante en architecture atteinte d’un cancer, qui refuse obstinément de se soigner[26].
Arnaud Desplechin a vu ses films sélectionnés dans de nombreux festivals de cinéma depuis le début de sa carrière. Tous ses films entre La Vie des morts en 1991 et Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » en 2003, ainsi que Un conte de Noël en 2008 ont été présentés en compétition ou dans des sélections parallèles du Festival de Cannes. Rois et Reine et L'Aimée ont été présentés pour la première fois à la Mostra de Venise. Il reçoit le césar du Meilleur réalisateur en 2016.
En tant que réalisateur, Arnaud Desplechin n'a pas obtenu d'énormes succès au box-office. Rois et Reine avec plus de 600 000 entrées est sa plus grosse audience.
Box-office des films réalisés par Arnaud Desplechin Sources : JPBox-Office.com[31] et la base de données Lumière[32].
↑« Il faut prononcer “dépleuchin”, pas “dépléchin”. Non que Arnaud Desplechin se formalise de la méprise répandue » : Sabrina Champenois, « Arnaud Desplechin, cow-boy et indien », Libération, (lire en ligne, consulté le ).
↑ abcd et eSabrina Champenois, « Arnaud Desplechin, cow-boy et indien », Libération, (lire en ligne, consulté le ).
↑Emmanuel Burdeau et Jean-Michel Frodon, « Et, en plus, il y avait un sous-marin », entretien avec Arnaud Desplechin, Cahiers du cinéma de février 2004
↑Le livre relate l'intégralité de la psychanalyse de l'Indien Jimmy Picard avec Georges Devereux après la Seconde Guerre mondiale, Laurent Rigoulet, « L'été indien de Desplechin », Télérama, no 3271, (lire en ligne)