André Jean Cayatte est né à Carcassonne (Aude) le de Louis Cayatte et Marthe Béteille[3]. Ses parents habitent dans la bastide Saint-Louis au-dessus de l'épicerie en gros[4] qu'ils tiennent près de la place centrale de la préfecture de l'Aude, à l'angle de la rue Pinel et la rue Denisse[5]. Le père, qui était natif de Dinan (Côtes-d'Armor), avait trouvé épouse huit ans plus tôt à Carcassonne[6]. André Cayatte ne se défera jamais de son accent du Midi et reviendra régulièrement dans son Languedoc natal.
Il a quinze ans, en 1924, quand son cousin l'abbé Séverac, nouvel aumônier des prisons à Carcassonne, est chargé d'assister un condamné à mort qui avait clamé jusqu'au bout son innocence[7]. Le jeune prêtre, qui avait en vain supplié qu'on le démette de cette mission, ne dort pas de la nuit et s'effondre quand la tête tombe dans le panier[8]; il ne s'en remet pas, dépérit et meurt deux mois plus tard[7]. Dès lors, André Cayatte n'aura de cesse de militer contre « l'imbécile peine de mort ». L'ensemble de son œuvre sera un long plaidoyer pour une justice plus humaine.
Il visite Paris en compagnie du secrétaire du Parti fasciste révolutionnaire, le jeune avocatPhilippe Lamour[14] que Pierre Mac Orlan a chargé de réunir de jeunes écrivains[15]. Celui-ci publie sa nouvelle parue au Mercure de France augmentée d'une seconde partie. Artaban, divagation d'étudiant sur les aventures balnéaires et les petites amours cérébrales[16], interroge par plusieurs sous récits la confrontation d'une jeunesse rêveuse à la réalité de sa vie[10] et suscite un très vague étonnement encourageant[17]. Le lancement du livre est accompagné d'un soixante-dix huit tours sur lequel sont enregistrés des passages lus[16].
Avec René Char, André Cayatte fonde à la fin 1928 une seconde revue avantgardiste, Méridiens[18], qui connaît trois numéros, avril, août et . André Cayatte y fait toutes les premières pages[1], jusqu'à ce que René Char, admirateur[19] de celui-ci auquel il dédie[20] son second recueil[21] mais finit par reprocher son dilettantisme[22], ne rejoigne, dès novembre, Paul Eluard et les Surréalistes à Paris. André Cayatte se contente de voir publier un de ses poèmes par Fernand Marc[23].
« [...] tout éloignement de nous-mêmes emporte sa part de création. [...] L'abus de soi excuse d'autres vies possibles, toutes les vies, et seul se suicide celui qui prémédite sa transparence. »
— Récusant tant la révolution que le confort moderne, programme de l'écrivain André Cayatte en quête à travers tous les excès de ses personnages intérieurs[25].
De l'avocat au romancier (1932-1940)
Licencié ès lettres[5], André Cayatte entreprend des études de droit à la Faculté de Toulouse, au terme desquelles il devient avocat au barreau de la même ville. Au printemps 1933, encore stagiaire, il prépare pour Me Lamour le dossier en défense du journaliste Maurice Privat, attaqué en diffamation par Louis Quemeneur. À cette occasion, il se convainc de l'innocence de Guillaume Seznec et se scandalise définitivement de ce qu'il découvre de la machine judiciaire à travers le cas de l'inspecteur de police Pierre Bonny. Face à l'inefficacité des campagnes de presse, il envisage de recourir au cinéma pour éclairer l'opinion publique[26]. C'est un client acteur, en procès contre son producteur, qui lui a fait découvrir la puissance de ce média.
Monté à Paris, dégoûté du parlementarisme par l'affaire Stavisky et sa conduite par le préfet Chiappe, il décide de se reconvertir dans le journalisme et l'écriture pour montrer « la société menée par la légende, le bluff, la routine des idées reçues, vouée à la mystification des jobards par les malins »[27]. En deux ans, il publie quatre romans, dont une satire à clefs de la vie provinciale[28], L'Affaire Peyrières. Ils sont publiés par le maurrassienFernand Sorlot et cosignés par son ancien patron et désormais collègue Philippe Lamour.
Il renonce à la politique, mais pas à l'influence. Il croit « à la contagion de la bonne foi ». En , il part avec Philippe Lamour faire un reportage pour Le Petit Journal sur la guerre d'Espagne. Les deux amis, premiers témoins français des raids d'aviation sur les populations, rendent compte à L'Œuvre, Vu, L'Illustration, de la confusion des commandements militaires dans une guerre civile. En , outrés par le pacifisme de l'opinion publique, ils rédigent une brochure appelant à soutenir la République espagnole et à combattre l'hitlérisme par une intervention militaire contre la dictature de Franco[32]. Ils y dénoncent l'aveuglement de Léon Blum, qui livre clandestinement de vieux fusils quand Adolf Hitler fournit sa propre aviation, et la duplicité de Neville Chamberlain, qui défend les intérêts des Lords, grands propriétaires terriens en Espagne. Conscient des retards de doctrine de l'état-major français, Philippe Lamour rencontre en vain tant Gamelin, attaché à une infanterie de défense, que De Gaulle, partisan de l'utilisation des chars en unités autonomes.
Quand Philippe Lamour, en , participe au ravitaillement d'une division républicaine à l'ouest de Lleida, André Cayatte publie deux autres romans, seul, et c'est en tant que scénariste qu'il fait cette année-là son entrée dans le monde du cinéma auprès des derniers représentants du réalisme poétique. Les deux hommes se retrouvent face à l'absurdité d'une catastrophe imminente dans le parti d'en rire et publient ensemble un second « roman gai » dans le genre courtelinesque où se mêlent argot et grand style, Le Dur des durs.
Lorsque la mobilisation générale est décrétée à la suite de la déclaration de guerre du , il est affecté comme sergent à l'école des officiers de réserve du 11e régiment d'infanterie, et il réside à Paris au 1 square d'Urfé[3]. Le , il épouse à la mairie du 16e arrondissement Christiane Ségard avec laquelle il vivait maritalement et dont il divorcera cinq ans plus tard[3].
Années de guerre (1940-1945)
Après la défaite, André Cayatte continue de mettre ses talents d'écrivain au service du cinématographe. En 1941, il fait les dialogues du Club des soupirants, un badinage émaillé de chansons et destiné à faire oublier les privations imposées par l'occupant. Le film est produit par la Continental, compagnie allemande qui a réquisitionné les studios de Billancourt.
C'est dans cette compagnie aux ordres de Joseph Goebbels, mais noyautée par le Parti communiste[33], où se cachent des résistants, qu'André Cayatte commence en 1942 sa carrière de réalisateur. Avec le peu de moyens qu'imposent les restrictions, parfois entre deux bombardements[34], il y tourne quatre films. Aux côtés des grands noms du cinéma français, il bénéficie de la fin de la concurrence d'Hollywood.
Malgré cet échec, André Cayatte réalise un cycle au cours duquel il analyse les rouages et les enjeux de la justice à ses différentes étapes[46]. Ce sont en 1950Justice est faite, film montrant un jury d'assises prisonnier de ses préjugés, Nous sommes tous des assassins en 1952, plaidoyer sur l'inefficacité de la peine de mort, Avant le déluge en 1954, essai sur ce qui pousse la jeunesse à se retourner contre la société, Le Dossier noir en 1955, qui traite des faiblesses inhérentes à l'instruction. Le résultat est un succès populaire, une citation parmi les quinze cinéastes français qui comptent[47], mais aussi une évolution du cinématographe vers le genre télévisuel, tel qu'il se voit aujourd'hui dans les enquêtes d'actualité[48].
Une dizaine d'années plus tard, André Cayatte renouvelle son style, par trop mélodramatique au goût de la génération de la Nouvelle vague, en retrouvant le format du cycle pour une anatomie du mariage[49], La Vie conjugale. Inspiré lui aussi de Balzac[50] et écrit en collaboration avec Maurice Aubergé, le film est tourné deux fois mais d'un point de vue narratif différent.
Le cinéaste fut souvent décrié par la critique, dénonçant le manichéisme et l'aspect judiciaire omnipotent.
Les « jeunes turcs » des Cahiers du cinéma furent très critiques envers le réalisateur : « [Cayatte] trahit à la fois le réalisme du cinéma et ses pouvoirs d'abstraction, dialectiquement solidaires » pour André Bazin[57]. François Truffaut est lapidaire, qualifiant ses longs-métrages de « films à thèse » et ironise à plusieurs reprises : « Si les gens de cinéma voient dans Cayatte un avocat, les gens de robe le prennent pour un cinéaste[Note 2] » et « C'est une chance que Cayatte ne s'attaque pas à la littérature ; il serait capable à l'écran d'acquitter Julien Sorel ; Emma Bovary en serait quitte pour la préventive et le petit Twist irait se faire rééduquer à Savigny[58] ». Les autres critiques sont souvent mitigées, y compris de son collaborateur Philippe Lamour : « Nous avons connu jadis en M. Cayatte un poète éloquent, au verbe magnifique, Artaban. Qu'en toute impartialité, il aille voir son film [La Fausse maîtresse], qu'il regarde les images plates devant la caméra immobile, qu'il en écoute le dialogue, bête à pleurer […][59] ».
Cependant, il arrive que des réactions soient élogieuses : « Par son indiscutable maîtrise d'une technique audacieuse et sûre, le réalisateur fait de l'image un instrument d'analyse bien plus éloquent, et souvent plus intelligible [...][60] », ou la réaction de Louis Chauvet« Cayatte cinéaste illustre la plaidoirie d'images fortes, sur le rythme exact de la période oratoire. Et l'on a le cœur serré [...][61] ». Le cinéaste Yves Boisset vante Cayatte, assume son influence ainsi que les films difficiles qu'il tourna, et souhaite sa réhabilitation[62]. Ses romans furent également appréciés : « [sur son roman de Jeunesse Artaban en 1928] un mouvement incessant, trépidant, un écho de cinéma américain et de clownerie qui dévoile un tempérament[16]. » ou pour Jean Giono« J'ai lu Un Dur avec un plaisir sans bornes. C'est un beau livre. Aussi beau que Les Copains de Jules Romains[63]. »
Notes et références
Notes
↑Une liste officielle de 12 011 résistants a été établie après la Libération.
↑« The purification committee of the French cinema ... a sinister comedy! How the director H.G. Clouzot and several dozen filmmakers were suspended by the CLCF for their political opinions...», in American screen, Hollywood, , cité in J. P. Török, Pour en finir avec le maccarthysme. Lumières sur la Liste Noire à Hollywood., p. 17, Coll. Champs Visuels, L'Harmattan, Paris, 1999 (ISBN2-7384-8349-6).
↑« André CAYATTE », sur Mémoire des Hommes (consulté le ).
↑« La cybernétique d'André Cayatte », in Cahiers du cinéma, n° 36, p. 22-27, Éditions de l'Étoile, Paris, juin 1954. André Bazin fut allergique à tout schématisme recherchant l'adhésion des masses et écrasant l'imagination individuelle.
↑Cité in A. Cayatte & Ph. Lamour, L'Affaire Peyrières, p. 331, NEL, Paris, 1935.
Annexes
Bibliographie
Guy Braucourt, André Cayatte, Coll. Cinéma d'aujourd'hui, no 57, Seghers, Paris, 1969, 192 p.
Pierre-Henri Gibert, André Cayatte : la justice dans l'angle mort., Gaumont, Neuilly-sur-Seine, 2013, [vidéo] 30 min.
Claudette Peyrusse, « André Cayatte, un contemporain. Du poète d’avant-garde au reporter de l’Espagne républicaine », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, no 86, , p. 124-168 (lire en ligne)