Vexations est une œuvre pour piano composée par Erik Satie en 1893. En tête de partition, le compositeur a écrit cette « Note de l'auteur » :
« Pour se jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses »[1],[2]. »
Le motif de la partition se joue en deux minutes environ, selon l'interprétation[5]. L'exécution complète de l'œuvre peut ainsi varier entre quatorze et vingt-quatre heures, voire vingt-huit[6] ou trente-cinq[7], selon le tempo adopté par le ou les interprètes.
Bien que composée en 1893, l’œuvre ne fut ni imprimée ni jouée du vivant d'Erik Satie[10]. Le compositeur américain John Cage fut le premier à prendre l'initiative d'une interprétation intégrale de l'œuvre, dix pianistes (dont le jeune John Cale[11]) se relayant pour la jouer pendant plus de 18 heures, en 1963, à New York[12],[9]. Le New York Times présenta ainsi le concert : « Une longue, longue, longue nuit (et journée) au piano [...] Quoi qu'il en fût, cela a fait l'histoire musicale »[10]. Cage fut plus prolixe et décrivit son expérience ainsi[5] :
« Ce qui advint, c'est que nous étions très fatigués, naturellement, après une telle longueur de musique, et je conduisis jusque chez moi. Je dormis exceptionnellement longtemps, et lorsque je me levai, je me sentis différent de tout ce que j'avais ressenti auparavant. Et de plus mon environnement me semblait étranger, bien que ce soit le lieu où je vis. En d'autres termes, j'avais changé, et le Monde avait changé. »
Le pianiste québécois Rober Racine a également exécuté à plusieurs reprises Vexations, en en 14 heures et 8 minutes, en décembre de la même année en 17 heures et 59 minutes, en en 19 heures et enfin quatre mois plus tard en 17 heures[15].
L'interprétation prit même une tournure politique en étant jouée huit fois, du au à Buenos Aires (soit 6 720 fois le thème), en protestation contre la politique budgétaire du ministre de l'économie argentin[10].
Parmi les interprétations intégrales les plus récentes, on citera notamment celle proposée par Musée en musique dans le patio du musée de Grenoble le , où dix-huit pianistes se sont succédé de 9h à 1h30 du matin, à la Cité de la musique le entre 8 heures et 3h15 du matin, 21 pianistes se succédant autour d'Alexandre Tharaud, le 16 et de 18 heures à 16 heures, par Mark Lockett au Centre d'art et de littérature La Coopérative de Montolieu[16], ou le de 7 h à 22 h par Nicolas Horvath au Centre des congrès de Perpignan lors du Téléthon[17]. Il est à noter que cette dernière performance a été intégralement retransmise en direct sur internet, ce qui, pour les Vexations, est une première.
En , un groupe de rock japonais - Core of Bells - invite le guitariste d'avant-garde Taku Sugimoto pour enregistrer une interprétation de Vexations (durée 9 min 51 s) parue sur CD[18].
Le , le pianiste français Nicolas Horvath, habitué des Vexations, est invité par le Palais de Tokyo et y donne une version solo non-stop de 35 heures[9],[19]. Commençant le à midi, et se terminant le à 23 heures, elle est actuellement la version piano solo et non-stop la plus longue jamais exécutée[7].
L'œuvre a été donnée une nouvelle fois dans la nuit du 1er au par les élèves et les membres des conservatoires de Paris (CRR et CNSM) au cours d'un marathon musical de 11 heures[20].
En 2020, l'artiste sonore Wladimir Schall enregistre le morceau de deux minutes sur une bande sans fin. Ce type de cassette – fabriquée à l'origine pour les anciens répondeurs – permet d'écouter la composition sans pause. La cassette est éditée a 84 exemplaires sur le label allemand Gagarin Records.
Le , le pianiste Igor Levit donne à Berlin une version solo prévue pour durer 20 heures ou plus durant la pandémie de Covid-19. Sa performance est destinée à sensibiliser le public à la situation précaire de nombreux artistes durant cette pandémie[21].
↑ a et bBrian Levison et Frances Farrer (trad. de l'anglais), Musique classique : 500 ans de concerts, artistes incroyables, compositeurs hors norme, chefs d'orchestre déjantés, et autres bizarreries..., Le Rheu, LME, , 253 p. (ISBN978-2-36026-011-9), p. 238
↑« Sleep », sur Philharmonie de Paris (consulté le ).
↑(en-GB) Kate Connolly, « Igor Levit to play 20-hour Eric Satie piece as 'silent scream' », The Guardian, (ISSN0261-3077, lire en ligne, consulté le )
Bibliographie
Anne Bénichou, « La fabrique des vexations de Rober Racine. Des expositions qui créent des œuvres avec des restes », Ligeia, nos 121-124, (lire en ligne)
(en) Christopher Dawson, « Erik Satie's Vexations—An Exercise in Immobility », Revue de musique des universités canadiennes, vol. 21, no 2, (lire en ligne)
Violeta Nigro-Giunta, « Vexations. Les deux temps d’une œuvre », Marges, no 19, (lire en ligne)
(en) Stephen Whittington, « Serious Immobilities: On the Centenary of Erik Satie's Vexations », Elder Conservatorium of Music, University of Adelaide, Australia, 1993, revised 2003 (lire en ligne)