Article 1er À dater de la publication du présent décret, la traite des Noirs est abolie. Il ne sera accordé aucune expédition pour ce commerce, ni dans les ports de France, ni dans ceux de nos colonies.
Article 2. Il ne pourra être introduit, pour être vendu dans nos colonies, aucun Noir provenant de la traite soit française, soit étrangère.
Article 3. La contravention au présent décret sera punie de la confiscation du bâtiment et de la cargaison, laquelle sera prononcée par nos cours et tribunaux.
Article 4. Néanmoins, les armateurs qui auraient fait partir avant la publication du présent décret des expéditions pour la traite, pourront en vendre le produit dans nos colonies.
Article 5. Nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret.
Contexte
Rétablissement de l'esclavage par le consul Bonaparte
Pour la Guyane, c'est un arrêté consulaire du 7 décembre 1802 qui y rétablit l'esclavage[7].
Convictions de Napoléon
Enjeux politiques
Pour certains historiens, le « virage idéologique » de Bonaparte à partir de 1801 s'explique par l'influence du lobby esclavagiste et répond donc à les motivations essentiellement politiques et économiques[8].
Comme l'indique Jean-Joël Brégeon, Napoléon n'était initialement pas favorable au rétablissement de l'esclavage[9]. Il imaginait un nouveau statut transitoire adapté à chaque colonie.
L'historien Jean-François Niort explique : « Manipulé par le lobby esclavagiste, Bonaparte pense que la Guadeloupe est à feu et à sang – ce qui est faux – et que le rétablissement de l’ordre passe par le rétablissement de l’esclavage »[10].
Dans la réalité, cette loi d'abolition n'a été finalement que peu appliquée en raison de la perte quasi-totale des colonies à la suite de la guerre avec l’Angleterre et de la révolution haïtienne. Bonaparte lui-même ne s’intéressa plus à la question de l’esclavage durant son règne d'empereur de 1804 à 1814[11].
Positions ségrégationnistes
En 1799, peu après son coup d'État, le premier consul Bonaparte déclare au Conseil d'État en référence à la première abolition de 1794 et à l'occupation anglaise de la Martinique à la demande des colons : « Si j’eusse été à la Martinique, j’aurais été pour les Anglais, parce qu’avant tout il faut sauver sa vie. Je suis pour les Blancs, parce que je suis blanc, je n’ai pas d’autre raison, et celle-là est la bonne. Comment a-t-on pu accorder la liberté à des Africains, à des hommes qui n’avaient aucune civilisation, qui ne savaient pas seulement ce qu’était une colonie, ce qu’était la France ? Croyez-vous que si la majorité de la Convention avait su ce qu’elle faisait, et connu les colonies, elle eût donné la liberté aux Noirs ? Non sans doute. »[12]
Après sa décision de maintenir ou rétablir de l'esclavage en 1802, le premier consul Bonaparte réprime durement les révoltes dans les colonies (expédition de Guadeloupe et de Saint-Domingue). Ensuite, il participe à la mise en place d'une politique de ségrégation et de discrimination à l'égard des gens de couleurs libres plus dure que sous l'Ancien régime[13]. En métropole, l'arrêté consulaire du 2 juillet 1802 (13 messidor an X) renouvelle l’interdiction du territoire français prononcée en 1763 et en 1777 à leur encontre (ainsi qu'aux esclaves)[6].
Le Code civil est également modifié pour institutionnaliser la hiérarchie raciale, séparant trois classes : celle des blancs, celle des gens de couleurs libres d'avant 1789, et celle des esclaves. Enfin, les mariages mixtes sont interdits, répondant ainsi à une demande ancienne du lobby colonial que l’Ancien régime leur avait refusé[6].
Traité de Paris et congrès de Vienne
À l'international, certaines puissances historiquement esclavagistes commencent à faire évoluer leur position à ce sujet. C'est le cas notamment du gouvernement britannique qui proclame en 1807 l’abolition de la traite, reportant à plus tard l'abolition totale de l'esclavage[14].
En 1814, les Alliés entrent en France et forcent Napoléon à abdiquer. À l'initiative de l'Angleterre, un article additionnel est alors ajouté au traité du Paris du indiquant que la traite devrait être interdite en France dans les cinq ans, soit en 1819[15],[16].
Le , le roi de France Louis XVIII confirme que la délégation française soutiendra la position britannique lors du congrès de Vienne qui doit débuter le 18 septembre de la même année[15].
Néanmoins, cette déclaration n'est pas suivie d'effet. Les diplomates français Talleyrand puis Jaucourt choisissent de faire traîner les choses, préférant attendre que la France récupère ses colonies avant de s'engager. En parallèle, d'autres pays comme l'Espagne et le Portugal se montrent également réticents à abolir la traite[15].
Pour Thierry Lentz; directeur de la Fondation Napoléon (chargée de promouvoir le patrimoine napoléonien) : « Napoléon connaît les débats du Congrès de Vienne. Il sait très bien qu’il y a une commission qui prépare l’abolition de la traite. Il veut ainsi leur couper l’herbe sous le pied et leur montrer qu’il est plus libéral qu’eux. »[18]
Pour Johanne Vernier, la décret de Napoléon est pris sous la pression des Britanniques. Ceux-ci ont en effet interdit la traite dès 1807, contrôlent les mers, et menacent les navires français du droits de visite[1].
Portée et limites
Le , Napoléon est battu à la bataille de Waterloo et doit abdiquer une deuxième fois le 22 juin. Louis XVIII regagne son trône le 8 juillet.
Malgré l'effet limité du décret passé par Napoléon, le politologue bonapartiste[19]Thierry Choffat estime que « grâce à Napoléon, la France est de nouveau sur la bonne voie. C’est la première étape avant l’abolition de l’esclavage en 1848 »[20]. Toutefois, à la Seconde Restauration, tous les actes de « l'usurpateur » sont alors considérés comme nuls et non avenus[21].
Il faut alors attendre l'ordonnance royale du 8 janvier 1817 pour que Louis XVIII prohibe l'introduction d'esclaves dans les colonies françaises, et la loi du 15 avril 1818 pour que le roi abolisse la traite négrière à proprement parler, mais ces textes restent peu observés. La traite illégale était présentée comme un moyen de résister aux Britanniques soupçonnés de vouloir affaiblir l'économie nationale.
Pour les historiens Bruno Marnot et Thierry Sauzeau, la décision française d'interdire la traite se confronte aux besoins en esclaves des plantations dans les colonies restantes, malgré la perte de Saint-Domingue. Ils évoquent une « volontaire cécité face aux stratagèmes déployés par les armateurs négriers pour éviter la confiscation de leur navire », la répression de la traite ne commençant à s'affirmer progressivement qu'après 1822, année de la nomination du marquis de Clermont-Tonnerre au ministère de la Marine[22]. Il faut attendre 1825 pour que la Cour de cassation ordonne la poursuite des négriers, puis la loi de 1827 pour que ceux qui pratiquent le commerce des esclaves soit déclarés criminels[22]. Serge Daget dénombre 729 expéditions françaises de traite avérées, suspectes ou soupçonnables entre 1814 et 1850[22].
↑ a et bJohanne Vernier, « Traite des êtres humains et traite des migrants », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, no 10, , p. 49–57 (ISSN1634-8842, DOI10.4000/crdf.5256, lire en ligne, consulté le )
↑Bernard Gainot, « « Sur fond de cruelle inhumanité » ; les politiques du massacre dans la Révolution de Haïti. », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, (ISSN2105-2557, DOI10.4000/lrf.239, lire en ligne [archive], consulté le )
↑ ab et cJean-François Niort, La condition des libres de couleur aux îles du vent (XVIIe – XIXe siècles) : ressources et limites d’un système ségrégationniste, Université des Antilles et de la Guyane, , 49 p. (lire en ligne)
↑Monique Pouliquen, « L’esclavage subi, aboli, rétabli en Guyane de 1789 à 1809 », dans L'esclave et les plantations : de l'établissement de la servitude à son abolition. Hommage à Pierre Pluchon, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 241–263 p. (ISBN978-2-7535-6637-8, lire en ligne)
↑Philippe Girard, « Napoléon voulait-il rétablir l’esclavage en Haïti? », Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe, mai–août 2011 (lire en ligne).
↑ ab et cJean-Joël Brégeon, « Napoléon, l'ombre et la lumière - Le retour de l'esclavage », Histoire & Civilisations (en partenariat avec Le Monde), numéro d'avril 2021, p. 47
↑H. Nicolson, « Déclaration des plénipotentiaires des Puissances qui ont signé le traité de Paris du 30 mai 1814, relative à l’abolition de la traite des nègres d’Afrique ou du commerce des esclaves », 8 février 1815, dans Le congrès de Vienne et les traités de 1815, p. 726-727.