Victorine Brocher, née le et morte le , est une communarde, conférencière et journaliste anarchiste, figure emblématique des femmes dans la Commune de Paris. Elle est connue pour avoir rédigé ses mémoires intitulés Souvenirs d'une morte vivante, détaillant sa participation à la Commune de Paris. Elle est déléguée au Congrès anarchiste de Londres de 1881 et a contribué à des périodiques anarchistes tout au long de sa vie. Elle cofonde et enseigne à l'école internationale de Louise Michel.
Elle indique dans ses mémoires Souvenirs d'une morte vivante qu'elle travaillait dans la boutique de son père et recousait les boutons de chaussures de femmes[1].
Elle se marie le avec Jean Charles Rouchy[7] (1835 - circa 1880), ancien cordonnier et soldat de la Garde impériale en Crimée et en Italie[8]. Elle est piqueuse de bottines[4]. Ils ont deux enfants, qui meurent tous deux en bas âge, Albert à quatre ans le d'une maladie de la moelle[3] et Gabriel à quatorze mois le [4],[8] des conséquences des privations du siège de la commune de Paris[3]. Charles Rouchy est alcoolique et bat Victorine[9].
« Des milliers de poitrines répétaient avec une ardeur et un transport incomparable : « Vive la France ! Vive la République ! ». Ces cris s'élevant de toute part firent un effet magique sur la foule[1]. »
Malgré les espoirs d'une République sociale, c'est une coalition de républicains libéraux conservatrice qui prend le pouvoir, constituée de monarchiste, d'orléanistes, qui souhaitent mettre fin à la guerre et aux troubles sociaux, qui les effraient davantage encore que l'armée prussienne[13].
Durant le siège de Paris, elle est cantinière du 17e bataillon[4] et lui retourne au combat, comme franc-tireur de Paris. Il est envoyé sur les fronts de la Loire et de l'Est, avant de rentrer à la fin du mois de [8]. En son absence, elle vit difficilement, et décrira vivre dans une grande misère, subissant à la fois un hivers glacial, un rationnement mal organisé[9] et des prix jamais-vus[14].
Commune de Paris
Moins d'un mois après, une insurrection conduit à la proclamation de la Commune de Paris, à laquelle participent Victorine[15] et Charles Rouchy. Ils s'engagent tous deux dans le bataillon des Défenseurs de la République, dits turcos de la Commune, comme cantiniers[5],[8]. Victorine prend part aussi à la défense des remparts[15]. Également ambulancière[6],[16], Victorine est notamment active durant la bataille du fort d'Issy, où elle se bat et secourt les blessés.
Dès les débuts elle prend des notes sur le déroulement des évènements.
Elle assiste le 28 mars à la fête de la proclamation de la Commune[17].
Elle est citée pour sa bravoure dans le Journal officiel du [5],[4] : « Le bataillon félicite notre cantinière, la citoyenne Victorine Rouchy, du courage qu'elle a montré en suivant le bataillon au feu, et de l'humanité qu'elle a eu pour les blessés dans les journées des 29 et [a]. » Blessé grièvement par une marmite d'eau bouillante, Charles Rouchy ne rejoint son bataillon que vers la mi-mai. Il le retrouve sur le territoire de l'ancienne commune de Passy, où il établit sa cantine dans l'école des Frères[8].
Victorine défend une position républicaine[18] et ne souhaite avoir de relations avec les groupes féminins[9]. Le 21 ou 22 mai, elle rencontre Louise Michel qui lui propose de rejoindre le groupe des femmes. Elle refuse par loyauté envers son groupe, et parce que, dit-elle, elle ne connaît pas les groupes féminins et ne les a pas fréquentés.
Le , deuxième jour de la reprise de Paris par les forces versaillaises, Charles Rouchy est fait prisonnier dans sa cantine. Il est interné au camp de Satory, à la prison des Chantiers puis sur le Tage, un bateau transformé en prison flottante amarré au port de Cherbourg[8]. Victorine reste jusqu'à la fin des combats[15], rue Haxo et est sauvée in extremis par ses camarades, qui sont eux, tous fusillés[3].
Victorine se cache pendant un an après avoir été arrêtée et condamnée à mort pour avoir incendié la Cour des comptes puis s'enfuit à Genève. Elle est considérée comme morte lorsque sa mère l'identifie par erreur (ou pour la sauver[3]) parmi les restes de ceux abattus à Versailles. Son mari reste en prison[2].
Après l'amnistie, elle retourne probablement à Paris et devient déléguée de la ville au Congrès anarchiste de Londres en 1881. Elle y rencontre alors Gustave Brocher[10]. Ils se marient et élèvent plusieurs enfants. Victorine Brocher écrit pour le journal anarchiste La Révolution sociale durant cette période. En 1883, elle manifeste avec Louise Michel et Émile Pouget à l' Hôtel des Invalides. Elle continue d'écrire pour Le Cri du Peuple, La Lutte et Le Drapeau noir. Elle suit une formation d'infirmière après le décès de Jean Rouchy en 1884[2].
Victorine Brocher cofonde l'école internationale de Louise Michel à Londres et y enseigne dès 1886[2].
La période de Lausanne
Victorine et son second mari déménagent à Lausanne en 1892 où ils exploitent une librairie. Ils tiennent également une pension de jeunes, La Clochette, de 1891 à 1912[15]. Elle publie en 1909 ses mémoires, sous le nom de «Victorine B.», dans lesquelles elle mentionne sa participation à la Commune de Paris. Elle écrit également pour La Libre Fédération entre 1915 et 1919. Le couple vit à Fiume pendant deux ans, où son mari enseigne, et à Levallois-Perret. Lorsque Victorine tombe malade en 1921, ils retournent à Lausanne, où elle meurt le 3 novembre[2],[19],[3].
La correspondance entre Victorine Brocher et Lucien Descaves est archivée dans le fonds Descaves à l'Institut International d'histoire sociale d'Amsterdam. Descaves lui écrit
« Tout ce que je peux vous dire dès maintenant, c'est qu'il y a très peu de chances pour que vous trouviez un éditeur à Paris. Je ne pourrais vous indiquer que Stock - mais je suis déjà brouillé avec lui. Mieux vaudrait que vous tâchiez d'être éditée à Lausanne ou à Genève[21]. »
Le livre parait d'abord chez les éditeurs anarchistes Armand Lapie à Lausanne et Paul Delesalle à Paris, puis est republié en 1976 par Maspero, et en 2002 par La Découverte. Victorine Brocher souhaitant rester anonyme signe avec son prénom suivi de l'initiale du nom de son mari. Sur la couverture du livre figurent quatre dates emblématiques 1848-1851-1870-1871.
Victorine Brocher y décrit les évènements, le retour des vaincus du fort d'Issy le 4 mai 1871, la mort de Dombrowski, la semaine sanglante, la traque des communards et les souffrances qui leur sont infligés jusqu'à la fin.
Elle y indique sa joie lors de l'annonce de l'abdication de Napoléon, et son scepticisme par rapport à la moralité de Gambetta, qui dit-elle ne comprend pas le peuple mais s'en sert pour arriver au pouvoir lors de la révolution du 4 septembre.
Jean Grave en livre une critique[22] peu élogieuse dans Les Temps Nouveaux le 15 juillet 1909, critiquant l'omission des évènements du 22 janvier 1871 et une erreur sur l'explosion de la cartoucherie Rapp[23]. Victorine Brocher lui répond par un article dans le même quotidien le 2 octobre 1909 que l'omission du 22 janvier est due à l'oubli d'une page lors de l'impression du livre, et elle la fait imprimer dans le journal[24].
Louise Bodin recense également le livre en 1921 dans le journal L'Humanité[3] à l'occasion du décès de Victorine Brocher, et souligne le fait que le récit bien qu'emprunt selon elle de naïveté est l'un des plus poignants sur La Commune, soutenant la comparaison avec Mes cahiers rouges de Maxime Vuillaume[3].
Ces Souvenirs sont la matière principale du film d'animation télévisé Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan (Arte, 2021), adapté de son roman graphique éponyme (éditions Delcourt, 2017)[25].
Œuvres
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Souvenirs d'une morte vivante (préf. Lucien Descaves, postface François Maspero), La Découverte, coll. « (Re)Découverte. Documents et témoignages », , 246 p. (ISBN2-7071-3679-4, BNF38802940)
↑ abcdef et gMarianne Enckell, « BROCHER Victorine (née MALENFANT, épouse ROUCHY puis BROCHER) », dans Éditions de l'Atelier et Le Maitron, Dictionnaire des anarchistes, Paris, (lire en ligne)
↑Martyn Lyons et Pauline Baggio, « La culture littéraire des travailleurs. Autobiographies ouvrières dans l'Europe du XIXe siècle », Annales, vol. 56, no 4, , p. 927–946 (DOI10.3406/ahess.2001.279994, lire en ligne, consulté le ).
↑Odile Krakovitch, « Les femmes de Montmartre et Clemenceau durant le siège de Paris : de l'action sociale à l'action politique ? », dans collectif, La Commune de 1871 : L'événement, les hommes et la mémoire, Actes du colloque organisé à Précieux et à Montbrison les 15 et 16 mars 2003, Presses universitaires de Saint-Étienne, , 412 p. (ISBN978-2-8627-2314-3, lire en ligne), p. 45.
↑ abc et d« Victorine Brocher », sur www.letempsarchives.ch, Gazette de Lausanne, Lausanne, (consulté le ), p. 2/3
↑Colette Becker, « Bellet (Roger) et Regnier (Philippe), Écrire la Commune. Témoignages, récits et romans (1871-1931) », Les Cahiers naturalistes, Société littéraire des amis d'Émile Zola, , p. 219-220 (lire en ligne).
↑Éloi Valat, « Les Louises en insurrection », Le Monde diplomatique, (lire en ligne).
↑Riot-Sarcey 1994, p. 44 : « République, le mot est au centre du récit de Victorine ; mot magique, mot sacré. À l'en croire, elle lui doit son existence ; il guiderait ses pas et fixerait son destin. ».
↑ a et bVictorine (1838-1921) Auteur du texte Brocher, Souvenirs d'une morte vivante / Victorine B. [Brocher] ; préface de Lucien Descaves, (lire en ligne)
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Michèle Riot-Sarcey, « La mémoire des vaincus : l'exemple de Victorine B. », dans Roger Bellet (dir.) et Philippe Régnier (dir.), Écrire la Commune, témoignages, récits et romans (1871-1931), Tusson, Éditions du Lérot,
Reproduit dans la réédition des Souvenirs de 2017 par Libertalia.