Les pâtes à la carbonara (en italien : pasta alla carbonara) sont une spécialité culinaire à base de pâtes, très souvent des spaghetti, imbibés d'une émulsion d'un peu d'eau de cuisson des pâtes avec du pecorino râpé et des jaunes d'oeufs, servis ensuite avec du poivre noir et du guanciale (charcuterie provenant de la gorge de porc), taillé en petits morceaux.
La recette est considérée comme étant originaire de Rome[1] Le plat fait partie d'une famille de plats composés de pâtes au porc séché, au fromage et au poivre, dont l'un est pasta alla gricia. C'est très similaire aux pasta cacio e oeufs, un plat garni de saindoux fondu et d'un mélange d'œufs et de fromage, mais pas de viande ni de poivre. Cacio e egg est documenté dès 1839 et, selon les chercheurs, des preuves anecdotiques indiquent que certains Italiens nés avant la Seconde Guerre mondiale associent ce nom au plat maintenant connu sous le nom de "carbonara".L'édition de 1931 du Guide d'Italie du TCI décrit un plat de pâtes (strascinati) de Cascia et Monteleone di Spoleto, en Ombrie, dont la sauce contient des œufs battus, des saucisses et de la graisse et du maigre de porc, qui pourraient être considérés comme un précurseur du carbonara, bien qu'elle ne contienne aucun fromage[2] Le nom carbonara apparaît pour la première fois sous forme imprimée en 1950, lorsque le journal italien La Stampa le décrit comme un plat romain recherché par les officiers américains après la Alliéslibération de Rome en 1944[3]. L'écrivain culinaire Alan Davidson et le blogueur et historien culinaire Luca Cesari ont tous deux déclaré que la carbonara était née à Rome vers 1944, juste après la libération de la ville, probablement à cause du bacon qui affluait en grande quantité avec les États-Unis. Armée..Cesari ajoute que le plat est mentionné dans un film italien de 1951, tandis que la première recette attestée se trouve dans un livre de cuisine illustré.Selon Cesari, la recette aurait probablement été apportée aux États-Unis par un militaire américain qui était passé par Rome pendant la campagne d'Italie ou par un italo-américain qui l'avait rencontrée à Rome[4].Selon une hypothèse, un jeune cuisinier de l'armée italienne nommé Renato Gualandi aurait créé ce plat en 1944, avec d'autres cuisiniers italiens, dans le cadre d'un dîner pour l'armée américaine, car les Américains « avaient du bacon fabuleux, de la très bonne crème, du fromage et des jaunes d'œufs en poudre »[5]
Des premières recettes publiées vient de Chicago[6]. C'est un plat relativement récent. Il peut être fait rapidement à un coût limité, et symbolise d'une certaine façon la période de la reconstruction et du miracle économique en Italie qui suit la Seconde Guerre mondiale.
Le nom « carbonara » a été utilisé hors Italie pour décrire un plat de pâtes jeté dans une poêle avec des œufs, des lardons (bacon, pancetta ou autre charcuterie locale) et parfois des oignons ou de la crème.
Recette
La recette moderne des pâtes à la carbonara utilise des spaghettis ou des rigatoni, du guanciale, du pecorino romano, des jaunes d’œuf et du poivre[7],[8].
Le Club della carbonara, créé en 1998, propose en 2012 une recette unique pour clore la question des différentes versions diffusées dans tout le pays[9]. La recette se veut démocratique, en laissant chacun l’adapter à ses exigences tout en respectant la tradition[9]. Il est ainsi laissé le choix entre pancetta et guanciale, entre pecorino et parmesan (ou un mélange des deux), entre des œufs entiers ou uniquement les jaunes[9]. La préparation se réalise ensuite de la façon suivante : les œufs sont battus dans un bol avec une partie du fromage et une pincée de poivre jusqu’à l’obtention d’un mélange crémeux[9]. Les pâtes, bien égouttées, sont ajoutés au guanciale/pancetta doré dans une poêle[9]. L’ensemble est ensuite mélangé et servi[9].
De nombreuses variantes existent, notamment avec des légumes de saison (artichauts, asperges)[10]. La recette varie également en fonction des régions : la crème est rarement utilisée en Italie, mais fréquemment à l’étranger, comme l’ail[11],[12],[13]. Dans les pays anglo-saxons, le bacon remplace souvent le guanciale[12].
En France, la recette de la carbonara, est différente de la recette originale italienne, la version française utilise de la crème fraîche en remplacement de la crème de jaunes d'œufs, et avec des lardons, souvent industriels à base de porc français, à la place du guanciale italien. Cette recette fait régulièrement l'objet de critiques et de polémiques en Italie de la part des Italiens qui se disent dégoûtés et scandalisés de la carbonara « à la française »[14],[15]. Une vidéo tournée en France, montrant la préparation de la variante française de la recette a suscité une polémique en Italie, avec des vives réactions d'italiens dégoutés et scandalisés ; l'entreprise italienne Barilla, auquel un paquet de pâtes de la marque était utilisé, a réagi sur les réseaux sociaux via son compte officiel en se désolidarisant. La vidéo à également fait réagir les médias et journaux italiens comme Rai, Repubblica et Corriere della Serra, en affirmant que cette recette tuait les pâtes italiennes[16].
En 2021, le chef Valerio Braschi, vainqueur de la sixième saison de MasterChef Italie, propose une « carbonara liquide », sans calories et à l’aspect d’un verre d’eau, obtenue par distillation d’un mélange de sabayon au pecorino, de bouillon de poivre noir et de crème de guanciale doré[10],[17].
Histoire
Précurseurs
Le premier exemple d’association entre œuf et pâtes attesté dans la littérature culinaire italienne apparaît dans Il cuoco galante (Le Cuisinier galant), ouvrage important du napolitainVincenzo Corrado publié en 1773, à la même époque que l’ouvrage de cuisine « théorico-pratique » (Cucina teorica-pratica) d’Ippolito Cavalcanti(it)[18]. Dans chacun de ces ouvrages, l’œuf est utilisé uniquement comme épaississant pour la soupe de pâtes, les boulettes de pâtes frites ou les timballi[18]. Un siècle plus tard, dans Il principe dei cuochi (1881), Francesco Palma décrit une préparation de pâtes avec du fromage, de l’œuf et du saindoux[18]. L’utilisation de lard ou de guanciale comme accompagnement des pâtes apparaît bien plus tard dans les ouvrages de cuisine[18]. Dans Il piccolo talismano della felicità (1949), Ada Boni(en) décrit par exemple la recette des spaghettis au guanciale, mais celle-ci n’utilise pas d’œuf[18].
Origine du nom
Le nom « pâtes à la carbonara » signifie « pâtes à la charbonnière » en italien.
Il existe plusieurs propositions d'étymologies remontant au XIXe siècle : il pourrait s'agir d'un plat consommé par les travailleurs descendant dans la mine extraire le charbon[19],[20] ou bien de bûcherons du Latium sur leur lieu de travail, ayant besoin d'un plat rustique tenant au corps et pour lesquels « carbonara » ferait référence au poivre noir comme le charbon[21]. On évoque aussi les Carbonari, société secrète républicaine du XIXe siècle, qui consommeraient ce plat[22].
Il existe même une étymologie assez fantaisiste évoquant le quartier populaire de Carbonara à Bari où les habitants tabagistes auraient eu les papilles gustatives tellement abimées par le tabac que pour ressentir le goût, ils eurent recours à une dose massive de poivre noir[22].
Selon certains spécialistes de la gastronomie comme l'historien de l'alimentation Alberto Grandi, il n’existerait aucune utilisation attestée de l’expression « pâtes à la carbonara » avant la Seconde Guerre mondiale[11]. La première occurrence connue de l’expression « spaghetti alla carbonara » est dans le film Cameriera bella presenza offresi…(en) de Giorgio Pàstina sorti en 1951, dans lequel, lors d’un entretien d’embauche avec une femme de ménage (interprétée par Elsa Merlini), le futur employeur lui demande si elle « sait faire des spaghetti alla carbonara[a] ». Dans le film, la femme de ménage ne connaît pas cette recette, alors qu’elle connaît par exemple les spaghettis à l’amatriciana[18].
Seuls certains spécialistes de la gastronomie affirment que la recette ne serait attestée qu’à partir de la moitié du XXe siècle en Italie, et que sa composition moderne remonterait aux années 1990[18],[9],[7],[10].
Il existe de nombreux débats quant à l'origine de ce plat, du fait notamment que la recette faisant autorité en Italie diffère totalement de la recette la plus populaire à l'étranger. On peut donc retrouver une manifestation du nationalisme italien dans cette défense inconditionnelle de la recette « traditionnelle » de la Carbonara[23], voire une instrumentalisation par l'extrême droite[24].
Premières recettes
Plusieurs hypothèses coexistent sur la naissance du plat proprement dit[18]. Il est probable que la disponibilité des rations militaires américaines en Italie juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale ait favorisé sa création, et le mariage des œufs et bacon américains avec les pâtes et fromage italiens a rendu la recette immédiatement populaire aussi bien aux États-Unis qu’en Italie[18]. Dans sa grande encyclopédie de la gastronomie (2008), Marco Guarnaschelli Gotti écrit que « quand Rome fut libérée, la pénurie alimentaire était extrême, et une des rares ressources était les rations militaires distribuées par les troupes alliées ; celles-ci comportaient des œufs (en poudre), du bacon (pancetta fumée) et de la crème fraîche, et quelqu’un eut l’idée de mélanger tout ça en sauce pour les pâtes[b],[25] ». Cette hypothèse est appuyée par le récit de Renato Gualandi, un jeune cuisinier bolonais engagé le pour préparer un repas pour l’occasion de la rencontre entre la 8e armée britannique et la 5e armée américaine dans la ville de Riccione libérée :
« Les Américains avaient du bacon fantastique, de la crème fraîche excellente, du fromage et du jaune d’œuf en poudre. J’ai mis tous les ingrédients ensemble et j’ai servi ces pâtes aux généraux et aux officiels. Au dernier moment, j’ai décidé de mettre du poivre noir, ce qui a créé un goût très parfumé. J’ai cuisiné l’ensemble de façon assez “baveuse” et les hôtes furent conquis. »[c],[18]
— Renato Gualandi
Gualandi devint ensuite cuisinier des troupes alliées à Rome de à , une période suffisante pour diffuser la recette de la carbonara dans la capitale[18]. Le bacon sera ensuite rapidement remplacé par la variante locale, la pancetta, puis le guanciale[9]. La crème fraîche présente dans les premières recettes tend en faveur de cette origine puisque la crème pouvait servir à diluer les œufs en poudre issus des rations américaines[7],[10],[25]. Selon Igles Corelli(it), qui a retracé l’histoire du plat, Renato Gualandi aurait en réalité inventé le plat par hasard à Rome et non à Riccione, ce qui explique pourquoi son origine est revendiquée par les Romains et non par les Romagnols[26].
Selon l'historien Alberto Grandi[27], le plat a été créé par des Américains vivant en Italie après la seconde guerre mondiale. Les Américains ont d'abord nommé le plat « spaghetti breakfast ». Les œufs et le bacon étaient la collation typique des marines, ils décidèrent de mélanger cela avec des pâtes, créant ainsi la recette que nous connaissons aujourd'hui[28].
Une des premières recettes des pâtes à la carbonara est souvent revendiquée comme celle qui apparaît en 1952 aux États-Unis dans un guide des restaurants du Near North Side de Chicago écrit par Patricia Bronté et publié en décembre de cette année (Livre numérisé): dans sa recension du restaurant Armando's, elle cite la recette précise des pâtes à la carbonara donnée par les deux propriétaires italiens[18],[9],[7]. La première version italienne date d’ quand elle apparaît dans la revue La Cucina Italiana(en)[18],[7]. Les ingrédients qui la composent sont : les spaghettis, l’œuf, la pancetta, le gruyère et l’ail[18]. Si ces ingrédients peuvent surprendre qui est habitué à la recette moderne, ils sont cependant normaux pour une recette encore peu connue au niveau national et en cours de définition[18]. L’année suivante, la recette apparaît pour la première fois dans un véritable ouvrage de cuisine (La signora in cucina de Felix Dessì) avec les ingrédients suivants : pâtes, œuf, poivre, parmesan (ou pecorino) et pancetta[18].
Une recette encore plus récente est publiée en français dans la Croix du Nord le dimanche 20 avril 1952 (document Gallica BNF, encart "bon appétit"). Les ingrédients y sont les spaghettis, l'œuf, du sel, du lard frit, du beurre et de l'huile, saupoudrés de parmesan et d'une pincée de poivre[29].
Évolution vers une recette moderne
La consécration des pâtes à la carbonara comme recette faisant partie du répertoire culinaire national arrive en 1960 avec la publication de l’ouvrage La grande cucina de Luigi Carnacina(it)[18]. Pour la première fois apparaissent deux ingrédients : le guanciale, qui remplace la pancetta, et la crème fraîche, qui restera présente dans les recettes jusqu’à la fin des années 1980 dans des quantités parfois importantes (par exemple la version de Gualtiero Marchesi publiée en 1989 suggère 1⁄4 de litre pour 400 g de spaghettis[18],[9], ou le triple-étoilé français Alain Senderens qui préconise en 1981 dans « La cuisine réussie : les 200 meilleures recettes de l'Archestrate » (avec Eventhia Senderens - Éditions J.C. Lattès) d’incorporer un demi-litre de crème pour 500 g grammes de pâtes[30]).
Dans les années 1970, l’œuf cuit disparaît au profit de l’œuf cru qui se limitera plus tard au seul jaune[9].
Jusque dans les années 1990, plusieurs autres ingrédients apparaîtront dans les recettes, tels que le vin, l’ail, l’oignon, le persil, les poivrons, ou encore le piment[18]. Tous ces ingrédients seront plus tard éliminés en faveur de produits liés au territoire romain, où la recette s’est fortement implantée[10]. Les trois ingrédients désormais canoniques sont l’œuf (très souvent uniquement le jaune), le pecorino et le guanciale, accompagnés d’une quantité plus ou moins abondante de poivre[18],[7].
Production industrielle
Fin août 2024, l’entreprise américaine Heinz, plus connue pour son ketchup, annonce sur ses comptes britanniques des réseaux sociaux X et Instagram le lancement en septembre 2024 d’un nouveau produit au Royaume-Uni : des spaghettis à la carbonara en boîte de conserve à 1,75 livre sterling (soit environ 2,08 euros) la boîte[31]. L'annonce fait réagir et scandalise en Italie, telle la réaction de Gianfranco Vissani(it), un cuisinier bien connu dans ce pays pour ses passages à la télévision : « Je leur dirais d’aller au diable, avec ces propositions, ils détruisent la culture italienne et notre cuisine. Ils devraient avoir honte »[31]. Un journaliste, Massimiliano Tonelli, répond dans un magazine gastronomique sur internet, Cibo Today, que ces réactions sont en train d'« inventer une tradition qui n’existe pas et n’a jamais existé, puis défendre cette tradition imaginaire contre de prétendues attaques extérieures en s’en emparant de manière idéologique, chauvine et populiste, en criant au crime de lèse-majesté et en appelant à l’indignation à tout bout de champ »[31].
Notes et références
Notes
↑« Scusi un momento, senta un po’, ma lei sa fare gli spaghetti alla carbonara[18] ? »
↑« quando Roma venne liberata, la penuria alimentare era estrema, e una delle poche risorse erano le razioni militari, distribuite dalle truppe alleate; di queste facevano parte uova (in polvere) e bacon (pancetta affumicata) e crema di latte (panna), che qualche genio ignoto avrebbe avuto l'idea di mescolare condendo la pasta[25]. »
↑« Gli americani avevano del bacon fantastico, della crema di latte buonissima, del formaggio e della polvere di rosso d’uovo. Misi tutto insieme e servii a cena questa pasta ai generali e agli ufficiali. All’ultimo momento decisi di mettere del pepe nero che sprigionò un ottimo sapore. Li cucinai abbastanza “bavosetti” e furono conquistati dalla pasta[18]. »
↑ a et b(en) Antony F. Buccini, « On Spaghetti alla Carbonara and related Dishes of Central and Southern Italy », dans Richard Hosking (dir.), Eggs in Cookery: Proceedings of the Oxford Symposium of Food and Cookery 2006, Oxford Symposium, (ISBN978-1-903018-54-5, lire en ligne), p. 36-47.
↑ a et b(en) Sharon Tyler Herbst et Ron Herbst, The New Food Lover's Companion, (ISBN978-0-7641-3577-4), p. 115.
↑(it) Vincenzo Buonassisi, Il Nuovo Codice della Pasta, Rizzoli, .
↑Marianna Giusti, « Everything I, an Italian, thought I knew about Italian food is wrong », Financial Times, (lire en ligne, consulté le ).
↑(it) Alberto Grandi, Denominazione di origine inventata. Le bugie del marketing sui prodotti tipici italiani, Mondadori, (ISBN978-88-04-72991-4, lire en ligne).