Les frères Dardenne — Jean-Pierre, né le à Engis, et Luc, né le aux Awirs — sont deux réalisateurs belges qui réalisent leurs films en commun. Ils sont également scénaristes et producteurs.
Les frères Dardenne ont élaboré une œuvre cohérente et exigeante[1]. Ils sont aujourd'hui considérés comme les grands représentants du cinéma social européen, au même titre que Ken Loach et Mike Leigh[2].
Les Dardenne sont en effet reconnus comme ceux qui en ont renouvelé l'esthétique et la narration grâce à un style concret, épuré et loin des facilités[3] : caméra à l'épaule ou poing suivant au plus près les visages crispés et les corps en mouvement, longs plans-séquences dilatant la durée, captation de gestes de nervosité, moments de vide, d'irritation, voire de frustration, absence de plage musicale, silences, choix d'acteurs non professionnels ou méconnus[4].
Biographie
Enfance et études
Fils de Lucien et Marie-Josée Dardenne[5], les frères Dardenne grandissent dans la banlieue industrielle de Liège, à Engis où vivent leurs parents.
Leur cinéma s'enracine dans cette région de leur enfance, étant donné leur volonté, comme le dit Luc Dardenne dans une interview donnée à la revue Toudi, de filmer « l'ici[6]. ». À propos de ce décor périurbain particulier, Luc déclare : « Engis a longtemps été le village le plus pollué d'Europe. Dans les années 1930, trois personnes y sont mortes d'intoxication. Sartre le mentionne dans Critique de la raison dialectique comme une illustration des contradictions du capitalisme. Les gens du village se sont énormément battus pour améliorer leurs conditions de vie. »[7].
C’est en tant qu'étudiant en art dramatique à l'Institut des arts de diffusion (IAD) de Louvain-la-Neuve[8] que Jean-Pierre Dardenne rencontre Armand Gatti, metteur en scène et poète, qui l'influence et lui permet de débuter dans la réalisation en lui proposant ainsi qu’à son frère Luc de devenir les assistants de ses expériences théâtrales que sont « La Colonne Durutti » et « L'Arche d’Adelin » puis plus tard de son film Nous étions tous des noms d'arbres.
Après leurs études respectives (Jean-Pierre en art dramatique et Luc en philosophie[9] de 1974 à 1977[10]), « les frères » comme les appellent leurs amis et collaborateurs, tournent des vidéos militantes sur les interventions et les luttes dans des cités ouvrières qu'ils financent grâce à leurs petits emplois[Lesquels ?] respectifs. L’art filmique et les aspects sociaux de la vie se rencontrent dans leurs projets qu'ils diffusent dans les cités[8]. Ces deux éléments sont à la base de leur cinéma engagé, qu'il soit du côté de la fiction ou du documentaire[8].
En 1978, les frères réalisent de nombreux documentaires sur les radios libres et traitent des problèmes engendrés par la vie collective ou encore la grève générale de 1960 (Lorsque le bateau de Monsieur Léon descendit la Meuse pour la première fois[11]). Dans d'autres travaux, ils évoquent notamment les journaux clandestins ou encore la résistance anti-allemande en Belgique (Le Chant du rossignol)[8]. En 1981, ils retrouvent Armand Gatti pour le film Nous étions tous des noms d’arbres pour lequel Luc est le premier assistant réalisateur et Jean-Pierre le premier assistant caméra.
Passage au long-métrage de fiction (années 1980)
En 1987, Falsch, adapté d’une pièce de René Kalisky et co-écrit avec Jean Gruault, scénariste de François Truffaut, marque un tournant décisif dans leur carrière[8]. À partir de cette œuvre à mi-chemin entre fiction et théâtre filmé[8], les cinéastes se consacrent au genre fictionnel[8]. Cependant, leur cinéma de fiction, toujours engagé, reste proche du documentaire dans sa forme et son contenu, notamment pour la chronique qu'il fonde de la misère moderne engendrée par la désindustrialisation[8]. Les frères reviennent également sur les dégâts causés par la crise économique et la difficile survie de personnes humbles dans un quotidien fragile[8].
Les Dardenne réalisent Je pense à vous en 1992, avec Robin Renucci et Fabienne Babe, qui raconte l'errance d'une femme à la recherche de son mari, ouvrier-sidérurgiste, disparu après avoir perdu son emploi[12]. Cette expérience négative, qui se solde par un échec commercial[8], convainc les cinéastes d'alléger leur mode de production[8] et d'affiner leur manière de filmer, en réaction aux fictions majoritaires[13]. Les frères sont découverts par le public et la critique en 1996, année qui marque la première étape de leur glorieux parcours cannois.
Révélation critique (années 1990)
Ils présentent à la Quinzaine des réalisateurs leur troisième film, La Promesse qui révèle Jérémie Renier et Olivier Gourmet. Outre son importance pour la suite de la carrière des frères Dardenne, ce film préfigure les thèmes qui seront au centre de leur œuvre : le conflit entre enfants et parents, entre une société en perdition et une jeunesse égarée, et enfin entre un monde libéral et exploiteur (voire, d’une certaine façon, cannibale) et ses victimes ; motifs rappelant parfois le cinéma de Ken Loach et Mike Leigh[14]. Leur style naturaliste s'y affirme également par leur volonté de combiner une forme visuelle nerveuse à une histoire surprenante, profonde et pleine de rebondissements qui tire les codes de la tragédie du côté des personnes en marge. Le décor post-industriel de la périphérie liégeoise reste leur cadre de prédilection et on décèle déjà leur manière singulière de coller convulsivement à leur personnage principal en montrant ses gesticulations[13]. Le va-et-vient continuel des héros dans un quotidien de débrouille et de clandestinité, filmé caméra à l'épaule, devient l'une des caractéristiques de leur mise en scène qui évolue, par la suite, vers une forme plus posée[8],[13]. Ce troisième long métrage de fiction utilise le fil central de leurs scénarios à venir, à savoir un protagoniste peu sympathique au départ, entraîné dans un problème d'ordre moral ou confronté à un dilemme cornélien qui fera resurgir son humanité cachée[13].
Ce ressort dramatique distingue les Dardenne de Ken Loach auquel une partie de la critique les rapproche souvent : si le second caractérise d'emblée les partisans du bien et du mal, suscitant une empathie immédiate pour ses protagonistes, les Dardenne s'abstiennent de tout jugement, mettant parfois une certaine distance avec leurs héros, capables du meilleur (abnégation, solidarité) comme du pire (délation, cruauté, insouciance criminelle etc.)[4],[1],[13]. La quête de la vérité humaine, y compris déplaisante, reste au cœur de leur dispositif[13].
En 1999, les Dardenne sont reconnus mondialement grâce à leur première Palme d'or au Festival de Cannes, obtenue pour le drame Rosetta, leur premier film porté par une femme. Cette fiction raconte le combat d’une jeune belge en quête désespérée d’un emploi et lance la carrière d'Émilie Dequenne, comédienne débutante, qui reçoit le prix d'interprétation féminine[13].
Consécration (années 2000)
Au début des années 2000, les cinéastes retrouvent d'abord Olivier Gourmet et Jérémie Renier, mais sur des projets distincts. En 2002, les réalisateurs permettent à Olivier Gourmet de recevoir le prix d'interprétation à Cannes grâce à son rôle dans Le Fils, film d'une grande intensité dramatique sur les relations père / fils et la difficulté de pardonner. Dans cette œuvre, le comédien joue un menuisier formateur de jeunes qui rencontre l’enfant qui a tué, quelques années plus tôt, son propre fils.
En 2005, les frères Dardenne rejoignent le club restreint des cinéastes doublement palmés à Cannes (au côté d'Emir Kusturica, président du jury d'alors) grâce à L'Enfant, nouvel opus sur la précarité et la rédemption, interprété par Jérémie Renier et Déborah François. L'œuvre évoque le sort de très jeunes parents « instables socialement » dont la vie bascule à la naissance d'un enfant, vendu de manière insouciante par un père soucieux de régler ses problèmes d'argent.
Les Dardenne comptent parmi les metteurs en scène les plus primés du festival[13]. Ils ratent de peu une troisième palme mais reçoivent le grand prix pour leur huitième film, Le Gamin au vélo, sorti en 2011, qui raconte la possibilité pour un jeune garçon sans famille de choisir une mère d'adoption, incarnée par Cécile de France.
Mais les frères reviennent une sixième fois en compétition à Cannes, en 2014, avec un troisième portrait de femme-courage avec Deux jours, une nuit où ils dirigent Marion Cotillard dans un rôle d'ouvrière revenue de dépression, obligée de convaincre ses collègues de renoncer à leurs primes pour conserver son emploi[15]. Nonobstant une presse très enthousiaste et un nouveau statut de favoris à la récompense suprême[16], les réalisateurs ne figurent pas au palmarès pour la première fois de leur carrière[17]. Marion Cotillard sera nommée à l'Oscar de la meilleure actrice pour ce film.
Ils reçoivent le prix Robert-Bresson à la Mostra de Venise 2011 pour l'ensemble de leur œuvre, signifiant ainsi l'intensité de la recherche de sens à la vie dans leur production. Sans aucun but spirituel, les deux cinéastes œuvrent en faveur d'un cinéma « simplement humain ».
Dès 2016, ils reviennent dans la compétition cannoise grâce à un quatrième portrait de femme, La Fille inconnue avec cette fois Adèle Haenel dans le rôle principal. Ce film, qui épouse la forme du film policier tout en gardant un contenu social, relate la trajectoire d'une médecin généraliste, prise de remords, qui tente de savoir ce qui est arrivé à une patiente disparue le soir où elle lui a fermé sa porte. Cette nouvelle réalisation est largement moins bien accueillie qu'à l'accoutumée par la critique et les festivaliers[18],[19],[20],[21],[22],[23] et les deux cinéastes repartent pour la seconde fois sans aucun prix de La Croisette.
En 2005, peu avant la condamnation du réalisateur Jean-Claude Brisseau pour harcèlement sexuel, ils font partie des signataires d’une pétition de soutien à ce dernier lancée par Les Inrockuptibles ; plusieurs années plus tard, ils présentent leurs excuses dans l'émission Stupéfiant ![26]
Filmographie
En tant que réalisateurs
Cinéma
1987 : Il court, il court, le monde (court-métrage)
↑« Pourquoi faisons-nous de l' « ici » ? Parce c'est de cela que nous avons envie de parler, de Seraing, moi et mon frère, on a envie de parler de notre enfance, des paysages de notre enfance et de notre adolescence. Nous c'est comme cela. Le prochain film se tournera encore à Seraing et dans les environs. Quand nous pensons un film, nous le pensons là et nous voyons des gens là, des gens de la famille, des dialogues, des morceaux de dialogues. Nous avons filmé beaucoup de monde dans les années 75/80 en vidéo. Les films, on disait les bandes vidéos, ont disparu, mais on en a gardé la mémoire et cela nous revient chaque fois que nous discutons de certains personnages de nos fictions. On pourrait imaginer aller filmer ailleurs. Mais nous, c'est notre plaisir, notre joie de filmer dans les décors de notre enfance. Ce n'est pas par appréhension d'aller ailleurs que nous faisons les choses de cette façon. Le scénario que nous venons de terminer, cela se passe ici, dans la banlieue de Liège, Seraing, Flémalle, dans un rayon de 50 kilomètres autour de Liège. Le cinéma est né avec le local, l'ici, et comme industrie avec les nations, les langues et les industries françaises, américaines, allemandes, japonaises. » dans une interview intitulée Interview de la revue TOUDI consultée le 12 mars 2014
↑ abcdefghijkl et mLuc et Jean-Pierre Dardenne sur le site de Ciné-ressources (compilation des archives et des recherches des cinémathèques de France), consulté le 3 juin 2014.
↑Luc Dardenne a déposé son mémoire de fin d'étude en philosophie en 1979. Le titre de ce travail, dirigé par le philosophe Jean Ladrière est : Introduction à la pensée de Cornelius Castoriadis. 1 : De la critique du marxisme a la critique de la logique - Ontologie héritée. Source: catalogue en ligne de la bibliothèque de la Faculté des Sciences Economiques et Sociales de l'Université de Louvain consulté en ligne ce 20 mai 2014.
↑« Cannes 2014 les étoiles de la critique », Le Film français, (www.lefilmfrancais.com/118566/cannes-2014-le-tableau-complet-des-etoiles-de-la-critique)
↑Olivier De Bruyn, « Festival de Cannes 2014 : Nuri Bilge Ceylan (Winter Sleep) triomphe, les frères Dardenne pleurent », Rue89-Le Nouvel Observateur, (lire en ligne).
↑« Cannes : la douche tiède pour les frères Dardenne », Dh.be, (lire en ligne, consulté le )
↑« Cannes 2016 : que vaut La fille inconnue des frères Dardenne ? », Le Figaro, (lire en ligne)