Dominique Cabrera naît en Algérie, dans une famille pied-noir rapatriée en France en 1962. Après une licence de lettres, elle entre à l'IDHEC en 1978. En 1981, elle réalise son premier court-métrageJ'ai droit à la parole (Fédération des PACT-ARIM SOliHA), exemple de démocratie participative avec les locataires d’une cité de transit à Colombes à l’échelle de la construction d’un terrain de jeux pour enfants.
Les documentaires qu'elle réalise ensuite la font connaître pour le regard original qu'elle porte sur la vie sociale en banlieue, Chronique d'une banlieue ordinaire[2] (Iskra, INA, Canal+) et Une poste à La Courneuve (Iskra, Arte).
Dans Chronique d’une banlieue ordinaire, elle filme le retour d’habitants d’une tour murée du Val Fourré dans leurs appartements. Portée par la caméra de Jacques Pamart, c’est l’occasion d’une évocation de la mémoire ordinaire de la banlieue et d’une analyse de la transformation des quartiers des années 1960 aux années 1990.
Dans Une poste à la Courneuve, elle montre les rapports entre les salariés et les usagers d’un bureau de poste. À travers le rapport à l’argent, le film montre les solidarités et tensions entre les « exclus » et ceux qui ont un emploi. Le film contient notamment une séquence d’anthologie sur le jour des allocs.[réf. nécessaire]
Dans Rester là-bas (Méli-Mélo, INA, Arte), elle aborde les liens entre la France et l'Algérie, à travers son retour à Alger à la rencontre de ceux qui sont restés « là-bas », en particulier Pierre Chaulet, Yves Grangaud, Fanny Colonna (figure centrale du film) et de leurs enfants[3].
Après avoir lu l’un de ses scenari lors d'un concours du meilleur scénario en 1990, le producteur Didier Haudepin reconnaît le talent émergent de Cabrera et six ans plus tard produit son premier long-métrage de fiction, L’autre côté de la mer[4].
L'engagement, et en particulier l’engagement politique, traverse la filmographie de Cabrera, qui comprend des documentaires, des fictions et des films essais hybrides[7]. Selon certains critiques, Cabrera évite les jugements moraux ou idéologiques, elle aborde ses films avec lyrisme, amour et émerveillement devant la vie qui va, préférant laisser le jugement aux spectateurs[8]. Ses fictions portent sur le temps qui passe, la politique, l’utopie, la famille, la maternité, l’assimilation culturelle et l’identité. Les origines pied-noir de Cabrera orientent son attention vers l’histoire entrelacée de la France et du Maghreb.
Elle réalise en 1995 son premier long-métrage documentaire, Demain et encore demain, un essai autobiographique, journal intime d'une cinéaste en proie à l'angoisse et au bonheur de vivre[9]. Dans ce film, elle expérimente des formes, cherche son style et trouve sa voix. Chacune de ses identités (femme, mère, fille, sœur, amante) contribue à une définition croissante du rôle de la cinéaste[10]. Demain et encore demain est un des premiers journaux intimes tournés en vidéo à être distribué en salles en France par Maurice Tinchant[8]. Il représente un tournant dans la carrière de la cinéaste et entame son passage vers des fictions qu’elle tissera d’inspiration documentaire et peuplera souvent d’interprètes issus du réel[pas clair]. Ses longs-métrages jusqu’en 2013 et Grandir seront des fictions[11].
Son premier long-métrage de fiction, L’Autre Côté de la mer (1996), porte sur le déracinement des pieds-noirs exilés en 1962 et sur les Algériens contraints à l'exil par la montée du Front islamique du salut (FIS) dans les années 1990. Un pied-noir agriculteur qui vit toujours en Algérie (Claude Brasseur) va à Paris pour se faire opérer de la cataracte. Son jeune chirurgien (Roschdy Zem) se trouve être un Français d’origine algérienne. Le rapport entre ces deux personnages et leurs familles fait émerger les conséquences dans la vie des gens de la guerre d’indépendance et de la décennie noire de l’Algérie contemporaine. Le film sera présenté à Cannes dans la section Cinémas en France, sélectionné aux Césars et gagnera un prix d’interprétation pour Brasseur à Riga.
Dominique Cabrera tourne en 2001 Le Lait de la tendresse humaine. Portée par Marilyne Canto cette histoire de baby blues reçoit un accueil critique chaleureux, qui souligne son usage de la couleur et la beauté des cadres, l’empathie avec les personnages et le portrait très vrai d’une dépression post-partum[13]. Les acteurs, Patrick Bruel, Maryline Canto, Valeria Bruni-Tedeschi, Olivier Gourmet et Yolande Moreau reçoivent un prix d’interprétation collective à Locarno en 2002.
Folle embellie (2004) est un film d’époque qui se passe pendant l’exode de juin 1940[14]. Sur ce fond tragique, Cabrera fait vivre une utopie, celle de la psychiatrie alternative dans ce conte de fées et de monstres. Un bande d’internés devant l’avancée de l’armée allemande et la désertion des responsables, s’échappe d’une asile pour errer dans la nature et trouver qui la mort, qui ?? une vie nouvelle. Dans ce film Cabrera dirige Jean-Pierre Léaud, Miou-Miou, Yolande Moreau, Marilyne Canto et Olivier Gourmet. Elle s’est inspirée d’une histoire vraie qu’elle a recueillie lorsqu’elle travaillait à l’hôpital psychiatrique de Fleury-les-aubrais comme fille de salle dans les années soixante-dix. Folle embellie, le cinquième long-métrage de Cabrera, a été présenté à la Berlinale dans la section Forum où il a gagné le prix du jury œcuménique.
En 2009, elle tourne (dans la série de France 2Suite noire) Quand la ville mord, adaptation du roman éponyme de Marc Villard avec Aïssa Maïga. Ce film est applaudi pour son portrait réaliste d’une jeune Malienne, passionnée par l’œuvre de Basquiat, asservie par un réseau de prostitution qui se libère de ses proxénètes[15]. Aïssa Maïga obtient le prix d’interprétation au festival Cinema e donne à Florence.
En 2013 Grandir, son deuxième long-métrage autobiographique[16] est sélectionné à Cannes dans la sélection de l’ACID et sort en salles[17]. Le film reçoit le prix Potemkine au Cinéma du réel.
En 2015, Cabrera tourne l’adaptation du roman de Maylis de KerangalCorniche Kennedy (Canal+ Everybody on deck, Jour2fête), présenté en 2016 en ouverture du FIDMarseille et sorti en salles au début 2017. Ce film met en scène la grâce et le risque à travers les tribulations d’une bande de jeunes Marseillais des quartiers populaires que rencontre une jeune fille des beaux quartiers (Lola Créton) et qu’observent des flics de la brigade des stups (Aissa Maïga, Moussa Maaskri, Philippe Géoni). Elle y enrôle des amateurs et écrit les dialogues avec eux. Les jeunes Alain De Maria et Kamel Kadri, entraînés par le plongeur de haut-vol champion du monde Lionel Franc sont la révélation de ce film qui obtient le prix du public au festival Renc'art de Montreuil et le prix Claude Chabrol coup de cœur cinéma au festival du Croisic.
↑Stephen Holden, « FILM FESTIVAL REVIEW; Aftershocks of Assimilation », The New York Times, (ISSN0362-4331, lire en ligne, consulté le ).
↑Jean-Louis Comolli, Regards sur la ville, Paris, Centre Georges Pompidou, , 3 p. (lire en ligne), p. 41-43.
↑« Dominique Cabrera et ses personnages », France Culture, (lire en ligne, consulté le ).
↑Adeline Lamberbourg, « Parcours croisés de Dominique Cabrera, cinéaste, et de ses proches collaborateurs. », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, (ISSN1777-9006, lire en ligne, consulté le ).
↑« Sans histoire ni scénario, ni même d'acteurs, Dominique Cabrera réussit un film sur sa dépression. Vivement “Demain et encore demain”. 79 min », Libération.fr, (lire en ligne, consulté le ).
↑Juliette Goursat, Mises en je : Autobiographie et film documentaire, Marseille, Presses Universitaires, Aix-Marseille Université, , 284 p. (ISBN9791032000618, lire en ligne).
↑Romain Lefebvre, « Cabrera, les noms dits de l'histoire », Cahiers du cinéma, no 776, mai 2021, p. 48.
↑Isabelle Potel, « Dominique Cabrera sur les rails du mouvement de décembre 1995. La réalisatrice a écrit un téléfilm sur la grève à la SNCF. », Libération, (lire en ligne, consulté le ).
↑Philippe Corcuff, « Didier Motchane vivant », Club de Mediapart, (lire en ligne, consulté le ).