Le royaume de Provence ou royaume de Basse-Bourgogne ou royaume de Bourgogne cisjurane (différente de la province de Bourgogne cisjurane), est un État issu de la dislocation de l'Empire carolingien, qui a existé de 855 à 863, puis de 879 à 933.
Le traité de Verdun de 843 déchire à jamais l'unité du vieil empire de Charlemagne. La « mutilation » que le traité fait subir à la Bourgogne, donne naissance, à l’ouest de la Saône, à une Bourgogne franque rattachée à la Francie occidentale, et à l’est de cette même rivière, à une Bourgogne impériale, lot de l’empereurLothaire Ier, rattachée à la Francie médiane. À la mort de l'empereur en 855, la Francie médiane est partagée entre ses trois fils lors du traité de Prüm.
À la mort de Charles de Provence en 863, le royaume est partagé entre ses frères survivants : Lothaire II, roi de Lotharingie (mort en 869), récupère les comtés de Lyon, Vienne, Sermorens et Maurienne, Valence, Vivarais et pays d'Uzès, tandis que les Grésivaudan/Grenoble, Belley, Savoie propre, Tarentaise et Diois, plus la Provence proprement dite (c'est-à-dire les provinces ecclésiastiques d'Arles, d'Aix et d'Embrun), passent quant à eux sous l'autorité directe de son frère aîné Louis II le Jeune, empereur d'Occident et roi d'Italie (mort en 875 ; en 869, il avait hérité des parts échues à Lothaire II en 863). Finalement Charles le Chauve (mort en 877), oncle des précédents, à la fois roi de France, de Lotharingie et d'Italie, récupère le tout à leur mort, puis son fils Louis le Bègue (mort en 879) après lui.
Durant les années suivantes, les royaumes carolingiens sont ravagés au nord par les Normands, et au sud par les Sarrasins, rendant difficile l'administration des territoires. La mort de Louis II le Bègue en avril 879, conduit à une nouvelle crise de succession.
À la mort de Louis le Bègue, une assemblée de notables et de prélats réunis à Mantaille élit Boson comme roi le . Beau-frère de Charles II le Chauve et gendre de Louis II d'Italie, il est comte d'Autun, de Chalon-sur-Saône, de Mâcon, de Lyon et de Bourges, exerçant les fonctions ducales dans le Lyonnais et le Viennois, en Provence et en Italie. Le couronnement du bivinideBoson est à l'origine du royaume de Provence. S'il reçoit le titre royal, Boson ne prend toutefois pas la qualité de roi de Bourgogne (cisjurane). Son « royaume de Provence », appelé aussi « royaume d’Arles ou de Vienne », s’étend depuis les rives du Doubs au nord (l'archevêque de Besançon était électeur à Mantaille) jusqu’aux rives de la Méditerranée au sud, et déborde sur l’Helvétie (l'évêque de Lausanne était à Mantaille, mais pas l'évêque de Genève) et l'Italie (la Provence était échue à l'Italie depuis 863, comme on l'a vu plus haut ; et Suse dépendait du diocèse de Maurienne alors qu'Aoste relevait de l'archidiocèse de Tarentaise).
En , pour lutter plus efficacement contre Boson de Provence qu'ils considèrent comme un séditieux, un usurpateur, les fils de Louis le Bègue, Louis III de France et son frère Carloman II, accordent, par la signature du traité de Ribemont, la totalité de la Lotharingie à leur grand-cousin Louis III le Jeunede Germanie en échange de sa neutralité dans le conflit. En à Gondreville, ils s'accordent avec le frère benjamin de Louis III de Germanie, Charles le Gros, roi d'Alémanie et bientôt empereur. La même année la coalition carolingienne formée contre Boson remporte une victoire à la bataille d'Attigny mais échoue à prendre Vienne. Cependant, dès (prise et destruction de Vienne), Boson semble avoir perdu tout pouvoir réel et tout territoire effectif (il est supposé avoir résisté et s'être maintenu en Provence, mais ce n'est pas assuré). Les terres cisjuranes (duché de Lyon) et ouest-rhodaniennes sont en fait repassées sous la souveraineté française ; l'empereur Charles le Gros, aussi roi de France, d'Italie, d'Alémanie et de Germanie, frère de Louis III de Germanie, neveu de Charles le Chauve et cousin germain de Louis II d'Italie, les a dans son obédience, avec la Provence, dans la deuxième moitié des années 880.
En 887, à la mort de Boson, son fils Louis III l'Aveugle (petit-fils maternel de l'empereur Louis II d'Italie) lui succède en théorie, dans un royaume rétréci (Provence, grand Lyonnais et Viennois — le duché de Lyon ou Cisjurane — Valence, Die, Grenoble, Savoie propre, Belley et Maurienne, Vivarais et Uzégeois ; mais pas les pays saônois et comtois ni semble-t-il la Tarentaise). À l'entrevue de Kirchen (, accompagné de sa mère Ermengarde), il bénéficie du soutien de Charles le Gros, qui l'aurait adopté. En tout cas, il est reconnu « roi de Provence » à Valence en 890 sous la tutelle de sa mère Ermengarde ; il réunit pour une courte période les titres d'empereur (901) et de roi d'Italie (900). Mais son compétiteur Bérenger, duc de Frioul et cousin germain de Louis II d'Italie, lui fait crever les yeux en 905[Note 1]. Louis III l'Aveugle, infirme, délègue son autorité au BosonideHugues d'Arles, comte d'Arles et marquis-duc de Provence, régent de fait du royaume provençal jusqu'à l'année 926, date à laquelle Hugues occupe le trône d'Italie. Vers 928/930 éclate une crise successorale autour du royaume du souverain infirme décédé.
En 928, à la mort de Louis l'Aveugle, la souveraineté sur le royaume de Provence fut très incertaine[2] : le trône de Provence resta vacant, son fils Charles-Constantin (mort en 962) ne put reprendre le titre royal, ni non plus le puissant comte, puis marquis, puis duc de ProvenceHugues d'Arles, ancien comte d'Arles et de Vienne, petit-fils maternel de Lothaire II et deux fois cousin issu de germain de Louis l'Aveugle ; Hugues continuait pourtant d'exercer le pouvoir essentiel en Provence où il ne cessait d'intervenir, y possédant de grandes richesses et mourant à Arles en 947. Les négociations entamées dans le courant de l'année 928 entre Raoul de France (fils du duc de BourgogneRichard le Justicier — un Bosonide/Bivinide lui aussi, frère cadet du roi Boson qu'il combattit cependant aux côtés des rois de France Louis et Carloman en 880-882 — et donc neveu du roi Boson et cousin germain de feu Louis l'Aveugle) et Hugues d'Arles (qui tentait alors d'évincer Charles-Constantin), placèrent peut-être Hugues et la Provence dans l'allégeance française mais restèrent sans effet durable : certes Hugues cède le comté de Vienne à un allié de Raoul, Eudes de Vermandois, et la nièce d'Hugues, Berthe, épouse le frère benjamin de Raoul, autre Boson (d'où la succession d'Arles en 931) ; mais dès 931 Eudes et son père Herbert de Vermandois se brouillent avec le roi Raoul, Eudes perd alors le comté de Vienne, le comte Boson meurt probablement dès 935, Raoul s'allie à Charles-Constantin vers 931, et le roi Hugues enfin, vers la même année, se tourne vers son arrière-cousin Rodolphe II de Bourgogne transjurane.
En effet, au cours d'une vingtaine d'années entre 928 (mort de Louis l'Aveugle) et 947 (mort d'Hugues d'Arles), une nouvelle dynastie, les WelfsRodolphiens, va peu à peu accéder au royaume cisjuran-provençal. Vers 931, un accord entre les deux anciens compétiteurs pour la couronne d'Italie, Hugues d'Arles et le roi de Bourgogne transjuraneRodolphe II Welf (mort en 937 ; petit-fils maternel du roi Boson et neveu de Louis l'Aveugle ; roi de Transjurane depuis 912, il régnait sur le sud de l'Alsace : Bâle et l'Ajoie-Montbéliard, l'Helvétie, mais aussi sur l'Outre-Saône, future Franche-Comté ou Comté de Bourgogne, et semble-t-il la Tarentaise dont dépendait Aoste ; époux de Berthe de Souabe, il avait eu des prétentions sur le Brisgau et la Souabe — il en obtint, dans le sud alémanique, l'Argovie — et fut aussi roi d'Italie en 922-926 juste avant Hugues d'Arles), semble transférer les droits d'Hugues sur la Provence à Rodolphe, et cet accord aurait été confirmé en 933. Le roi Rodolphe de Transjurane aurait donc obtenu d'Hugues d'Arles la cession de l'ancien royaume de Provence en échange de l'abandon de ses ambitions italiennes. L'historien René Poupardin cite Liutprand de Crémone[3] : « Quand le roi Hugues l’apprit, il lui envoya des députés, et donna à Rodolphe toute la terre qu’il avait tenue en Gaule avant de monter sur le trône, en même temps qu’il recevait de lui le serment qu’il ne rentrerait jamais en Italie ». Cette négociation, dont l'existence est discutée[4], aurait écarté définitivement Charles-Constantinde Vienne de la succession de son père ; pour l'éviter, le fils de Louis l'Aveugle était conduit à faire appel au roi des Francs Raoul. Que cette convention soit une fiction ou pas, qu'elle ait été ou non suivie d'effet immédiat, Rodolphe II puis son fils Conrad le Pacifique obtinrent définitivement de joindre à leurs États la couronne de Provence et de Bourgogne cisjurane grâce au soutien décisif des rois Henri l'Oiseleur puis Otton Ier de Germanie, en 935 et 942. Les nouveaux maîtres de la Cisjurane et de la Provence sont donc sous la coupe des souverains germaniques, puissants protecteurs.
Auparavant, malgré l'intervention de Raoul de France (mort en 936, ancien duc de Bourgogne, fils du Justicier, neveu du roi Boson, cousin germain de Louis l'Aveugle et de Rodolphe II) qui apparaît à Anse dès juin 932[5],[6], Charles-Constantin ne parvint à conserver que le gouvernement de Vienne et du Viennois (il devra se soumettre à son protecteur Raoul vers 931/932, puis à Conrad le Pacifique et Hugues le Noir en 943). Au contraire, l'intervention d'Otton Ier (mort en 973) contre Hugues d'Arles qui tentait un dernier retour à la mort de Rodolphe II en 937 en épousant la veuve de ce dernier, Berthe de Souabe, permit finalement au jeune Conrad III Welf le Pacifique (mort en 993), fils de Rodolphe II et de Berthe, d'accéder au domaine cisjuran-provençal après son père.
La paix revenue après 940, un accord tripartite entre Français, Ottoniens et Bosonides, conforta la position du nouveau roi de Bourgogne par une série de mariages royaux : Otton convole en 951 avec Adélaïde de Bourgogne, la veuve de Lothaire II d'Italie (fils d'Hugues d'Arles) et la sœur de Conrad le Pacifique, qui lui-même épouse en 964 Mathilde, la fille du roi de France Louis IV d'Outremer (petit-fils de Louis le Bègue) et la nièce maternelle d'Otton (Louis IV avait marié la sœur d'Otton, Gerberge, en 939).
Parallèlement, le puissant marquis-comte-ducHugues le Noir (mort en 952, frère cadet du roi Raoul et cousin germain de Louis l'Aveugle ; aussi comte d'Outre-Saône/de Bourgogne) apparaît alors comme le gardien de l'héritage bivinide/bosonide aux marges du royaume de France et du royaume de Conrad. Mais Conrad le Pacifique est aussi, comme Louis d'Outremer, sous forte influence ottonienne, et ses gains territoriaux sont acquis directement par des négociations entre le roi de Germanie et le roi de France.
En effet, par l'accord de la Chiers (à Ivois ou Douzy) en 935 entre le roi Raoul et Henri l'Oiseleur (le père d'Otton), puis par l'accord de Visé-sur-Meuse en 942 entre Louis d'Outremer et Otton, Rodolphe II puis son fils Conrad le Pacifique obtiennent définitivement la Provence, le duché de Lyon-Vienne (donc le nord du royaume de Provence de Louis l'Aveugle), plus les évêchés dépendant de l'archidiocèse de Vienne (Viviers, Valence, Die, Maurienne ; la Bourgogne cisjurane et rhodanienne[7], avec Vienne et le grand Lyonnais, Viviers, Uzès, était revenue dans la souveraineté des rois de France Raoul puis Louis d'Outremer depuis la mort de l'empereur Louis l'Aveugle en 928) ; Cependant, Uzès semble ballotté entre le royaume de France — par l'intermédiaire du comté de Toulouselanguedocien — et le royaume des Welfs Rodolphiens (l'évêqueHéribald, en 994-1030, est clairement tourné de ce côté). Les différents royaumes de Bourgogne et de Provence réunis formèrent alors le royaume des Deux-Bourgognes ou royaume d'Arles, aux mains du fils de Conrad le Pacifique, Rodolphe III, jusqu'à sa mort en 1032, puis dans celles des empereurs germaniques.
Partition de la Bourgogne
Division de la Bourgogne lors des partitions successives de l'empire carolingien
↑Jean Dufour, Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul, rois de France (922 – 936), Paris 1978, no 17 et 18.
↑Étienne Fournial, « Les origines du comté et les premiers comtes de Forez », « La souveraineté du Lyonnais au Xe siècle », dans Le Moyen Âge, t. 62, (1956). p. 436. Lire en ligne.
Voir aussi
Bibliographie
Paul Bonenfant :« La persistance des souvenirs lotharingiens », dans Bulletin de l'Institut Historique Belge de Rome, fascicule XXVII, 1952, p. 53-64.
Honoré Bouche, Histoire de Provence.
Yves Cazaux, L'idée de Bourgogne, fondement de la politique du duc Charles, « 10e rencontre du Centre Européen d'Études Burgondo-médianes », Fribourg, 1967, Actes publiés en 1968, p. 85-91.
Chaume (Abbé), « Le sentiment national bourguignon de Gondebaud à Charles le Téméraire », 1922, dans Mémoires de l'Académie de Dijon, p. 195-308.
La Bourgogne, dernier des royaumes carolingiens, Lausanne, Société d'histoire de la Suisse romande, 2008.
« État bourguignon et Lotharingie », Académie royale de Belgique, dans Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques, 5e série, tome XLI, 1955, p. 266-282.
E.-F. Grasset, Notice sur les chartes impériales du royaume d'Arles, existant aux archives départementales des Bouches-du-Rhône, parue dans : Répertoire des travaux de la société de statistique de Marseille.
Alexandre Pahud, Les assemblées judiciaires du royaume de Bourgogne (Xe – XIe siècles), Orbe, Alexandre Pahud, coll. « Cahiers d'études indépendantes », , 83 p.