Ne doit pas être confondu avec Résistance en Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale.
La résistance anticommuniste roumaine est un mouvement populaire roumain de lutte contre la dictature du Parti communiste roumain (6 mars 1945-22 décembre 1989). Elle fut active à partir de 1944 et dura pendant plus de trente années, certains combattants isolés subsistant en effet jusqu'au milieu des années 1970[Notes 1]. En Roumanie, l'opposition armée fut la première forme de résistance et l'une des plus organisées contre la terreur rouge du régime communiste à ses débuts. Ce n'est qu'après la chute, fin 1989, du dernier dirigeant communiste Nicolae Ceaușescu que les détails de ce mouvement, jusque-là scellés par le secret d'État, furent rendus accessibles aux historiens et aux familles, qui tentent de les porter à la connaissance du public. Les Roumains connaissaient déjà l'existence de « bandes armées fascistes manipulées par les impérialistes étrangers »[1] via la propagande communiste qui les évoquait de temps en temps, notamment pour expliquer ses échecs. Les faits étaient déformés par ces récits faisant passer les résistants pour de vulgaires bandits.
Dispersés mais relativement nombreux, de petits groupes armés, se dénommant parfois eux-mêmes « haidoucs », essentiellement réfugiés dans les Carpates, se cachèrent pendant des années des autorités. L'un des derniers combattants fut éliminé dans les montagnes du Banat en 1962, tandis qu'un autre maquisard des monts Făgăraș fut capturé en 1976. La résistance roumaine fut l'un des mouvements de résistance les plus durables au sein du bloc de l'Est[2]. Il est important de souligner que le sujet est une découverte relativement récente en Roumanie, grâce à l'ouverture partielle des archives de la Securitate, la police politique secrète roumaine, qui a permis d'examiner des faits historiques précis, parfois inconnus des historiens avant 2005[Notes 2]. Ce processus est bien avancé en 2025, cela malgré une quantité considérable d'archives à analyser, ainsi que la disparition d'une partie des dossiers[3]. De nouvelles recherches et découvertes apporteront probablement d'autres perspectives et éclairages sur le sujet, en particulier sur certaines archives toujours soumises au secret, et qui concernent principalement les résistants soutenus par des services secrets étrangers.
6 mars 1945 – 22 décembre 1989(44 ans, 9 mois et 16 jours)
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En mars 1944, l'Armée rouge envahit la Bucovine septentrionale, alors province du royaume de Roumanie, allié du Troisième Reich. Le premier acte de résistance est officiel et organisé par le grand état-major roumain : un bataillon spécial, unité territoriale de l'Armée roumaine est créé[4] et entraîné pour lutter contre l'envahisseur soviétique[5] et le NKVD : le Bataillon fixe régional de Bucovine (ro).
Des centaines de Roumains fuient alors la terreur soviétique et les déportations[6] pour se réfugier dans les forêts. Ils constituent des guérillas antisoviétiques par groupes de 15 à 20 personnes. Les premiers groupes de maquisards se développèrent ainsi au nord de la Bucovine, parfois encadrés et soutenus par le commandement militaire allemand, mais toujours dirigés par des Roumains. Constitué uniquement de volontaires locaux, ce bataillon atteindra l'effectif de 1378 combattants réparti en trois compagnies. Un officier de réserve était chargé de l'instruction militaire des volontaires.
Le 23 août 1944, la Roumanie rejoint les Alliés et déclare la guerre à l'Allemagne nazie. Toutefois les Alliés attendent jusqu'au date 12 septembre 1944 pour signer l'armistice avec la Roumanie, période durant laquelle l'Armée rouge agit comme en pays conquis, se livrant au pillage et à de nombreuses exactions[7]. Une fois les dernières forces allemandes chassées du pays par l'armée roumaine, les forces soviétiques disposent de toute liberté en Roumanie, ayant pris soin de neutraliser les forces armées roumaines[8]. Le gouvernement roumain n'a alors plus aucune autorité sur la Bessarabie et la Bucovine septentrionale, régions officiellement cédées à l'URSS en juillet 1940[Notes 3]. Dans ce contexte, la plupart des groupes de volontaires de Bucovine sont dissous, certains se maintinrent cependant dans les montagnes où ils restèrent actifs. Traqués par le NKVD, ils sont exécutés ou déportés au Goulag. On retrouve des traces d'existence de cette première résistance jusqu'en octobre 1944[9]. La Bucovine sera finalement le berceau de la résistance anticommuniste, déclenchée par la persécution soviétique systématique de la population roumaine[10].
En septembre 1945, le général Aurel Aldea (ro) , ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement Sănătescu, décide de créer un commandement central du Mouvement de Résistance Nationale, de subordonner toutes ses organisations précédemment établies, de diviser le territoire national en zones d'action, chacune avec un commandant qui doit agir selon les instructions centrales (le contre-amiral Horia Macellariu à Bucarest, le général Constantin Eftimiu dans les cols des Carpates orientales et dans les monts Apuseni, Gavrilă Olteanu à Monts Căliman, Prof. Gheorghe Manu dans la vallée de Prahova, Mihail Fărcășanu dans la région de Câmpulung Muscel, Horia Comaniciu dans les monts Sebeș)[11].
En mai 1946, Aurel Aldea est arrêté et accusé d'avoir réuni sous son commandement plusieurs groupes « subversifs ». En réalité, le Mouvement national de résistance (MNR) embryonnaire[12],[13] qu'il tentait de coordonner, ne représentait qu'une faible menace[14],[15],[16],[17] face à l'établissement du régime communiste.
Les élections législatives roumaines de 1946, largement entachées de fraudes et d'intimidations, dans un pays entièrement occupé par les troupes soviétiques, favorisèrent la fusion des forces anti-totalitaires. Un Comité national roumain installé à Paris en 1948[18],[19] chargé, dans l'espoir d'une intervention de l'Ouest, d'informer les gouvernements occidentaux sur la situation roumaine, est aussi en contact avec quelques résistants sur le sol roumain. Cependant aucune structure de coordination, ni un commandement central ne verra jamais le jour.
Au début de l'automne 1948, de petits groupes, parfois de simples individus, passèrent dans la clandestinité dans les Carpates. Ils constituèrent ainsi des points de résistance armés divers, dans ce qui fut un mouvement totalisant plusieurs milliers de personnes. Les rebelles venaient de toutes les couches sociales et de toutes les régions du pays. Ces groupes sont indépendants mais communiquent parfois entre-eux par messages. Il est possible d'identifier trois formes différentes[20] de manifestation de la résistance : des tentatives d'une résistance armée organisée et conduite par des officiers mis en réserve (tels le colonel Ion Uță, le lieutenant-colonel Gheorghe Arsenescu et le major Nicolae Dabija, des actes de désobéissance civile concrétisés par des mouvements de réfugiés dans les montagnes et la création de dépôts d'armements comme de centres de résistance et d'abris pour ceux recherchés par la police politique.
Pour la quasi-totalité de ces résistants[21], l'intervention des Américains était la suite logique d'une situation dramatique qui plongeait le pays dans la terreur et des bouleversements sociaux et économiques sans précédent. Leur foi dans la venue imminente des Américains[22] était un élément majeur dans leur motivation[23]. Les chefs de groupes étaient d'ailleurs lucides quant au fait que leur action ne pouvait donner des résultats qu'en soutien à une attaque américaine[24] contre les forces d'occupation soviétiques en Roumanie. L'absence d'une réaction militaire de l'Ouest, conjuguée à des conditions de subsistance extrêmement dures[25] tout en affrontant un ennemi utilisant des forces disproportionnées pour les combattre, aboutira à leur destruction dans les années cinquante.
Un ensemble de mesures radicales bouleversant la société, laisse de côté des pans entiers de la population active ou oblige les roumains à une adaptation nécessitant une obéissance totale. Ce cadre inflexible a évidemment abouti à un rejet du régime et à un refus de participation à une démolition de la société existante par de nombreux citoyens. La position constitutionnelle de jure du Parti communiste roumain comme « parti unique et organe dirigeant de l’État », interdit de facto la constitution d’associations, syndicats ou autres structures sociales indépendantes du pouvoir, et impose une autorité totale du parti communiste, allant du sommet (le Comité central) vers la base (les autres structures du parti, les citoyens). Il faut ajouter à ce sombre tableau la présence massive des organes de sécurité de la police politique, ou Securitate, dans la société, active par la censure ainsi que la mise en route d'une politique de surveillance à large spectre, sans contrôle judiciaire[Notes 4]. Sur le plan économique, une stricte planification d’état, affecte non seulement les orientations macro-économiques, mais aussi tous les aspects de la production, de la distribution et de la consommation, au mépris des ressources disponibles, des possibilités techniques, de l'environnement et des besoins de la population. Enfin, un contrôle total des activités culturelles[26], sportives[27], des médias, la fin de la liberté d'expression et la restriction des déplacements[Notes 5] empêche toute respiration culturelle et interdit toute espace de liberté.
Un nettoyage profond et systématique dans les administrations frappe le pays après la prise de pouvoir sans partage par les communistes à la veille de 1948. L'armée subit une épuration complète, l'immense majorité des cadres formés avant le communisme sont mis à la retraite ou en réserve. L'épuration de l'armée royale a eu lieu entre 1945 et 1949 au travers de plusieurs décrets[28]. Ils visaient à écarter de l'armée non seulement tous les cadres n'ayant pas manifesté clairement leur soutien au régime communiste ou à l'Union soviétique, mais aussi ceux dont l'origine sociale était « non sûre ». La police fut transformée en milice et la gendarmerie en troupe de la police politique (Securitate). Parallèlement, des mesures politiques et économiques ayant pour but d'éliminer toutes les professions libérales[Notes 6],[Notes 7] et toute autonomie professionnelle ou paysanne, privèrent la paysannerie et toute la classe moyenne de leurs moyens de survie[29]. Il s'agit là des leviers les plus forts de l'émergence d'une résistance armée. Ruinées, les victimes économiques du nouveau régime pouvaient être des paysans privés de leurs moyens de production car étiquetés « koulaks » (en roumain : chiaburi), des artisans privés de leurs échoppes tout comme des commerçants privés de leurs boutiques par les premières nationalisations. La longue liste comprend aussi d'anciens fonctionnaires ou agents de l'état ou des grandes institutions, privés de leurs emplois car jugés politiquement non fiables, ainsi que les anciens membres des gouvernements et des parlements passés, les policiers, juges, prêtres, qualifiés de « laquais du capitalisme », comme les anciens membres des classes dominantes : professions libérales, chefs d'entreprise, actionnaires, banquiers, aristocrates, considérés par le régime comme « exploiteurs du peuple ». Nombre d'entre eux risquent aussi la détention voire l'élimination physique, du simple fait de leur appartenance sociale ou politique passée. Enfin, s'ajoutent à cette cohorte ceux qui entrent dans la clandestinité pour échapper à une arrestation imminente. De façon significative, des familles entières prirent le maquis fin 1948 et début 1949. Ainsi, un fonctionnaire consulaire du consulat britannique de Cluj témoigne par écrit, le 1er mai 1949, au sujet de la situation de partisans en Transylvanie :
« […] les vêtements et les médicaments manquent et c'est probablement vrai, car leur nombre s'est accru d'une proportion considérable de femmes et d'enfants depuis l'expropriation du 1er mars. On m'a donné un chiffre allant jusqu'à 20 000 comme nombre de ceux qui se sont enrôlés depuis l'expropriation […] L'augmentation du nombre de femmes et d'enfants créera des problèmes de survie l'hiver prochain […] On me dit de temps à autre que des camions de ravitaillement militaire passent aux partisans, parfois par capture et parfois par désertion, mais je ne peux pas dire dans quelle mesure[…][30]. »
C'est l'élément essentiel de la révolte contre le pouvoir communiste. La Roumanie étant un pays rural à 80 % en 1945, le démantèlement de la propriété privée fut un choc pour le monde paysan. Rejetée par ce dernier, la collectivisation fut considérée comme un vol avec violence et vivement combattue par des paysans attachés à leurs terres. Refus d'obéir aux nouvelles lois, manifestations et désobéissance civiles se multiplièrent. Durement réprimées par la Securitate, n'hésitant pas à emprisonner ou à exécuter les meneurs des protestations[31], les campagnes ont constitué le creuset d'une résistance et aussi son soutien logistique durable. La résistance des paysans à la collectivisation forcée et brutale[32] est un phénomène peu connu aussi bien en Europe de l'Ouest qu'en Europe centrale. Dans un pays connu d'une part pour la férocité de sa police politique, la redoutée Securitate, et d'autre part pour la passivité ou l'indifférence de son peuple face à la domination communiste, l'intensité de l'opposition paysanne contre le régime stalinien est un fait remarquable[33].
En 1937, les résultats affichaient 15,58 % des votes pour le parti légionnaire Totul pentru Țară, soit 478 000 votes. En 1938, le mouvement légionnaire comprenait plusieurs centaines de milliers de membres[Notes 8], dont une force paramilitaire considérable. Très actif, organisé et ayant accédé au pouvoir entre septembre 1940 et janvier 1941, ce mouvement était devenu illégal mais restait politiquement « intéressant » en 1944-1945, notamment pour les communistes[Notes 9] qui, oubliant son passé anticommuniste et parfois violent, ont tout fait pour recruter ses anciens membres[34] jusqu'en 1948. Il fallait à ce moment éviter un risque d'opposition massive aux réformes profondes de la société, sachant que le PCR ne disposait que d'un nombre très limité de militants[Notes 10] alors que les légionnaires étaient des dizaines de milliers, organisés et pour certains d'entre-eux armés et entraînés. D'importants effectifs de jeunes entraînés militairement ayant appartenu au mouvement légionnaire, entrés dans la clandestinité à la suite de leur coup d’État manqué de 1941, et ainsi devenus des adversaires déterminés du régime dictatorial Antonescu, se sont vus tendre la main par leurs ennemis d'avant-guerre : les communistes. Un certain nombre de légionnaires, notamment ceux issus du prolétariat et haïssant les élites d'avant-guerre, ont saisi cette main tendue[Notes 11], d'autant que l'alternative était la prison. D'autres légionnaires, tel Ion Gavrilă Ogoranu (en) ont choisi la clandestinité en prenant le maquis et les armes contre les communistes et l'occupant soviétique. Pendant la guerre froide, l'Occident, et en particulier la France et les États-Unis, a lui aussi exploité les légionnaires réfugiés à l'Ouest et prêts à se battre pour épauler ou développer la résistance anticommuniste en Roumanie[35],[36], l'opposition démocratique roumaine en exil étant dans l'incapacité de fournir des cadres pour un tel objectif.
Un autre élément important de la résistance armée est la motivation d'individus et de groupes persuadés que seul un engagement armé pourrait contenir une terreur croissante et empêcher une prise de pouvoir définitive par les communistes. Les groupes de résistance dirigés par d'anciens officiers mis à la retraite ou en disponibilité, agissaient d'une manière plus coordonnée et planifiée. Il semble qu'ils mettaient leur espoir dans l’incitation à l'insurrection armée générale, à une révolte massive, évènements qui ne se sont jamais produits. Lors du début de la guerre froide, une catégorie plus réduite d'insurgés désireux de lutter contre le totalitarisme était constituée de réfugiés roumains recrutés en Europe par l'Office of Policy Coordination (en) (OPC)[37], entraînés en France, en Italie et en Grèce puis parachutés dans les Carpates. La plupart d'entre eux n'ont pas réussi à créer des contacts locaux, indispensables pour leur survie. Ils furent rapidement capturés, et pour la plupart jugés par des tribunaux militaires puis exécutés[38],[35].
Jugées « réactionnaires » par nature, les Églises institutionnelles ainsi que les mouvements religieux pacifistes furent tous épurés et étroitement surveillés, mais la politique du PCR à leur égard fut différente selon les cas[39]. L'Église orthodoxe roumaine, n'ayant ni attaches à l'étranger ni réseau scolaire propre[Notes 12], fut seulement l'objet d'un remplacement rapide de ses cadres (les anciens étant emprisonnés, ainsi que tous ceux qui protestèrent), et d'une surveillance rapprochée de son clergé. Nul prêtre ou moine ne put par la suite accéder à des responsabilités ecclésiastiques, s'il n'était agréé par la police politique communiste. Il est ici intéressant de rapporter un dicton populaire : « Si tu veux dénoncer quelqu'un sans te dévoiler comme délateur, va à confesse ! »[40],[41]. En revanche, les Églises catholiques, qu'elles fussent de rite latin ou bien de rite grec, ainsi que les Églises protestantes, le Judaïsme et l'Islam, disposaient d'écoles confessionnelles et de solides liens avec l'étranger, dans des pays considérés comme « impérialistes »[Notes 13] : par conséquent, leur persécution fut plus ciblée. Leurs écoles furent systématiquement fermées, de nombreux monastères et lieux de culte durent aussi fermer, nombre de leurs clercs fut jeté en prison ou assassiné, et la confiscation de leurs biens décrétée. Ces derniers furent la plupart du temps attribués à l’Église orthodoxe. Ainsi, fin septembre 1948, soucieux de détacher de l'Occident et de l'influence de Rome tous les catholiques roumains[Notes 14], les communistes poussent fidèles et clergé à passer à l'orthodoxie. Le régime communiste roumain, suivant le modèle imposé par Joseph Staline[Notes 15], déclare finalement illégale l'Église grecque-catholique roumaine le 1er décembre 1948, et en profite pour confisquer tous ses biens[Notes 16]. Le pouvoir ouvre alors la voie à une répression brutale et systématique qui durera jusqu'en 1964[42],[43]. Tous les évêques catholiques, mais aussi des catholiques roumains, seront envoyés en prison où une partie d'entre-eux mourront à cause de mauvais traitements. De nombreux prêtres seront emprisonnés, torturés, envoyés en camp de travail ou tout simplement assassinés. Parmi les nombreux cas de prélats catholiques persécutés, il faut citer Anton Durcovici[44], évêque, mort en prison à Sighet, béatifié en 2014, et Vladimir Ghika[45], prètre-diplomate d'ascendance princière qui consacra sa vie aux pauvres et aux victimes de la guerre. Emprisonné à 80 ans, il meurt torturé après avoir subi des mauvais traitement à la prison de Jilava en 1954, et sera béatifié par l'Église catholique en 2013. On retrouvera par conséquent dans plusieurs mouvements de résistance des prêtres catholiques et de nombreux membres de cette Église, particulièrement implantée en Transylvanie.
Estimés à 70 000 par les services occidentaux, les Roumains réfugiés dans les pays d'Europe de l'Ouest[46] et désireux de lutter contre la dictature communiste[47], représentaient une manne pour les services de renseignement du monde libre. Une majorité de ces réfugiés, étaient, tel Virgil Ierunca, démocrates, mais cette majorité n'avait en général aucune formation militaire ou dans le renseignement. Les anciens légionnaires, en revanche, avaient reçu une formation paramilitaire et étaient prêts au combat[35]. La CIA y vit l'opportunité de constituer un réseau d'agents infiltrés dans le bloc de l'Est en recrutant certains d'entre eux, réfugiés le plus souvent dans des camps en Allemagne, Autriche et Yougoslavie[48],[49] et prêts à s'engager contre les communistes[47]. La décision fut prise conjointement par le Président américain Harry S. Truman et le président français Vincent Auriol[50]. Déjà organisés, solidaires, les légionnaires furent particulièrement appréciés dans ce contexte, leur passé violent et antisémite étant mis entre parenthèses devant la volonté de combattre le communisme. Acceptant l'offre américaine[Notes 17], des chefs légionnaires[Notes 18] jouèrent un rôle important dans le recrutement et la coordination des futurs agents.
En 1949, informé par le Foreign Office que la résistance roumaine s'intensifiait et bénéficiait d'un soutien populaire dans les campagnes, les services de renseignement occidentaux investirent dans ce projet. Cent agents furent choisis, dont 50 destinés à être parachutés à l'intérieur du pays, et 50 autres pour les soutenir hors des frontières roumaines. Les combattants furent préparés et entraînés en France et en Allemagne. Cent autres volontaires furent entraînés en Italie et en Grèce. Le chef des opérations secrètes de la CIA à cette époque, Gratien Yatsevich, déclara que les actions réalisées en Roumanie n'étaient surpassées, tant en nombre d'agents qu'en termes de ressources allouées, que par celles menées pour l'Albanie, les plus importantes réalisées pendant la guerre froide en Europe de l'Est[51]. Parmi les volontaires roumains recrutés par la CIA au début de 1951 figurent : Constantin Săplăcan, Wilhelm Spindler, Gheorghe Bârsan, Matias Bohm, Ilie Puiu[Notes 19]. Ils seront les premiers parachutés au pays, dans la nuit du 18 au 19 octobre 1951, dans les Monts Făgăraș[52]. La Securitate les capturera et découvrira qu'ils avaient été recrutés en Italie. Le gouvernement roumain enverra une note de protestation aux Américains les accusant d'interférer dans les affaires internes du pays et soulignant que ces agents de la CIA capturés avaient été envoyés « pour mettre en œuvre des actes de sabotage et d'espionnage contre l'armée roumaine »[51].
Les combattants suivants furent envoyés au pays en novembre 1951. Ion Samoilă, Ion Golea et Ion Tolan formaient le groupe « Jacques », lâché près d'Agnita. Puis dans la nuit du 1er au 2 octobre 1952[53] le second groupe sous le nom de code « Robert » : Mircea Popovici et Alexandru Tănase, fut envoyé dans une zone proche de Calafat, près de la frontière bulgare. Suivront les groupes « Pascal » : Gheorghe Gheorghiu, Constantin Gigi et Făt Savu, parachutés le 1er juillet 1953 dans les Monts du Bihor, et « Fii Patriei » (« Fils de la patrie ») : Sabin Mare, Ilie Rada et Gavrilă Pop, parachutés en juillet 1953 dans une zone boisée entre les județe de Satu Mare, Sălaj et Bihor[35].
D'autres agents seront envoyés depuis la Grèce, dont Toma Bebi pris par la Securitate à son atterrissage. Il collaborera avec cette dernière et permettra la capture de 12 autres parachutistes, légionnaires.
Selon Gordon Mason[54], le chef du bureau de la CIA de Bucarest de 1949 à 1951, la mission des agents parachutés consistait à contacter les groupes de résistants dans les montagnes, les informer de l'intérêt que leur portait l'Occident, les approvisionner en armes, munitions, médicaments et argent. Il était aussi prévu de remettre des stations radios aux maquisards afin qu'ils puissent renseigner l'Occident. Les objectifs essentiels étaient, toujours selon Gordon Mason, de connaître les forces des mouvements de résistance, d'obtenir des informations sur l'activité des armées roumaines et soviétiques, et d'encourager les combattants de la résistance à agir contre les troupes soviétiques en cas de guerre.
La plupart des opérations de parachutage ont peut-être échoué en raison d'infiltrations par les soviétiques des services occidentaux, de fuites d'informations dans ces services, mais aussi et surtout à cause d'une organisation médiocre[Notes 20]. L'hypothèse de fuites internes d'informations venant du renseignement britannique (le contre-espionnage MI-6), et en particulier celles concernant l'espion Kim Philby[Notes 21], qui était à la solde des Russes et informait directement le NKVD, n'est pas confirmée par les sources documentaires disponibles en 2024. Ainsi, trois agents formés par les Américains et envoyés en juin 1953 dans les Monts du Bihor furent capturés sans être exécutés, les autorités communistes souhaitant en faire des agents doubles. Dans les régions d'Oradea et de Satu Mare, trois agents parachutés furent tués, l'un d'entre eux lors d'une fusillade et les deux autres exécutés[55]. La même année, un groupe de 13 légionnaires envoyés par le CIA en Roumanie est capturé, puis jugé par un tribunal militaire[35],[56]. Le procès retentissant des 13 combattants eut lieu en octobre 1953. Les 13 prévenus furent condamnés à mort et exécutés le 31 octobre 1953 à la prison de Jilava[Notes 22].
Les groupes de maquisards roumains ont été nombreux mais ils ne sont ni organisés, ni coordonnés au niveau national, et rarement au niveau régional. Dispersés dans tout le pays, leur longévité est limitée à quelques mois à quelques années au mieux, même si certaines formations ont perduré de 5 à 10 ans. Le CNSAS a détaché certains groupes plus importants soit par leur nombre de membres, soit par les actions exceptionnelles entreprises, ou bien par la trace vivace qu'ils ont laissée dans la région où ils ont combattu. Ils sont au nombre de sept : Teodor Șușman (ro), Maior Nicolae Dabija (ro) - Réseau « Frontul Apărării Naționale, Corpul de Haiduci », Ion Uță (colonel) (ro), Gogu (Gheorghe) Puiu (ro) - Réseau « Haiducii Dobrogei », Ion Gavrilă Ogoranu (en) - Réseau « Carpatin Făgărășan », Toma Arnăuțoiu (ro) - Réseau « Haiducii Muscelului » et Victor Lupșa - Réseau « Vlad Țepeș II ».
Les principaux autres groupes de résistance se répartissent dans tout le pays, dans les régions de Transylvanie, Moldavie, Valachie et Dobroudja.
La taille des groupes varie de petits groupes de moins de 10 membres jusqu'à plus de 100 combattants. Le plus grand nombre de groupes compte une vingtaine d'hommes[38],[57]. Il est trop tôt pour avoir un inventaire précis et fiable des effectifs de la résistance dans son ensemble. En 2017, on compte quelques milliers de membres impliqués personnellement dans des groupes armés et dans des organisations clandestines, nombre auquel il faut ajouter quelques milliers ou dizaine de milliers de soutiens logistiques.
La dispersion, l'étendue et la durée de la résistance ont rendu les recherches réalisées après 1990 plus difficiles, en particulier pour déterminer les informations sur la structure du mouvement. Une évaluation des archives de la Securitate par le Conseil National pour l’Étude des Archives de la Securitate (CNSAS) en 2003 donne le chiffre provisoire de 1 196 groupes de résistance agissant entre 1948 et 1960[58].
Selon les témoignages de résistants survivants, corroborés par les rapports de la Securitate, il est possible de dresser un portrait assez fidèle de ces maquis.
La grande majorité des groupes étaient de taille restreinte[9] et leurs chefs n'avaient qu'un rayonnement local[59]. La structure sociale des bandes d'insurgés était hétérogène, comprenant une part considérable de paysans, beaucoup d'étudiants et d'intellectuels ainsi que plusieurs officiers de l'armée[38]. Sachant que les bouleversements sociaux provoqués par la dictature communiste affectèrent toutes les classes sociales (collectivisation des terres, abolition des professions libérales, nationalisation de toutes les entreprises, etc.), le spectre social du maquis roumain ressemblait à la société roumaine dans son ensemble, les paysans y représentaient 80 % des combattants. En ce qui concerne les étiquettes politiques, selon les historiens Georges Diener, Florian Banu[Notes 23] et Dorin Dobrincu (ro)[60], spécialisé sur le sujet de la résistance anticommuniste, l’affiliation des maquisards et de leurs soutiens est marquée par une majorité de non affiliés à un parti, le reste se partageant entre le Parti national paysan (PNȚ) de Iuliu Maniu, le mouvement légionnaire, et le Front des laboureurs[61],[Notes 23]. Il est singulier de constater qu'environ 5 % de ces résistants étaient eux-mêmes communistes, en désaccord avec le pouvoir communiste inféodé à Moscou.
La résistance recouvrait presque exclusivement les montagnes ainsi que les parties les plus densément boisées du pays, car seul ce type de géographie leur permettait de se cacher, de s'abriter et de survivre[Notes 24]. Toute résistance urbaine était très difficile en raison de la présence dissuasive de centaine de milliers de soldats russes et de l'omniprésence de la police politique et de ses informateurs dans les villes. Nombre des résistants ne pouvaient plus exercer leur activité professionnelle (souvent urbaine) à cause des interdictions ou abolitions décrétées, et étaient obligés de fuir à la campagne. Pour ces derniers, le maquis répondait au problème de leur survie face à une administration devenue hostile à leur égard, mais aussi, pour les plus courageux, au désir de se battre contre la dictature.
Les couleurs politiques de la Résistance[Notes 23]
Forêts denses dans des paysages montagneux, vallées escarpées, plateaux difficiles d'accès, offraient aux maquisards refuge et une bonne visibilité sur les plaines environnantes. De très nombreux paysans ou forestiers des villages alentour leur apportaient un soutien logistique et de précieuses informations sur les mouvements des unités de la Securitate ou de la milice.
Les maquis se fixaient aussi dans des zones comprenant toujours quelques communautés de peuplement. Cela leur permettaient ainsi non seulement de pouvoir se cacher et se replier facilement, mais aussi d'être aidés par un nombre significatif de villageois. Ces derniers leur fournissant abris, nourriture et information. Sans un tel soutien, aucun îlot de résistance n'aurait pu exister durablement, jusqu'à une quinzaine d'années dans certains cas. Les membres de la résistance armée n'étaient d'ailleurs pas appelés « partisans » par la population, mais haiduci[62], un nom désignant des bandits généreux, considérés comme des héros populaires. Le résistant et légionnaire Ion Gavrilă Ogoranu (en) qui prit la tête d'un groupe de résistance dans les monts Făgăraș de 1948 à 1956, et ne fut jamais repéré avant 1976, décrit de façon exhaustive la vie et l'organisation de plusieurs groupes de résistants[63] ,[64].
Plutôt qu'une action planifiée, le mouvement de résistance fut une réaction spontanée en réponse aux vagues de terreur initiées par les autorités après la prise du pouvoir au début de 1948[65]. Cette spontanéité explique sa fragmentation marquée et le manque de coordination entre les différents groupes. Toutefois, agir indépendamment et localement permit à ces groupes d'être multiformes et flexibles, ce qui compliqua l'annihilation de tout le mouvement et assura même une endurance remarquable pour certains groupes. En outre, dans certaines régions, les réseaux éliminés étaient remplacés par de nouveaux noyaux de résistance.
Un trait caractéristique de la résistance roumaine était son aspect principalement défensif. En effet, très peu d'actions offensives, telles les sabotages ou l'occupation de localités, ont été enregistrées[65]. Alors que les résistants ne constituaient pas une menace majeure pour les autorités, leur dangerosité pour le régime résidait dans le symbole qu'ils représentaient. Aussi longtemps que les insurgés restaient libres, ils constituaient un défi tangible pour le régime communiste qui prétendait exercer un contrôle total sur tout le pays[66]. La vie était rude pour les maquisards et la pitié n'y avait pas sa place. Le risque le plus important était l'infiltration par des sécuristes ou des informateurs que la Sécuritate faisait chanter. Les infiltrés ou les éléments douteux, une fois démasqués, étaient rapidement éliminés, parfois après avoir été jugés sommairement.
Il n'est pas exagéré de parler d'héroïsme car les conditions de la lutte pour la liberté étaient bien souvent désespérées, sans aucune aide ou soutien significatif de l'étranger[Notes 25], et cela pendant parfois 10 à 15 ans. Le parallèle avec les conditions de la résistance intérieure française est difficile à faire car cette dernière, qui n'a duré que 3 à 4 ans face à l'occupation nazie et au régime de Vichy, a bénéficié d'un large soutien des Alliés, et était pour sa plus large part coordonnée depuis l'extérieur.
Les forces de sécurité roumaines ont réussi à vaincre les forces rebelles grâce à la coordination entre la police politique et la Milice, l'infiltration des groupes par l'utilisation d'informateurs, la collecte de renseignements[67], la persuasion et la manipulation[68]. Les résistants furent la cible d'actions militaires durables et systématiques déployées par les troupes régulières bien équipées de la Securitate. Les forces de cette dernière variaient de la section au bataillon et jusqu'au régiment entier. Elles incluaient des véhicules blindés, de l'artillerie et même occasionnellement de l'aviation. Les insurgés subissaient souvent de lourdes pertes, le plus souvent victimes de la trahison de leurs soutiens ou d'informateurs infiltrés.
Méthodique, la Securitate appliquait sept techniques différentes[69] :
Le mélange des techniques d'infiltrations et d'attaque frontale massive était la combinaison la plus employée par la police politique. D'autre part, pendant la période 1945-1947, le régime communiste a employé d'anciens légionnaires pour la lutte contre la résistance. Il a ainsi existé des groupes fantômes, organisé par le NKVD et la Sûreté[Notes 26], constitués d'ex-légionnaires utilisés par les autorités pour débusquer et capturer ceux qui se trouvaient dans les montagnes (cas du groupe Mandea)[70].
Les rebelles arrêtés ainsi que leurs soutiens étaient soit tués durant les interrogatoires, soit jugés lors de procès public ou bien à huis clos. Les condamnations étaient très lourdes : la mort ou de longues années de prison voire de travaux forcés[71]. Plusieurs milliers de condamnations ont été prononcées. Certains pénitenciers ou camps de travail sont désormais connus pour leur fort taux de mortalité et la pratique courante de la torture. De très nombreux résistants sont ainsi morts d'épuisement, de torture ou de mauvais traitements dans le système carcéral communiste[72],[73] Les peines de mort étaient exécutées discrètement, les corps jetés dans des fosses communes ou dans les forêts[74], ou bien publiquement dans le but d'intimider les populations locales. Un nombre significatif de détenus qui n'ont pas été exécutés ont été abattus en dehors des prisons dans des circonstances inexpliquées et en toute illégalité[75]. Dans les zones où les rebelles étaient actifs, les villageois subissaient systématiquement l'intimidation et la terreur, orchestrées par les autorités communistes.
Adriana Georgescu-Cosmovici (ro), secrétaire particulière du Premier ministre le général Nicolae Rădescu fut l'une des premières personnes arrêtées pour appartenance à un mouvement de résistance[76]. En juillet 1945, la jeune femme fut interpelée à Bucarest, sévèrement battue par les inspecteurs de la police secrète et violée par ses gardiens[77]. Dans une déclaration faite à Paris en 1949, elle dénonça trois enquêteurs pour l'avoir menacé avec des armes, l'un d'eux étant Alexandru Nicolschi[78],[79]. Nicolschi n'en était alors qu'à ses débuts d'une longue carrière de tortionnaire et d'assassin, comme le décrit factuellement un dossier complet publié par l'IICCMER, basé sur les archives CNSAS, des témoignages enregistrées et des travaux étayés d'historiens[Notes 27]. Considérant la justice trop « douce » à l'égard des ennemis du communisme, et particulièrement les résistants, outre la torture qu'il pratiquait couramment lors de ses interrogatoires, Nicolschi organisait des liquidations extra-judiciaires en extrayant les prisonniers de leurs cellules, prétextant un supplément d'enquête. Ces derniers étaient alors exécutés d'une balle dans la tête sur le trajet du transfert. Nicolschi n'avait pas le monopole de tels agissements puisqu'il est désormais clairement avéré que les assassinats étaient une « méthode d'élimination » employée couramment par la Securitate, en particulier pour ses débarrasser définitivement des éléments résistants ou des opposants les plus coriaces[80].
Elisabeta Rizea et son mari, deux paysans opposés à la politique du gouvernement de collectivisation forcée, rejoignirent le groupe de guérilla « Haiducii Muscelului » commandé par le lieutenant-colonel GheorgheArsenescu, en leur fournissant nourriture et approvisionnements. Capturée en 1952, Elisabeta Rizea passera 12 années en prison[81], période pendant laquelle elle fut régulièrement torturée. Considérée comme une héroïne par les Roumains, elle est aussi devenue un véritable symbole national de la résistance roumaine[ER 1], grâce à un documentaire de la TVR diffusé en 2006. Un projet de maison mémorielle a été lancé en 2017 par un descendant, dans le cadre de l'Asociația Elisabeta Rizea[ER 2].
Le nombre de victimes tuées du côté des insurgés peut être établi selon les données d'archives ainsi que de nombreux mémoires publiés après 1990. Les archives officielles révèlent plusieurs centaines de condamnations à morts, cependant un nombre bien plus important de maquisards ont été tués soit lors des combats contre les autorités, soit lors des différentes phases de leur détention[2]. On estime le nombre de morts autour de 2000.
La chasse implacable dont faisaient l'objet les maquisards par les autorités, comme le silence absolu sur l'existence même d'une rébellion, démontre la grande préoccupation du régime et la crainte qu'un symbole d'insubordination ne devienne contagieux[38]. Le célèbre résistant, et ancien légionnaire, Gavrilă Ogoranu rapporte le discours tenus à des touristes par des résistants dans les années 1950 :
« Dites à tout le monde qu'il y a toujours une place dans le royaume de Roumanie. Tant que nos têtes sont sur nos épaules, ce coin de pays sera libre. Dites aux gens de ne pas perdre la foi, pour le jour viendra où l'ensemble de la Roumanie sera libre. Priez Dieu pour elle, afin que Dieu nous aide[82]. »
La Securitate était l'organe essentiel du PCR. Elle assurait son maintien au pouvoir, au travers d'actions coordonnées de surveillance, d'espionnage interne dans toutes les couches de la population, et de répression. Cette répression fut particulièrement brutale jusqu'en 1964 et s'abattait sur toute forme de contestation ou de résistance. C'est pourquoi il n'est pas possible de dissocier la résistance roumaine avec cet organe de police politique du pouvoir. La Securitate a d'ailleurs été le fer de lance et l'outil principal[83] actionné par le pouvoir communiste pour contrer tous les mouvements de résistance armés, et dans la plupart des cas pour les annihiler. Le sujet de la résistance anticommuniste armée ou non est donc étroitement lié avec la Securitate. Le regard porté par les Roumains sur chacun de ces deux sujets doit donc être évoqué conjointement.
Malgré plusieurs instituts d’État ou de la société civile[Notes 28] créés pour faire la lumière sur les crimes du communisme, un rapport présidentiel de 2006[Notes 29],[84] condamnant sans appel les crimes du régime communiste roumain, la publication de centaines de livres et d’articles documentés et circonstanciés sur la résistance et les éliminations physiques d’opposants, l’ouverture des archives de la Securitate ainsi que les exhumations scientifiques de victimes de cette police politique, il apparaît que les instances dirigeantes roumaines ne souhaitent pas aller jusqu’au bout d'une démarche de vérité sur le passé communiste du pays. Le sujet de la résistance est souvent minimisé par les autorités et la plupart des forces politiques, principalement en raison de l'influence persistante des anciens membres du système communiste et de leurs proches. La direction de ces institutions mémorielles change d’ailleurs à chaque nouveau gouvernement et fait l’objet de vives polémiques d’une part sur la probité des personnes à leur tête, et d’autre part sur le fait que ces organismes ne soient que des outils au service de l’orientation politique du moment au pouvoir[Notes 30]. Certains remettent en cause ouvertement l’efficacité, voire la crédibilité de ces institutions, à cause de leur dépendance politique[Notes 31].
Plus de trente-cinq ans après la chute du régime communiste et de Nicolae Ceaușescu, le faible remplacement des élites politiques, souvent issues de ce même système, et la mainmise par des ex-securistes ou communistes et leurs descendants, tant sur la politique[Notes 32] que sur l'économie[Notes 33] — On parle même en Roumanie de « privatisation du communisme »[Notes 34] — sont, selon de nombreux commentateurs et analystes, les clefs de compréhension des demi-mesures, voire du semblant de mesures, qui ont été prises. En 2023, L'une des membres du Collège de direction du CNSAS, Germina Nagâț, affirme dans un long interview au quotidien Adevărul que la Securitate est toujours aux commandes. Preuve en est l'empêchement d'accéder au dossier de la Securitate dans l'affaire Gheorghe Ursu (ro), un dissident roumain battu à mort en 1985 par la Milice. Le dossier aurait permis de mettre en accusation deux sécuristes toujours vivants. Les éléments ont été sortis du secret officiellement en 2000 mais transmis au CNSAS seulement 16 ans plus tard, juste après que la prescription des faits soit atteinte. Le manque de preuves contre la Securitate a orienté les accusations contre la Milice, empêchant la justice de faire son travail à temps contre la Securitate[85].
Ainsi, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays de l'Est ayant subi la dictature communiste, seul un nombre très limité[Notes 27] de membres de la Securitate ou du PC, ou même de tortionnaires du régime, ont été poursuivis en Roumanie et encore moins condamnés[Notes 35]. Les premières enquêtes et inculpations pour crime contre l’humanité pendant la période communiste n’ont été diligentées qu'en 2014[Notes 36]. Entre 1989 et 2017, seules trois procédures pour crimes contre l'humanité ont été ouvertes en Roumanie, dont deux se sont soldées par des condamnations définitives prononcées en 2016 et en 2017[Notes 37]. Ce chiffre est à mettre en perspective avec l'énormité des crimes et des preuves disponibles, alors qu’il ne faisait aucun doute depuis 1989 de la qualification des exactions commises par le Parti communiste roumain et son bras armé : la Securitate[Notes 38]. En 2017, alors que les résistants survivants libérés de prison ont toujours un casier judiciaire rempli de mentions jugées délictuelles ou criminelles par le régime communiste, à l’opposé, les officiers de la Securitate à la retraite, anciennement responsables de persécutions ou de crimes que la justice roumaine considère jusqu’à présent comme prescrits, bénéficient de pensions plus que confortables[Notes 39] et n’ont jamais été inquiétés par la justice. Il est significatif de constater que jusqu’en mai 2016[86], aucun monument majeur n’avait été érigé par les autorités nationales pour honorer la résistance roumaine[87]. En 2024, la société roumaine est toujours bloquée par la lourde pesanteur de l'héritage communiste, une caste sécuriste toujours influente, une corruption endémique et une défiance généralisée vis-à-vis des hommes politiques, tout en étant handicapée par un départ massif de sa jeunesse à l'étranger[88].
Il semble qu'une majorité de Roumains, troublée par les polémiques et les luttes politiques incessantes sur l’héritage du communisme depuis 1990, désorientée par les changements économiques radicaux de la société roumaine et plus préoccupée par la crise économique actuelle (depuis 2007), se soit partiellement désintéressée du sujet[89]. La présence de faux rapports[90] dans les archives de la Securitate, et les techniques de manipulation des informations couramment employées par cette dernière[Notes 40] brouillent efficacement la crédibilité de cette source d’information. Les anciens sécuristes en profitent pour tenter de discréditer les historiens, enquêteurs ou journalistes trop curieux ou trop persévérants.
Pour survivre dans une société sous surveillance permanente (écoutes téléphoniques, ouverture du courrier, délation généralisée) où une terreur sous-jacente assurait le maintien du régime communiste au pouvoir, les Roumains se sont enfermés dans le silence et l’oubli. Nombre d’entre eux ne veulent pas parler de leur passé ou de celui de leurs proches, conformément au dicton : « Un Roumain, se regardant dans un miroir, se pose des questions : - De nous deux, lequel peut bien être le mouchard ? »[40]. Cette situation restreint le nombre de témoignages sur de nombreux sujets tels que la résistance ou la Securitate, et repousse un travail de mémoire sans lequel il n’y a pas de catharsis possible[Notes 41]
Enfin, cas particulier dans l’Europe de l'Est, selon différents sondages menés depuis plusieurs années en Roumanie, une part de la population semble encore considérer que le bilan du communisme est positif[Notes 42]. Dans le dernier sondage disponible, réalisé en septembre 2021, qui souligne une société roumaine de plus en plus nostalgique du communisme[91], l'historien Dorin Dobrincu (ro) explique les facteurs favorisant cette tendance : la masse d'informations fausses et décontextualisées disponibles dans les médias, et en particulier sur les réseaux sociaux comme Facebook, le manque d'éducation scolaire, et le fait que la découverte du passé récent est surtout faite à la maison, par les grands-parents, souvent nostalgiques du communisme et idéalisant leur jeunesse perdue. Ainsi même si les choses tendent à évoluer, une part non négligeable des Roumains regardent avec suspicion les actions des résistants et les considèrent comme des bandits, se conformant à la propagande communiste officielle de l’époque. La Roumanie est pourtant l’un des pays ex-communistes où l’épuration et les persécutions communistes ont été les plus profondes. La jeunesse de l’État (dont l’identité nationale s’est cristallisée au début XIXe siècle sur des valeurs révolutionnaires - voir renaissance culturelle roumaine) ajoutée à la brutalité du « nettoyage » des élites précédentes réalisé par les communistes appuyés par l’Armée rouge et le NKVD dans les années 1950, ont facilité une élimination quasi complète de toute opposition structurée. La force de la Securitate et son imprégnation dans la société roumaine[Notes 43], le nombre impressionnant d'informateurs[Notes 44] complète le tableau d'une société verrouillée par les communistes. La renaissance démocratique et pluraliste en Roumanie depuis 1990 a ainsi été handicapée par le fait que, d’une part, les anciens dissidents encore vivants étaient peu nombreux, et d’autre part la bureaucratie ex-communiste s’est rapidement muée en une classe d’entrepreneurs libéraux aussi prospères que peu scrupuleux, qui continua sous ces nouveaux habits à constituer le modèle dominant de réussite sociale du pays[92]. L’absence de loi de lustration, votée trop tard et sans effet[93], comme en Hongrie, en République tchèque, en Pologne ou bien en Allemagne de l’Est, en est un résultat significatif.
Il a fallu attendre 2016 pour que la Roumanie célèbre véritablement et officiellement ses résistants. Précédemment, aucune loi ou initiative parlementaire n’a pu aller à son terme pour commémorer ce mouvement. Il y a eu cependant des initiatives locales inégales pour tenter de redonner à ce mouvement sa place dans l'histoire roumaine[94]. Contrairement à la Pologne qui célèbre ses « soldats maudits » depuis 2011 ou à d’autres pays de l'ex-Bloc de l'Est qui ont voté un jour de fête nationale, en Roumanie les descendants de la bureaucratie et de la nomenklatura communiste restent crispés sur leur refus d’un devoir de mémoire[2]. Après avoir argumenté jusqu’en 2007 qu’il ne fallait pas cliver la société, et donc refusant de faire un travail de vérité sur le passé communiste, ils changèrent d'avis postérieurement à l’entrée du pays dans l’Union européenne. D'autre part, malgré une condamnation officielle du communisme en 2006[Notes 29], un « négationnisme néo-communiste » plane toujours en Roumanie[95] et reste d'autant plus tenace que les autorités politiques et morales ne parlent pas à l’unisson sur le sujet[Notes 45].
L’amalgame assimilant les résistants à des « fascistes antisémites »[Notes 46] est activement soutenu par les héritiers du Parti communiste roumain et des anciens sécuristes présents, dans les années 2010, dans presque tous les partis politiques roumains[96]. Il joue un rôle important dans le blocage législatif[Notes 47] sur un projet de jour commémoratif, sans compter l’indemnisation des anciens résistants et détenus politiques. C'est seulement en 2020 que le parlement roumain a enfin adopté une loi indemnisant les détenus politiques et les anciens prisonniers de l'URSS. Une loi inapplicable faute de moyens dans les Archives Nationales et au CNSAS, institutions qui ne peuvent faire face aux dizaines de milliers de requêtes qui leur sont parvenues en aval de sa promulagation[97]. Ce texte de loi est aussi considéré comme injuste et interprétable par l'Association des Anciens Détenus Politiques de Roumanie (Asociației Foștilor Deținuți Politici din România), par ailleurs non consultée sur ce projet législatif qui la concernait pourtant au premier chef[Notes 48].
En fait, même si des « légionnaires » ont rejoint la résistance, ils furent, de l’avis de la plupart des historiens[98], minoritaires au sein de celle-ci (moins de 10 % des maquisards selon des statistiques de la Securitate de 1951[Notes 49]). En 2017, il n’est d’ailleurs pas possible d’évaluer précisément leur proportion dans la résistance, car ils n’y étaient pas présents en tant que mouvement constitué et n’agissaient pas à ce titre. D’autre part, de nombreux groupes étaient mixtes, ex-légionnaires et autres, parfois de toutes tendances politiques, y compris des membres idéalistes et déçus du Parti communiste roumain, souvent de la mouvance de Lucreţiu Pătrăşcanu[99].
Il existe cependant depuis 2000, une forme de reconnaissance nationale : la « Croix commémorative de la résistance anticommuniste »[Notes 50]. En mai 2016, le président Klaus Iohannis a inauguré à Bucarest un monument à leur mémoire, sis devant la maison de la presse libre, sur un emplacement où, de 1960 à 1990, se dressait une statue géante de Lénine[86]
La reconnaissance complète de l'apport, pour la société roumaine, de l'engagement combattants anticommunistes, et cela quelle que soit leur étiquette politique, n'est toujours pas, en 2024, une idée entièrement partagée par les différents partis politiques ou les autorités du pays. Le consensus est inexistant et la Résistance anticommuniste soulève encore des polémiques, comme le montre un nouvel épisode de contestation mémorielle intervenu en janvier 2024. En effet, le service de l'Inspection Scolaire de Bucarest (ISMB ou Inspectoratul Școlar al Municipiului București), branche du ministère de l’Éducation, ainsi que le préfet de Bucarest, ont interdit l'intervention de deux associations, parmi les plus importantes et actives, dédiées à la mémoire de deux des plus importants résistants roumains : Ion Gavrilă Ogoranu (ro) et Gogu (Gheorghe) Puiu (ro), arguant du fait que la proximité des deux associations avec l'extrême-droite (le mouvement légionnaire étant sous-entendu) rendait incompatible leur activité au sein du milieu scolaire. Le préfet comme l'inspecteur général de la SMB sont des élus PSD (parti « social-démocrate » issu du « front du salut national » lui-même héritier du parti communiste roumain). Les deux associations, qui officiaient depuis des années en partenariat au sein des établissements scolaires de Bucarest, ont répondu vivement par une lettre ouverte, largement diffusée dans la presse et les médias, en considérant cette décision comme une calomnie et une censure abusive, alors qu'aucun prosélytisme ou défense du mouvement légionnaire n'avait été manifestée par les intervenants lors de leurs actions dans les écoles de Bucarest[100]. Il faut noter que même les historiens et spécialistes ne s'accordent pas tous sur le sujet[Notes 51].
Elisabeta Rizea : livres, documents et articles de presse publiés depuis 1992.