Les parents d'Henri Weber, horlogersjuifs, vivaient en 1938 à Chrzanów en Pologne, à quelques kilomètres d'Oświęcim où sera plus tard construit le camp d'extermination d'Auschwitz[3]. Au moment du Pacte germano-soviétique d’août 1939, ils partent pour l’URSS. Refusant de devenir citoyens soviétiques, ils sont envoyés dans un camp de travail en Sibérie avant d’être transférés dans un autre à Leninabad (aujourd’hui Khodjent au Tadjikistan) où Henri Weber naît en 1944 sur un navire-hôpital amarré sur les rives du fleuve Syr-Daria[2]. Son père, de formation horlogère, doit s'y improviser un emploi de bûcheron et sa mère y est couturière.
Enfant puis adolescent, Henri Weber est membre du Hashomer Hatzaïr, organisation scoutiste de gauche, sioniste mais laïque[2], où il rencontre sa compagne Pascale[4] et acquiert une formation à l’entraînement de groupe[4], qui attira l'attention de son ami Alain Krivine qui lui confia la responsabilité du service d'ordre de la Ligue communiste en 1969.
En , Weber et Krivine participent à un camp d'été coorganisé par l'UEC et le FLN à Sidi-Ferruch[6], dans la banlieue d'Alger et Weber devient à la rentrée secrétaire du secteur Sorbonne-Lettres[8], l'un des dix groupes UEC par disciplines universitaires mis en place par Alain Krivine, qui quadrillent la faculté. Henri Weber et Pascale sont fréquemment ses invités personnels[9], tout comme Philippe Robrieux[9], secrétaire général de l'UEC à la fin des années 1950, qui identifie alors Henri Weber dans la mouvance trotskiste OCI de Pierre Frank[9].
Mais la majorité de la « fraction de gauche » ne participe pas à la création des JCR, se dispersant aussi autour des lambertistes, mais aussi des maoïstes de l'École normale supérieure qui n'ont pas soutenu la fraction de gauche lors du congrès de l'UEC.
En 1966-1967, Henri Weber et son ami Alain Krivine sont des piliers du cercle « socio-philo » qui se réunit dans la cave de l'appartement de l'écrivain et résistant gaulliste David Rousset, avec son fils Pierre Rousset[14].
Le , la JCR, organisation encore modeste, se fait connaître en invitant Daniel Cohn-Bendit, qui a été interviewé par l'ORTF peu avant, à un meeting européen anti-guerre du Viêt Nam[17], décidé les et lors d'une « conférence de Bruxelles » réunissant douze partis européens, la JCR étant chargée de réserver la salle[17]. Symbole de l'extension du mouvement à toutes les universités, Henri Weber est à la tribune avec lui et Daniel Bensaïd, autre militant du mouvement du 22 Mars, un Toulousain d'origine modeste, élève à l'École normale supérieure et hébergé à la résidence universitaire de Nanterre. Henri Weber se lie d'amitié avec lui et gardera de Mai 68 le souvenir d'un « grand mouvement romantique et messianique »[18] aspirant à « davantage de démocratie », en particulier chez les journalistes de l'ORTF[18], qui rappelle les grèves de juin 1936[18] et la grève générale belge de 1960-1961[18] à laquelle la JCR avait prêté une grande attention[18]. Selon lui : « On a fait dire beaucoup de sottises » dans la presse à certains graffitis de l'époque, car il y avait en fait beaucoup d'interdits lors de Mai 68, le vol et le viol, dans les établissements occupés, tout comme le vandalisme dont aucune trace n'a jamais été retrouvée lors des nombreuses manifestations, même dans les beaux quartiers, compte tenu de service d'ordres nombreux et organisés[19].
De 1969 à 1988, Weber enseigne la philosophie politique, comme assistant, puis maître-assistant, et maître de conférences, après sa thèse soutenue en Sorbonne en 1973, sous la direction de Maurice de Gandillac, professeur de philosophie à l’université Paris-I. Reçu avec mention « très honorable », il voit sa thèse publiée en aux éditions Bourgois, dans la collection 10-18, sous le titre Marxisme et conscience de classe[12].
Le centre universitaire de Vincennes offre de nombreux cours dans le domaine des sciences sociales, parfois donnés par des enseignants qui sont à la fois théoriciens et praticiens, en tant que dirigeants de partis politiques. Ainsi en 1971-1972, Henri Weber enseigne « Introduction aux marxistes du XXe siècle » et « La structure de l'extrême gauche en France », et Daniel Bensaïd discourt sur « De la nature des États ouvriers »[20] alors qu'ils sont tous deux dirigeants de la Ligue communiste fondée en .
Un après-midi, André Glucksmann et Jean-Paul Dollé mènent l'assaut à la tête d'une cinquantaine de militants qui font irruption dans le cours d'Henri Weber, maître-assistant en philosophie, intitulé « À quoi pense Mao ? » consacré aux écrits philosophiques et politiques de Mao Zedong[10]. Un groupe mené par Alain Badiou perturbe aussi de nombreux cours[10].
« Plus qu'à Censier, La Sorbonne ou à Nanterre, je fus confronté à Vincennes au gauchisme le plus débridé », se souvient-il[10]. La « folie ultra-gauchiste » eut selon lui pour conséquence la perte de l'habilitation du département de philosophie à délivrer des diplômes reconnus par l'Éducation nationale[10].
Lui-même est à la direction du service d'ordre de la Ligue communiste qui multiplie les coups d'éclats et affrontements avec l'extrême-droite mais sera mis en cause dans les affrontements du 21 juin 1973 à Paris, qui ont causé de graves brûlures à neuf policiers.
En , il quitte l’université pour l’hôtel de Lassay, au cabinet de Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale[2]. Mais il retourne à Paris VIII - Saint-Denis, de 1993 à 1995, après la défaite de la gauche aux élections législatives. Il met à profit cette « traversée du désert » en passant son doctorat en sciences politiques, sous la présidence d’Hugues Portelli, professeur à Paris II[21]. Cette thèse de doctorat, « Acteurs et stratégies du changement social », obtient la mention « très honorable ».
Années à l'extrême gauche
Directeur du journal Rouge
Henri Weber a été directeur et rédacteur en chef de Rouge dont le premier numéro est publié le , peu après les évènements de Mai 68 et qui est d'abord un quinzomadaire, alors qu'il n'existe plus de parti « JCR » depuis sa dissolution en juin et qu'il tente de se recréer autour des « Cercles Rouge », du nom de ce journal.
Dès mars 1966, une photo dans Paris Match le montre en imperméable blanc au sein d'un petit groupe accueillant dans la cour de la Sorbonne, pour une rixe étudiante, un commando du Mouvement d'extrême-droite Occident venu de la faculté de droit voisine d'Assas, ce qui « fera plus pour ma gloire que mes harangues », reconnaîtra-t-il dans ses mémoires.
Après la fondation de la Ligue communiste en 1969[12], il est chargé de son service d'ordre, dont il écrit l'hymne-chanson : « Dans la nuit noire brillent les mousquetons, les CRS nous barrent le chemin, mais dans nos rangs y a pas d’hésitation, les CRS ça s’enfonce très bien »[1] et organise « des stages, des sorties en forêt le samedi et le dimanche, avec entraînement aux actions collectives, coordonnées, avec maniement du bâton, du cocktail Molotov »[25].
Il organise des stages militants réunissant en Corse, sur la plage de Prunete, près de Cervione, près de 250 personnes en juillet 1970 puis le mois suivant[26], avec un professeur de karaté, qui forme les membres du service d'ordre de ce parti, séjour qui est "l’ancêtre des universités d’été de la Ligue" communiste[27], politique critiquée au sein du syndicat étudiant, qui entraîne la publication d'un rapport de l'IGAS sur la MNEF[28]. Dès 1970, le congrès de l'Unef organisée à Caen décide à une forte majorité de se séparer de l'Uni-club (252 pour, 38 contre et 21 abstentions).
Les brûlures subies par 72 policiers lors de la charge des manifestants entraînent la dissolution de la Ligue communiste et la critique de sa direction par les militants du parti dans les entreprises.
Parallèlement, il a développé en 1971 une « Commission très spéciale » (CTS) de la Ligue communiste, chargée des « opérations exemplaires » ou spectaculaires, autour d'ex-lycéens, comme Michel Recanati puis Romain Goupil, qui était encore en classe de seconde en Mai 68. Dans le film de ce dernier, Mourir à trente ans, Henri Weber reconnait que ces militants étaient parfois très jeunes. Michel Recanati, inculpé en 1972 pour des slogans peints sur la façade d'une ambassade et un drapeau américain détruit sera finalement relaxé par la justice dans l'affaire des émeutes du 21 juin 1973 à Paris.
Travaux de recherche
Entre 1981 et 1984, il cesse toute activité politique pour se consacrer à sa famille et ses travaux de recherche, qui portent notamment sur les débats théoriques au sein de la social-démocratie au début du XXe siècle et l'eurocommunisme. En 1982, il intègre le Centre de recherches sur les mutations des sociétés industrielles (CRMSI), dirigé par Jean-Louis Moynot, ex-secrétaire confédéral de la CGT. Il y anime un « Observatoire du patronat français » et publie en , aux éditions du Seuil, Le Parti des Patrons : CNPF 1946-1986. C'est à l'occasion de ses recherches qu'il rencontre Laurent Fabius alors ministre de l'Industrie, puis Premier ministre, qui l'intègre à son premier cercle.
Lors des élections législatives françaises de 1988, qui suivent une présidentielle où le PCF est tombé à seulement 6,8 % des voix, il est investi « grâce à des étudiants recrutés en une nuit et aussi vite disparus », selon son rival local du PS Georges Sali, qui dénonce un « parachutage »[33]. Il est battu par Marcelin Berthelot, député-maire communiste de la 12e circonscription de Seine-Saint-Denis, avec 22,97 % des voix. Au premier tour de ces élections nationales, le Parti communiste a redressé la situation en remontant au premier tour à 11,3 % des suffrages.
Il est élu aux élections municipales de 1989 et devient maire-adjoint de Saint-Denis, président du groupe des élus socialistes jusqu'en 1995. En 1993, il est à nouveau battu aux élections législatives avec 10,77 % des voix (il avait été une première fois candidat aux élections législatives, le , à Nanterre, pour la Ligue communiste).
Appelé en Normandie par Laurent Fabius, Henri Weber est élu en 1995 conseiller municipal de Dieppe, puis sénateur de la Seine-Maritime la même année[2].
Parlement européen
Tête de liste de l'euro-circonscription du Grand-Nord-Ouest aux élections européennes de , il est élu député européen avec 29,98 % des voix[34]. Il est réélu en 2009 à la tête de la liste Auvergne, Centre, Limousin.
Il est confirmé vice-président de la délégation interparlementaire UE/Chine pour la législature 2009-2014[12].
À la direction du Parti socialiste
Dans les instances du Parti socialiste, il a été membre du bureau national et secrétaire national de 1993 à 2008, chargé successivement de l’Éducation nationale (1993 à 1995), de la Formation (1995 à 2003), de la Culture et des Médias (1998 à 2003) et à nouveau de la Formation (2005 à 2008)[12]. À ce titre, il relance la Revue socialiste, qu'il dirige jusqu'en 2005, et, en 1995, il préside à l'essor de l'université d'été du PS de La Rochelle et crée l'« université permanente des cadres fédéraux ». De 2008 à 2012, il est secrétaire national adjoint chargé de la mondialisation[31]. Dans cette fonction, il élabore la stratégie du « juste échange » que le PS adopte à son congrès du Mans (2005) et le PSE (Parti socialiste européen) à son conseil de Varsovie les 2 et [36].
De 2014 à 2017, il est directeur des études, chargé des questions européennes, auprès de Jean-Christophe Cambadélis, alors premier secrétaire du PS. À ce poste, il crée le GARE (Groupe d'action et de riposte européen) et publie soixante-quatorze questions et réponses pour réorienter l'Europe[37].
Henri Weber rencontre très tôt Pascale Picard, décrite dans ses mémoires comme son amour d’adolescence et de jeunesse, avec laquelle il se marie le et à laquelle il reste lié jusqu’en 1973[12].
En , Henri Weber épouse Fabienne Servan-Schreiber, productrice de télévision et fondatrice de la société Cinétévé, avec laquelle il vivait depuis 1973. Ils ont eu ensemble six enfants[12].
↑ abcde et fAbel Mestre, « L’ancien sénateur socialiste Henri Weber, figure de Mai 68 et du trotskisme français des années 1960 et 1970, est mort », Le Monde, (lire en ligne).
↑ a et bJean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d'apprentissage ?, éditions Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2005, [5]
↑ abcd et e"2008, lorsque Henri Weber évoquait Mai 1968", Archives INA [6]
↑Henri Weber, Faut-il liquider Mai 68 ? Essai sur les interprétations des « événements », Éditions du Seuil, 2016.
↑Les professeurs Dominique Colas (Paris IX), Marc Sadoun (Paris I), Jean-Marie Vincent (Paris VIII) et Elie Cohen (directeur de recherches au CNRS) composent le jury.