Veuve à vingt ans[2], elle est découverte par le collectionneur séducteur Pierre Roché, pygmalion de l'avant garde qui a quinze ans de plus qu'elle et encourage son talent de dessinatrice. Il la présente à ses compagnons de nuit, André Salmon, Guillaume Apollinaire, « la bande à Picasso ». Pour la soutenir financièrement, Roché, qui cherche à s'imposer comme le spécialiste de l'« art féminin », achète tous ses tableaux, dont La Créole[χ 1], dans le but de les revendre[χ 1]. Il lui commande les illustrations d'un roman qu'il ne publiera qu'après la guerre[… 1] et lui donne pour chaque dessin vingt francs[χ 1], de quoi manger et acheter son matériel[' 1]. Devenu son amant en parallèle de Thorvald Hellesen(no)[χ 1], un élève norvégien de Christian Krohg venu en 1912 étudier auprès de Fernand Léger, il conservera cinquante et une toiles[3].
En 1915, au cours d'une maladie qui la tient à son tour alitée et à laquelle elle ne pense pas non plus survivre, elle réalise un autoportrait testamentaire qui signe son engagement dans la carrière de peintre[ς 1]. La convalescence se prolongeant, elle poursuit son œuvre en autodidacte[ς 1], avec des portraits de ses proches, des réminiscences de ses rêves, des peintures d'animaux ou de personnages imaginaires mais aussi, voie dans laquelle la suivra Adolphe Beaufrère, des marines et des illustrations de sa Bretagne affectionnée[4].
Roché confie à l'impétrante la réalisation et la distribution du programme du concert privé que Georges Auric donne chez Paul Poiret[5]. C'est une ode écrite par Roché et mise en musique par Erik Satie[5]. En juillet, le grand couturier commande à la jeune artiste le portrait de sa femme, Denise, et en profite pour lui faire réaliser discrètement une frise érotique dans la salle de bains de sa garçonnière[6]. La Presqu'île, éphémère revue de l'engagement de l'arrière[° 1] qui fait découvrir les très jeunes talents tels Pierre de Régnier[' 2], René Clair, Joseph Kessel, Mireille Havet, Francis Ponge, lui offre sa première publication, une simplissime pointe sèche des plus avantgardiste aux torturées volutes Art nouveau et aux connotations érotiques, Trois filles folles dansent à la lune[… 2].
Hélène Falk et son mari achètent près de Loulay, non loin de son Aunis natal et du Melloishuguenot[≈ 3] de ses aïeux[≈ 4], un château, le Logis de La Vaillette[10] ou Domaine de la Vaillette[≈ 5]. La crise de 1929 ruinent les acheteurs américains qui avaient créé le marché de l'art moderne et induit un revirement de celui-ci. Hélène Perdriat, nom de jeune fille qu'elle a conservé pour son activité professionnelle, dépend dès lors de son mari[' 9] et, comme un certain nombre d'autres peintres, de nouveau de l'aide financière de Roché[χ 3],[' 10].
En 1937, Henri Falk meurt à l'âge de cinquante six ans, la laissant une seconde fois veuve. Elle hérite toutefois de quelques droits d'auteur[≈ 6]. Elle se retire dans son château de Saint-Jean-d'Angély[10], où elle finira sa vie entourée de ses quatre-vingt chats[1], dans l'oubli, l'indigence et le diogénisme[10].
L'oubli (1940-1969)
À la Libération, Hélène Perdriat est des témoins[16] qui, par souci d'afficher un patriotisme que leur comportement durant l'Occupation pourrait accuser à tort ou à raison d'avoir eux-mêmes compromis dans la Collaboration, rédigent une lettre à charge contre Sacha Guitry dans le cadre d'une procédure d'épuration[' 15].
Sa vie solitaire dans son château lui vaut d'être surnommée par les paysans d'alentour « la fée aux chats »[1]. Elle adopte deux orphelines puis se remarie à un médecin aveugle[1].
En 1954, Henri-Pierre Roché, dont le roman Jules et Jim[… 10], paru un an plus tôt, décrit leur bohème sans toutefois évoquer son personnage, rédige la notice d'une rétrospective qui lui est consacrée[χ 4].
La bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art — collections Jacques Doucet — conserve deux « cartons verts » d'invitation au vernissage des expositions d'Hélène Perdriat de 1937, année du deuxième veuvage de celle-ci, et 1943[≈ 7].
Le sujet de prédilection d'Hélène Perdriat est la femme dans une mise en scène onirique, Diane et la biche, La Belle et la bête, Les Demoiselles de fantasie, Femme à la coupe de champagne[10]... Comme Marie Laurencin, Irène Lagut ou Leonor Fini, elle conçoit son œuvre d'un point de vue résolument féministe qui exprime, dans un monde de l'art qui était au XIXe siècle presque exclusivement masculin, « l'autre, la féminitude, la sorcière », tout simplement « la femme »[17].
« (...) elle fige comme dans un plâtre son visage et peint par-dessus un masque, le masque de son humeur du moment. »
— Critique[° 4] formulée en 1930 face aux femmes peintes par Hélène Perdriat, le visage aussi indifférent que la scène est fantasque.
« Cette sophistication qui est la leur est de celle qu'on a l'habitude d'associer à une littérature destinée à la consommation de jeunes servantes cachotières. On leur voit un certain air de pathos comme aux rêvasseries d'adolescentes avides de sexe. »
— Autre critique[° 5] de 1930 dénigrant les portraits dérangeants que fait Hélène Perdriat des femmes.
« Sa peinture est essentiellement féminine par le caractère et par son expression de soi »
« (...) fantaisie très subtile, souvent moqueuse, qui donne tant de charme à la peinture de Mlle Marie Laurencin, Mlle Hélène Perdriat, Mlle Mariette Lydis. »
— Un critique[° 8] en 1933 à propos d'Hélène Perdriat et Marie Laurencin ainsi que les autres exposantes du salon annuel "FAM".
Un modernisme néoclassique ?
« Prenez Hélène Perdriat. Elle est sans conteste la réincarnation de l'antique esprit français, avec juste une touche de modernisme qui n'occulte rien des traditions de France. »
« Mlle Hélène Perdriat est fort curieuse. Ses figures de femmes sont-elles naïves ? Sont-elles perverses ? (...) naïves pour les pervers, et perverses pour les naïfs mais dans leur ingrisme à la fois appliqué et extravagant, elles affirment une artiste nullement indifférente. »
« Les contemporains trouvent des analogies avec Marie Laurencin, mais l'art de Perdriat est plus traditionnel, même s'il comporte des réminiscences connues avec des artistes du quattrocento tels que Crivelli et Botticelli. »
↑L. D., « Spectacles », in Cinéa, no 45, p. 17, Paris, 17 mars 1922.
↑M. A. Meyers, Art, Education, and African-American Culture: Albert Barnes and the Science of Philanthropy, p. 71, Transaction Publishers, New Brunswick (New Jersey), 2006 (ISBN1-4128-0563-5).
↑L. A. Hamer, « Germaine Tailleferre and Helene Perdriat's Le Marchand d'oiseaux (1923): French feminist ballet? », in Studies in Musical Theatre, 4(1), p. 113–120, Intellect, Bristol, 2000 (ISSN1750-3159).
↑Papier du consistoire de l'Église réformée de Melle. A. Gilbert, pasteur de ladite Église. Melin, lecteur de la dite Église., cité in H. Imbert, « Registre du consistoire de l'Église Réformée de Melle (Deux-Sèvres). (1660-1669.) », in Bulletin historique et littéraire, t. 25, p. 62, SHPF, Paris, 1876.
↑Registre du consistoire de Chizé, Archives de France, ex cote TT 313, cité in A. Lièvre, Histoire des protestants et des églises réformées du Poitou, t. II, IV, 4 "1635", p. 22, Grassart, Paris, 1858.
↑Annuaire des châteaux, p. 966, A. La Fare, Paris, 1934.
↑An., « For all social functions she plasters her face and paints a masque on it, a masque for whatever mood she is feeling. », in Time, New York, 27 janvier 1930.
↑Ll. Goodrich(en), « Such sophistication as they possess is of the kind usually associated with literature intended for consumption by suppressed servinggirls. A certain air of pathos hangs about them, as about the imaginings of sex-hungry adolescents. », in Ll. Goodrich(en), « The Chambrun Galleries », in Arts, n° 16, p. 345, New York, janvier 1930.
↑« Hélène Perdriat », in Parnassus, 2, n° 1, p. 16, New York, janvier 1930.
↑R. Chavance, « Les Lettres et les Arts: Femmes Artistes. », in La Liberté, Paris, 1 juin 1930.
↑L. Chéronnet, « la Peinture Féminine », in L'Amour de l'Art, p. 203, Paris, octobre 1933.
↑Une petite gravure (7,3 x 4,8 cm.) et un dessin, aujourd'hui conservés à Yale. Le dessin représente par des courbes enlacées l'étreinte chaste de deux femmes nues. Les seins sont cachés par des fruits, thème récurrent chez Perdriat. La gravure montre le baiser furtif de deux jeunes femmes en amples robes au moment où elles se croisent devant une fenêtre.
↑À cette époque, les Françaisesmariées, qui ne disposent pas du droit de vote, ne peuvent accomplir d'opération financière que par procuration de leurs maris.