L'abbaye de Saint-Maur initialement appelée abbaye des Fossés est une ancienne abbaye aujourd'hui disparue, à Saint-Maur-des-Fossés. Les vestiges et le domaine de l'abbaye ont été transformés en un parc d'agrément nommé Parc de l'abbaye.
Historique
Fondation
Une abbaye avec une église (dite « Abbatiale I ») est bâtie en 639, sous la régence de la reine Nanthilde mère de Clovis II, sur un castrum en ruines, situé dans une presqu'île constituée par un méandre de la Marne, sur le territoire de la future commune de Saint-Maur par un diacre de Paris nommé Blidegisilus. Elle prend le nom de « Saint-Pierre-du-Fossé » faisant ainsi référence au relief du lieu qui est très pentu jusqu'à la rivière[1]. Mentionné dès le Babolein en est le premier abbé. Audebert évêque de Paris s'interdit dès 643 d'intervenir dans l'organisation du monastère qui en 658, reçoit l'immunité royale de Clotaire III. Les plus anciens documents originaux des archives de l'abbaye sont deux chartes la première vers 695-701 de Childebert IV et la seconde du [2] La chapelle Notre-Dame des Miracles dont les ruines sont encore visibles dans le « Parc de l'Abbaye » marque selon la tradition l'emplacement de l'église primitive dans laquelle fut inhumé Babolein.
Décadence et renaissance
Au début du IXe siècle, l'abbaye est l'une des premières en 816 à bénéficier de la vaste réforme imposée par Louis le Pieux et l'église (dite « Abbatiale II »), dédicacée le , est rebâtie par l'abbé Benoît (813-839), sous l'égide du comte Bégon de Paris. Elle reçoit en 861 des vignes et un embarcadère dans l'actuelle Bry-sur-Marne[3]
Après l'abbatiat d'Adhelnée vers 925, Saint-Maur tombe comme beaucoup d'autres abbayes en décadence et est aux mains d'abbés laïcs les comtes de Paris : Hugues le Grand, Hugues Capet et Bouchard le vénérable[4] également comte de Vendôme, Montoire et Lavardin puis de Corbeil et de Melun. Le monastère est dirigé par un certain « abbé » Mainard qui préfère entraîner ses moines à la chasse au chien et au faucon plutôt que se consacrer à la vie religieuse[4]. Le moine Adic se plaint de ces dérèglements auprès du comte Bouchard le Vénérable qui confie en 989 le soin de réformer le monastère à Saint Mayeul[5] de l'Ordre de Cluny. Le beau-fils de Bouchard, Thibault Ier de Corbeil, abbé de Cormery, devient abbé régulier de Saint-Maur à partir de 1005[6], année du décès de Bouchard le vénérable[4] et l'« Abbatiale IV » est réédifiée et dédicacée solennellement le sous l'abbé Eudes II. C'est une vaste église romane de pèlerinage à crypte sous le chœur avec une nef triple de six travées avec un ou plusieurs clochers.
Selon une légende médiévale le , un certain Rumolde sculpteur sort brièvement de son atelier pour répondre à un appel qu'il croit entendre. Lorsqu'il revient il constate que la statue de Vierge à l'Annonciation en bois polychrome à peine ébauchée sur laquelle il travaillait est achevée. Il s'agit d'une œuvre « acheiropoïète » connue sous le nom de Notre-Dame des Miracles « Virgo audiens » ; des conversions, des grâces et des miracles lui ont été attribués. Elle se trouve désormais dans une chapelle de l'église paroissiale Saint-Nicolas[7].
En 1096 le prieuré de Saint-Maur-sur-Loire est perdu à la suite des intrigues du comte Foulques IV d'Anjou qui veut se venger du roi Philippe Ier de France qui lui a pris son épouse Bertrade de Montfort. Les abbatiats de Thibaud II (1107-1134) et d'Ascelin Ier (1134-1153) sont marqués par une intense activité artistique, manuscrits et ornementation du cloitre; la plupart des sculptures conservées datent de cette époque. A cette période le roi Louis VI fait remise aux moines du cens de 3 sous perçu pour le transfert des marchandises à l'embarcadère d'Olins, en 1110[3].
Un premier miracle autour des reliques de Saint-Maur eut lieu au XIIe siècle. D'autres miracles suivirent et l'abbaye devint un des grands pèlerinages d'Île-de-France. D'abord fixé le 15 janvier fête de Saint-Maur il est déplacé à la Saint-Jean le 24 juin. On vient y prier de toute l'Europe pour guérir la goutte (dit « mal de saint Maur ») ou l'épilepsie (dit « mal de saint Jean »). Dès la fin du XIIIe siècle, l'abbaye n'est plus connue que sous le nom de « Saint-Maur-des-Fossés » qui apparait en 1247 et s'impose pendant la décennie1280.
Le Pierre de Chevry, prieur de Saint-Eloi est élu abbé en remplacement de Jean Ier d'Auxonne (1251-1256) qui s'était « montré détestable » et avait été déposé [11]. Pendant 30 ans Pierre Ier de Chevry marque la vie monastique de Saint-Maur d'une empreinte très forte. Il est le premier des abbés mitrés du monastère et comme les évêques il porte un anneau, une dalmatique et une crosse. Il institue de nouveaux offices comme ceux de Chambrier, Cellérier et Trésorier. En 1273 l'abbé Pierre Ier fait commencer un nouveau Polyptyque c'est-à-dire un état général des domaines de l'abbaye. En 1275 il fait réaliser un Cartulaire où recueil des chartes qui, réuni au Polyptyque, forme un ouvrage de 600 pages dit le « Livre Noir ». Ce document est une source d'informations sur les mœurs et l'organisation sociale du XIIIe siècle. À sa mort le Pierre de Chevry est inhumé dans la chapelle Saint Martin qui était ouverte sur le transept nord de l'abbatiale et qu'il avait fait rebâtir. En effet les travaux de reconstruction en style « gothique » du chœur et du chevet de l'église qui atteint désormais 86 mètres de longueur sont achevés vers 1281.
Vers 1358, pendant la guerre de Cent Ans, l'abbaye héberge les troupes du Dauphin, futur roi Charles V. Des fortifications sont entreprises, dont il reste aujourd'hui la tour occidentale, dite « tour Rabelais ».
En janvier 1378 l'empereur Charles IV du Saint-Empire, roi de Bohême, vient de Prague rendre visite à son neveu Charles V de France et fait un pèlerinage à Saint-Maur pour y guérir de la goutte. Il réside à l'Abbaye avec son fils et héritier Venceslas et y rencontre le roi de France les 12 et 15 janvier. En 1430 les Armagnacs puis les Anglais s'emparent successivement de l'abbaye et la pillent. Au XVe siècle, le logis de l'abbé à l'Abbaye est le théâtre de la signature de deux traités :
En 1858-1861 un propriétaire des lieux Édouard Bourières réunit les différentes parties du site, il fait fouiller le bas-côté de l'église abbatiale et la crypte romane. Il transforme les écuries des chanoines en une curieuse villa néo-renaissance qui subsiste encore. Le domaine qui était passé au sénateur Adolphe Maujan est cédé aux sœurs dominicaines qui l'occupent de 1920 à 1958 avant de le revendre à la Caisse des Dépôts. Le site est enfin racheté par la ville de Saint-Maur en 1962.
Aujourd'hui, l'abbaye n'existe plus et a laissé place à un square au coin de l'avenue de Condé et de la rue de l'abbaye. Quelques ruines subsistent, telles : la tour Rabelais, la villa Bourières du XIXe siècle ou encore d'anciennes fortifications. Les vestiges de l'abbaye sont classés au titre des monuments historiques depuis le [14].
Explorations archéologiques
La fouille réalisée en 1861 à l'initiative de l'ancien propriétaire Bourières est la première d'une série d'interventions plus ou moins bien réalisées et documentées sur l'ancien site abbatial, dans l'enceinte de l'actuel parc ou au nord, aujourd'hui occupé par un Institut médico-éducatif et une maison de retraite. Les explorations archéologiques ou découvertes fortuites ont été menées par différents intervenants (associatifs du Vieux-Saint-Maur ou d'autres associations archéologiques locales, Commission du Vieux-Paris, archéologues départementaux ou missionnés par le Service archéologique de l'Etat) tout au long du XXe siècle[15].
L'église abbatiale fit l'objet de plusieurs interventions successives qui permirent notamment de dégager des sépultures carolingiennes, des inhumations en coffrage de pierre des XIe – XIIIe siècles et les murs de l'avant-nef en 1933 et 1982[15], un carrelage de carreaux vernissés du XIIIe siècle sur le nord du chœur en 1933 et 1967[16]. Le nord du chœur et de la nef de l'abbatiale furent mis au jour lors de sondages réalisés en 1958-1959 et surtout en 1988. Ces derniers, les premiers à explorer méthodologiquement l'ensemble de la stratigraphie du site, permirent de mettre au jour des niveaux de l'âge du Fer, bien antérieurs à l'installation de l'abbaye, quelques niveaux attribuables au haut Moyen Âge dont une fosse carolingienne, mais également les traces d'un bâtiment à contreforts du XIe siècle (en partie observé dès 1983-1984), dont la fonction est indéterminée, au nord du chœur de l'abbatiale[15].
L'abside primitive de la chapelle Notre-Dame-des-Miracles fut mise au jour en 1967-1968. Le nord de la nef de cet édifice encore partiellement en élévation fut exploré en 1970-1972. La nef de la chapelle fut en partie fouillée entre 1980 et 1982[17] à la suite de la découverte d'une urne funéraire, livrant le dallage et les bases à griffes des colonnes de l'édifice à abside roman du XIIe siècle. Cette fouille permit la mise au jour d'un sol de carreaux vernissés du XIVe siècle fonctionnant avec un nouveau chevet plat remplaçant l'ancienne abside romane semi-circulaire. Ce sol fut par la suite rehaussé par un perron, puis abandonné et remplacé par un dallage, percé de quelques inhumations.
Le logis abbatial et une partie des communs furent observés en 1966 lors d'une surveillance des travaux de construction d'une maison de retraite[15].
Le cloître, dont le décor est en partie connu par une collection lapidaire (trois statues-colonnes et deux chapiteaux jumelés[18]) fut exploré lors des sondages réalisés en 1988[15].
Le cimetière oriental, situé hors de l'enceinte mise en place au XIVe siècle, fut exploré en 1966-1969, 1970-1972 puis en 1983, livrant des sépultures des XIe – XIIIe siècles, utilisant comme dans l'avant-nef des coffrages de pierre dont certains comportant des aménagements céphalomorphes[15].
Les abbés de la fin du VIIe siècle et du VIIIe siècle, de Madobode à Optat, sont très douteux. Selon la Gallia Christiana « on n'a aucun détail sur leurs personnes et l'on ne connait même pas l'ordre chronologique dans lequel ils auraient été abbés »[19].
L'Abbaye est sécularisée en 1533 au profit de l'Évêché puis Archevêché de Paris et elle devient une collégiale. Ses huit ou neuf derniers moines sont remplacés en 1536 par un chapitre de neuf chanoines.
Le Christophe de Beaumont signe l'acte de suppression de la collégiale de saint-Maur et autorise la démolition de l'église abbatiale et des lieux claustraux.
Source : Gallia Christiana
Parc de l'abbaye
Le parc de l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés est l'un des espaces verts les plus importants de la ville.
Il est régulièrement utilisé pour des événements festifs, notamment : le festival « Courts dans l'Herbe » (2005 à 2009), « Saint-Maur Médiéval » qui a lieu tous les ans au mois de mai, ainsi que les Journées Européennes du Patrimoine organisées chaque année au mois de septembre.
Titres, propriétés et revenus
Prise à bail emphytéotique par Nicolas Lecamus, marchand épicier-apothicaire, bourgeois de Paris, d'une maison dans cette ville, grand-rue Saint-Antoine, appartenant à l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés, moyennant 16 l.t. de loyer annuel ; ce bail ne prendra effet qu'à partir du décès des héritiers de Guillaume Riffault, boulanger à Paris, et de Guillaume Riffault, sergent à cheval[21].
Notes et références
↑ Jean Heuclin Hommes de Dieu et fonctionnaires du roi en Gaule du nord du Ve au IXe siècle (348-817) « Histoire » Presses Universitaires du Septentrion, Paris 1998 (ISBN2859395512) p. 158
↑Henri Bordier. « Deux chartes inédites du VIIIe siècle, relatives à l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés ». Dans : Bibliothèque de l'école des chartes. 1850, tome 11. p. 56-65.
↑ a et bJean-Charles Picard, «Un monde rural s'édifie» dans Alain Croix (dir.) Histoire du Val-de-Marne. Messidor/Conseil général du Val-de-Marne, 1987, p. 49 (ISBN2-209-05955-0).
↑ ab et cSelon la Vita de Bouchard le Vénérable composée à Saint-Maur en 1058 par le chancelier Eudes de Saint-Maur.
↑Dominique Barthélemy, La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle Fayard 1993, (ISBN2213030715) p. 291.
Sur les traces du comte Bouchard : dominations châtelaines à Vendôme et en Francia vers l'an Mil, Acte du colloque Hugues Capet 987-1987. La France de l'an Mil, Paris - senlis, 22-25 juin 1987, Paris, 1992, éd. Picard, (ISBN2-7084-0420-2) p. 99-109.
↑André Kaspi et Joëlle Conan, Saint-Maur-des-Fossés. Quand la banlieue peut avoir une âme, Paris, Découvertes Gallimard Histoire, 2010 (ISBN9782070437306) p. 15.
↑Jacques Hillairet, Gibets, piloris et cachots du vieux Paris, Paris, éditions de Minuit, , 338 p., p. 240
↑Jean de La Tynna : Dictionnaire topographique, étymologique et historique des rues de Paris (1817)
↑ il aurait endetté l'abbaye ce qui a provoqué une réorganisation de la communauté à la demande du roi Saint Louis
↑Jacques-Antoine Dulaure, Histoire physique, civile et morale de Paris, Paris, Furne & Cie, Libraires-éditeurs, , tome 2, page 123.
↑Accusé d'apostasie et d'irrégularité, Rabelais est absous par le pape mais, par le bref de Paul III de 1536, doit s'engager à regagner un monastère bénédictin de son choix et à ne plus pratiquer d'opérations chirurgicales. Le cardinal du Bellay lui offre de le recevoir dans le monastère dont il est l'abbé. Or, comme l'abbaye est devenue un chapitre de chanoines juste avant que Rabelais n'y vienne, une nouvelle dispense doit être demandée au pape pour régler ce problème de dates, et permettre à Rabelais de retrouver sa liberté en toute légalité.
↑ abcde et fStéphane Ardouin, David Coxall, Sophie Benhaddou, Pascale Chardron-Picault et Philippe Huard, « L'abbaye médiévale de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), état des connaissances archéologiques », Actes du colloque de Créteil, Revue archéologique d'Ile-de-France, supplément n°3, , p. 175-190 (ISSN2101-3608)
↑Pierre Gillon, Le pavement du XIIIe siècle du collatéral nord du chœur de l'abbatiale de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), dans J. Chapelot, O. Chapelot,B. Rieth, Terres cuites architecturales médiévales et modernes en Ile-de-france et dans les régions voisines, Caen, Publications du CRAHM, , 456 p. (ISBN978-2-902685-63-9), p. 103-122
↑Stéphane Ardouin et Philippe Huard, Le carrelage médiéval de la chapelle Notre-Dame des Miracles (abbaye de Saint-Maur des Fossés, Val-de-Marne), dans J. Chapelot, O. Chapelot,B. Rieth, Terres cuites architecturales médiévales et modernes en Ile-de-france et dans les régions voisines, Caen, Publications du CRAHM, , 456 p. (ISBN978-2-902685-63-9), p. 123-137
↑Barbara Dirlam, Les sculptures médiévales de Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Maur-des-Fossés, Société d'histoire et d'archéologie Le Vieux Saint-Maur, , 166 p., p. 56-62, 85-87
↑ H. Fisquet La France Pontificale Paris, tome Second, E Repos Libraire-Éditeur, p. 153.
↑45 - 1483, 27 juin. Donation par Girard de Mauny, abbé de Saint-Maur-des-Fossés, aux
religieux de son abbaye, des seigneuries de Sceaux-du-Gâtinais, Ouestre en Beauce et la Brosse en Brie, pour se décharger de la nourriture (œufs, harengs, potage et sel) qu'il devait leur fournir.MC/ET/XIX/1. Minutier central des notaires de Paris
↑440. 1487 (n.st.), 7 avril. MC/ET/XIX/1, Minutier central des notaires de Paris, (Au dos du n° 184).
Notes
↑Selon Jacques-Antoine Dulaure, le traité a été conclu en l’abbaye Saint-Antoine-des-Champs. Après la trahison de la trêve, une croix fut érigée, découverte en 1562, « au lieu que l’on appelle le fossé des trahisons derrière Saint-Antoine-des-Champs »[12].
Annexes
Bibliographie
« Saint-Maur des Fossès, mil cent onze ans d'histoire », Société d'Histoire et d'Archéologie le Vieux Saint-Maur, 1973 réédition de 1981.
André Kaspi et Joëlle Conan, Saint-Maur-des-Fossés. Quand la banlieue peut avoir une âme, Paris, Découvertes Gallimard Histoire, 2010 (ISBN9782070437306).
Émile Galtier, Histoire de Saint-Maur-Des-Fossés depuis les origines jusqu'à nos jours. L'Abbaye, le château, la ville, Paris, Librairie Ancienne Edouard Champion, 1913. Rééditions 1927 et 1964.
Anne Terroine, Un abbé de Saint-Maur au XIIIe siècle, Pierre de Chevry, 1256-1285, avec « l'édition des plus anciens cas de justice de Saint-Maur-des-Fossés… », Paris, С. Klincksieck, 1968.
Eudes de Saint Maur, Vita Burchardi, c. 7, éd. de La Roncière.
Dominique Barthélémy, Fidèle entre les fidèles pendant le règne d'Hugues Capet. Sur les traces du comte Bouchard : dominations châtelaines à Vendôme et en Francia vers l'an Mil, Acte du colloque Hugues Capet 987-1987, La France de l'an Mil, Paris-Senlis, 22- ; Paris, Éd. Picard, 1992.