Le réseau ferroviaire de l’Alsace et de la Moselle est un réseau de chemin de fer spécifique du fait de sa situation géographique, une zone frontière au cœur de l'Europe, et de son histoire indissociable des grands conflits des XIXe et XXe siècles et de leurs conséquences sur son territoire qui alterne des périodes d'administration allemande et française. Le territoire couvert par ce réseau correspond à la collectivité européenne d'Alsace et au département de la Moselle, soit le territoire de l'ancien Reichsland Elsaß-Lothringen.
Ce réseau présente la particularité d'avoir une circulation des trains à droite et les signaux implantés également à droite.
Sa longueur développée a presque triplé durant cette période. De 862 km de lignes en 1871, le réseau compte 1 803 km de lignes à voie normale et 80 km de lignes à voie étroite à la veille de la Première Guerre mondiale. Les normes allemandes faisaient (et font toujours) rouler les trains à droite.
Au début du XXe siècle, la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS) exploite également de nombreuses lignes de tramway interurbaines. Ce réseau, appelé le suburbain, comptait à son apogée une centaine de kilomètres de lignes à voie métrique dans sa partie alsacienne. D'autres lignes à voie étroite, exploitées par des compagnies locales ou par l'EL, existent dans le sud de la Moselle et aux alentours de Colmar.
Cette période voit aussi le développement d'importants réseaux ferroviaires industriels privés comme ceux des Houillères de Lorraine ou des Mines de potasse d'Alsace. L'administration forestiere entreprend pour sa part la réalisation de chemins de fer forestiers dans le massif des Vosges (Abreschviller, Barr, Schirmeck).
Le 1er janvier 1938, l'AL devient l'une des composantes de la nouvelle Société nationale des chemins de fer français (SNCF). Les réseaux de l'AL et de la Compagnie des chemins de fer de l'Est constituent alors la nouvelle région Est de la SNCF.
Le 15 juillet 1940, les autorités allemandes informent la SNCF que les installations ferroviaires de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin dépendent dorénavant des directions régionales de la Deutsche Reichsbahn (DR) établies à Mayence et à Karlsruhe. Le 15 août 1940, la SNCF est définitivement chassée du réseau. Le territoire étant officieusement annexé au Reich, les anciennes gares frontières de la période 1871-1918 sont remises en service[2].
La Moselle vit circuler les dernières locomotives à vapeur de la SNCF en service commercial. La toute dernière fut la 141 R 73 du dépôt de Sarreguemines le 29 mars 1974[3].
Situation actuelle
De nos jours, deux gares de la Moselle sont gérées et exploitées par les chemins de fer luxembourgeois : les gares de Volmerange-les-Mines et d'Audun-le-Tiche.
En 2015, les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin comptent environ 120 gares ouvertes au service des voyageurs et une soixantaine d'installations terminales embranchées pour 5 millions de tonnes de marchandises transitant par le rail annuellement. La gare de Strasbourg-Ville est la troisième gare de province avec 12 millions de voyageurs par an[4].
Le réseau de l'AL offre, par rapport aux autres réseaux ferroviaires français de la même époque, quelques particularités.
Il comptait (et compte encore aujourd'hui) cinq importants nœuds ferroviaires : Metz (jusqu'à 6 directions, 3 de nos jours), Sarrebourg - Réding (jusqu'à 5 directions, 4 de nos jours), Strasbourg (5 directions), Colmar (jusqu'à 7 directions, 5 de nos jours) et Mulhouse (5 directions).
Son étendue n'est pas très importante, un peu plus de 2 320 kilomètres en 1937, et ne comporte que peu de lignes principales : Strasbourg - Mulhouse - Bâle (ligne 3), section Strasbourg - Nouvel-Avricourt de la ligne Paris - Strasbourg (ligne 1) et Luxembourg - Metz - Strasbourg (ligne 3 Nord). Le reste du réseau est constitué essentiellement de petites lignes secondaires, souvent en impasse. Les vitesses maximales relevées sont de ce fait peu importantes.
Il en découle un parc vapeur caractéristique avec peu de locomotives de vitesse (type S) et un nombre important de locomotives-tender (type T) mixtes pour trafic voyageurs et marchandises.
Maillon essentiel du chemin de fer en Europe, il est relié aux réseaux ferrés allemand, luxembourgeois, suisse et bien entendu français.
Sens de circulation des trains et signalisation
Étant constitué sur les bases d'un réseau ferré allemand, il en garde de fortes caractéristiques : signalisation de type unifiée allemande, gabarit plus généreux, matériel pour l'essentiel de conception prussienne.
Les trains roulent du côté droit sur les lignes à double voie en Alsace et en Moselle depuis l'annexion de 1870 alors qu'ailleurs en France, ils roulent du côté gauche. En effet le réseau a été largement construit pendant la période de l'annexion et l'harmonisation ne s'est pas faite après la fin de Première Guerre mondiale car le chantier de transformation aurait été trop coûteux[5],[6]. Lors de la construction de la ligne à grande vitesse Est, cette pratique est conservée avec des inversions de sens par des sauts-de-mouton, comme par exemple au niveau du raccordement de Baudrecourt, mais l'uniformisation des sens de circulation sur le réseau national n'est pas retenue car les avantages qui auraient pu en résulter ont été jugés sans commune mesure avec les investissements considérables qu'il aurait fallu réaliser[7].
Le réseau disposait d'une signalisation ferroviaire qui lui était spécifique. Adoptée par l'EL en 1907 puis reprise par l'AL, celle-ci perdurera en l'état jusqu'en 1936 date à laquelle fut adoptée le code Verlant mettant en place une signalisation unifiée sur l'ensemble du réseau ferré national mais qui ne fera qu'adapter les signaux mécaniques existant[8]. La modernisation enclenchée dans les décennies suivantes avec l'apparition des signaux lumineux supprime progressivement l'ancienne signalisation[9].
La différence de conception entre la signalisation ferroviaire des voies ferrées allemandes et françaises (ces dernières inspirées par les anglaises) est liée au sens de circulation des trains sur les lignes à double voie (ou au niveau des voies d'évitement).
Par exemple, les signaux sont posés dans le sens "lisible" du côté où roulent les trains.
Considérant qu'à l'époque il y avait sans doute d'autres priorités, les autorités ont donc préféré laisser les choses telles quelles et installer des dispositifs spécifiques sur les quelques points d'interconnexion entre les deux réseaux : sauts-de-mouton entre Audun et Fontoy sur la ligne Longuyon-Thionville, à Rombas sur la ligne Conflans-Jarny - Hagondange, entre Metz et Ars-sur-Moselle, près de Imling entre Héming et Sarrebourg ou rebroussement et changement de côté dès Mulhouse vers Belfort (il y avait un saut-de-mouton à Illfurth sur la ligne Belfort-Mulhouse). La LGV Est change de sens à Vendenheim et il y a un saut-de-mouton dans le raccordement à double voie de Baudrecourt.
Les gares
Il ne reste que peu de gares datant de l'époque de la Compagnie du chemin de fer de Strasbourg à Bâle. Celles-ci comportaient le plus souvent un étage et des ouvertures arrondies. Elles étaient réalisées en maçonnerie.
Les bâtiments des chemins de fer impériaux d'Alsace-Lorraine, essentiellement les gares, ont fait l'objet d'une conception particulièrement soignée : ils étaient « l'image et la vitrine » de l'Empire allemand aux portes de la France. Il en résulte un style caractéristique empreint de néo-classique et d'influences néo-roman et néo-renaissance ainsi que des gares monumentales.
À partir de l'annexion de 1871, la politique ferroviaire de l'Empire allemand aboutit à l'accès de nombreuses communes, quelle que soit leur taille et leur population, au transport par train. De nombreuses gares sont construites ou reconstruites, parfois l'administration allemande poursuivra la mise en place de gares déjà amorcée par la France auparavant comme à Sarreguemines. Environ 350 gares et haltes ont été construites par les chemins de fer impériaux d'Alsace-Lorraine[10].
Malgré des différences d'envergure, de lieu et d'époque, les gares « impériales » allemandes en Alsace-Moselle sont très reconnaissables, leur apparence standardisée tend à montrer une image de la modernité industrielle. Le bâtiment voyageurs est bâti en pierres de taille ou en grès des Vosges. Parfois munie d'un grand porche, la gare est quasi-constamment flanquée d'une tour-horloge rectangulaire surnommée « donjon ».
Les villes les plus importantes du Reichsland se voient munies de gares beaucoup plus impressionnantes et singulières. Dessinées par des architectes de renom, elles répondent aux exigences de leur temps. En 1878, à Strasbourg, ce sont la modernité et l'espace qui priment, avec un style néo-renaissance plutôt européen, tandis que trente ans plus tard, sous Guillaume II, à Metz, c'est la germanisation de la ville qui est aussi mise en avant avec un style néo-roman rhénan affiché. De son côté, la gare de Colmar, avec son style néo-renaissance en briques rouges, fait écho à celle de Gdańsk (alors Dantzig) à l'autre bout de l'empire et construite quelques années plus tôt.
Les installations annexes comme les postes d'aiguillage, rotondes, gares aux marchandises et châteaux d'eau bénéficient également d'une conception remarquable. Ces gares centrales étant souvent les têtes de pont d'un important nœud ferroviaire urbain, on compte de multiples haltes de moindre envergure, triages ou gares aux marchandises : plus de cinq à Strasbourg et à Metz. Leur conception également est souvent plus singulière que les gares impériales du réseau alsacien-lorrain mais la plupart du temps en lien avec la gare centrale.
À l'époque du Reichsland, tous les trains français avaient pour terminus la monumentale gare frontière de Nouvel-Avricourt (à l'époque Deutsch-Avricourt), en Moselle, ou un changement de train s'avérait nécessaire. Une autre gare frontière importante était celle de Montreux-Vieux dans le Haut-Rhin. Enfin, la gare frontière de Chambrey, sur la ligne aujourd'hui déclassée et déposée reliant Nancy à Château-Salins, était également remarquable malgré sa taille plus modeste. Une autre gare frontière, de moindre importance, était celle d'Amanvillers sur la ligne aujourd'hui partiellement déclassée de Conflans - Jarny à Metz. Cette dernière gare fut détruite durant la Seconde Guerre mondiale.
André Linard, Sarrebourg parle de sa gare : Sarrebourg, Moselle, Sarrebourg : Société d'histoire et d'archéologie de Lorraine, impr. 2008, coll. « Documents / Société d'histoire et d'archéologie de Lorraine », 1998 mis à jour en 2007, 191 p. (ISBN978-2-909433-42-4)