L'opéra, comme la pièce de Maeterlinck, est une transposition du mythe de Tristan et Yseult : deux jeunes gens sont irrésistiblement amoureux; leur amour est interdit par la présence d'un mari âgé et violemment jaloux et ne peut s'accomplir que dans la mort.
Debussy a déclaré :
« J'ai voulu que l'action ne s'arrêtât jamais, qu'elle fût continue, ininterrompue. La mélodie est antilyrique. Elle est impuissante à traduire la mobilité des âmes et de la vie. Je n'ai jamais consenti à ce que ma musique brusquât ou retardât, par suite d'exigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle s'efface dès qu'il convient qu'elle leur laisse l'entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur. »
Marins en coulisses (un chœur mixte), femmes de service et trois pauvres
C’est le choix de la cantatrice écossaise Mary Garden (1874-1967), souhaitée par Debussy et soutenue par le directeur de l’Opéra-Comique, Albert Carré (1852-1938), qui brouilla définitivement le musicien avec Maeterlinck qui voulait imposer sa maîtresse, Georgette Leblanc, lors de la création de l’opéra.
En collaboration avec le décorateur Ronsin, l'atelier Lucien Jusseaume réalise les décors pour la création[6].
Déroulement
Premier acte
Scène 1 : Une forêt
Je ne pourrai plus sortir de cette forêt… Dieu sait jusqu'où cette bête m'a mené… (Golaud - Mélisande)
Pourquoi pleures-tu ? (Golaud - Mélisande)
Qu'est-ce qui brille… (Golaud - Mélisande)
Oh ! vous avez déjà des cheveux gris… (Mélisande - Golaud)
Golaud rencontre dans une forêt Mélisande en pleurs. Elle est très timide et paraît triste mais ne trahit toutefois pas la raison de son comportement. Golaud l'emmène avec lui.
Scène 2 : Un appartement dans le château
Voici ce qu'il écrit à son frère Pelléas (Geneviève)
Je n'en dis rien (Arkel - Geneviève)
Il avait toujours suivi mes conseils… (Arkel)
Grand-père… (Pelléas - Geneviève - Arkel)
Dans le château, Golaud écrit une lettre à son demi-frère Pelléas. Celui-ci doit introduire une recommandation au roi Arkel afin que Golaud puisse rentrer après six semaines de voyage par mer avec sa deuxième femme Mélisande. La lettre est apportée à Arkel par Geneviève. Pelléas veut quitter le château à cause d'un ami qui est sur le point de mourir. Arkel avait choisi à l'origine une autre femme comme épouse pour Golaud mais soutient toutefois son nouveau choix et son retour.
Scène 3 : Devant le château
Il fait sombre dans les jardins (Mélisande - Geneviève - Pelléas)
Il est temps de rentrer… (Geneviève - Mélisande - Pelléas)
Ne fais pas de bruit… (Golaud - Yniold)
Pelléas doit toutefois rester. Geneviève familiarise Mélisande avec son nouvel environnement. Mélisande craint l'obscurité du château et de sa forêt proche. Des voix sont entendues qui proviennent d'un navire en partance. Pelléas et Mélisande se rencontrent.
Deuxième acte
Scène 1 : Une fontaine dans le parc
Pelléas conduit Mélisande à la fontaine des aveugles dont l'eau permet de retrouver la vue. Mélisande laisse tomber la bague de Golaud dans le puits. À la même seconde, Golaud, dans un autre lieu, tombe de cheval et se blesse.
Interlude I, pour orchestre
Scène 2 : Un appartement dans le château
Ah ! ah ! tout va bien… (Golaud)
Voulez-vous un peu d'eau… (Mélisande - Golaud)
Voyons; sois raisonnable, Mélisande. Que veux-tu que je fasse ?… (Golaud - Mélisande)
Tiens, où est l'anneau… (Golaud - Mélisande)
Il remarque que la bague n'est plus là, Mélisande prétend l'avoir perdue dans une grotte. Golaud l'envoie la chercher et ordonne à Pelléas d'aller avec elle.
Scène 3 : Devant une grotte
Oui, c'est ici (Pelléas - Mélisande)
Vous ne savez pas… (Pelléas - Mélisande)
Pelléas et Mélisande se heurtent dans la sombre grotte à trois misérables formes, sont confrontés à la maladie et à la famine et s'enfuient.
Interlude II, pour orchestre
Troisième acte
Scène 1 : Une des tours du château. Un chemin de ronde passe sous les fenêtres de la tour
Mes longs cheveux… (Mélisande)
Holà ! Holà ! ho… (Pelléas - Mélisande)
Il fait beau cette nuit… (Mélisande-Pelléas)
Je me penche… (Mélisande - Pelléas)
Je ne te donne pas ma main… (Mélisande - Pelléas)
Je vois une rose… (Mélisande - Pelléas)
Je les tiens dans mes mains… (Pelléas - Mélisande)
Je les noue aux branches du saule (Pelléas - Mélisande)
Que faites vous ici ? (Golaud)
Mélisande est à la fenêtre et peigne ses cheveux dénoués. Pelléas vient au pied de la tour, s'extasie devant la longue chevelure de Mélisande, s'enroule dedans. Les cheveux de Mélisande s'emmêlent aux branches. Golaud arrive, et surprend la scène. « Vous êtes des enfants » dit-il.
Scène 2 : Les souterrains du château
Prenez garde… (Golaud - Pelléas)
Golaud a entraîné Pelléas dans les souterrains du château.
Scène 3 : Une terrasse au sortir du château
Ah ! je respire enfin… (Pelléas)
Oui elles se sont réfugiées (Golaud)
En remontant à la surface, Golaud ordonne à Pelléas d'éviter Mélisande.
Interlude III, pour orchestre
Scène 4 : Devant le château, sous la fenêtre de Mélisande
Viens, nous allons nous asseoir ici (Golaud - Yniold)
Pelléas et petite-mère… (Golaud - Yniold)
Sous les fenêtres de Mélisande, Golaud interroge son fils d'un premier mariage, Yniold : « Pelléas et Mélisande sont-ils souvent ensemble ? De quoi parlent-ils ? S'embrassent-ils ? ». Golaud hisse son fils jusqu'à la fenêtre de la chambre où se trouvent Pelléas et Mélisande et lui demande ce qu'ils font (ils sont immobiles et silencieux et regardent la lumière). Yniold s'effraie. Golaud l'entraîne.
Quatrième acte
Scène 1 : Un appartement dans le château
Où vas-tu ?… (Pelléas - Mélisande)
Pelléas, qui va quitter le château, donne pour le soir à Mélisande un dernier rendez-vous dans le parc, près de la fontaine.
Scène 2 : Un appartement dans le château
Maintenant que le père de Pelléas est sauvé (Arkel)
As-tu peur de mes vieilles lèvres… (Arkel - Mélisande - Golaud)
Une grande innocence… (Golaud)
Ne mettez pas votre main à la gorge (Golaud - Arkel - Mélisande)
Si j'étais Dieu j'aurais pitié du cœur des hommes (Arkel)
Arkel, à qui Mélisande vient rendre visite, exprime à la jeune femme son affection et sa pitié. Golaud survient, blessé au front, et refuse que sa femme le soigne. Il lui réclame son épée, la traîne par les cheveux et la jette à terre.
Interlude IV, pour orchestre
Scène 3 : Une fontaine dans le parc
Oh ! cette pierre est lourde (Yniold - Le Berger)
Yniold essaye de récupérer sa balle d'or coincée dans un rocher et observe un troupeau de moutons.
Scène 4 : le même lieu
C'est le dernier soir… (Pelléas - Mélisande)
Nous sommes venus ici… (Mélisande - Pelléas)
Tu ne sais pas pourquoi… (Pelléas - Mélisande)
Où es-tu ?… (Pelléas - Mélisande)
Quel est ce bruit ?… (Pelléas - Mélisande)
Écoute ! (Pelléas - Mélisande)
Oh ! oh ! Je n'ai pas de courage ! (Mélisande)
Pelléas entre, suivi de Mélisande. C'est le dernier soir. Pelléas et Mélisande échangent un baiser en s'avouant leur amour. On ferme les portes du château : ils se retrouvent empêchés d'entrer. Golaud surgit par derrière un arbre, et frappe Pelléas à mort qui tombe près de la fontaine, tandis que Mélisande s'enfuit.
Cinquième acte
Scène unique : Une chambre dans le château
Ce n'est pas de cette petite blessure (Le Médecin - Arkel - Golaud - Mélisande)
Comment te trouves-tu ? (Arkel - Mélisande - Golaud)
Mélisande, as-tu pitié de moi ? (Golaud - Mélisande)
Où es-tu ? Mélisande ! (Golaud - Arkel - Mélisande)
Qu'y a-t-il ? (Golaud - Le Médecin - Arkel)
Qu'y a-t-il ? (Le Médecin - Arkel)
Golaud a blessé légèrement Mélisande. Elle a mis au monde une petite fille. Elle a déliré plusieurs jours durant et est mourante à présent. Golaud lui demande pardon et tente, en vain, de lui faire avouer qu'elle fut coupable. Mélisande meurt doucement, en silence.
Première et réception
Depuis le soir de où Debussy a assisté à la représentation de la pièce, il s'est écoulé presque dix ans. La générale, le , qui se déroule en public et salle pleine, donne lieu à réactions et controverses : des rires, des « conversations fiévreuses » — mais nulle présence ou intervention de la police comme on a pu le lire. Le musicologue Denis Herlin cite entre autres l'agenda d’Henri Büsser : « Peu de protestations. […] Debussy est dans le cabinet de Messager où il reçoit visites et félicitations. » Et dans le journal de Büsser, où ce dernier est plus nuancé : « Debussy s’est réfugié dans le bureau de Messager et fume nerveusement cigarette sur cigarette. Conseil de guerre avec Albert Carré et Messager. Nous sommes atterrés de l’accueil fait particulièrement au troisième acte. On a ri quand Mélisande dit : “Je ne suis pas heureuse”, après la scène où Golaud la traîne par les cheveux[8]. »
Dès le lendemain de cette générale — donc la veille de la première —, la censure fait couper des parties de la scène 4 de l'acte 3.
Henri Büsser écrit dans son journal à propos de la première :
« La première représentation reçoit du public un meilleur accueil : trois et quatre rappels par acte. La scène du petit Yniold soulève encore quelques murmures, vite apaisés. Salle enthousiaste pour les deux derniers actes. »
Cette incompréhension n'empêche pas le succès : « Pelléastres » et « contrapuntistes » s'affrontent. Debussy déclare :
« Je ne crois plus à l'omnipotence de votre sempiternel do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. Il ne faut pas l'exclure mais lui donner de la compagnie depuis la gamme à six tons jusqu'à la gamme à vingt et un degrés… Avec les vingt-quatre demi-tons contenus dans l'octave, on a toujours à sa disposition des accords ambigus qui appartiennent à trente-six tons à la fois. »
Vincent d'Indy salue et défend Pelléas dans son article de juin 1902 dans la revue L’Occident :
« Quoi qu’il en soit, à quelque genre qu’on veuille ou ne veuille pas rattacher Pelléas et Mélisande, que résulte-t-il de l'audition pour tout esprit débarrassé du parti pris ?…, la sensation d'une très belle œuvre d'art que l'on peut ne pas comprendre tout d'abord — c'est le cas, je l'ai expliqué, de la plupart de critiques professionnels et aussi de bon nombre de musiciens — mais qui n'en éveille pas moins dans l’âme ce frémissement, constatation de beauté, que connaissent bien ceux dont l'enthousiasme artistique n'est point atrophié, et aussi le désir de réentendre, sûr garant de la valeur d'une œuvre[9]. »
Bien que les autres œuvres de Debussy soient dans le domaine public dans le monde entier, Pelléas et Mélisande est resté protégé jusqu'en 2020 dans l'Union européenne et les autres pays appliquant un délai de 70 ans posthume, le livret étant de Maurice Maeterlinck (mort en 1949).
Adaptation
Le compositeur et chef d'orchestre Marius Constant a adapté l'œuvre en 1983 sous la forme d'une suite symphonique[10],[nb 1].
Notes et références
Notes
↑Durée : 24 min.; première audition : mai 1983, Paris / Opéra national de Paris, Opéra–Comique, Orchestre de l'Opéra national de Paris, direction : Marius Constant.
↑Henri Busser, De Pelléas aux Indes galantes : de la flûte au tambour, Paris, Fayard, 1955, p. 113-114.
↑« Pelléas et Mélisande » cent ans après : études et documents, sous la direction de Jean-Christophe Branger, Sylvie Douche et Denis Herlin, Lyon, Symétrie, 2013, p. 499-502 (ISBN978-2-914373-85-2).
Edward Lockspeiser (biographie) et Harry Halbreich (analyse de l'œuvre) (trad. de l'anglais par Léo Dilé, biographie), Claude Debussy, Paris, Fayard, coll. « Bibliothèque des grands musiciens », (1re éd. 1962 (Lockspeiser)), 823 p. — biographie : 7-529 et œuvre : 533-748 (OCLC730042487, BNF34675767), p. 239–254 ; 701–723.
« Pelléas et Mélisande », dans Kobbé, Harewood et Antony Peattie (trad. de l'anglais par Marie-Caroline Aubert, Denis Collins et Marie-Stella Pâris), Tout l'opéra, de Monteverdi à nos jours, Paris, Laffont, coll. « Bouquins », (réimpr. 1988, 1991, 1999) (1re éd. 1982), 1 065 p. (ISBN2221088808, OCLC51957694), p. 188–191.
Denis Herlin, Jean-Christophe Branger et Sylvie Douche (dir.), Pelléas et Mélisande cent ans après : études et documents, Symétrie, coll. Symétrie Recherche, Lyon, 2012 (ISBN2-914373-85-6).