Claudio Abbado, né le à Milan, est le fils du violoniste et pédagogue Michelangelo Abbado[2] et de Maria Carmela Savagnone, pianiste et auteur de livres pour enfants.
Formation
Claudio Abbado naît à Milan dans une famille[3] de musiciens qui compte quatre enfants. Son père, Michelangelo Abbado, est violoniste et professeur au Conservatoire ; sa mère, Maria Carmela Savagnone, est pianiste et auteur de livres pour enfants ; son frère aîné, Marcello, est pianiste et directeur du Conservatoire, de 1973 à 1996[4] ; sa sœur est violoniste. « La figure toute-puissante de mon enfance était surtout mon grand-père [maternel][5], Guglielmo Savagnone (1867-1956). Il enseignait à l’université de Palerme l’histoire de l’antiquité et apprenait presque chaque année une nouvelle langue ; ainsi était-il, à mes yeux du moins. C’était un être extraordinaire. Il a par exemple traduit l’Évangile de l’araméen » (ce qui constitue une curieuse assertion de la part du futur chef d'orchestre, puisque tous les Évangiles canoniques ont été écrits en grec). À ce moment, Abbado ajoute, tout aussi curieusement et assez naïvement (se fiant uniquement aux dires de son grand-père) : « Aussi n’a-t-il pas tu le passage où l'on parle des frères du Christ. Il en a été excommunié par l'Église ». Cette information doit être prise avec beaucoup de réserve, les « frères » et « sœurs » du Christ apparaissant de toute façon dans trois des quatre Évangiles retenus par l'Église (ceux de Matthieu, Marc et Luc). Claudio Abbado ajoute : « Je crois qu’il en était assez fier. Je me souviens de longues promenades dans la montagne avec lui, au cours desquelles j’ai incroyablement appris – pour la vie, comme on dit si bien. »[6]
À l'âge de sept ans, il assiste à son premier concert :
« J'avais sept ans; nous étions à la veille de la guerre quand j'ai assisté, grâce à mon frère, au premier concert de ma vie : il était donné à la Scala par un grand artiste, Antonio Guarnieri, qui dirigeait les trois Nocturnes de Claude Debussy. Quand, dans Fêtes, le deuxième mouvement, j'ai entendu sonner les trompettes et les bois, j'ai ressenti un choc magique, inoubliable. Avec ma naïveté d'enfant, je me suis dit : “Un jour, toi aussi, tu seras capable de créer ces fabuleuses harmonies”. Cette révélation devait se transformer en une irrésistible vocation. Aujourd'hui encore, je voue à Debussy une admiration sans limite : je ne serais peut-être pas devenu ce que je suis sans Fêtes. »
— interview de Claudio Abbado par Robert Parienté en 2002, in La Symphonie des chefs[7]
Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses parents, foncièrement antifascistes, font acte de résistance; sa mère est torturée et emprisonnée pour avoir aidé une famille juive à échapper à la déportation; le jeune Claudio écrit “Viva Bartók” sur les murs des édifices publics en signe de dissidence[8] (en 1940, la mort dans l'âme, le grand compositeur national hongrois avait quitté la Hongrie, pour aller vivre aux États-Unis, à une époque où la guerre avait commencé, et où Hitler et Staline étaient alliés). Son orientation politique et artistique est conditionnée par cette résistance aux dictatures, et d'abord au fascisme de Mussolini, alors au pouvoir en Italie. Comme bien d'autres, Abbado se rapprochera plus tard du Parti communiste italien, avant de s'en séparer à la suite de l'invasion soviétique qui écrasa le Printemps de Prague, en 1968.
Le conflit terminé, Claudio Abbado entre au Conservatoire de Milan pour y suivre, jusqu'en 1955, des études de piano, de composition et de direction. Il suit aussi des cours de littérature avec le futur Prix Nobel Salvatore Quasimodo. Il joue parfois dans l'Orchestre des étudiants du Conservatoire, sous la direction de Carlo Maria Giulini et demeure hanté par Fêtes et par son rêve d'enfant. Le passage de Wilhelm Furtwängler à Milan en 1950 lui fait une profonde impression. « Furtwängler est le plus grand de tous […] ; certes, on peut parfois contester ses choix, ses options, mais l'enthousiasme prévaut presque toujours, notamment dans Beethoven. Il est le musicien qui a eu la plus grande influence sur mon éducation artistique[7]. »
En 1958, il remporte le concours Koussevitzky à Tanglewood, devant Zubin Mehta avec qui il s'était lié d'amitié à Vienne. « J'avais craint d'être éliminé rapidement ; face au jury, j'étais très contracté ; je ne me suis libéré qu'en dirigeant devant le public. Au cours de ce premier séjour aux États-Unis j'ai pu, à Boston, voir Pierre Monteux et Charles Munch, dont l'art très personnel m'a influencé : ils interprétaient si bien les œuvres de Claude Debussy[7]. » Cependant, il rentre en Italie et enseigne la musique de chambre à Parme.
Les débuts
Il débute brillamment à la Scala de Milan en 1960 à l'occasion du tricentenaire d'Alessandro Scarlatti mais sa carrière ne “décolle” pas. Il tente une nouvelle fois sa chance en postulant, à New York, au prix Dimitri Mitropoulos. Il triomphe encore et cette fois les propositions affluent. Leonard Bernstein en fait l'un de ses assistants à l'Orchestre philharmonique de New York (1963). « Je suis resté un an auprès de lui avec des allers et retours en Europe pour diriger plusieurs concerts en Italie et à Londres. Ce séjour fut passionnant et décisif non seulement grâce à Leonard Bernstein, mais aussi en raison des contacts que j'ai eus avec George Szell qui dirigeait l'Orchestre de Cleveland [… Bernstein] m'avait demandé de revenir à New York pour une plus longue période; je ne l'ai jamais voulu. J'étais trop, et je suis encore, trop imprégné de culture européenne pour m'éloigner du Vieux Continent[7]. »
Il n'a que trente-cinq ans lorsqu'il devient chef principal de La Scala (1968-1986), avant d'en être nommé directeur musical en 1971. Ses liens politiques et locaux furent précieux à Milan, où les syndicats étaient tout-puissants et où son frère Marcello dirigeait le Conservatoire. Le départ à la retraite du vieux surintendant Antonio Ghiringhelli lui laisse le champ libre à une prise de pouvoir avec deux autres « radicaux » de son acabit, Paolo Grassi et Massimo Bogianckino. Les temps étaient mûrs pour des changements : il modifie profondément l'organisation et les programmes, élargissant le répertoire aux compositeurs de XXe siècle (concerts Musica del nostro tempo), allongeant la saison et diminuant le prix des places. Il ouvre le théâtre pendant les six semaines de fermeture annuelle pour présenter gratuitement des opéras filmés aux ouvriers, aux étudiants, aux enfants des écoles qui découvraient l'opéra. Avec l'orchestre, il donne des concerts dans les usines, les universités, les lycées, aussi bien à Milan que dans d'autres villes, notamment à Reggio d'Émilie (ateliers Musica/realtà)[8],[7],[6].
De 1979 à 1989, comme chef principal puis directeur musical du London Symphony Orchestra, il trouve un instrument idéal pour son éclectisme musical : il y célèbre le centenaire d'Anton Webern en 1983, présente un cycle Mahler puis un cycle Beethoven avec Maurizio Pollini, enregistre une Carmen de Georges Bizet exceptionnelle.
En 1983, il participe à la création de l'Orchestre de chambre d'Europe avec Nikolaus Harnoncourt. « J'aime diriger ces jeunes et j'éprouve un infini plaisir à les guider. Ils possèdent tous une technique exceptionnelle; ils font preuve d'un engagement, d'une fraîcheur qui m'enchantent. Ils ne sont pas encore marqués par certaines inerties, certaines habitudes, parfois difficiles à contourner. Je peux apprendre beaucoup d'eux[7]. »
Berlin
En octobre 1989, peu de temps après la mort de Herbert von Karajan et à la surprise de tous, y compris lui-même, Abbado est élu chef principal de l'Orchestre philharmonique de Berlin. Il venait de subir un revers dans la conquête de la succession de Georg Solti à la tête de l'Orchestre symphonique de Chicago, remportée par Daniel Barenboim, et le renouvellement de son contrat à l'Opéra de Vienne venait de se négocier à des conditions nettement moins avantageuses que les précédentes[8]. La veille du vote berlinois, Abbado se trouvait en pourparlers avec l'Orchestre philharmonique de New York. Il avait dirigé l'orchestre pour la première fois le et un total de trente-six concerts[11]. Pour son concert inaugural à Berlin, il choisit deux symphonies de Schubert et de Mahler, séparées par le Dämmerung (Crépuscule) de Wolfgang Rihm[8].
Au cours de sa période berlinoise, Abbado élargit le répertoire de l'orchestre, il utilise la petite salle de la Philharmonie pour une série de concerts de musique expérimentale, rajeunit l'effectif et l'esprit de groupe ; contrairement à Karajan, il invite ses collègues à diriger l'orchestre. Dans un hommage pour le 80e anniversaire de Karajan, Abbado écrivait : « Herbert von Karajan a créé une sonorité d'orchestre liée à sa personnalité, unique en notre siècle » ; pourtant il fait évoluer le son de l'orchestre vers plus de clarté sur le plan horizontal et vertical, les musiciens utilisent des instruments remis à la mode par le courant du renouveau de l'interprétation de la musique baroque, ouverture qui sera poursuivie par son successeur, Simon Rattle. Comme à Londres et à Vienne, il présente des cycles thématiques : Prométhée, Hölderlin, Faust, Shakespeare, Amour et mort. Il réenregistre ses œuvres fétiches, complétant sa discographie avec des œuvres de Ludwig van Beethoven (édition Jonathan Del Mar), de Johannes Brahms en passant par Gustav Mahler, mais aussi de Franz Schubert, Robert Schumann ou Modeste Moussorgsky.
En 1994, il succède à Herbert Karajan au poste de directeur musical du Festival de Pâques de Salzbourg où il ouvre également le répertoire.
En , Claudio Abbado annonce qu'il ne renouvellera pas son contrat avec le Philharmonique de Berlin après la saison 2001/2002. En 2000, un cancer de l'estomac[12] l'éloigne de l'orchestre et il doit annuler une tournée prévue au Japon ; il subit une très grave opération en juillet. À son retour, au faîte des honneurs et de la gloire, malgré les pressions commerciales, il maintient sa décision de quitter l'orchestre en 2002 mais le retrouve pour un concert annuel qui est un grand moment comme en témoignent divers enregistrements. Il dirige alors de rares concerts très attendus dans des œuvres choisies et approfondies avec au programme Mozart, Beethoven, Debussy, Bach ou Mahler.
Son amour des compositeurs anciens va le pousser à être très respectueux des interprètes du baroque de la fin du XXe siècle, il dira son intérêt pour les interprétations des symphonies de Beethoven par Nikolaus Harnoncourt. Il crée, dirige l'Orchestre Mozart de Bologne[14] avec des instruments anciens, collaborant aussi avec son ami Giuliano Carmignola.
Claudio Abbado rencontre la chanteuse Giovanna Cavazzoni au Conservatoire de Milan[17] et ils se marient en 1956 ; leur fils, Daniele Abbado (1958)[18] est directeur d'opéra ; ils ont également une fille, Alessandra (1959), qui travaille dans la direction de théâtre ; ils se séparent en 1968[19]. D'un second mariage avec Gabriella Cantalupi (une costumière) nait Sebastiano qui est archéologue. Il a également eu une relation de quatre ans avec la violoniste Viktoria Mullova et est le père de son fils aîné, Misha Mullov Abbado[20], qui est contrebassiste et compositeur de jazz lien. Son neveu, Roberto Abbado (le fils de son frère Marcello), est aussi chef d'orchestre.
Le cancer de l'estomac qu'il avait surmonté au début des années 2000 finit par l'emporter. Il meurt à Bologne, à l'âge de quatre-vingts ans, le . Parmi tous les hommages qui lui sont rendus en Italie et en dehors, des milliers de personnes se réunissent à Milan une semaine après sa mort au son de la Marche funèbre de la troisième Symphonie de Beethoven (la Filarmonica della Scala étant dirigée par Daniel Barenboim, un ami de longue date) retransmise depuis la salle entièrement vide de la Scala, en signe de deuil.
La dépouille mortelle d'Abbado a été incinérée et une urne contenant une partie de ses cendres a été enterrée au cimetière de la chapelle du XVe siècle de Fex-Crasta dans le Val Fex. Elle fait partie de la commune de Sils-Maria, un village du canton suisse des Grisons où Abbado possédait une maison de vacances[21],[22] . Son héritage musical a été transféré à la Bibliothèque d'État de Berlin où il est en train d'être catalogué et numérisé[23].
Son éthique musicale guide le choix d'œuvres rarement exécutées, de compositeurs de la Seconde école de Vienne, d'Igor Stravinsky, Béla Bartók, de plus contemporains tels Luigi Nono ou Wolfgang Rihm dans lesquelles il est à son summum de musicalité. Chef très estimé de ses musiciens, il est un accompagnateur attentionné, qu'ils soient solistes ou chanteurs.
Avec un souci constant du respect de la partition, il dirigeait toutes les œuvres, en son absence, par cœur[24].
Sa grande sensibilité, sa profonde musicalité et l'importante étendue de son répertoire (de Claudio Monteverdi à Pierre Boulez), son influence sur la nouvelle génération de chefs d'orchestre, font de Claudio Abbado un des grands chefs d'orchestre du XXe siècle. Sa personnalité attachante et son ouverture d'esprit se retrouvent dans ses interprétations marquées par l'intensité et la tension : la trame orchestrale tendue se déroule inexorablement au paroxysme à des moments clés de l'œuvre et, souvent au concert, n'est rompue que par les applaudissements, parfois quelques longues secondes après la fin de la musique
[Na 1],[Na 2],[Na 3],[Na 4].
Discographie sélective
Chef beaucoup plus inspiré par le concert, sa discographie est malgré tout d'une grande qualité ; il a toujours refusé les éditions faciles que lui suggérait sa principale maison d'édition : il faut privilégier les enregistrements de concerts ou parallèles à ceux-ci.
les Concertos pour piano K. 466 et K. 467 avec Friedrich Gulda et l'Orchestre philharmonique de Vienne,
la Missa solemnis K. 139 (47a), dite « Waisenhaus-Messe » « Messe de l'orphelinat » en mémoire de Hans Swarowsky avec les chœurs de l'Opéra de Vienne et l'Orchestre philharmonique de Vienne,
Les Noces de Figaro avec comme solistes Lucio Gallo et Cecilia Bartoli (1994),
Don Giovanni avec comme solistes Simon Keenlyside et Bryn Terfel (1998),
La Flûte enchantée avec comme solistes Christoph Strehl et Erika Miklosa (2006),
Il faut aussi noter les DVD/Bluray couvrant en particulier les concerts du Festival de Lucerne (Liste en évolution et croissance constante).
Mozart : Requiem - Lucerne Festival Orchestra avec Anna Prohaska (soprano), Sara Mingardo (alto), Maximilian Schmitt (ténor), René Pape (basse), Bavarian Radio Choir, Swedish Radio Choir (Accentus 2012)
Notes
↑Écouter et regarder par exemple les 31 secondes de silence qui suivent la dernière note de la Messa di Requiem de Verdi dirigée par lui, à l'occasion du centenaire de la mort du compositeur (2001), et interprétée par le Berliner Philharmoniker, les chœurs « Eric Ericson Chamber Choir », « Orfeón Donostiarra », « Swedish Radio Chorus » et les solistes Angela Gheorghiu, Daniela Barcellona, Roberto Alagna, Julian Konstantinov (CD et DVD Live)[25].
↑Écouter et regarder par exemple les 40 secondes de silence qui suivent la dernière note du Requiem de Mozart, à Lucerne, en août 2012 (Lucerne Festival Orchestra, Anna Prohaska (Soprano), Sara Mingardo (Contralto), Maximilian Schmitt (Ténor), René Pape (Basse), chœur des radios bavaroise et suédoise)[26].
↑Écouter et regarder par exemple la minute de silence qui suit la dernière note de la 9e symphonie de Mahler, à Lucerne, en août 2010 (Lucerne Festival Orchestra)[27]
↑Écouter et regarder par exemple les deux minutes de silence qui suivent la dernière note de la 9e symphonie de Mahler, à Lucerne, en 2009 (Lucerne Festival Orchestra)[28].
↑Selon Norman Lebrecht (Maestro), la famille Abbado aurait parmi ses ancêtres (pour le moins lointains !), « un guerrier arabe, Abbad, qui construisit l'Alcazar de Séville dans l'Espagne médiévale, à partir de 844 ». Cette information tient très probablement de la légende familiale, ou personnelle, d'autant que la construction de l'Alcazar a eu lieu près de deux siècles avant l'arrivée des Abbadides à Séville.
(de) Claudio Abbado, Die Anderen in der Stille hören [Entendre les autres dans le silence], avec Frithjof Hager, Suhrkamp Verlag, Francfort-sur-le-Main, 2000, (ISBN3-518-39662-5)
livre d'entretiens, incluant également des photographies et une discographie.