Dans cette famille des langues chamito-sémitiques, l'araméen appartient à la branche sémitique. Plus précisément, il constitue une partie de la sous-famille sémitique occidentale septentrionale, qui comprend également les langues cananéennes telles que l'hébreu et l'ougaritique. L'alphabet araméen a été largement adopté pour écrire d'autres langues et il est l'ancêtre des alphabets hébreu et arabe, ainsi que de l'alphabet kharoshthi dans le nord-ouest de l'Inde, et peut-être l'alphabet brahmi.
Durant ses 3 000 ans d'histoire écrite[3], l'araméen a été utilisé comme langue administrative d'empires de la région et comme langue de culte. C'était une des langues quotidiennes en Judée pendant la période du Second Temple de Jérusalem (539 av. J.-C. – 70 apr. J.-C.), et donc la langue parlée par Jésus-Christ[4],[5], la langue d'une grande partie des livres bibliques de Daniel et d'Esdras, et la principale langue du Talmud[6]. Toutefois, le judéo-araméen était différent par les caractères et par la grammaire.
La longue histoire de l'araméen et son utilisation diversifiée et généralisée ont abouti à la création de nombreux dialectes, parfois considérés comme des langues. Ainsi, il n'y a pas eu une langue araméenne statique. Chaque époque et chaque zone géographique a plutôt eu sa propre variété. L'araméen a été retenu comme langue liturgique par certaines Églises orientales, sous la forme du syriaque, variété araméenne dans laquelle a été diffusé le christianisme oriental. Ces communautés parlent encore cette langue ou emploient une autre forme d'araméen comme langue vernaculaire.
L'araméen moderne est parlé aujourd’hui comme première langue par de nombreuses petites communautés chrétiennes, juives, éparses et en grande partie isolées, et par les groupes ethniques mandéens de l'Asie occidentale[7] — les plus nombreux, les Assyriens, la parlent sous la forme de l'assyrien néo-araméen et du chaldéen néo-araméen —. Toutes ces communautés ont conservé une utilisation dominante comme langue véhiculaire d'une des langues araméennes, malgré les transferts linguistiques.
Une des plus grandes collections de pièces en araméen achéménide, au nombre de 6 000 lisibles (correspondant à environ 500 textes déchiffrés), est celle des tablettes de Persépolis[11],[12].
L'araméen était la « langue de relation » de cette époque, la langue de l'éducation et du commerce. Au VIIIe siècle av. J.-C., on parlait couramment l'araméen de l'Égypte à l'Asie majeure, jusqu'au Pakistan, et c'était la principale langue des grands Empires d'Assyrie, de Babylone et, plus tard, de l'Empire chaldéen ainsi que du gouvernement impérial de la Mésopotamie. L'araméen s'est également répandu en Palestine, supplantant entre 721 et 500 av. J.-C. l'hébreu comme langue la plus couramment parlée. Une grande partie de la loi judaïque a été créée, débattue et transmise en araméen, et c'est aussi la langue à la base du Talmud[6].
C'est pourquoi on considère que l'araméen était la langue de Jésus de Nazareth et de ses disciples : si les Évangiles, qui datent du Ier siècle, sont rédigés en grec car ayant vocation à toucher des populations hellénophones, il leur arrive de citer le Christ en araméen[13].
Langue historiquement employée pour exprimer des idées religieuses, l'araméen constitue un lien entre le judaïsme et la chrétienté. Le professeur Franz Rosenthal a écrit, dans le Journal of Near Eastern Studies (traduction libre) : « À mon avis, l'histoire de l'araméen représente le triomphe, pur et simple, de l'esprit humain incarné dans la langue (qui est la forme la plus directe de l'expression de l'esprit)… [Cette langue] réussissait, avec force, à promulguer les questions spirituelles[14]. »
Groupes
L'araméen a toujours existé sous forme de multiples dialectes[15]. Les trois groupes dialectaux actuels sont :
Le Targoum Onkelos, attribué traditionnellement à Onkelos, est la traduction officielle de la Torah utilisée par la communauté juive. L'araméen était également la langue employée par les rabbins qui ont participé à l'écriture du Talmud de Babylone et du Talmud de Jérusalem, langue dans laquelle les deux Talmuds furent rédigés intégralement. Seule la Mishna est rédigée en hébreu. Ainsi un étudiant talmudique digne de ce nom a souvent de meilleures connaissances en araméen qu'en hébreu moderne.
Époque de Jésus
L'araméen était, pense-t-on, la langue usuelle en Judée du temps de Jésus de Nazareth et le resta dans toute la région, puisque Mani prêchera en araméen. Bien que certains historiens estiment que l'emploi du grec s'était alors étendu à tout le pourtour de la Méditerranée, les Galiléens ne parlaient pas le grec et ne commencèrent à le parler qu’au IIe siècle, lorsque le Sud de la Galilée fut urbanisé ; dans le Nord de la Galilée, on ne trouve que peu d’inscriptions en grec, elles sont en hébreu ou en araméen.
Dans les Évangiles, des expressions araméennes de Jésus sont transcrites : « Talita qoum » (Mc 5,41), « Ephphata » (Mc 7,33), ainsi que le « Rabbouni » dont Marie de Magdala l'honorait (Jn 20,16)[17].
On estime que Jésus de Nazareth a prêché en araméen[18].
Une phrase mise dans la bouche de Jésus (« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ») est transcrite différemment dans l'évangile selon Marc et dans l'évangile selon Matthieu.
Dans Marc 15:34 : « ελωι ελωι λαμα σαβαχθανι[20] » (« elôi, elôi, lama sabachthani »).
Le Codex Bezæ, les versions du Stephanus New Testament (1550) et Scrivener New Testament (1894) donnent une autre version de Matthieu 27:46 : « ηλι ηλι λαμα σαβαχθανι[21] » (« êli, êli, lama sabachthani »). Cette transcription en grec du passage de Matthieu, ηλι, est plus proche de l'hébreu officiel de l'époque.
La Traduction œcuménique de la Bible (TOB) signale en note que les deux versets représentent une citation en araméen de psaumes 22:2 (en hébreu, אֵלִי אֵלִי לָמָה עֲזַבְתׇנִי) (Eli, Eli, lama azavtani) « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ». La Bible de Jérusalem met en note sur le verset de Marc 15:34 : « Jésus a dû prononcer en araméen, Élahî, transcrit Élôï, peut-être sous l'influence de l'hébreu Élohim. » Ces deux traductions transcrivent Éli (Eli) pour Matthieu, et Élôï (Eloï) pour Marc.
Moyen Âge
Le Sefer HaZohar (Livre de la Splendeur), livre ésotérique juif, est rédigé en araméen[22]. Il aurait été écrit soit en Palestine au IIe siècle par le rabbinShimon bar Yohaï[23], soit par une multiplicité d'auteurs réunis en « cercles » kabbalistiques disséminés dans l'entourage de Moïse de León au XIIIe siècle[24].
Le premier logiciel de traitement de texte en langue araméenne a été élaboré en 1986-1987 au Koweït par Sunil Sivanand, un jeune professionnel des technologies de l'information qui est maintenant directeur général et ingénieur en chef chez Acette, une société implantée à Dubaï. Le projet avait été parrainé par Daniel Benjamin qui était à la tête d'un groupe de personnes qui s'efforcent de préserver et de faire revivre la langue araméenne[réf. nécessaire].
Depuis la seconde partie du XXe siècle, la majorité des Araméens vivent dans la région du Proche-Orient[27].
Depuis la guerre du Golfe en 1990-1991, et surtout depuis 2003, aux suites de l'intervention américaine en Irak lors de la Guerre d'Irak, les Araméens sont menacés. En 2014, l'État islamique, ou Daech, est proclamé, et cet État non reconnu internationalement, s'étendant sur une grande partie est de la Syrie, et nord-ouest de l'Irak, persécuta les populations araméennes, souvent chrétiennes. Des massacres furent signalés, ainsi que des cas d'esclavagisme. Les dialectes araméens sont en danger critique d'extinction, car les populations fuient les combats et les persécutions, et rejoignent les autres cohortes de réfugiés[réf. nécessaire].
Dans les années 2010, l'araméen est considéré comme une langue en voie de disparition[28],[29]. Selon l'Unesco, il compte alors encore un demi-million de locuteurs, dans des villages et régions reculées de la Syrie, du sud-est de la Turquie, du nord de l'Irak et de l'Iran, et au sein de diasporas autour de Paris (à Sarcelles notamment), en Suède et aux États-Unis[13]. En Syrie, il est notamment parlé dans trois villages des environs de Damas, dont Maaloula (20 % des habitants le maîtrisent, essentiellement les plus âgés), ainsi que dans le nord-est de la Syrie[28]. Afin d'assurer la survie de la langue, les écoliers de Maaloula reçoivent un cours d'araméen par jour[28].
Sources des évangiles en araméen
Certains chercheurs qui n'adhèrent pas au consensus sur cette question postulent que les Évangiles ont été rédigés en hébreu (Claude Tresmontant)[30] ou en araméen (Abbé Jean Carmignac, qui ne tranche pas entre l'hébreu et l'araméen)[31].
La version en araméen des Évangiles est incluse dans la Peshittâ, la bible en langue araméenne. Sa datation et son origine sont controversées.
↑Cette langue a été connue sous plusieurs noms au cours des siècles. Selon l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, arts et des métiers, « la langue syriaque, appelée en divers temps langue chaldéenne ou babyloniene, araméene, assyriene, fut encore nommée hébraïque, non qu'on la confondît avec l'ancien hébreu, mais parce qu'elle étoit devenue la langue vulgaire des Juifs, depuis leur retour de la captivité de Babylone, & qu'elle l'était encore du temps de Jesus-Christ ». Le mot « araméen » a été créé au XXe siècle pour désigner cette langue.
↑L'araméen apparaît entre le XIe et le IXe siècle avant notre ère. Klaus Beyer (1986 : The Aramaic language: its distribution and subdivisions) suggère que l'écriture araméenne date probablement du XIe siècle avant notre ère, et il est établi que les plus anciennes inscriptions du Nord de la Syrie datent du Xe siècle. Wolfhart Heinrichs (1990 : Studies in Neo-Aramaic) utilise la date moins controversée du IXe siècle, pour lequel il existe un consensus.
↑(en) The Eerdmans Bible Dictionary : Aramaic, Grand Rapids, Michigan, Allen C. Myers, William B. Eerdmans, , 1094 p. (ISBN978-0-8028-2402-8), p. 72« It is generally agreed that Aramaic was the common language of Israel in the first century AD. Jesus and his disciples spoke the Galilean dialect, which was distinguished from that of Jerusalem (Matt. 26:73). »
↑ abcde et fCatherine Saliou, Le Proche-Orient : De Pompée à Muhammad, Ier s. av. J.-C. - VIIe s. apr. J.-C., Belin, coll. « Mondes anciens », , 608 p. (ISBN978-2-7011-9286-4, présentation en ligne), chap. 4 (« Au carrefour des langues et des cultures »), p. 228-230.
↑« Aramaic language » dans l'Encyclopædia Britannica, version en ligne consultable au 4 novembre 2009.
↑John A. Matthew Stolper, « What are the Persepolis Fortification Tablets? », The Oriental Studies News & Notes, hiver 2007, pp. 6-9, transcrit sur le site Persepolis Archive Project, consulté le 12 février 2007.
↑Ces textes ont été édités par R. A. Bowman sous le titre : Aramaic Ritual Texts from Persepolis, Oriental Institute Publications, volume XCI, University of Chicago Press, 1970 (ISBN978-0-226-62194-4).
↑(en) Ursula Schattner-Rieser, Textes araméens de la mer Morte, Bruxelles, Belgique, Safran, , 159 p., Édition bilingue, vocalisée et commentée (ISBN978-2-87457-001-8, présentation en ligne).
↑M. Black, An Aramaic Approach to the Gospels and Acts, 3e éd., Hendrickson Publishers(en), 1967 . C. F. Burney, The Aramaic Origin of the Fourth Gospel, Oxford at the Clarendon Press, 1922 ; M. Casey, The Aramaic Sources of Marks' Gospel, Cambridge University Press, 1998 ; M. Casey, An Aramaic Approach to Q, Cambridge University Press, 2002 . F. Zimmermann, The Aramaic Origin of the Four Gospels, Ktav Publishing House, 1979.
↑Le Zohar, traduction de l'araméen par Charles Mopsik, Lagrasse, Verdier, 1981-2001, 7 vol.
↑« C’est ainsi que je fixe les choses, Rabbi Abba notera, Rabbi Eliezer, mon fils, enseignera oralement, et le reste des amis s'exprimeront dans leur cœur… » (Livre du Zohar, Parashat HaAzenou).