Ancien président du Conseil, Émile Beaufort consacre une large partie de son temps à l'écriture de ses mémoires, qu'il dicte à sa dévouée secrétaire, Mlle Milleran, à La Verdière, sa propriété provinciale dans l'Eure. Retiré des affaires publiques, il ne garde pas moins un regard attentif sur l'actualité politique nationale.
Tandis qu'il écoute la radio pour suivre l'évolution d'une crise ministérielle en cours, Beaufort apprend que le député Philippe Chalamont, président du groupe des Indépendants républicains à la Chambre, est pressenti par le chef de l'État pour former le prochain gouvernement. La nouvelle perturbe Beaufort au point qu'il cesse quelques instants de dicter le contenu de ses mémoires à sa secrétaire, le temps de songer à l'époque où, président du Conseil, il avait travaillé avec Chalamont, son directeur de cabinet.
L'éventuelle nomination de Philippe Chalamont préoccupe vivement le vieil homme car, plusieurs années auparavant, tandis que Beaufort dirige le gouvernement, il a décidé en petit comité, avec le Gouverneur de la Banque de France et le Ministre des Finances, de la dévaluation du franc, réunion à laquelle assistait Chalamont. Le lendemain, le Gouverneur de la banque de France apprend à Beaufort qu'une fuite sur la dévaluation donne lieu à une spéculation. Il apprend ensuite que les ordres en bourse venaient de la banque Vollard dirigée par le beau-père de son directeur de cabinet. Cela a coûté plus de 3 milliards de francs au pays. Comprenant que la fuite ne pouvait venir que de son collaborateur alors qu'il avait en lui une entière confiance, Beaufort contraint Chalamont à coucher des aveux sur le papier comme garde-fou aux ambitions de Chalamond. À partir de cet épisode, les relations entre Émile Beaufort et Philippe Chalamont deviennent glaciales.
Le chef du gouvernement fait face, par la suite, à une opposition parlementaire combative, menée par son ancien collaborateur, devenu député.
Un autre souvenir de Beaufort se rappelle à lui : souhaitant faire approuver par les parlementaires un projet de loi destiné à faire admettre à la France un projet d'union douanière l'unissant à d'autres grandes puissances européennes, Beaufort voit Chalamont monter à la tribune de la Chambre pour contester avec éloquence le projet européen de son ancien protecteur.
Interpellant nommément certains députés,Beaufort réplique dans un réquisitoire acerbe, tout aussi éloquent contre une classe politique dépourvue de toute vision et uniquement guidée par ses intérêts particuliers, au mépris de l'intérêt national.
Son projet voué à l'échec, Émile Beaufort fait comprendre à l'assemblée sa décision de démissionner avant de brocarder une dernière fois des parlementaires accusant le coup.
La crise ministérielle étant en cours, un soir, Chalamont se présente à Beaufort, soucieux d'obtenir son appui avant d'accepter de former le gouvernement et en lui laissant entendre qu'il serait son conseiller occulte. Dans le projet que lui demande d'exposer Beaufort, le député reconnaît la nature visionnaire du projet d'union douanière de son ancien mentor et son intention de le reprendre. Offusqué par cet hommage hypocrite, Beaufort s'élève avec dégoût contre son interlocuteur face à son appétit de pouvoir et son défaut de probité. Les aveux étant son épée de Damoclès, Chalamont renonce à diriger le gouvernement. Cependant, de son côté, Beaufort a brûlé la lettre compromettante, convaincu que la simple crainte du scandale suffirait à éloigner définitivement Chalamont de l'exercice du pouvoir.
Bien qu'imaginaire, l'intrigue du film est directement inspirée des combinaisons parlementaires et l'instabilité ministérielle des IIIe et IVe Républiques.
Le réalisateur, Henri Verneuil, a déclaré s'être inspiré des graves conflits politiques de la IVe République pour illustrer la chute des gouvernements qui succédèrent au ministère Beaufort. Le film ne se termine pas de la même manière que l'œuvre originale de Georges Simenon, nettement plus sombre (le président ne parviendra pas à changer quoi que ce soit au cours des événements politiques.)
Attribution des rôles
Léon Zitrone et Claude Darget, journalistes vedettes de l'époque, jouent leur propre rôle dans une scène du journal télévisé.
Tournage
Le tournage a eu lieu à la fin de 1960 et au début de 1961, aux studios Franstudio de Saint-Maurice et Joinville.
La propriété où le Président Beaufort passe sa retraite est localisée dans le film dans la localité imaginaire de Saint-Mesmin (nom d'une commune de Vendée, département natal de Clemenceau), aux environs d'Évreux ; il s'agit du château du Vivier, à Coutevroult (Seine-et-Marne) qui servit de cadre pour les plans extérieurs de cette partie du film.
l'Hôtel du Châtelet (7e arrondissement) dans lequel siège de nos jours le ministère du Travail, est utilisé, dans ce film, pour figurer l'hôtel de Matignon, la résidence du chef du gouvernement, dans lequel travailla le président Beaufort lorsqu'il présidait le Conseil des ministres.
La place du marché d'Arpajon en centre-ville (et sa halle de 1470), sert de décor à la scène de la promenade en ville du président Beaufort et de son chauffeur François.
Le Président est l'un des rares films de politique-fiction du cinéma français ; il est, d'autre part, le seul film du cinéma français évoquant une éventuelle naissance des États-Unis d'Europe, projet défendu par le charismatique Beaufort et combattu par son ancien chef de cabinet, Chalamont.
À bien des égards, Émile Beaufort, qui est un concentré des présidents du Conseil des IIIe et IVe Républiques, rappelle, tant par sa fougue que par son bagout, Georges Clemenceau, et Aristide Briand par ses opinions pacifistes et son idéologie sociale.
Jean Gabin prononce un long monologue de dénonciation, qui fait référence sans les nommer aux « Deux cents familles », lors de la scène de son discours à la Chambre des députés.
Dans le film, outre le monarque du Royaume-Uni (la reine est évoquée dans l'entretien entre Beaufort et Lloyd), est également cité le nom du président Gaston Doumergue, que semble avoir côtoyé Beaufort, qui se vante d'avoir, en sa compagnie, fréquenté des maisons closes (le dialogue dit aussi « aux théâtres subventionnés »).
Une des répliques du film est l'écho de cette réponse de Georges Clemenceau à son petit-fils Georges Gatineau qui lui assurait qu'il existait des magistrats intègres en France : « J'ai vu aussi des poissons volants », comme il a dit ailleurs : « Il existe des Jésuites rouges ». Cet échange a lieu au cours du monologue (1 h 9 min après le début du film) : le député Jussieu (joué par Louis Arbessier) proteste contre la lecture par le Président, lors de son ultime apparition à l'Assemblée, d'une liste d'élus du peuple liés aux milieux d'affaires, et demande qu’elle ne soit pas publiée au Journal Officiel. Visiblement Beaufort attendait cette protestation venant « d'un élu sur une liste de gauche qui ne soutient que des projets de lois d’inspiration patronale » ; à Jussieu qui objecte qu’il existe des patrons de Gauche, il rétorque : « Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre »… d'où tollé dans les gradins.
Christophe Le Dréau, « L’identité européenne des eurosceptiques : l’énigme Philippe Chalamont », dans Christophe Le Dréau et Jean-Michel Guieu (sous la dir.), Anti-européens, eurosceptiques et souverainistes. Une histoire des résistances à l’Europe (1919-1992), Cahiers de l'IRICE, no 4, 2009.
Vincent Chenille et Marc Gauchée, « L’infâme et le pantin : patrons et hommes politiques dans le cinéma français (1974-2002) », L’Homme et la société, no 154, octobre-, p. 51-67.
Benoît Denis (édition, présentation et annotations), Michel Audiard et Georges Simenon : Le Sang à la tête, Maigret tend un piège, Le Président, t. 1, institut Lumière / Actes Sud, , 924 p. (ISBN9782330141035), scénario et histoire de la production.