Musicien cosmopolite dès sa jeunesse, Sidney Bechet est à l'origine de la première critique de jazz un peu sérieuse[non neutre]. En 1919, il est le clarinettiste soliste du Southern Syncopated Orchestra(en) dirigé par le compositeur Will Marion Cook, qui refusait d'utiliser le mot « jazz » mais tenait beaucoup à avoir Bechet en vedette. Le chef d'orchestre suisse Ernest Ansermet, qui eut plusieurs fois l'occasion d'écouter cette formation à Londres, écrivait à propos de Bechet : « (Il) ne peut rien dire de son art, sauf qu'il suit sa propre voie… et c'est peut-être la route sur laquelle le monde entier swinguera dans l'avenir. »
Prodige musical, né au sein d'une famille créole de la classe moyenne de Louisiane (dont le nom s'orthographiait « Béchet » autrefois), il a étudié la musique avec Louis dit « Papa » Tio et Lorenzo Tio (fils) à La Nouvelle-Orléans[1]. Il se joint, après la fermeture du district de Storyville en 1917, à l'exode vers Chicago et y travaille avec deux célèbres exilés, le trompettiste Freddie Keppard et le pianiste Tony Jackson. Puis il accompagne Cook à Londres, où il découvre le saxophone soprano, instrument plus dominant que la clarinette et avec lequel il peut aisément produire son vibrato qui est son signe distinctif. En , Sidney Bechet rejoint le groupe de Duke Ellington et commence la deuxième tournée en Nouvelle-Angleterre avec eux. Moins de trois mois plus tard Duke le renvoie après qu’il ne s'est pas présenté à trois concerts.
Expulsé du Royaume-Uni pour cause de bagarre dans un hôtel, Bechet retourne aux États-Unis et s'installe à New York, où le pianiste Clarence Williams veut à tout prix le faire enregistrer, en particulier aux côtés de Louis Armstrong. C'est ainsi qu'a lieu une première rencontre entre ces géants du jazz. Cependant, de nouveaux problèmes le ramènent en Europe, où il passe quatre ans au sein de la Revue nègre, créée à Paris, avec Joséphine Baker pour vedette. Pendant qu'Armstrong réalise ses enregistrements classiques, son principal rival comme soliste de jazz est en tournée en Europe et en URSS. Mais Sidney Bechet a un fort caractère et, en 1928, une bagarre éclate entre lui et le banjoïste Mike McKendrick sur qui il tire au pistolet. L'algarade fait trois blessés et le drame est évité, mais Sidney Bechet se retrouve onze mois en prison à Fresnes, près de Paris. À sa sortie, malgré le témoignage de Louis Aragon en sa faveur, Sidney Bechet est expulsé de France. Il se rend alors à Berlin, où il a un engagement au cinéma-dancing-palace du Haus Vaterland(en).
En 1951, lors d'une tournée à Alger il retrouve Elisabeth Ziegler (1907-1995), qu'il avait rencontrée à Paris en 1928. Il l'épouse lors d'une cérémonie en grande pompe surmédiatisée, le à Antibes, avec la jet set de la Côte d'Azur et Mistinguett pour témoin[3]. Il compose l'année suivante son tube Dans les rues d'Antibes, en souvenir de cet événement festif. En 1952, il a une liaison avec Jacqueline Peraldi (1932-2011) de laquelle naît son fils unique Daniel Bechet[4] le [5],[6].
À la fin de sa vie, en 1956, il entame une grande tournée en Belgique. Le déjà, avec l'orchestre d'André Réwéliotty, il avait donné un concert suivi d'un bal à « La Nuit d'or » à la plaine de Nimy à Mons. Albert Langue, jazzman de Mons et initiateur du Festival mondial des musiques militaires de Mons, l'accompagne dans ses concerts, à la trompette. Sidney Bechet lui demande s'il n'a pas en mémoire une musique locale qu'il pourrait jouer en Belgique pour faire plaisir à son public et personnaliser la tournée belge. Albert Langue lui joue alors au pianoLe Doudou, musique emblème de la Ducasse de Mons qu'il adapte avec son style jazz Nouvelle-Orléans. C'est un tel succès qu'il l'enregistre avec la maison de Disques Vogue. Ce disque est une des meilleures ventes de 1956 et permit au Doudou d'être connu partout dans le monde.
« Bechet to me was the very epitome of jazz… Everything he played in his whole life was completely original. I honestly think he was the most unique man ever to be in this music. Duke Ellington
(Bechet était pour moi l'incarnation même du jazz… Tout ce qu'il a joué dans toute sa vie était complètement original. Je pense honnêtement qu'il était l'homme le plus unique de l'histoire de cette musique) »
Parmi ses plus célèbres nombreux enregistrements, compositions, reprises et adaptations, figurent le trio Blues in Thirds, avec Earl Hines et Baby Dodds, Blue Horizon, Out of The Gallion avec Mezz Mezzrow...
The Legendary Sidney Bechet, RCA Bluebird (avec les New Orleans Feetwarmers des débuts et « Blues in Thirds »).
Sidney Bechet in New York, JSP (la séance avec Louis Armstrong).
The King Jazz Story vol. 4, Storyville (Bechet et Mezzrow, avec Cousin Joe).
Jazz Classics {{V
ol.|1}}, Blue Note (avec Bunk Johnson, Albert Nicholas).
Le Bechet enregistre chez son ami John Reid (RCA) des séances en re-recording, une invention du maître et une première dans l’histoire du jazz. Il joue à tour de rôle toutes les parties : basse, batterie, piano, clarinette, saxophone soprano et saxophone ténor ; et il enregistre les deux faces d’un disque avec les morceaux The Sheik of Araby et Blues of Bechet[12].
El Doudou, Vogue, 1956 (avec Albert Langue et Jacques David).
Le Disque d'or de Sidney Bechet, Vogue, 1965 (avec Claude Luter et André Réwéliotty). L'album comprend notamment les tubes : Petite fleur, Les Oignons, Premier bal, Dans les rues d'Antibes, Roses de Picardie et Summertime.
Blues in the air, RCA Victor (Horizons du jazz no 2, gravé en 1940).
L'Histoire de Sidney Bechet, double album Vogue, 1959 (La vie extraordinaire du grand musicien racontée par Sidney Bechet lui-même et illustrée par 24 versions inédites de ses meilleures compositions).
Sidney Bechet en Suisse / in Switzerland, United Music Foundation (coffret regroupant un livre d'art de 216 pages et 4 CD d'enregistrements réalisés en Suisse entre 1949 et 1958), prix de la Meilleure Réédition 2014 de l'Académie du jazz [13]
La musique c'est ma vie, double album Vogue, 1978, sortie jumelée avec la parution du livre autobiographique éponyme aux éditions La Table Ronde (cf. “Bibliographie” ci-dessous). Même principe que dans le double album de 1959, mais le programme musical, entrecoupé d'extraits d'interviews de Sidney Bechet (s'exprimant en français), n'est pas tout à fait le même, cette version contenant davantage de reprises instrumentales de thèmes de chansons françaises, enregistrées lors du passage de Sidney Bechet à l'Olympia en 1955, notamment des titres de Georges Brassens.
Sidney Bechet (autobiographie), Treat in Gentle, Twayne publishers Inc. and Cassell & Co Ltd., 1960 ; traduction française sous le titre La musique c'est ma vie, éditions La Table Ronde - Opera mundi, 1977.
Sidney Bechet est mentionné dans les paroles de la chansonLe Temps des étudiants, interprétée par Les Compagnons de la chanson — présente sur leur album À Bobino, sorti en 1966 — et écrite par l'un d'entre eux, Jean Broussolle (qui reprend la musique, composée par l'Américain Arthur Kent, de The Bird of Bleeker Street, du répertoire du groupe musicalfolk-dixie : The Village Stompers(en)) : « […] Au temps où nous étions étudiants / Au temps où c'était l'événement / Quand l'orchestre de Sidney Bechet / Accompagnait Luter et sa clarinette […] ».
Pierre Perret, qui obtint à 19 ans le premier prix de saxophone du Conservatoire de Toulouse, lui a dédié en 1968 une chanson entière, intitulée Vieux Sidney et reprenant l'air du morceau Les Oignons, de Bechet : « […] Vieux Sidney, vieux Sidney / En refaisant ta chanson / Vieux Sidney, vieux Sidney / Je sais qu’ c’est pas mes oignons […] ».
Georges Brassens cite Sidney Bechet (ainsi que Claude Luter, Guy Longnon et Zutty Singleton) dans la dernière chanson qu'il ait enregistrée, Élégie à un rat de cave, écrite en 1978 à la mémoire de la compagne de son ami le batteur de jazz Moustache. C'est avec celui-ci, parmi d'autres jazzmen, que Brassens enregistre ce titre en 1979 : « […] On n'm'a jamais vu, faut qu'tu l'notes, / C'est une primeur, / Faire un bœuf avec des croque-notes, / C'est en ton honneur. / Sache aussi qu'en écoutant Bechet, / Folle gamberge, on voit, la nuit tombée, / Ton fantôme qui sautille en cachette / Rue du Vieux-Colombier […] ». Le à Paris, Bechet avait fait l'honneur à Brassens, alors à ses débuts, d'interpréter sur scène et d'enregistrer plusieurs de ses titres (La Cane de Jeanne/Le Fossoyeur, Brave Margot).
Patricia Kaas interprète en 1990 À l’enterrement de Sidney Bechet (paroles Didier Barbelivien; musique François Bernheim), chanson cool-jazz qui fait l'éloge de la vie tumultueuse de Sidney Bechet.
Bechet s'est brièvement éloigné de l'industrie musicale en 1938 lorsqu'il a ouvert un atelier de couture à New York[19].
Bechet a eu trois épouses : Elizabeth Ziegler (1951-décès), Marie-Louise Crawford (1934-1942) et Norma Hale (1918-1929)[19].
Notes et références
↑(en) Charles E. Kinzer, « The Tios of New Orleans and Their Pedagogical Influence on the Early Jazz Clarinet Style », 'æBlack Music Research Journal, p. 219-302"