Le latin Acaunum, devenu en français Agaune, est issu d'un vocable gaulois signifiant « rocher pointu ». Le site abritait un poste de douane romain, où l'on prélevait une taxe sur toutes les marchandises qui franchissaient cette cluse à l'entrée de la vallée du Rhône.
En raison de l'importance prise par l'établissement religieux établi en 515 en ce lieu, celui-ci a pris progressivement le nom de Saint-Maurice (première attestation en 1003)[2].
Selon d'autres sources, la localité se serait nommée à l'origine Tarnade, nom d'un château proche dit Castrum Tauredunense par Marius d'Avenches (qui vécut au VIe siècle). Cet édifice aurait été enseveli par l'éboulement du Mont Taurus en 562 ou 563. En 385 elle prend le nom d'Agaune sur la décision de saint Ambroise lorsqu'il passe par cette localité située sur le trajet de son voyage à Trèves, Agôn désignant la victime que les empereurs immolaient avant d'entreprendre une expédition, à l'exemple de saint Jérome qui parle d'« agones martyrum » pour désigner les combats des martyrs[3].
Temple romain d'Hygie
L'emplacement de l'abbaye fut un lieu consacré dès au moins l'époque romaine. Un autel romain dédié aux nymphes y a été retrouvé à côté de la source elle aussi consacrée aux nymphes. La tradition locale raconte que l'ancienne chapelle de saint Jean l'Évangéliste, qui deviendra l'église de Maurice d'Agaune, était bâtie sur un ancien temple dédié à la déesse Hygie. Toujours est-il que ce lieu sacré restera interdit d'habitations civiles jusqu'au XIe siècle (« Ut de loco quem morte Theboei martyres et effusione sanguinis… ornaverant, promiscui vulgi habitatio commista tolleretur… Igitur visum est ut remotis familiis secularibus… ») ; à cette époque le bourg de Saint-Maurice (« burgum sancti Mauritii ») et l'hôpital Saint-Jacques (« Dedit Sancto Mauritio ad hospital ») se développèrent dans un enclos fermé de murailles séparé du monastère par des terrains cultivés comme il est décrit dans des chartes de 1003 et 1046 (« Casale unum in burgo Sancti Mauritii » pour l'un, « mansum unum in Agauno loco in plano » pour l'autre). La réunion du bourg et du monastère ne débute qu'à partir de 1018, avec les restitutions de Rodolphe III, pour être définitive en 1163 lors de l'acquisition par l'abbaye de tous les droits ecclésiastiques des évêques de Sion[4].
Légende du massacre de la légion thébaine
La légende[5] situe entre 285 et 306 le massacre de la légion thébaine et de ses officiers, tous chrétiens, ordonné par Maximien, empereur romain, au motif qu'ils avaient refusé d'exterminer des chrétiens[6]. Cette légende est relatée en premier lieu dans l'histoire de Victor de Marseille écrite à la fin du IVe siècle, puis reprise par saint Eucher, évêque de Lyon vers 435, qui la raconte à l'évêque de Sion Salvius, elle est contée dans l'ouvrage relatant la vie de Romain de Condat et enfin elle est reprise dans l'homélie que saint Avit prononce en 515 à l'occasion de l'inauguration de l'abbaye[3]. Selon Amédée Thierry[7], cette légion pourrait avoir été formée avec plusieurs corps des armées d'Orient sans emploi et entre autres la XXIIe légion, il signale que cette légion nommée « Heureuse » était cantonnée à Thèbes avant d'être transférée à Jérusalem, que trois de ses principaux officiers étaient Mauricius, Exupérius et Candidus, convertis par l'évêque Hyménée, et qu'arrivés à Rome ils s'engagèrent auprès du pape Caïus à ne pas persécuter les chrétiens ; pour Ch. Robert il s'agit de la « IreMaximiana Thebæorum » et de la « IIIeDiocletiana Thebæorum »[6]. Ces deux légions sont la création de Maximien et Dioclétien lors de leurs campagnes en Afrique du Nord, en effet après avoir soumis les villes de Coptos et de Bousiris, en Égypte ils incorporèrent leurs jeunes hommes dans trois légions : la « IreJovia Fœlix Thebæorum », la « IreMaximiana Thebæorum » et la « IIIeDiocletiana Thebæorum »[3]. C'est Théodore d'Octodure (dit aussi Théodule), premier évêque du Valais à la fin du IVe siècle siégeant à Martigny anciennement Octodurus, qui créa le premier sanctuaire chrétien en 381 en y transférant les restes des martyrs dans une chapelle attribuée à Maurice et ses compagnons massacrés. Ce sanctuaire a été agrandi au IVe siècle[6].
Extrait de la lettre d'Eucher au seigneur Salvius, évêque
Sous Maximien, qui gouverna la république romaine comme collègue de Dioclétien, une foule de martyrs furent tourmentés ou mis à mort dans presque toutes les provinces. Ce même Maximien, avait appliqué sa fureur impie à anéantir jusqu'au nom chrétien. Si quelques-uns osaient alors pratiquer le culte du vrai Dieu, des troupes de soldats répandues de tous côtés les entraînaient au supplice. Il y avait en ce temps à l'armée une légion de soldats qu'on nommait les Thébéens. La légion était alors un corps qui comptait six mille six cents hommes sous les armes, appelés des régions de l'Orient, ils étaient venus prêter appui à Maximien, ces hommes habiles dans l'art de la guerre, nobles par la valeur, plus nobles encore par la foi, qui rivalisaient de courage pour servir l'empereur, de dévotion pour servir le Christ. Se souvenant, sous les armes, des préceptes de l’Évangile, ils rendaient à Dieu ce qui appartient à Dieu, et restituaient à César ce qui appartient à César. C'est pourquoi, lorsqu'ils apprirent qu'ils devaient avec le reste de l'armée persécuter la multitude des chrétiens, seuls, ils osèrent décliner cette mission inhumaine, et refusèrent d'obtempérer à de pareils ordres. Maximien n'était pas loin : fatigué de la route, il s'était arrêté auprès d'Octodurum. Là, ayant appris que la légion rebelle aux ordres impériaux s'était arrêtée au défilé d'Agaune, l'indignation mit le comble à sa fureur… Dès que Maximien connut la réponse des Thébéens, brûlant d'une aveugle fureur, il ordonna que la légion fût décimée : il espérait que les survivants, épouvantés par la sentence impériale, céderaient à la crainte, et renouvelant ses injonctions, il prescrivit que le reste des Thébéens fût contraint à persécuter les chrétiens. Lorsque cet ordre réitéré parvint aux Thébéens, le camp se remplit de tumulte : les soldats protestaient à grands cris que jamais ils ne s'emploieraient à un ministère aussi sacrilège, qu'ils détesteraient tout jours les idoles profanes, qu'ils avaient embrassé le culte de la divine et sacrée religion, qu'ils adoraient le Dieu unique et éternel, qu'ils aimaient mieux souffrir les derniers supplices que de marcher contre la foi chrétienne. À cette nouvelle, Maximien, plus cruel qu'une bête féroce, cédant de nouveau à ses instincts sanguinaires, ordonna une nouvelle décimation et décréta que les survivants seraient contraints à exécuter ce qu'ils avaient déjà refusé. Ces ordres de nouveau portés au camp, chaque dixième soldat désigné par le sort fut aussitôt séparé de ses compagnons et massacré. Cependant la foule des Thébéens épargnés s'exhortait par de mutuels discours à persister dans une œuvre aussi méritoire. Le plus grand encouragement à la foi dans ces circonstances fut assurément l'exemple donné par saint Maurice : il était alors, dit-on, « primicerius legionis ejus » (commandant) et, conjointement avec Exupôre, « campi doctor » (instructeur militaire), ainsi qu'on l'appelait dans l'armée, et avec Candide, « senator mililum », il enflammait le zèle de chacun par ses exhortations et prêchait la foi. Maximien, ayant entendu ces paroles, voyant à quel point leurs âmes étaient attachées à la foi du Christ, et désespérant de vaincre leur glorieuse constance, ordonne qu'ils soient tous massacrés, et que la sentence soit exécutée par des détachements de troupes envoyés pour les cerner. Lorsque ces impies, envoyés vers la bienheureuse légion, arrivèrent, ils frappèrent de l'épée ces saints soldats, qui ne refusèrent pas de mourir par amour de la vie. Maximien, ayant entendu ces paroles et désespérant de vaincre leur glorieuse constance, ordonne qu'ils soient tous massacrés, et que la sentence soit exécutée par des détachements de troupes envoyés pour les cerner. Lorsque ces impies, envoyés vers la bienheureuse légion, arrivèrent, ils frappèrent de l'épée ces saints soldats, qui ne refusèrent pas de mourir par amour de la vie. Ils tombaient çà et là sous le glaive, sans murmure, sans résistance ; ils avaient déposé leurs armes, présentant aux persécuteurs leurs têtes, leurs gorges, leurs poitrines découvertes. Leur propre nombre, les armes dont ils étaient pourvus ne les entraînèrent pas à soutenir par le fer la justice de leur cause. La terre fut couverte des corps étendus de ces pieux soldats, des ruisseaux de leur sang précieux coulèrent sur le sol. Les corps des bienheureux martyrs d'Agaune furent révélés, comme on le rapporte, longtemps après le massacre, à saint Théodore, évêque de ce lieu ; et il faisait construire en leur honneur une basilique qui, adossée à un immense rocher, n'était accessible que par un côté[6].
Vers la fin du Ve siècle une église existe donc déjà sur le site et saint Severin (430-507), parle même d'un monastère dont il fut l'un des premiers abbés[8].
Édification par saint Sigismond
Au début du VIe siècleSigismond, fils de Gondebaud, roi burgonde qui l'initie au pouvoir et le fait reconnaître comme son successeur à une assemblée tenue près de Genève, abjure l'arianisme pour se convertir au catholicisme entre 502 et 506 sous l'influence d'Avit, évêque de Vienne, et entreprend de construire à Agaune, ou Saint-Maurice en Valais du diocèse de Sion, une église[9]. Alors que son père Gondebaud restait fidèle à l'arianisme, Sigismond embrasse l'orthodoxie catholique (pas de distinction à l'époque) et fait de l'abbaye, dès son accession au trône en 516, un lieu de pèlerinage pour son peuple qui a dû le suivre dans sa foi. Sa position sur la route du col du Grand-Saint-Bernard qu'empruntent les pèlerins de Rome ou les commerçants voyageant entre l'Europe du Nord et l'Italie renforcent son attractivité et son prestige[10]. La première basilique, orientée est-ouest, au pied du rocher, date de cette époque, ainsi que le baptistère, permettant de procéder selon le rite de l'immersion partielle, qui peut être encore visité. Avant de monter sur le trône burgonde il consulte les évêques et les comtes de son royaume assemblés à Agaune, il y a là les évêques Viventiolus, Maximus, Victor et les comtes Videmarus, Fredebundus, Gondeulfus, Benedictus, Agano, Bonefacius, Teudemundus et Fredeboldus. Le roi ouvre la séance en demandant conseil pour le salut de son âme et pour l'exécution de ses projets favorisant la prospérité de son royaume. Les participants en viennent à proposer de construire une basilique où ensevelir les corps des martyrs connus qui sont Maurice, Exupère, Candide et Victor (bien qu'il semble avoir échappé au massacre), Ours et Victor, ainsi qu'une crypte pour les autres corps ; il propose également de constituer une garde, d'établir une psalmodie perpétuelle (des chœurs de moines s'y relayaient jour et nuit afin d'assurer une prière continue) et d'instituer pour abbé Hymnemond venu pour cela du monastère de Grigny[11]. Il réunit aux moines préexistants des religieux venant de « Granensis » (Grigny), d'« Insolana » (île Barbe) et de « Jurensis » (Condat)[12]. Le elle est inaugurée en présence d'un grand nombre d'évêques, de comtes et de grands seigneurs (parmi lesquels se trouve Viventiole de Lyon, Maxime de Genève et Victor de Grenoble), l'assemblée devait durer seize jours afin de finaliser le règlement du monastère[9].
Sigismond, devenu veuf, se remarie à Constance (qui serait la servante de sa défunte épouse), celle-ci lui donne deux fils Gistald et Gondebald. Le premier fils de Sigismond, Ségéric, après une violente dispute avec sa belle-mère et celle-ci craignant pour l'avenir de ses propres enfants, trouvera la mort par la propre main de son père. Pris de remords le monarque part s'enfermer au monastère d'Agaune pour expier son meurtre. Plus tard, pris et livré avec son épouse et ses deux fils à Clodomir, roi des Francs, ils sont décapités et jetés dans un puits à Saint-Sigismond du Loiret[13].
Dès le VIe siècle, l'abbaye entretient 500 religieux divisés en cinq « bandes » se succédant pour la psalmodie perpétuelle, ces « bandes » se nommant « Lérins », « Grigny », « l'Isle-Barbe », « Jura » et « Domni Probi » (cette dernière est formée par les anciens moines d'Agaune[3]). Durant les trois siècles suivants, le monastère vit une période faste et 32 abbés se succédèrent à sa tête. Sigismond va la doter de biens considérables afin de permettre aux religieux de se consacrer à leur psalmodie, il lui donna des biens dans ses territoires de Lyon, de Vienne, de Grenoble, de Genève, de Vaud, de Besançon et d'Aoste ; en Valais, elle reçut Sierre, Loèche, Conthey, Bramois, Ollon, Vouvry, Autan, Salvan et Autanelle en plus des terres qui s'étendaient à partir du lac de Martigny[Quoi ?] avec tout ce qui en dépendait en terres, édifices, esclaves, affranchis, habitants, vignes, forêts, champs, prés, pâturages, droit de pêche[13]…
Les premiers siècles de vie de l'abbaye vont lui faire connaître plusieurs grandes catastrophes, en 569 ce sont les Lombards, peuple germanique venu de la mer Baltique, qui envahissent le Valais et incendient l'abbaye ; Gontran, roi de Burgondie, se chargera de la rebâtir. Sous l'Empire carolingien ce sont les Sarrasins qui vont se répandre dans le royaume et se livrer, entre autres, au pillage du monastère[13]. Ainsi l'annaliste Flodoard précise pour l'année 940, que le village du monastère de Saint-Maurice était en la possession des Sarrasins et que ces derniers en profitaient pour attaquer les voyageurs et pèlerins.
Le nombre de moines a peu à peu diminué aux VIIe et VIIIe siècles et ceux-ci deviennent des chanoines séculiers. À la suite d'éboulements, la basilique est reconstruite aux VIIIe et XIe siècles, toujours dans le sens est-ouest.
Résidence royale sous le régime de la commende
À partir de 825Louis le Débonnaire, qui avait reçu l'abbaye des mains de son père, la donne en commende à son fils Arnulf ce qui amorce son déclin[12]. Voyant les exactions commises Louis entreprend, sans résultats, d'y placer des chanoines séculiers, qui sont des clercs formant un chapitre de chanoines sous l'autorité d'un prévôt, mais restant propriétaires de leurs biens[6]. Au milieu du IXe siècle, Hucbert, beau-frère de l'empereur Lothaire II, s'empare de l'abbaye. De 864 à 1032, l'abbaye échappe à l'influence de l'évêque de Sion pour devenir un abbatiat laïc[14].
Tué en 864 dans une bataille à Orbe, Hucbert est remplacé à la tête de l'abbaye par son vainqueur, Conrad, comte d'Auxerre. L'abbaye est dévastée par l'incursion des Sarrasins en 940[15],[16].
La descendance du comte Conrad, soit les rois de Bourgogne, de Rodolphe Ier à Rodolphe III, dirigent l'institution en tant qu'abbés laïcs jusque vers l'an mille. Ils font de celle-ci une résidence royale et confondent ses biens avec ceux de la couronne[4]. Les conditions vont s'améliorer avec Rodolphe III, dernier roi de Bourgogne, qui décide une restitution complète des biens au monastère[6]. Le , à la demande de ses familiers, Rodolphe III, donne ou plutôt rend à l'abbaye de Saint-Maurice les fiscs de Sciez, de Lully, de Commugny, la moitié de Pully, Oron-le-Châtel, la pauté de Vuadens, Bouloz, le plaid de Vevey, Lutry, Vouvry, Ollon, Villy, Naters, quelques droits à Saint-Maurice et l'ensemble des alpages du Chablais. Mais c'est surtout grâce au pape Léon IX qui en 1049 la soustrait à l'évêque de Sion et rend aux religieux l'usage de leurs biens et revenus en leur permettant d'élire entre eux un abbé qui jusqu'alors était choisi parmi les personnages en faveur à la cour qui en permet le renouveau, l'abbaye retourne ainsi entre des mains ecclésiastiques[12].
Un important atelier d'orfèvrerieromane semble y avoir été tenu aux XIIe et XIIIe siècles, comme le suggère le démontage du chef-reliquaire de Candide en 1961 pour le restaurer et pour lui remodeler le nez[19].
La règle de Saint-Augustin n'est plus suivie de manière stricte à Saint-Maurice dès le XIVe siècle. Les biens ne sont plus mis en commun : les différents chanoines (sacristain, chantre, infirmier) s'attribuent des prébendes distinctes. En 1475, l'abbaye, avec le sud du Bas-Valais, passe en main de la principauté épiscopale de Sion et des dizains valaisans après leur victoire contre les savoyards à la bataille de la Planta.
En 1560 l'abbaye est détruite par un grand incendie suivi, cinquante ans plus tard, d'un énorme éboulement à la suite d'un tremblement de terre. À la suite d'un nouvel éboulement, la basilique doit être reconstruite au milieu du XVIIe siècle, en suivant l'orientation nord-sud cette fois-ci et un peu plus éloignée du rocher. Placée sous l'autorité de l'évêque de Sion et de la diète valaisanne, l'abbaye a perdu une grande partie de ses biens et de son prestige. En pleine décadence matérielle et spirituelle, l'abbé Pierre IV (Maurice Odet, abbé de 1640 à 1657) supprime le système des prébendes et rétablit la règle augustine, notamment le vœu de pauvreté, permettant à la vie commune de reprendre [20].
Pour réformer l'abbaye, une brève tentative d'union à la congrégation de Notre-Sauveur (fondée par Pierre Fourier) a lieu entre 1672 et 1675. Saint-Maurice serait devenue le centre de cette congrégation d'origine lorraine, avec qui l'abbaye est en contact depuis 1636. C'est un échec et les chanoines lorrains, perçus comme des étrangers, quittent l'abbaye pour se replier en Lorraine et au Val d'Aoste à la fin du XVIIe siècle[21].
Le , un incendie qui se déclare dans les cuisines de l'abbaye détruit presque complètement les bâtiments abbatiaux (à l'exception de la basilique) qui sont définitivement reconstruits à partir de 1706[22].
L'abbaye échappe en partie au mouvement de sécularisation et de dispersion des religieux initié par la Révolution française en relevant l'ancien collège religieux fondé par la communauté que le gouvernement savoisien avait supprimé en 1560 par suite de la jalousie de la diète valaisienne.
En 1942, un nouvel éboulement détruit à nouveau une partie de l'église et le clocher. Ces bâtiments furent restaurés après la guerre et l'église obtint le titre de basilique mineure en 1948.
De premières fouilles ont eu lieu en 1896 sous la direction du chanoine Pierre Bourban[23]. En 2013, des fouilles ont été menées sur le site de l'Abbaye de Saint-Maurice par l'archéologue valaisanne Alessandra Antonini[24]. Le trésor de l'abbaye et les fouilles peuvent être visités.
La liste des abbés de Saint-Maurice-d'Agaune débute avec saint Séverin († )[25]. De la seconde moitié du IXe siècle jusqu'à la première moitié du XIIe siècle, la gouvernance du monastère se trouve entre les mains des laïcs, successivement les Rodolphiens, puis les Humbertiens[25]. À partir de 1128, et la réforme de l'abbaye par l'évêque de Grenoble, Hugues Ier, les abbés dirigent à nouveau les lieux[25].
Organisation
L'abbaye ne fut jamais dépendante d'un diocèse et d'un évêque, car elle bénéficia dès sa fondation de l'immédiateté pontificale, c'est-à-dire qu'elle dépend directement du pape et de lui seul. Après avoir été un nullius diocesis, elle devient « abbaye territoriale ». Ce qui veut dire que l'abbé de Saint-Maurice exerce sa propre juridiction spirituelle sur sa communauté abbatiale ainsi que sur les paroisses de son territoire.
Congrégation canoniale autonome donc, l'abbaye a compté jusqu'à plus de 120 religieux au cours du XXe siècle. Leur nombre n'a cessé de décroître depuis. En 2013, l'abbaye ne compte plus que 28 religieux, dont 25 chanoines[26].
Ces derniers sont des prêtres vivant sous la règle de saint Augustin. Tous ne résident pas à l'abbaye ; certains habitent à l'extérieur, dans une paroisse du territoire, dans une paroisse du diocèse de Sion ou alors à l'extérieur pour assumer d'autres charges pastorales. Les chanoines desservent en effet plusieurs paroisses du diocèse de Sion, prêtant main-forte à ce dernier.
Les paroisses du territoire abbatial sont au nombre de cinq :
la basilique abbatiale, érigée en paroisse, comprenant l'abbaye, la basilique, le collège, la chapelle de Vérolliez et le home Saint-Jacques (résidence pour personnes âgées) ;
L'abbaye de Saint-Maurice possède un collège ayant un statut d'établissement semi privé car il est propriété des chanoines mais est régi par un concordat de 1806 entre l'abbaye et l'État du Valais. En 1806 en effet, le Valais reconnaît le collège en tant qu'établissement d'utilité publique et participe à son financement. Aujourd'hui, l’État du Valais a racheté[28] le collège de l’Abbaye en 2021[29]. Quelques chanoines y enseignent encore. L’internat a fermé ses portes en 2021[30].
En mars 2024, à la suite d'un scandale d'abus sexuel ayant secoué l'Abbaye de Saint-Maurice sans pour autant que les 3 chanoines qui y sont professeurs n'aient été coupables d'actes délictueux envers les élèves du Lycée-collège, un nouvel accord a été passé avec l'État du Valais[31]. Le Lycée-collège de l'Abbaye de Saint-Maurice a été rebatisé "Lycée-collège de Saint-Maurice" au cours d'une démarche impliquant la laïcisation de l'établissement[31] «tout en respectant [son] passé prestigieux"[32]. Le recteur[31], le Chanoine Alexandre Inechen, qui s'était mis en retrait volontairement, a été réintégré à la tête du lycée-collège[33],[32].
L'église abbatiale a été reconstruite selon une nouvelle orientation au XVIIe siècle et restaurée par l'architecte Claude Jaccottet après un effondrement en 1942. Église mère du territoire abbatial, l'abbatiale est élevée au rang de basilique mineure le par le pape Pie XII.
Trésor
Parmi les nombreuses pièces exposées, il convient de noter quelques éléments exceptionnels[34] :
le vase dit de Saint-Martin de Sardonyx, qui daterait du Ier siècle et qui est rehaussé d'orfèvrerie carolingienne[36]. Il aurait recueilli selon la légende le sang des martyrs de Thèbes et fait probablement partie des donations du roi Sigismond lors de la fondation de l'abbaye[37] ;
le chef-reliquaire de saint Candide, datant des environs de 1165.
Descriptif du trésor de l'abbaye
La grande châsse de saint Maurice du XIIIe siècle : en argent naturel ou doré, orné de pierres fines (onyx, malachites, grenats, améthystes, cornalines, cristaux de roches…) montées sur des plaques d'argent ou de cuivre doré. Un côté représente quatre des apôtres et l'autre quatre saints dont Pierre et Paul, le couvercle contient des médaillons où figurent Adam, Ève et Abel. Les petits côtés sont ornés de la Vierge et de Jésus-Christ[11].
La châsse des enfants de saint Sigismond du XIIe siècle : elle contiendrait selon la tradition les reliques de Gistald et Gondebald[38]. Exécutée en argent naturel et doré, elle présente surtout des figures des saints, des apôtres et du Christ. Sur un des petits côtés est représenté saint Sigismond assis sur un trône recevant un groupe de quatre personnages armés. L'autre petit côté est occupé par saint Maurice à cheval[11].
La châsse de l'abbé Nantelme, dite ancienne châsse de saint Maurice, datant de 1225 : en cuivre argenté et doré. Le couvercle est orné de saint Sigismond, saint Maurice, Gistald et Gondebald. La façade est orné d'un premier médaillon représentant Maximianus qui sur ordre de Dioclétien massacra la légion thébaine, un autre où figure saint Maurice subissant le martyre et un troisième contenant quatre personnages en cotte de mailles semblant attendre leur supplice. Les autres faces représentent l'église, Jésus-Christ en croix et la loi sur un côté, la Vierge, la nativité et les rois mages sur l'autre[11].
Le châsse-coffret de Teudéric, mérovingien, datant du VIIe siècle : en verroteries et pâtes de verre cloisonnées comprenant des pierres précieuses et des perles. Les petits côtés sont munis de poignées en or et verroteries qui autrefois maintenaient une courroie que le prêtre passait à son cou pendant les processions. Une inscription sur sa face postérieure indique que ce reliquaire a été fait en l'honneur de saint Maurice sur la demande d'un prêtre nommé Teuderigus, le travail a été pris en charge par un Nordoalaus et sa femme Rihlindis et confié à deux orfèvres, Undiho et Ello[11].
Le Châsse-coffret du XIIe siècle : en argent doré, orné de pierreries et de perles. La face antérieure comprenait 23 pierres fines, il n'en reste que 16, montées sur chatons (saphirs, émeraudes, améthystes et cristaux de roche). Les autres côtés ont aussi perdu leurs pierres[11].
Le châsse-coffret du XVe siècle : en cuivre doré avec pierres fines (cristal de roche, aigue-marine et agate sur la face antérieure) et inscriptions du XVe siècle sur papier dans un médaillon sous verre[11].
Le châsse-coffret du XVIIe siècle : en argent. La façade porte deux médaillons, l'un avec une tête d'ange ailé et nimbé, l'autre avec la Vierge. Ce coffret a été exécuté sur la demande de l'abbé Pierre-Maurice Odet (abbé de l'abbaye de 1640 à 1657)[11].
Cinq petits reliquaires en forme de coffret : deux en argent et trois en cuivre. Quatre sont le fait de l'abbé Jodoc Quartery qui siégea de 1657 à 1669[11].
Le vase de sardonyx gravé, dit vase de saint Martin (une légende tardive veut que ce vase fut donné à l'abbaye par l'évêque Saint Martin de Tours) : datant du Ier siècle, il rehaussé d'orfèvrerie carolingienne de la fin du Ve siècle ou du début du VIe siècle. Il est creusé dans une sardonyx de 16 centimètres de hauteur sur 34 centimètres de circonférence, l'anse est brisée, de couleur brun foncé, veiné de rouge-brun, de jaune avec des couches de blanc laiteux et de gris. Couvert de figures sculptées à la manière des camées (les figures représenteraient le retour d'Ulysse à Ithaque, ou Achille à Scyros, ou encore un épisode de la guerre de Troie) et verroteries cloisonnées d'or enrichies de pierreries. La monture et un pied conique en or de 5,5 cm de hauteur couvert de verroteries rouge-grenat et incrusté de pierres précieuses (14 perles fines pour la première rangée, 14 émeraudes et saphirs pour les deuxième et troisième rangées et 14 petites perles fines pour la quatrième). La monture du col est une garniture en or à pierreries incrustées et verroteries cloisonnées du même style que le pied[11].
L'aiguière dite de Charlemagne : d'époque carolingienne, en or et émaux byzantins cloisonnés elle mesure 30 centimètres de hauteur. Pied cylindrique, panse circulaire et aplatie, col à huit pans, bec trilobé et une anse. Les plaques d'émail qui ornent la panse représentent pour l'une deux griffons et pour une autre deux lions debout. Elle serait le fait d'un présent d'un calife arabe (Hâroun ar-Rachîd qui aurait entretenu une correspondance avec le souverain[39])[11]. Une autre hypothèse est qu'elle fait partie du trésor légendaire de Charlemagne, ce trésor étant en grande partie dû aux largesses de Charles le Chauve[40].
Le chef-reliquaire de saint Candide : datant des environs de 1165, il représente la tête du saint (officier de la légion thébaine) jusqu'aux épaules. En argent travaillé et repoussé, en partie doré avec incrustation de pierreries (cristaux de roche, topazes, cornalines, malachites, turquoises, opales, saphirs). La tête est couverte d'un casque cannelé pouvant s'ouvrir pour voir la relique. La face antérieure du reliquaire s'orne d'un bas-relief représentant le saint au moment de son martyre, entouré de ses deux bourreaux et accompagné d'un personnage en cotte de mailles qui joint les mains, tête nue et désarmé attendant comme lui à mourir, au-dessus est un ange sortant d'un nuage venu recueillir l'âme de Candide[11].
Le buste de saint Victor du XVe siècle : reliquaire représentant sa tête et son buste jusqu'au coude ; en argent naturel ou doré repoussé. Au milieu de la poitrine se trouve une vitre permettant de voir le crâne du saint. Il serait un don de la maison de Savoie[11].
Le bras reliquaire de saint Bernard de Menthon du XIIe siècle : mesurant 46 centimètres, il représente une main bénissante sortant d'une manche étroite reposant sur un piédestal. En argent repoussé couvert d'ornements en filigranes incrustés de pierreries et d'émaux[11].
Le bras reliquaire de saint Maurice du XVe siècle : d'une longueur de 50 centimètres il est en argent repoussé et gravé, doré en partie, orné de pierreries (rubis, cornalines) et de médaillons (portant la croix blanche de saint Maurice), posé sur un socle en fer blanc vernissé orné de roses à cinq feuilles. Il présente une main bénissante émergeant d'une manche[11].
le reliquaire de la Sainte Épine, offert par Louis IX de France : formé de deux verres enchâssés dans une monture elliptique, en argent doré au milieu desquels est suspendu un tube de verre contenant une épine de la couronne du Christ. Orné de rubis, émeraudes et perles[11]. En 1261Louis IX demanda une relique de saint Maurice et c'est Giroldus, alors abbé, qui lui porta. À cette occasion le roi fondait le prieuré de Saint Maurice à Senlis afin d'y déposer ces précieuses reliques et remettait à l'abbaye une épine de la couronne du Christ conservée dans le reliquaire de la Sainte Épine[6].
Le reliquaire de sainte Apollinie du XVe siècle : en argent doré avec des parties émaillées, hauteur 32 centimètres. Il porte des médaillons de la maison de Savoie, du Christ, de la Vierge et de saint Paul[11].
Le ciboire dit de Charlemagne du XIIIe siècle : transformé en reliquaire, ce ciboire de 27,8 centimètres de hauteur, en argent ciselé, repoussé et doré, est couvert de médaillons représentant des scènes de l'enfance du Christ. Il est surmonté d'une figurine représentant le centaureChiron. La tradition veut que cet objet servit à Charlemagne, l'utilisant pour faire prêter serment de fidélité à ses officiers et à ceux de ses ennemis qui imploraient sa clémence[11].
Le ciboire de saint Sigismond du XIIe siècle : d'une hauteur de 30 centimètres, en argent uni travaillé et repoussé, en partie doré[11].
La croix reliquaire de saint Louis du XIIIe siècle : de 29 centimètres de hauteur, en forme de croix en argent repoussé et doré en partie. Orné de médaillons (l'agneau pascal, l'aigle de saint Jean, le lion de saint Marc, le bœuf de saint Luc et l'ange de saint Matthieu). Les extrémités se terminent en fleur de lys. Il contiendrait une parcelle de la croix du Christ donnée par saint Louis. Elle est enfermée et scellée dans une autre croix, du XVIIe siècle, ornée d'émaux et des armes de la famille des Quatery qui a donné deux abbés au monastère[11].
La croix reliquaire de saint André du XIIIe siècle : en argent repoussé et doré, d'une hauteur de 47 centimètres, elle contiendrait un morceau de la croix sur laquelle fut crucifié le saint[11].
L'anneau de saint Maurice : bague en or uni et poli orné d'un saphir ovoïde bleu très pâle[11].
La statue équestre de saint Maurice datée de la Renaissance : haute de 58 centimètres en argent travaillé et repoussé. Elle représente saint Maurice armé et monté sur son cheval de bataille couvert d'un caparaçon. Cet objet fut offert par Emmanuel-Philibert de Savoie accompagné d'une lettre datée de 1577[11].
La crosse en émail : ornée de figures d'anges et d'émaux. Fabriquée pour l'abbé Nantelme (1223-1258)[11].
Les autres objets du trésor sont ceux de Félix V : la crosse en argent naturel et doré, d'une hauteur de 84 centimètres, ornée de figures d'apôtres et de chevaliers armés, elle fut donnée à l'abbaye par Amédée VIII de Savoie, la mitre en soie blanche ornée de fausses pierres, les chandeliers en argent fondu et ciselé, L'encensoir et le calice en argent doré du cardinal Schiner[11].
En 2019, pour diversifier ses revenus, l'abbaye lance sa production de bière[41]. La brasserie, détenue à 100% par l'abbaye, produit trois bières. La levure utilisée pour les produire a été prélevée sur un parchemin datant de 1319[42]. Il s'agit de la « première vraie bière d’abbaye de Suisse ». La brasserie a une capacité de 600 000 bouteilles par an. À la suite des révélations d'abus sexuels, plusieurs distributeurs des bières de l'abbaye cessent leur partenariat, dont la Coop[43].
En 1994, un prêtre commande des vidéos pédopornographiques, arrêté par la police, il reçoit un « simple avertissement » du juge d’instruction. Il continue d'enseigner au collège de Saint-Maurice. En 1997 il est de nouveau arrêté après avoir agressé deux enfants à l'étranger. Lors de son procès, il avoue des relations avec plusieurs enfants. Pour le collège de l'Abbaye de Saint-Maurice, deux victimes alléguées sont auditionnées, mais cette partie de l'enquête n'aboutit pas. Le prêtre est condamné à quinze mois de prison avec sursis et retourne à l'état laïc[44],[45].
En 2023, une enquête de l'émission Mise au Point dénonce plusieurs cas d'abus sexuel dans l'abbaye. Au total, neuf prêtres seraient impliqués dans l'affaire, dont le père abbé Jean Scarcella, en retrait depuis , ainsi que Roland Jaquenoud, le responsable par intérim de l'institution[44]. Ce dernier se met également en retrait le , et la direction de l'abbaye est confiée à un administrateur apostolique nommé par Rome[46] : Jean-Michel Girard, ancien prévôt de la congrégation du Grand-Saint-Bernard[47]. L'émission Mise au Point a fait l'objet de deux plaintes à l'autorité indépendante d'examens des plaintes en matière de radio et télévision (AIEP) pour violation de la présomption d'innocence et inexactitude des faits. Le , l'AIEP rejette la première plainte[48]. La seconde plainte concernant l'ancien prieur Roland Jaquenoud sera jugée le 31 octobre 2024[49]. Le 17 octobre 2024, après audition de tous les novices, le Ministère public valaisan ordonne le classement du dossier du prieur Roland Jaquenoud faute de plaignant[50] .
La majorité des affaires auraient eu lieu entre 1995 et 2005, dans des lieux privés, dans les paroisses où officiaient les chanoines de l'abbaye et au collège[51].
Le , elle annonce mandater Pierre Aubert, procureur général du canton de Neuchâtel, pour mener une enquête indépendante sur les accusations d'abus au sein de l'abbaye[52],[53].
En mai 2024, le chanoine G.R. a retrouvé sa place au sein de l'abbaye après avoir fait une grève de la faim pour clamer son innocence, alors qu'il est accusé d’attouchements sur une enfant de douze ans, au début des années 2000. Une nouvelle émission de Mise au Point, diffusée le 7 juillet 2024, livre plusieurs témoignages sur des comportements du chanoine. Plusieurs femmes rapportent des gestes et des propos inadéquats de G.R. quand elles étaient adolescentes. Par ailleurs, la procureure du Valais, Beatrice Pilloud, confirme au moins une nouvelle audition visant le chanoine. Ce dernier conteste ces nouvelles accusations[54]. Il démissionne de sa charge de curé en , tout en restant chanoine de l'abbaye[55].
Notes et références
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Voir aussi
Bibliographie
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