Éric Demarsan (parfois Éric de Marsan), né le à Paris, est un compositeur de musique de film français.
Biographie
Enfance et formation
Né Jean-Claude Raymond Roger Beyer[1], le jeune Éric Demarsan découvre le cinéma (et la musique de film) en visionnant deux épisodes de Zorro dans le cinéma Vox de son quartier à Épinay-sur-Seine[2]. Vers l'âge de 12 ans, le garçon décide de devenir musicien après avoir écouté un pianiste de bar terminer son morceau par un grand glissando qui l'avait émerveillé[3],[4],[5]. Il prend ensuite des cours de piano[6] auprès de sa grand-mère artiste-peintre[4] et d'un professeur de quartier[3]. Peu désireux que son fils embrasse une carrière dans la musique, son père le pousse à entreprendre des études commerciales[7],[5], mais l'adolescent commence tout de même l'apprentissage de l'harmonie, fugue et composition avec des professeurs privés sans passer par le conservatoire[7],[3]. Il bénéficie notamment de l'enseignement du compositeur Julien Falk qui lui apprend le contrepoint et l'orchestration[4].
Très demandé à l'époque[11], Michel Magne lui propose alors d'arrêter ce travail ingrat pour rejoindre son équipe d'orchestrateurs[5],[12]. De 1965 à 1967[3], c'est Magne qui lui apprendra toutes les ficelles de la composition musicale pour le cinéma[7],[6], et notamment la façon de bien structurer une partition[13].
En 1967, le musicien fait la rencontre du célèbre François de Roubaix par l'intermédiaire de son ami Bernard Gérard (qui fut aussi l'un des fidèles collaborateurs de Michel Magne). Faute de temps pour la réaliser lui-même, Bernard Gérard lui confie l'orchestration de la bande originale du film Le Samouraï, écrite par François de Roubaix[3],[13]. La même année, ce dernier fait également appel à lui pour orchestrer la partition de Diaboliquement vôtre[14], et un peu plus tard, celle de la série télévisée Les Chevaliers du ciel[15]. C'est grâce à De Roubaix que le musicien a pris goût aux mariages de timbres insolites[13].
C'est lors de l'enregistrement au studio Davout de la bande originale du film Le Samouraï (composée par François de Roubaix), au cours duquel Demarsan dirigeait l'orchestre[16], que ce dernier croise le réalisateur Jean-Pierre Melville[18], qui lui lance alors : « On se reverra certainement, monsieur d'Marsan ![17] ». Un an après, Melville convoque Demarsan pour lui confier la musique de L'Armée des ombres[19],[20]. Pour ce long-métrage de 1969 rendant hommage aux grandes figures de la résistance intérieure française, le compositeur a fait le choix d'éviter une écriture trop lyrique et a préféré opter pour la retenue, tout en utilisant à la fois une formation symphonique, un accordéon et des instruments légèrement anachroniques par rapport à l'époque décrite dans le film comme l'orgue Hammond et la guitare électrique[21]. La bande originale minimaliste[13] de L'Armée des ombres comporte également un extrait des Spirituals for String Choir and Orchestra (1941) du compositeur américain Morton Gould, pièce symphonique utilisée par Jean-Pierre Melville pour une scène de son film, et qui illustre aussi le célèbre générique des Dossiers de l'écran sur Antenne 2[21].
Grâce à ce premier travail pour le grand écran en tant que compositeur en titre, Demarsan gagne la confiance de Jean-Pierre Melville[22],[23] qui, en 1970, l'appelle en urgence pour remplacer Michel Legrand qui devait initialement écrire la musique du Cercle rouge[24]. Pour ce film policier, le musicien imagine un thème de jazz minimaliste très inspiré par celui du film Le Coup de l'escalier composé par John Lewis[25], le pianiste du Modern Jazz Quartet[26],[13] . Ces deux premiers travaux pour Melville sont particulièrement emblématiques de l'esthétique générale de Demarsan. Arrangeur de formation et peu porté sur les mélodies, le compositeur s'attache surtout à trouver une instrumentation la plus adaptée au sujet traité[27]. En outre, Demarsan se définit volontiers comme un « homme de l'ombre »[2] qui accepte avec modestie de se plier aux désirs des réalisateurs tout en reconnaissant connaître parfois une certaine dose de frustration[28]. Ces qualités ont fait en sorte qu'il soit le seul compositeur à avoir pu travailler à deux reprises pour un réalisateur aussi exigeant que Jean-Pierre Melville, réputé pour avoir des rapports particulièrement conflictuels avec ses collaborateurs[29],[30].
En 1972, Jean-Pierre Melville ne le rappelle pas pour Un flic, mis en musique par Michel Colombier et qui restera le tout dernier film du cinéaste[31]. Dès lors, Demarsan va travailler pour de nombreux autres réalisateurs, en particulier Jean-Pierre Mocky, Costa-Gavras ou Patrice Leconte. Très intrigué par l'univers iconoclaste de Jean-Pierre Mocky, il tente à plusieurs reprises de le contacter afin de lui proposer sa collaboration, souvent sans succès ; jusqu'au jour où ce dernier finit par accepter[31]. À partir du film L'Ombre d'une chance, le compositeur deviendra un partenaire de travail régulier[6] et les deux hommes deviennent amis[32]. Demarsan se souvient que Mocky lui demandait à chaque fois une liste de morceaux à lui fournir en lui disant : « il me faut une minute trente de chœurs coptes, là une minute de tango, [etc.] », comme on fait une « liste de courses »[33],[13]. Contrairement à celui de Melville, le cinéma de Mocky exigeait moins une musique de film proprement dite que des « musiques d'ambiance », voire presque des chansonsinstrumentales[33].
En 1975, il change complètement de registre en écrivant la bande originale du film Section spéciale de Costa-Gavras, un long métrage politique traitant de la période de l'occupation[34]. Demarsan se souvient d'un réalisateur particulièrement investi et « très à l'écoute »[35]. La même année, Christian Gion lui demande de mettre en musique sa comédie C'est dur pour tout le monde, suivie de Pétrole ! Pétrole ! et du Bourreau des cœurs. Pour ce cinéaste, Demarsan devait livrer surtout des thèmes très rapides et les plus rythmés possibles. Gion lui demandait toujours de lui écrire « un truc qui cavale ! »[36] et le musicien se souvient également que « dans des thèmes plus lents ou plus romantiques, il lui fallait des tas d'arpèges ! »[37]. Toujours en 1975, il s'inspire de Jean Wiener pour La Fille du garde-barrière, un long-métrage muetnoir et blanc de Jérôme Savary co-écrit avec Roland Topor, où il imagine une longue suite orchestrale interprétée par l'Orchestre symphonique de Londres[13] avec un piano soliste faussement improvisé[36]. Pour ce film peu connu de Savary, Demarsan a composé un motif pour chaque personnage, et son thème principal évoque une « valse de mélodrame »[36].
Sa collaboration avec Patrice Leconte a eu un impact important sur sa carrière.
Particulièrement impressionné par le thriller La Traque de Serge Leroy, Demarsan contacte ce dernier à plusieurs reprises pour lui offrir ses services. Après une occasion manquée en 1977 sur Les Passagers, dont la partition est rejetée par le responsable de la Warner-Columbia Film au profit de celle de Claude Bolling[38],[5], il réussit à composer la musique de l'étrange Attention, les enfants regardent, produit en 1978 par l'acteur principal Alain Delon[39]. Dans ce film en forme de conte à l'atmosphère à la fois enfantine et angoissante, on peut entendre un orchestre symphonique agrémenté d'un harmonica de verre, d'un clavecin et d'une chorale d'enfants[38]. L'année suivante, il écrit la musique de Roberte de Pierre Zucca. Pour ce long métrage mettant en scène le peintre et écrivain Pierre Klossowski avec sa femme, Demarsan a écrit une musique de type « tango-jazz » en utilisant à la fois des cordes et des cuivres auxquels il a adjoint deux saxophones[40]. À ce jour, ce travail constitue la composition dont il est le plus fier[41],[42].
Dans les années 1980, il compose les bandes originales de plusieurs films destinés au grand public, notamment 5 % de risque de Jean Pourtalé, pour lequel il écrit une partition métissant des cordes nerveuses aux sonorités typiques des synthétiseurs de l'époque[40], sans oublier L'Indiscrétion de Pierre Lary, dont le thème principal s'inspire d'Ennio Morricone[43], et le long métrage d'aventures Les Spécialistes de Patrice Leconte. C'est le journaliste Alain Lacombe qui a présenté Demarsan à Leconte[44],[13], car il était à ses yeux : « le seul compositeur français capable de travailler dans un esprit "à l'américaine" »[45]. C'est vraiment à partir de ce film et grâce à Demarsan que Patrice Leconte s'est vraiment rendu compte de l'importance de la bande originale dans un long-métrage[45],[46]. Enregistrée dans le célèbre Studio Forum (fondé par Morricone et d'autres compositeurs), la bande originale du film Les Spécialistes mêle la tradition symphonique à l'énergie du rock, et fait partie de ses travaux les plus importants[43].
Au cours des années 1990, il se tourne de plus en plus vers la télévision[42], pour laquelle il avait déjà travaillé dès 1968 en écrivant la musique du feuilleton Sébastien parmi les hommes, et ce juste avant de composer la partition de L'Armée des ombres[31],[5]. Il travaille notamment auprès de Pierre Granier-Deferre (La dernière fête en 1996) puis Jacques Deray (Clarissa en 1998, puis On n'a qu'une vie en 2000), deux réalisateurs avec lesquels il désirait collaborer depuis longtemps[47]. Pour la série documentaire La Légende des sciences imaginée par le philosophe Michel Serres, le réalisateur Robert Pansard-Besson demande au compositeur d'écrire sept thèmes sans que ce dernier puisse voir les images qu'il devait illustrer. Demarsan a finalement conçu une musique pleine de lyrisme et parfois teintée de touches impressionnistes[48], dont l'exécution a exigé un important orchestre[42].
Éric Demarsan a également composé pour des publicités, notamment pour Patrice Leconte[43], et a écrit de nombreuses chansons dont L'oiseau extraite du feuilleton Sébastien parmi les hommes[31],[5]. Passionné par certaines innovations de la musique pop comme celles des Beatles[5], il réalise l'album Pop Symphony en 1970[51] sous le pseudonyme de Jason Havelock[52],[54]. Très marqué par le rock progressif des Procol Harum, Pink Floyd et King Crimson, il s'agit de l'unique essai de ce type par le compositeur, qui désirait également écrire une Symphonie pour cœur et orchestre en utilisant des sons de rythmes cardiaques[55].
↑Dans une longue interview accordée au site Underscores, le musicien indique que c'est Michel Magne qui l'a réellement initié à l'univers cinématographique[5].
↑Le travail de Demarsan consistait à jouer des partitions de chansons à des interprètes ou des producteurs qui cherchaient à étoffer leur répertoire[7].
↑Dans les années 1960, Michel Magne pouvait parfois écrire jusqu'à deux musiques de film par mois, et avait besoin de plusieurs assistants pour l'aider à finaliser les arrangements et orchestrations[3].
↑Gilles Loison et Laurent Dubois, François de Roubaix : charmeur d'émotions, Éditions chapitre douze, Paris, Bruxelles, (ISBN978-2-915345-06-3), p. 182.
↑Gilles Loison et Laurent Dubois, François de Roubaix : charmeur d'émotions, Éditions chapitre douze, Paris, Bruxelles, (ISBN978-2-915345-06-3), p. 203.
↑En réalité, Demarsan avait déjà côtoyé Melville sans pouvoir lui parler lorsqu'il travaillait comme copiste pour son ami Bernard Gérard quand ce dernier écrivait en urgence sa partition pour Le Deuxième Souffle[17].
Alain Lacombe et François Porcile, Les musiques du cinéma français, Paris, Bordas, , 328 p. (ISBN978-2-04019-792-6).
Jean-François Houben, 1 000 compositeurs de cinéma, Paris, Le Cerf/Corlet, coll. « Septième Art », (ISBN2-204-06989-2), p. 191-192.
Vincent Perrot, B.O.F. : Musiques et compositeurs du cinéma français, Paris, Dreamland, , 304 p. (ISBN2-910027-93-7).
Gérard Dastugue, « Entretien avec Eric Demarsan », dans Jérôme Rossi (dir.), La musique de film en France : courants, spécificités, évolutions, Lyon, Editions Symétrie, (ISBN978-2-914373-98-2), p. 389-391.
Thierry Jousse, Dictionnaire enchanté de la musique au cinéma, vol. I, Marest éditeur, (ISBN979-10-96535-27-9), « Demarsan, Éric », p. 189-194.
Articles
Natacha Henry, « Demarsan, la musique du polar », Synopsis, no 18, , p. 100-101 (ISSN1291-2328).
Christophe Conte, « À cœur vaillant… : rencontre avec Eric Demarsan », Les Inrockuptibles, hors-série « L'histoire des musiques de films », , p. 42-43 (ISSN0298-3788).
Sylvain Lefort, « Entretien avec Eric Demarsan : "La musique accompagne un état psychologique" », Revus & Corrigés, no 9, , p. 50-57 (ISSN2609-9942).