La rue des Rosiers est une rue ancienne du centre de Paris, qui parcourt une partie du 4e arrondissement sur 303 mètres de long d'est en ouest, dans le quartier Saint-Gervais, en partie sud du Marais.
Rue des Rosiers, vue du côté occidental, le plus ancien (XIIIe siècle).
Rue des Rosiers, vue en 2021 du côté oriental, sa partie la plus récente (XIXe siècle).
Origine du nom
Selon Jacques Hillairet, elle portait déjà ce nom, en 1230, en raison de rosiers qui poussaient alors dans les jardins voisins[1]. Une seconde source, Jean de La Tynna, confirme qu'elle porte ce nom en 1233[2].
À cette époque, la rue des Rosiers fait un retour en équerre[4]. Elle part de la rue du Roi-de-Sicile, continue dans ce qui est actuellement la rue Ferdinand-Duval, puis tourne à angle droit jusqu'à la rue Vieille-du-Temple. La partie la plus à l'est de l'actuelle rue des Rosiers, entre la rue Ferdinand-Duval et la rue Pavée, est alors une impasse, dont le nom a souvent changé : « rue de la Quoquerée » (1292), « cul-de-sac de la Lamproie » (1400), « rue Coquerée » (1415), « rue Coquerrie » (1540), « cul-de-sac Coquerelle » ou « impasse Coquerelle ».
La présence de la communauté juive est ancienne, liée aux aléas politiques (ordonnances d'expulsion des Juifs de France de Philippe IV le Bel en 1306 et de Charles VI en 1394) qui provoquent afflux et reflux des populations. Fin XIXe siècle et début XXe siècle, entre 1881 et 1914, le quartier accueille une forte immigration : environ 20 000 personnes s'implantent dans le quartier, après avoir fui les persécutions en Roumanie, Autriche-Hongrie et Russie. La communauté ashkénaze, yiddishophone, est ainsi fortement représentée, expliquant la forte image du Pletzl au XXe siècle, mais des recherches récentes[5] montrent que la communauté séfarade est aussi présente.
La rue des Rosiers fut également un lieu de culte chrétien. Une statue de la Vierge était en effet érigée à l'angle de la rue des Rosiers et de la rue Ferdinand-Duval. Elle fut mutilée en 1528, au moment des persécutions contre les protestants[6]. En remplacement, François Ier vint lui-même poser une effigie en argent, qui fut volée en 1545. Remplacée à nouveau par une statue de pierre, qui existait encore en 1789, la figure de la Vierge a finalement disparu.
Elle est citée sous le nom de « rue des Roziers » dans un manuscrit de 1636 dont le procès-verbal de visite indique : « avons veu quantité de boues et immundices ».
Une décision ministérielle du 13 ventôsean VII (), signée François de Neufchâteau, fixe la moindre largeur de la voie à 8 mètres. La largeur est portée à 11 mètres par une ordonnance royale du .
Enfin, une autre rue des Rosiers a existé dans l'ancienne commune de Montmartre, qui ne faisait pas encore partie de Paris. Pour éviter la confusion, elle est devenue la rue du Chevalier-de-la-Barre. Une photographie truquée célèbre[8] de la Commune de Paris porte ainsi l'ancien nom de la rue.
En 1982, un attentat fait six morts et vingt-deux blessés dans le restaurant Goldenberg situé au no 7 de la rue. En 2011, la justice française identifie le Fatah-Conseil révolutionnaire d'Abou Nidal comme responsable de l'attentat[9].
Bâtiments remarquables et lieux de mémoire
Au no 4 se trouvait un hammam réputé, le hammam-sauna Saint-Paul construit en 1863 (à une époque où les appartements ne disposaient pas de salles de bain). Vendu en 1990[10], c'est devenu une boutique dont seule la façade, qui porte toujours l'inscription « HAMMAM SAINT-PAUL - SAUNA - PISCINE », rappelle l'ancienne destination. Des commerces de mobilier et de vêtements s'y sont successivement installés.
Au no 4 bis se trouve une école privée d'enseignement professionnelle, l'École de travail[11]. À l'origine, il s'agissait d'un foyer pour apprentis, Société de patronage des apprentis et ouvriers israélites de Paris créé par le Consistoire Israélite. Un internat se met en place à partir de 1865 (le premier élève de l'école en sort en 1869, après y avoir étudié l’horlogerie), dirigé par une association à but non lucratif (reconnue d'Utilité Publique en 1878). En 1885, l'École de travail devient propriétaire de ses murs et, à partir de 1907, propose des cours « théoriques » en complément de l'activité d'apprentissage. Sous l'Occupation allemande, le docteur Alfred Milhaud est médecin dans cet établissement et soutient une filière clandestine de sauvetage d'enfants juifs[12]. En 1957, l'école se rapproche de l'ORT (Union mondiale ORT, Organisation, reconstruction, travail) et devient une école professionnelle à temps complet. Le l'École de Travail et Ort France ont acté leur fusion.
En 2002, l'école acquiert un second bâtiment à Paris. Jusqu'en 2009, elle est dirigée par Hubert Saksik. Après des changements de statuts en 1961 et 1973, l'École devient Centre de formation d’apprentis (CFA) et prépare désormais à une Licence Générale avec le CNAM (Génie civil - Construction durable et Management de Projet BIM), deux BTS (fluides, énergie, environnements, option froid et conditionnement d’air ; maintenance des systèmes, option systèmes énergétiques et fluidiques), quatre baccalauréats professionnels (technicien en installation des systèmes énergétiques et climatiques ; technicien du froid et du conditionnement d'air ; maintenance des véhicules automobiles et électrotechnique ; énergie, équipements, communicants), cinq CAP (électricien.ne ; Monteur en installations Sanitaires ; Monteur en Installations Thermiques ; maintenance de véhicules particuliers ; installateur en froid et conditionnement d’air), deux mentions complémentaires (maintenance des systèmes embarqués de l’automobile ; énergies renouvelables, options « énergie électrique » ou « énergie thermique »).
Dans l'Histoire, l'école a payé un lourd tribut à la barbarie nazie : une plaque commémorative en témoigne. « À LA MÉMOIRE DU DIRECTEUR, DU PERSONNEL ET DES ÉLÈVES DE CETTE ÉCOLE ARRÊTÉS EN 1943 ET 1944 PAR LA POLICE DE VICHY ET LA GESTAPO, DÉPORTÉS ET EXTERMINÉS À AUSCHWITZ PARCE QUE NÉS JUIFS. » Parmi les anciens élèves de l'école se trouve Wolf Wajsbrot, membre du groupe Manouchian, qui est fusillé au mont Valérien pour ses faits de résistance. En 2003, l'école est le lieu d'une étude ethnologique[13]. Depuis 2014, des activités commerciales (restauration, soirées, boutiques éphémère) sont proposées dans les lieux.
Au no 7 se trouvait un restaurant réputé, tenu par Jo Goldenberg. Fermé en 2006 pour des raisons d'hygiène et de dettes[14], il était connu pour sa cuisine juive traditionnelle[15]. Un violent attentat y a eu lieu en 1982. De 2010 à 2017, un magasin de vêtements a pris possession des locaux, tout en gardant la devanture[16], mais il n'a pu survivre à un loyer de plus d'un demi-million d'euros annuel[14].
Au no 16, le bâtiment appartient désormais à l'OPAC, et on distingue dans la cour les vestiges d'un hôtel particulier, une entrée d'escalier, et un mascaron. Sur rue, une boulangerie jouxte l'ancien Café des Psaumes devenu « café social[16] » animé par l'Œuvre de secours aux enfants.
Au no 17 se trouve la Synagogue du 17 rue des Rosiers, l'une des deux synagogues de la rue, l'autre étant au no 25. Il s'agit de deux synagogues orthodoxes non consistoriales. On peut repérer l'une au no 17 par la lumière rouge de sa lampe éternelle au premier étage, l'autre (no 25) par un panonceau au premier étage avec l'inscription « Schule » qui signifie « synagogue » en yiddish et en judéo-alsacien. La schule du 17, où a enseigné Menachem Mendel Schneerson, se nomme Machziké adath, c'est-à-dire « Ceux qui renforcent la religion ». Cette synagogue loubavitch (shtibl) serait, selon les membres de cette communauté, le plus ancien lieu de culte juif à Paris (certains la datent du XVIIIe siècle[18],[19],[20], d'autres du XIXe siècle). La synagogue aurait fonctionné même sous l'occupation allemande. Elle aurait été appelée « la schule des déportés » car, au retour des camps d'extermination, certains rescapés s'y seraient rendu dès leur arrivée encore habillés de leur tenue rayée.[réf. nécessaire] Des visites sont organisées chaque mois, et également, pendant le festival du Pletzl, qui se déroule au mois de mai de chaque année.
Au no 22, il y avait au début du XXe siècle un restaurant social, Au fourneau économique (ancêtre des Restos du cœur) où l'on mangeait à bon marché (en 1914, pour 2 sous, soit 2 centimes d'euros, on avait une portion de viande, ou un bouillon, ou un plat de légumes). On apportait son pain si l'on en voulait, si on le pouvait[21].
Au no 23 se trouve un hôtel du XVIIe siècle. En 1650, il appartient à un certain Genlis, puis en 1750 au lieutenant-colonel d'Estat. À son propos se colporte la mauvaise légende qu'il tint son avancement au comportement de sa femme, très belle et très en cour, ce qui fit dire à ses rivaux : « Quand on fait son chemin par l'épée, c'est plus lent que par le fourreau[22]. » Au rez-de-chaussée se tenait un restaurant, puis en 2017 une pâtisserie de luxe.
Au no 25 se trouvait la boucherie Émouna[23], aujourd’hui laverie en libre-service qui a conservé la ferronnerie d'origine.
Au no 26 résidait Yvette Feuillet ( – ), résistante dans les FFI avec le grade de sergent, déportée et assassinée à Auschwitz, citée à l'« ordre de la Résistance » à titre posthume. Une plaque en rappelle le souvenir[24]. Son père était boulanger, elle était ouvrière dans l'industrie des lampes, et travaillait dans le 11e arrondissement, rue Sedaine. Militante, elle était également la trésorière d'un foyer de l'Union des jeunes filles de France. Le no 26 a longtemps abrité le magasin de la charcuterie cachère réputée Panzer[25].
Au no 27 se trouve depuis 1865 une boulangerie-pâtisserie de spécialités ashkénazes, tenue par la famille Haarscher d'origine alsacienne, puis par la famille Birman, puis par la famille Finkelsztajn depuis 1946.
Une synagogue (schule) au no 25.
Une boulangerie-pâtisserie au no 27, déjà présente en 1865.
Au no 34 résidait Louis Shapiro ( – ), résistant et commandant dans les FTPF, fusillé au mont Valérien. Au-dessus de la porte d'entrée de l'immeuble, une plaque rappelle son souvenir. Au rez-de-chaussée, une librairie y avait pignon sur rue en 1925, et vendait des « disques en yiddish pour phonographes[26] ».
Au no 40 se tenait en 1925 une boucherie moderne, la Maison Skoïknit[27]. Depuis 2006, c'est une boutique de prêt-à-porter.
Dans la fiction
Dans le film Maigret tend un piège, tourné en 1958 avec Jean Gabin, le premier meurtre a lieu dans cette rue (contrairement au roman de Simenon qui se déroule entièrement à Montmartre). Les premières scènes furent tournées rue des Rosiers.
L'une des aventures de Nestor Burma, dans la série « Les nouveaux mystères de Paris », s'intitule Du rébecca rue des Rosiers. Léo Malet y décrit le quartier tel qu'il apparaissait à l'époque, en 1958[28]. Il a été porté au petit écran en 1992 par Maurice Frydland (voir la série Nestor Burma). L'une des scènes se passe dans la librairie Bibliophane au 26, de la rue des Rosiers, devenue elle aussi un magasin de vêtements en 2010.
Un passage du film Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury, en 1973, se déroule dans une rue des Rosiers méconnaissable : bien que la caméra s'attarde longuement sur le panneau de la rue, le film a été tourné en réalité dans une rue de la ville de Saint-Denis (pour les scènes d'extérieur ; les scènes en intérieur, en particulier la synagogue, ont été tournées en studio).
Un roman de Michèle Kahn intitulé Le Schnorrer de la rue des Rosiers (2000) met en scène un mendiant qui écoute l'histoire (vraie) d'un homme heureux, rescapé de divers camps de concentration.
Notoriété
La rue des Rosiers est emblématique de la communauté juive et compte de nombreux magasins, commerces alimentaires, librairies et restaurants typiques. Depuis les années 1980, des boutiques de luxe (vêtements, parfums, accessoires) ont pris place et modifient lentement l'aspect de la rue.
Depuis 1979, date d'ouverture du restaurant qui revendique son introduction en France[29], la rue est associée à la vente et la consommation de falafels, sandwiches végétariens à base de purée de pois chiches frits: plusieurs restaurants s'y font une concurrence effrénée.
Des travaux de voirie réalisés en 2007 (pavage, plantations, éclairage) participent du mouvement de rénovation, et rendent à la rue le calme des petites rues du Marais.
La rue des Rosiers est piétonne le dimanche, depuis 2006[30]. Du coup, comme la rue des Francs-Bourgeois voisine, elle est très passante. Le reste du temps, elle est peu empruntée, même par la circulation automobile (dos d'âne, pavés, limitation à 30 km/h).
« Tout un univers d'immigrés issus de la yiddishkeit (culture du monde yiddish) avec lequel beaucoup de Juifs gardent toujours un lien, fort encore ou bien ténu, qui les conduit à venir le dimanche arpenter les rues du quartier, à se presser à la veille des fêtes pour acheter rue des Rosiers ou rue des Écouffes des produits traditionnels qu'ils pourraient trouver beaucoup plus près de chez eux, à faire un détour pour déguster un morceau de strudel aux pommes cher aux Juifs de Pologne, une brik qui rappelle l'Algérie, ou un falafel, emblématique de la nourriture israélienne… Car mémoire et identité se mêlent et en dehors des emplettes qu'on pourrait évidemment faire ailleurs, on hume comme un parfum d'enfance — de son enfance, de celle de ses parents voire de ses grands-parents —, on croise des gens qui s'apprêtent à célébrer la même fête, on se dit Shabbat shalom le vendredi[31]. »
Une chanson, La Rue des Rosiers, interprétée par Pia Colombo dans les années 1960 se fait l'écho de l'atmosphère de l'époque d'immédiat avant-guerre (cf. extrait ci-dessous). Son auteur, Silvain Reiner, en raconte la genèse de manière poignante.
« C'était en plein Marais
Une rue où grouillait
La vie belle et sa rage
Une rue qui sentait
Le hareng qu'on fumait
Et la folie des sages
Un bonjour se chantait,
Se riait, se criait,
Bonjour à la française
Un beau jour une affaire
Un beau jour une misère
Doux comme un lit de fraises
La rue des oubliés
La rue des émigrés
La rue des retrouvailles[32]… »
↑Laloum Jean, « Des Juifs d'Afrique du Nord au Pletzl ? Une présence méconnue et des épreuves oubliées (1920-1945) », Archives juives, vol. 2, no 38, , p. 47-83 (www.cairn.info/revue-archives-juives-2005-2-page-47.htm).
↑« Mutilations d'une statue de la Vierge, le 31 mai 1528 au coin de la rue des Rosiers et de la rue des Juifs », Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion. Vers 1525 – vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990, 2 vol., p. 495.
↑Les architectes d'intérieur ont fait inscrire dans le béton à l'entrée, caché par les paires de chaussures : « En ces lieux se tenait le hammam Saint-Paul de 1863 à 1990. »
↑Alexandre Gady, Le Marais: guide historique et architectural, Carré, (ISBN978-2-908393-09-5).
↑Jean-Pierre Babelon, « Le Marais, mythe et réalité », sur Google Books, Caisse nationale des monuments historiques et des sites, ministère de la Culture,, (ISBN2858220751), p. 296.
↑« Sur les pavés, la rue des Rosiers à Paris 4e », Centerblog, (lire en ligne).
↑On trouve le portrait d'Yvette Feuillet dans Antoine Porcu, Guerre 39-45. Héroïques femmes en Résistance, tome 1, Le Geai Bleu, 2006, 192 p. (ISBN2-914670-36-2). Quelques indications biographiques sur [1], www.culture-archives.com.
↑Librairie juive de la rue des Rosiers à Paris : [photographie de presse] / Agence Meurisse, (lire en ligne).
↑Boucherie juive, rue des Rosiers à Paris : [photographie de presse] / Agence Meurisse, (lire en ligne).
↑Laurent Bourdelas et Patrick Le Louarn, Le Paris de Nestor Burma, l'Occupation et les « Trente glorieuses » de Léo Malet, Paris, L'Harmattan, 2007 189 p. (ISBN2296024629).
↑(en) « Falafel Foes Shout Across Paris' Rue des Rosiers », pastemagazine.com, (lire en ligne, consulté le ).
↑Anne Grynberg, « Mémoire et identité juives », Vivre et survivre dans le Marais, Éditions Le Manuscrit, 2005 (ISBN2748151321).
↑La Rue des Rosiers (1967), interprétée par Pia Colombo, écrite par Silvain Reiner et Joël Holmès.
Bibliographie
Gaston Bonheur (1966), Rue des Rosiers, chanson enregistrée par Régine, sur disque 30 cm La fille que je suis (Pathé 2 C062-10.700 ; réédition Sony sur compilation collection « Or »).
Jeanne Brody, Rue des Rosiers. Une manière d'être juif, préface de Nancy L. Green, Paris, Autrement, 2002, 133 p. (ISBN978-2862605265) (inspiré d'une thèse de sociologie).
Jean Gaido-Daniel (années 1980 ?), Rue des Rosiers, chanson enregistrée par lui-même sur disque 33 tours (production Quelque Part, réf. 19549).
Léo Malet, Du rébecca rue des Rosiers, 4e arrondissement. Nestor Burma, Paris, Fleuve noir, 1999, 261 p. (ISBN978-2265068254).
Silvain Reiner (1967), La Rue des Rosiers, chanson enregistrée par Pia Colombo, sur disques AZ (1967, 45 tours EP 1143 ou 30 cm LPS 25), Pia Colombo à l'Olympia.
Jean de La Tynna, Dictionnaire topographique, étymologique et historique des rues de Paris, 1817.