Un « caldoche » descendant de bagnard et d'origine modeste
Roger Gervolino est issu d'une famille présente en Nouvelle-Calédonie depuis trois générations. Il est ainsi le petit-fils de Pascal Gervolino (1841-1892), est un transporté d'origine napolitaine, condamné au bagne pour un crime de droit commun (en l'occurrence pour meurtre), arrivé au centre pénitentiaire de l'île Nou (actuelle Nouville, dans la rade de Nouméa) en 1872 et mis en concession à sa libération en 1882 à Bourail.
Le père de Roger Gervolino, Pascal Dominique Gervolino (1883-1957), est né un an après la libération de son père (il est le second enfant et le premier fils que Pascal Gervolino a eu avec une orpheline originaire du Lot-et-Garonne, Marie Tourret, qu'il épouse en 1882) et est orphelin de ce dernier à l'âge de neuf ans. Dominique Gervolino se rend très jeune à Nouméa pour travailler, et travaille successivement pour la mairie de la ville en tant que maçon au service de la voirie, puis comme mécanicien au Chalandage, filière maritime des établissements commerciaux de la famille Ballande, ce qui l'evoie vivre à partir de 1913 à Voh dans le Nord. De son épouse, d'origine allemande par sa mère, Dominique Gervolino a neuf enfants, dont Roger est l'aîné. Ce dernier est donc issu d'un milieu modeste et d'une famille très catholique, que ce soit par les origines italiennes de son père ou celles allemandes de sa mère.
Activités professionnelles et syndicales
Comme son père avant lui, Roger Gervolino quitte à 15 ans le foyer parental pour l'aider financièrement en travaillant à Nouméa, en débutant comme comptable dans la Maison Ballande. Il devient rapidement syndicaliste, unifie deux syndicats (un d'ouvrier, l'autre d'employés) pour créer la Fédération des syndicats professionnels calédoniens (FSPC) dont il devient secrétaire général, et quitte son emploi chez Ballande pour se consacrer entièrement à l'action syndicale.
Attaché à l'indépendance des syndicats, il démissionne en 1939 de son poste de secrétaire général de la FSPC pour dénoncer sa trop grande politisation, et retrouve une activité professionnelle en étant engagé comme chef comptable au sein de la Société minière d'Océanie.
Lui-même favorable à la continuation de la guerre contre l'Allemagne nazie, à l'instar d'une majorité de la population néo-calédonienne, il fait partie d'un groupe de cinq jeunes patriotes qui multiplient alors les actions contre les gouverneurs Pélicier puis Denis, et que l'on surnomme les « cinq mousquetaires » (outre Roger Gervolino, il s'agit de Louis Boissery, Charles Chatelain, Jean Gadoffre et Marcel Kollen). Il est ainsi l'une des principales figures du soulèvement, organisé avec le Comité de Gaulle de l'homme d'affaires et politique Raymond Pognon et du notaire Michel Vergès, le 19 septembre pour signifier le ralliement de la Nouvelle-Calédonie à la France libre : ce jour-là Henri Sautot débarque à Nouméa et devient officiellement gouverneur de la Nouvelle-Calédonie et Haut-commissaire pour le Pacifique[1].
Après la constitution de la première Assemblée nationale constituante le et l'obtention par la Nouvelle-Calédonie du statut de Territoire d'outre-mer (TOM), les premières élections législatives à avoir lieu en Nouvelle-Calédonie sont donc organisées et Roger Gervolino est le premier représentant législatif élu par le Territoire, l'emportant assez largement, avec 3 249 voix sur 6 249 votants (soit 51,99 %), contre ses adversaires, le gaulliste Michel Vergès (1 961 voix) et le communisteFlorindo Paladini (537 voix). Il s'inscrit alors au groupe « Résistance démocratique et socialiste », ancêtre de l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) à laquelle il adhère ensuite. Il est membre de la commission des moyens de communication et des PTT, ainsi que de celle de la presse, de la radio et du cinéma.
S'intéressant au code électoral dans ces territoires, et tout particulièrement à la question du droit de vote par les Kanaks, il obtient qu'un projet particulier à la Nouvelle-Calédonie fixe le statut de l'élection de son Conseil général : publié au journal officiel le , il prévoit un suffrage capacitaire qui permettrait à une partie seulement des Mélanésiens d'intégrer le corps électoral. Après que la seconde assemblée constituante a rejeté ce projet, Roger Gervolino propose alors l'instauration d'un double collège, l'un kanak, l'autre européen, mais là encore cette idée est rejetée et le collège unique est instauré par le décret d'application du . Toutefois, il obtient un « statu quo » électoral puisqu'il lui est accordé que la loi électorale ne soit pas immédiatement appliquée à la Nouvelle-Calédonie. Le nombre de Mélanésiens participant au scrutin reste donc très faible jusqu'à ce que la loi du élargissant le collège électoral indigène dans les territoires relevant du ministère de la France d'outre-mer soit mise en place et appliquée en Nouvelle-Calédonie, entraînant l'accession au droit de vote de 60 % des Kanaks en âge de voter (il faudra attendre le décret du pour que le suffrage universel soit total)[2]. Toujours sur la question du vote en Outre-mer, il dépose un rapport sur les opérations électorales des territoires des établissements français de l'Océanie le .
Il est une dernière fois réélu au sein de la Ire Législature de la Quatrième République, lors des élections législatives du (qui se déroulent ainsi 10 jours après le scrutin national), avec 3 512 suffrages sur 5 185 suffrages exprimés, contre le socialiste Antoine Griscelli et le gaulliste Raymond Lèques. Il siège alors successivement au sein de la commission de la marine marchande et des pêches, de celle des affaires économiques, de celle des boissons et enfin de celle du travail et de la sécurité sociale. Il est également élu secrétaire de l'Assemblée nationale le et est reconduit en 1950 et 1951. Il ne se fait toutefois pas remarquer, son intervention la plus notable ayant lieu dans le cadre de la discussion du projet de loi portant fixation des dépenses et voies et moyens pour 1949 : il dépose alors un amendement tendant à étendre le payement par titre aux biens à usage agricole ou artisanal supérieurs à 120 000 francs de l'époque.
Les élections législatives du marquent la fin de sa carrière politique : considéré comme le candidat des « Caldoches », il est battu par un « Zoreil » (nom quelquefois péjoratif donné par les « caldoches » et kanaks aux métropolitains installés depuis peu sur le Territoire) Maurice Lenormand, passionné de culture mélanésienne et surnommé le « candidat des Kanaks » ou « candidat des Missions », étant soutenu par les deux principaux partis créés en 1947, lorsque le code de l'indigénat fut officiellement aboli, pour défendre les intérêts de ces derniers et tous deux issus d'organisations missionnaires, à savoir l'Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l'ordre (UICALO) de Rock Pidjot (d'inspiration catholique) et l'Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF) de Doui Matayo Wetta (d'inspiration protestante). En effet, l'accession de 60 % des Kanaks de plus de 21 ans au droit de vote fait que ceux-ci représentent 45 % du corps électoral néo-calédonien. Maurice Lenormand obtient ainsi 5 064 voix sur 13 667 suffrages exprimés (37,05 %), battant relativement de peu Roger Gervolino qui arrive en seconde position avec 4 207 voix (30,78 %). Viennent ensuite le candidat gaulliste du RPF Paul Métadier avec 2 252 suffrages (16,48 %) et à nouveau le communisteFlorindo Paladini qui recueille son meilleur score avec 2 144 voix (15,69 %).
Après cette défaite, il ne brigue plus aucun mandat et se retire de la vie publique, mettant fin à une ascension politique rapide (il est ainsi élu pour la première fois député à 36 ans) mais éphémère.
P. O'Reilly, Calédoniens : Répertoire bio-bibliographique de la Nouvelle-Calédonie, Publications de la Société des Océanistes, n°3, Musée de l'Homme, Paris, 1953, p. 104-105.
N. Darricau, « La saga Gervolino », Sagas calédoniennes : 50 grandes familles, Tome II, éd. Dimanche Matin, Nouméa, 2000.