Après la chute du ministère austrophile de Choiseul dont l'action s'était concrétisée en 1770 par le mariage du dauphin de France avec l'archiduchesse Marie-Antoinette, la politique française tend à se rapprocher du royaume de Sardaigne. Pour ce faire, Louis XV marie ses petits-enfants aux enfants du roi Victor-Amédée III de Sardaigne, son cousin germain.
Ces mariages furent peu ou pas[1] prolifiques et en Sardaigne comme en France, trois frères se succèdent[2] sur le trône avant que leur lignée s'éteigne[3] en ligne masculine et que la couronne passe à une branche cadette[4].
Comtesse de Provence
La jeune Marie-Joséphine qui avait 17 ans quand elle arriva en France fut fort mal traitée par la brillante mais superficielle cour de Versailles qui la jugea laide et dépourvue du « bel esprit ».
Les courtisans trouvent en effet la jeune comtesse bien laide avec ses grands et épais sourcils qui touchait presque les racines de ses cheveux. De plus son hygiène de vie est douteuse comme le dit l’ambassadeur de Sardaigne en France[5].
Non seulement on ne peut obtenir de cette princesse qu’elle se laisse coiffer avec soin, comme ce serait de lui accomplir le front en enlevant les poils follets qui le rétrécissent et font que les sourcils approchent de trop près et se réunissent presque aux cheveux, mais elle ne prend nul soin de sa taille que Son Excellence sait n’être point parfaite. Ce n’est pas tout et ils m’ont dit davantage sur l’article de la propreté. Ils prétendent qu’elle néglige sa bouche, qu’elle ne fait pas assez usage des bains et qu’elle se refuse à […] prévenir par des eaux de senteurs le désagrément des émanations que l’agitation de la danse ou la chaleur ne peuvent manquer de produire[5].
Son union avec le futur Louis XVIII fut sans postérité, mais bien consommée malgré les rumeurs, puisque la comtesse de Provence fit deux fausses couches avérées. Louis-Stanislas la délaissa rapidement, préférant la compagnie de « gens d'esprit » à celle de son épouse.
Nonobstant cette réputation peu flatteuse dans le milieu superficiel de la cour, la jeune comtesse de Provence parvint par sa souplesse à louvoyer entre les différentes factions qui déchiraient Versailles. Elle entretint avec sa belle-sœur, la pétillante dauphine Marie-Antoinette, des relations courtoises mais sans chaleur.
En 1774, à l'avènement de son beau-frère Louis XVI, elle devint la seconde dame de France après la reine et reçut suivant l'usage l'appellation « Madame »[6].
Sans enfant, sans influence politique, elle intrigua contre la souveraine, mais sans grand succès, tandis que son époux orchestra une véritable campagne de libelles contre la reine.
En 1780, elle fit l'acquisition dans le quartier de Montreuil à Versailles d'un pavillon appartenant au prince de Montbarrey et y constitua, par une série d'acquisitions, un domaine d'une douzaine d'hectares : le Pavillon Madame, où elle fixa sa résidence principale, loin du tumulte de la Cour.
Elle se vit de plus en plus isolée et finit par concevoir une brûlante passion pour sa lectrice, Marguerite de Gourbillon, qui fut le véritable amour de sa vie.
Marie-Joséphine-Louise de Savoie ne figure pas parmi les reines de France, car elle mourut en 1810, auprès des siens en Angleterre, soit quatre ans avant l'accession au trône de son mari. Néanmoins, elle est présentée par certains auteurs comme la « dernière reine de France »[7],[8].
Louis XVIII, dans ses mémoires, édités à Bruxelles en 1833 par Louis Hauman et Compagnie, libraires, raconte :
« Cette année 1810 devait (...) m'être défavorable. Elle (...) se termina par (...) la mort de la reine ma femme, expirée à Goldfield-Hall[9] le 13 novembre 1810. Cette excellente princesse, à laquelle nos infortunes m'avaient doublement attaché, les avait supportées avec une magnanimité peu ordinaire : tranquille, lorsque les amis vulgaires s'abandonnaient à leur désespoir, jamais elle ne fit un de ces actes de faiblesse qui abaissent la dignité d'un prince. Jamais non plus elle ne me donna aucune peine d'intérieur, et elle se montra reine dans l'exil comme elle l'aurait été sur le trône. Sa gaieté douce me convenait ; son courage que rien ne pouvait abattre, retrempait le mien ; en un mot, je puis dire de la reine ma femme ce que mon aïeul Louis XIV dit de la sienne quand il la perdit : « Sa mort est le premier chagrin qu'elle m'ait donné ». (...) La reine, âgée de cinquante-sept ans, eut non seulement tous mes regrets, mais encore ceux de mes proches et de nos serviteurs. La famille royale me prodigua dans cette circonstance une foule d'attentions délicates et soutenues. Elle voulut que les restes de Sa Majesté fussent ensevelies à Londres avec tous les honneurs rendus aux reines de France dans la plénitude de leur puissance. C'est à Westminster que reposent ces chères dépouilles ; puisse la terre leur être légère ! Je suis convaincu que l'âme qui y logeait habite aujourd'hui les régions célestes où elle prie avec les bienheureux de notre famille, pour son époux et pour la France. »
On voit bien là que Louis XVIII, emploie bien le mot de « reine », pour désigner son épouse, qui se fit également portraiturer à la fin de sa vie par Marie-Éléonore Godefroid (1778-1849), peintre de portraits et l'une des meilleures copistes des portraits du baron François Gérard (1770-1837), dont elle fut la meilleure et dévouée élève.
Ce portrait de Marie-Joséphine de Savoie, assise sur un siège garni de tissu à motif fleurdelisé en robe blanche, laissant entrevoir son obésité, coiffée d'un diadème aux Armes de France, portrait d'apparat donc, mais réalisé juste avant l'avènement au trône de son mari[10]. Longtemps non localisé, il est passé en vente le chez Osenat à Fontainebleau[11].
L’enterrement de Marie-Joséphine est grandiose, le 26 novembre 1810, un long cortège traverse Londres comportant pas moins de 10 carrosses, avec à leurs bords, les membres de la famille royale mais également les ambassadeurs de Sardaigne, d’Espagne, de Portugal et des Deux-Siciles ainsi que les ministres du gouvernement britannique. Marie-Joséphine est tout d’abord inhumée au sein de l’abbaye de Westminster avant d’être transférée en Sardaigne l’année suivante[12].
Hommages
Le peintre et graveur turinois Carlo Antonio Porporati, « garde des desseins de S.M. le Roi de Sardaigne » en 1776 - son père - lui a dédicacé Adam et Eve devant le corps d’Abel gravure au burin d'après le tableau d'Adriaen Van der Weerf (musée de Turin), qui faisait partie de la collection royale ; l'estampe (coll. pers.) porte ses armes d’alliance. L'artiste aurait réalisé en 1796 le portrait de sa royale belle-sœur et rivale Marie-Antoinette.
En 1790 est ouverte en son nom la rue Madame dans l’actuel 6e arrondissement de Paris[13], rue qui est fusionnée à la rue du Gindre constituant l’ensemble de la rue actuelle.
Une exposition lui est consacrée en 2019 à la chapelle expiatoire de Paris, qui montre, des estampes, lettres, dessins, médaillons, cartes, un portrait (vers 1830) attribué à Marie-Elénonore Godefroid (précitée) et un autre d'après Elisabeth Vigée-Lebrun la montrant revêtue d'une robe dite de gaulle, comme Marie-Antoinette.
↑Simone Bertière, Les Reines de France au temps des Bourbons, t. 4, éditions de Fallois, , 735 p. (lire en ligne), p. 683.
↑Gosfield Hall dans le comté d'Essex, country house (château anglais, gentilhommière) de George Nugent-Temple-Geville, 1er marquis de Buckingham (1753-1813) mis à disposition de « Louis XVIII » en 1807. Marie-Josephine de Savoie, y arriva de Mitau en 1808. Elle mourut non pas à Gosfield Hall, mais à Hartwell House dans le Buckinghamshire, où la cour exilée se transporta en 1809.
↑Article sur Marie-Eléonore Godefroid et ses portraits conservés au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon dans la Revue des Musées de France, revue du Louvre no 5-décembre 2008.
[Recueil. Dossiers biographiques Boutillier du Retail. Documentation sur Marie-Josèphe-Louise de Savoie, comtesse de Provence] (1892), Paris : Le Correspondant : Le Cri du peuple Les dernières années de la comtesse de Provence, 1892.
Le Jardin de Madame la Comtesse de Provence à Montreuil-lez-Versailles, contribution à l'étude de l'ancien village de Montreuil, Roger Zimmermann, Jacqueline Zimmermann, [Versailles], J. et R. Zimmermann, 1988.
Charles Dupêchez, La Reine velue : Marie-Joséphine-Louise de Savoie, comtesse de Provence, dernière reine de France en exil (1753-1810), Paris, Grasset, , 125 p. (ISBN978-2-253-13673-6).