Un maître de chapelle, appelé à l'origine maître de musique, ou (dans les pays allemands) Kapellmeister (IPA: en allemand : [kaˈpɛl.ˌmaɪstɐ]), ou encore maestro di cappella (en Italie) ou maestro de capilla (en Espagne), est une personne chargée, dans un cadre religieux chrétien, d'enseigner et de faire chanter (et secondairement jouer) la musique (avant tout liturgique), et de composer des partitions polyphoniques (essentiellement des motets et des messes) au sein de la « chapelle musicale » d'une église[1].
Ces ensembles, avant tout vocaux étaient (ou sont) souvent soutenus par quelques instruments, mais ont pu aussi être accompagnés par un ensemble instrumental ou un orchestre. Ils ont été au centre (et en tout cas très largement à l'origine) de l'activité musicale en l'Europe occidentale (catholique et protestante) et dans les Amériques, depuis le Moyen Âge jusqu'aux XVIIIe ou XIXe siècles. La fonction de maître de chapelle perdure aujourd'hui, en France, en Europe et aux Amériques. Le sens de ce mot a pu évoluer au fil des époques, du fait de l'évolution de la profession, liée à celles de la société et de la musique elle-même.
Par extension, dans les pays de langue allemande, le mot désigne aussi le chef d'orchestre (Kapelle, détaché de son origine religieuse, signifie alors « orchestre » ou « ensemble instrumental »[2]). Dans le film La Grande Vadrouille, Louis de Funès, qui joue le rôle de chef d'orchestre de l'Opéra de Paris est appelé : « Herr Kapellmeister » par le major Achbach, officier allemand.
Usage historique
Spécialement à l'époque des royautés en Europe, le terme de maître de musique (et tardivement de maître de chapelle), ou de Kapellmeister (en allemand), désignait le chantre maître de musique (chef de chœur, ou Cantor dans les pays allemands) mais aussi parfois l'instrumentiste (spécialement l'organiste) professionnel, responsable de la liturgie musicale et donc des interprètes (presque tous vocaux, professionnels également) attachés au service d'une église cathédrale, d'une église collégiale, d'un collège, ou par exemple, d'un des Ospedale à Venise, d'un des conservatoires de Naples, de la Congregazione de' musici di Roma, ou encore d'un prince ou d'un monarque partout en Europe, etc. Cette position impliquait non seulement l'encadrement de la douzaine de chantres-choristes et des instrumentistes (tous appelés « Ordinaires », en France), mais aussi la formation des enfants de chœur (enfants chantant la partie aiguë dans le chœur, souvent au nombre de six ou huit, ou parfois dix ou même douze).
L'origine de cette fonction était très ancienne et ces maîtres de musique ont été innombrables. Citons seulement quelques exemples de maîtres réputés, parmi bien d'autres :
des XIIe et XIIIe siècles, on a conservé, par exemple, les noms et plusieurs partitions de Léonin et Pérotin, l'un et l'autre magister musicæ (« maître de la musique ») de la cathédraleNotre-Dame, à Paris ;
Beaucoup d'entre eux (de même que leurs choristes et instrumentistes) exerçaient leurs talents, de différentes manières, à l'extérieur, souvent en accord avec leur hiérarchie. C'est ainsi qu'ils étaient ordinairement les pivots de la vie musicale dans une ville, en tant que professeurs et en tant qu'interprètes.
Georg Reutter était maître de chapelle à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Il est resté très peu connu mais il a eu parmi ses élèves, apprentis chantres (ou choristes), les futurs compositeurs Joseph et Michael Haydn. C'est donc lui qui les a formés lorsqu'ils étaient enfants et adolescents. Pour les musiciens de cette époque, devenir Kapellmeister était une marque d'une réussite professionnelle et sociale, et plus encore si l'employeur était prestigieux. En l'occurrence, Joseph Haydn fit un jour la remarque que son père – modeste charron – avait vécu assez longtemps pour voir son fils arriver jusqu'à cette fonction.
Au fur et à mesure que la société a évolué vers une laïcisation, en même temps que la bourgeoisie se développait et que le prestige de la noblesse a diminué, les compositeurs souhaitèrent devenir plus indépendants, et obtenir un poste de maître de chapelle devint moins prestigieux. Ainsi Beethoven n'a jamais travaillé comme Kapellmeister, poursuivant plutôt une carrière de musicien indépendant, suivant là les traces de Mozart. Néanmoins le métier ou la fonction de maître de chapelle existe toujours, en France et ailleurs.
Le cas de Mozart
À proprement parler, Mozart n'a jamais été Kapellmeister. En 1787, à la cour de l'empereur Joseph II, il avait un poste rémunéré de Kammercompositeur (ou Kammerkomponist : « Compositeur de la chambre », pour établir la différence avec la fonction correspondante à l'église). L'autorité dans le domaine musical était principalement exercée par Antonio Salieri. Toutefois, dans les revues, les journaux et les annonces de concerts, Mozart était souvent désigné par le terme « Herr Kapellmeister Mozart ». Il semble que le prestige de Mozart, ainsi que le fait qu'il apparaissait fréquemment en public pour diriger d'autres musiciens, aient conduit à l'usage du terme Kapellmeister pour exprimer un certain respect à son égard. C'est du reste toujours l'usage dans les pays germaniques. Cette désignation, habituelle, est une extension de l'usage d'origine (voir aussi les orchestres d'État (alias nationaux) appelés Staatskapelle, à Berlin et à Dresde).
En avril 1791, Mozart postula pour devenir Kapellmeister de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Sa candidature fut retenue par le conseil municipal pour succéder au titulaire, Leopold Hofmann, après la mort de ce dernier. Cela n'advint jamais, car Mozart mourut en , avant Hofmann (mort en 1793).
Tomás Luis de Victoria (1548-1611), maestro de capilla à Rome, à l'église de Sainte-Marie de Montserrat des Espagnols (en italien Chiesa di Santa Maria in Monserrato degli Spagnoli).
Juan Gutiérrez de Padilla (1590-1664), maestro de capilla de 1617 à 1622 en Espagne et, de 1622 à sa mort, dans la Nouvelle-Espagne (aux Amériques). Pour ce qui est de la période de la métropole (1617-1622) il fut d'abord maître de chapelle à la collégiale de Jerez de la Frontera avant d'être maître de chapelle de celle qui à l'époque était encore la cathédrale de Cadix, de nos jours devenue l'église paroissiale de la Saint-Croix, en espagnol « iglesia de Santa Cruz » (l'actuelle cathédrale de Cadix fut commencée vers 1722). Aux Amériques, en Nouvelle-Espagne, il fut le maestro de capilla de la cathédrale de l'Immaculée-Conception de Puebla de 1622 à sa mort.
Urbán de Vargas (1606-1656), successivement maestro de capilla dans différentes collégiales et cathédrales.
Pablo Bruna (1611-1679), maestro de capilla de la collégiale de Daroca (sa ville natale), la « Colegiata de Santa María la Mayor y de los Corporales de Daroca », de 1631 à sa mort en 1679.
Cristóbal Galán (1615-1684) fut maestro de capilla dans le milieu des années 1650 à Cagliari, en Sardaigne, et de 1656 à 1659 à Morella (déjà en Espagne). Il fut maestro de capilla à la cour, à Madrid (à la Capilla Real de Madrid, la « chapelle royale de Madrid »), de 1680 à sa mort.
Diego de Cáseda (1638-1694), maestro de capilla à Tudela, Viana et Logroño et, finalement, de 1673 à sa mort en 1694, à la cathédrale de Saragosse. Il était le père de Blas de Cáseda et de José de Cáseda, qui, comme lui, devinrent aussi des maîtres de chapelle réputés.
Sebastián Durón (1660-1716), successivement maestro de capilla aux cathédrales du Bourg d'Osma et de Palence et, pendant dix ans, à la prestigieuse Capilla Real de Madrid (la « chapelle royale de Madrid »).
Pau Llinás (1680-1749), maestro de capilla à la basilique de Sainte-Marie-du-Pin de Barcelone de 1711 à sa mort.
José de San Juan (1685-1747), maestro de capilla à Madrid, d'abord la Capilla Real de Madrid (la « chapelle royale de Madrid ») de 1708 à 1711 et ensuite au monastère des Déchaussées royales de 1711 à sa mort.
José Español (mort en 1758), maestro de capilla à l'église paroissiale de Saint-Thomas l'Apôtre (iglesia parroquial de Santo Tomás Apóstol), à Haro (La Rioja), de 1731 jusqu'à sa mort.
Josep Mir i Llussà (né aux environs de 1700 et mort en 1764), successivement maestro de capilla à Ségovie, à Valladolid puis à Madrid.
Joaquín García de Antonio (1710-1779), maestro de capilla à la Capilla Real de Madrid (la « chapelle royale de Madrid »), de 1735 à sa mort.
Fabián García Pacheco (1725-1808), maestro de capilla de 1756 à 1770 à l'église de la Paloma (nom populaire voulant dire « église de la colombe », du nom de la rue La Paloma, « la colombe », à Madrid, mais dont le nom officiel est « église de la paroisse de Saint-Pierre le Royal », en espagnol : « iglesia de la parroquia de San Pedro el Real »). De 1770 à sa mort il fut maestro de capilla au couvent de Notre Dame des Victoires (en espagnol : « Convento de Nuestra Señora de las Victorias »).
Nicolau Manent (1827-1887), maestro de capilla à l'église paroissiale de Saint-Jérôme de Barcelone (en espagnol : « parroquia de San Jaime de Barcelona ») de 1851 à sa mort.
Bonaventura Frigola (1829-1901), maestro de capilla dans les années 1852 et 1853 au monastère de Saint-Stéphane (« Monasterio de San Esteban »), à Banyoles. De 1854 à 1858 il est maestro de capilla à nouveau, mais à la basilique de Saint-marie de Castelló d'Empúries (en espagnol : « Basílica de Santa María de Castellón de Ampurias »), qui est l'église de Castelló d'Empúries, sa ville natale. Il occupe finalement le même poste à Barcelone, à la basilique de la Pitié (« Basílica de la Merced »), de 1881 jusqu'à sa mort.
Alain Gout, Histoire des maîtrises en Occident, Paris, Éditions universitaires, 1987, 183 p.
Bernard Dompnier (Sous la direction de), Maîtrises & Chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions musicales au service de Dieu, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003, 568 p. (Collection « Histoires croisées » publiée par le Centre d'Histoire "Espaces et Cultures", Clermont-Ferrand).
Bernard Dompnier (dir.), Les Bas Chœurs d'Auvergne et du Velay. Le métier de musicien d'Église aux XVIIe et XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2010, 406 p. (Collection « Études sur le Massif central »).
Patrick Demouy, Jean-François Goudesenne, Jean-Luc Gester, La maîtrise de la cathédrale de Reims : Des origines à Henri Hardouin - XIIIe – XVIIIe siècles, Catalogue de l’exposition « Cathédrale » de la médiathèque de Reims, 2003, Coll. Musiques et Patrimoines, Paris, 2003, 104 p.
Luc Chanteloup, Philippe Lenoble, etc. (Denis Lavy et François Noblat-Billaud, Jean-Marie Poirier, Marie-José Chasseguet, Sylvie Granger, Bernard Girard, Eric Marras. Résumés allemand et anglais par Gereon Fritz et Dorothy Pochon), La musique à la cathédrale du Mans du Moyen Âge au XXIe siècle, Le Mans, Psallette Éditions, 2007, 2 vol. (510 p.).