Rudolph Fittig est le fils d'un professeur d'école privée à Hambourg. Les conditions de vie sont très modestes, le jeune Fittig travaille donc à l'âge de 16 ans comme enseignant dans une école privée. Il obtient également une bourse d'études de la fondation Pestalozzi. En 1856, il commence des études en science à l'université de Göttingen. Il y suit des cours de physique, de botanique, de technologie, mais également les cours de chimie de Friedrich Wöhler. En , il termine ses études en chimie avec une thèse sur « quelques produits de la distillation sèche des sels de l'acide acétique » (Ueber einige Producte der trockenen Destillation essigsaurer Salze), sous la direction de Heinrich Limpricht. Il travaille ensuite avec Friedrich Konrad Beilstein comme assistant de Friedrich Wöhler. En , Fittig obtient son habilitation, avec une thèse sur Auguste Laurent et Jean-Baptiste Dumas et leur influence sur la chimie organique théorique.
Il rédige alors plusieurs manuels, Grundriß der organischen Chemiell (Berlin, 1863), Grundriss der Chemie (Leipzig 1871, 1873).
En 1866, Fittig devient professeur titulaire à Göttingen, et en 1870, il part pour Tübingen où il succède à Adolph Strecker. Il succède enfin en 1876 à Adolf von Baeyer à l'université de Strasbourg, où un nouveau laboratoire de chimie est construit sous sa direction[1],[2]. En 1895/1896, Fittig devient le recteur de l'université. Il termine sa carrière en 1902, Johannes Thiele prenant sa succession.
En 1859, il focalise ses recherches sur l'acétone, dont il veut prouver (à tort) qu'elle est un alcool, en préparant pour cela un sel de potassium de sa forme « alcoolate »[3]. Il découvre ce faisant, par erreur, une réaction appelée aujourd'hui « couplage pinacolique ». Il obtient un produit facilement cristallisable, qu'il pense être un dimère d'acétone, et qu'il nomme « paracétone ». Cela provoqua une dispute avec son collègue Georg Städeler(de) au sujet des structures des produits de réduction et de condensation de l'acétone. Städeler lui prouva que cette substance contenait plus d'hydrogène que l'acétone, et il la baptisa « pinacone », du fait de l'aspect tabulaire de ses cristaux[4]. Ce nouveau produit était en réalité un diol vicinal, le pinacol (2,3-diméthyl-2,3-butanediol), mais la présence d'autres sous-produits de la réaction (diacétone alcool, oxyde de mésityle, pinacolone) rendit difficile et retarda son identification.
En le faisant réagir en milieu acide, Fittig découvre accidentellement une seconde réaction aujourd'hui connue sous le nom de « transposition pinacolique » ou « réarrangement pinacolique », où un 1,2-diol se réarrange en aldéhyde ou cétone sous catalyse acide[5],[6]. Dans le cas de Fittig, ce diol, le pinacol, se réarrange en 3,3-diméthylbutanone (pinacolone). Il l'oxyde enfin en un dernier composé, l'acide triméthylacétique (acide pivalique) par réaction avec le dichromate[7]. À chaque fois, l'interprétation des résultats par Fittig fut incorrecte[6], et ce n'est qu'une décennie plus tard que ces produits furent identifiés correctement par le chimiste russe Alexandre Boutlerov qui avait préparé de son côté l'acide triméthylacétique, et confirma qu'il s'agissait du même composé produit par Fittig[8].
De son côté, en travaillant sur l'oxydation du toluène (contaminé avec du xylène - dont le produit d'oxydation fut détecté durant l'expérience) par de l'acide nitrique dilué, Fittig découvre l'acide toluique[11]. Il s'intéresse dès lors aux dérivés alkylés du benzène, dont la structure était alors inconnue. Les dérivés bromés du benzène étant facile à synthétiser, leurs différents isomères de position facilement identifiables (par leur point de fusion et d'ébullition), il était intéressant de trouver une réaction permettant de substituer le brome par des groupes alkyles.
Il tenta d'abord de faire réagir le bromobenzène avec le cyanure pour obtenir le benzonitrile. Contrairement avec les composés aliphatiques bromés, ces tentatives échouèrent. S'inspirant alors de la réaction de Wurtz, il prépare du chlorure de benzyle et le fait réagir avec du sodium sur le bromobenzène, ce qui lui permit de remplacer le brome par le groupe benzyle. Il développe dès lors cette méthode[12],[13] avec Bernhard Tollens, et parvient ainsi à produire de l'éthylbenzène et du butylbenzène(de). Il répète ensuite l'opération avec le bromobenzène, le sodium et les iodures de méthyle, d'éthyle et de propyle et obtient respectivement le toluène, l'éthylbenzène et le propylbenzène[14],[15].
On appelle aujourd'hui ce procédé la réaction de Wurtz-Fittig[16].
Ce long travail de Fittig sur les homologues du benzène[17] inspirera par ailleurs Kekulé à publier ses idées sur la structure noyau de benzène.
Entre 1867 et 1870, Fittig et ses collaborateurs convertirent les mono-, di- et tribromotoluène en xylène, mésitylène et tétraméthylbenzène(de).
Une autre tâche importante accomplie fut l'élucidation de la structure de la quinone. Fittig clarifia simultanément la structure de l'anthraquinone avec Zincke[18], mais la structure qu'il proposa pour la benzoquinone resta longtemps en suspens faute de preuve, la position relative des groupes cétone (ortho, méta- ou para) posant question. Ce n'est qu'après la synthèse des oximes par Heinrich Goldschmidt que la question fut définitivement tranchée[19].
En 1870, avec l'aide de Paul Bieber, Fittig travailla sur la réaction de Perkin et parvint à déterminer un mécanisme qui semblait plus en accord avec les données expérimentales. Il montra notamment qu'il se produisait une condensation aldolique suivie d'une déshydratation[20]. Incidemment, ces recherches permirent de déterminer la structure de la coumarine, le composé odorant principal du gaillet odorant, ainsi que sa méthode de formation à partir de l'acide coumarique. Il parvint également à utiliser avec succès l'anhydride succinique(en) dans la réaction de Perkin en lieu et place de l'anhydride acétique.
Avec E. Ostermeier, Fittig travailla sur les hydrocarbures extraits de la fraction à haut point d'ébullition du distillat de goudron de houille. Il y découvre le fluoranthène[21] et parvient à déterminer la structure du phénanthrène[22].
↑ abc et dOtto N. Witt, « Obituary notices: Friedrich Konrad Beilstein, 1838–1906; Emil Erlenmeyer, 1825–1909; Rudolph Fittig, 1835–1910; Hans Heinrich Landolt, 1831–1910; Nikolai Alexandrovitsch Menschutkin, 1842–1907; Sir Walter Palmer, Bart., 1858–1910 », J. Chem. Soc., Trans., vol. 99, , p. 1646–1668 (DOI10.1039/CT9119901646)
↑(de) Georg Städeler, « Untersuchungen über das Aceton », Justus Liebigs Annalen der Chemie, no 111, , p. 277-334.
↑(en) Alfred Hassner et Irishi Namboothiri, Organic Syntheses Based on Name Reactions : A Practical Guide to 750 Transformations, Amsterdam/Boston, Elsevier, , 3e éd. (ISBN978-0-08-096630-4, lire en ligne), « FITTIG Pinacolone Rearrangement », p. 158–159.
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↑Eric Asssen B. Kantchev et Michael G. Organ, Alkanes, vol. 48, Georg Thieme Verlag, coll. « Science of Synthesis: Houben-Weyl Methods of Molecular Transformations », (ISBN978-3-13-178481-0, lire en ligne), « 48.1.2.4 Method 4: Reductive Coupling of Alkyl Halides ».
↑Rudolph Fittig, « Ueber isomerische und homologe Verbindungen », Nachrichten von der königlichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen, vol. 11, , p. 352–359.
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↑Rudolph Fittig, Paul Bieber, « Ueber die Synthese einer mit der Zimmtsäure homologen Säure », Justus Liebigs Annalen der Chemie, vol. 153 (3), , p. 358-36i (DOI10.1002/jlac.18701530309).
↑Rudolph Fittig, Ferd. Gebhard, « Ueber das Fluoranthen, einen neuen Kohlenwaeserstoff irn Steinkohlentheer », Justus Liebig's Annalen Der Chemie, vol. 193 (1), , p. 142–160 (DOI10.1002/jlac.18781930109).
↑E. Ostermeier, R. Fittig, « Ueber einen neuen Kohlenwasserstoff aus dem Steinkohlenteer », Berichte Der Deutschen Chemischen Gesellschaft, vol. 5 (2), , p. 934-937 (DOIdoi.org/10.1002/cber.187200502100).