Jacques Trolley de Prévaux nait dans une ancienne famille catholique de noblesse de robe à la fortune modeste, d'origine Normande, anoblie par Henri III en 1586[1]. Hormis une lointaine parenté avec un descendant de Jean d'Arc[2], frère ainé de Jeanne d'Arc, on ne compte aucun soldat dans la famille[1]. Son grand-oncle, professeur de droit à Caen est l'auteur d'un Traité de la hiérarchie administrative. Amédée de Margerie (1825-1905), son grand-père maternel, issu de la famille Jacquin de Margerie, fut doyen de la faculté de lettres de l'Université catholique de Lille, fonda l'université catholique de Nancy et est l'auteur de nombreux ouvrages[1],[3]. Alfred, son père, mort en 1921, fut professeur de droit commercial à l'institut catholique de Lille[1]. Sa mère meurt en 1899, il a onze ans[1].
Il fait ses études secondaires à l'école Saint-Joseph de Lille. Il est passionné de lecture et le restera toute sa vie. Il décide de devenir marin et entre à l'École navale en 1906 (troisième sur quarante-huit)[1]. Il en sort en 1908 (cinquième sur quarante-huit)[4]. Il termine sa formation par un tour du monde sur le croiseur-écoleDuguay-Trouin de 1908 à 1909[4].
Trolley de Prévaux participe à la Première Guerre mondiale, en premier lieu en Méditerranée. En , il est officier canonnier et de manœuvre sur le torpilleur d'escadre Chasseur, puis, en , sur le Paris, comme adjoint à l'officier fusillier et en juin de la même année officier en second sur la canonnièreDiligente[4],[11].
En , il obtient l'affectation qu'il avait demandée dans l'aéronautique navale en 1915. Il effectue alors un stage de formation au pilotage des ballons dirigeables, à Saint-Cyr. Breveté d'aéronautique et nommé lieutenant de vaisseau, il prend son premier commandement, celui du centre de dirigeables de Marquise-Rinxent dans le Pas-de-Calais, près de Boulogne-sur-Mer (-)[4],[11],[12],[13]. Il a sous ses ordres une centaine de personnes[14].
Le dirigeable était une arme très efficace contre les navires, dépourvus alors de défense antiaérienne[14] ; il servait à guider les navires, à régler les tirs, à détecter les mines et à la lutte anti-sous-marine[14]. À la fin 1917, l'aéronautique navale atteint une importance jamais égalée depuis, avec 700 avions, 460 pilotes et une vingtaine de dirigeables[14].
Durant cette période, Jacques de Prévaux effectue de nombreuses heures de vol et obtient la Légion d'honneur, la Croix de guerre[8],[15],[14] et une citation à l'ordre de la brigade[16]. Après la Grande Guerre (1918-1919), il survole en dirigeable les lignes de front depuis Nieuport jusqu'à Verdun et filme les ravages causés par la guerre. Ce film ne sera découvert, et montré à sa fille, qu'à la fin des années 1990[17],[18],[19].
Le à Paris 8e, il épouse Blandine Ollivier, issue de la haute bourgeoisie et petite-fille du député Émile Ollivier, ancien ministre et chef du Gouvernement sous Napoléon III (1869-1870)[20] et académicien et de Blandine Liszt[21]. C'est le cousin germain de Jacques, Roland de Margerie qui a fait les présentations[20]. Ils auront deux filles[22], mais divorceront en juillet 1939[23]. Blandine Ollivier, qui parle italien, est l'auteure d'un livre sur la jeunesse fasciste italienne, Jeunesse fasciste (Gallimard, 1934). Pour écrire ce livre elle effectue des enquêtes et reportages et obtient des interviews de Ciano, gendre de Mussolini, qu'elle a l'occasion de rencontrer lors de leur voyage en Italie, à l'automne 1933[24] ; le résultat est une description « dithyrambique[s] de cette jeunesse[24] » et « exprime l'admiration de l'auteur pour les réalisations de Mussolini[24] ».
Prévaux est nommé à la tête d'une escadrille de dragage de la flottille de Toulon et commande la canonnière Diligente (-)[4]. En juillet 1923 il est capitaine de corvette[25].
Il retourne aux dirigeables, le , comme commandant de la base d'aéronautique navale de Cuers-Pierrefeu dans le Var[25],[8] (-). À ce poste il est responsable des grands dirigeables, dont le zeppelinMéditerranée (ancien Nordstern), dommage de guerre cédé à la France par l'Allemagne (l'autre, rebaptisé Dixmude, avait sombré en , frappé par la foudre)[26]. Cuers est aussi la base d'une escadrille de Goliath, avions de bombardement qui participent à la guerre du Rif[26],[27].
En juillet 1941, il est nommé président du tribunal maritime de Toulon. C'est alors qu'il prend contact avec la Résistance en se rapprochant du réseau de renseignement franco-polonais « F2 ». Il est limogé de son poste et mis en disponibilité, en , par l'amiral Darlan, vice-président du Conseil du Gouvernement de Vichy, en raison de ses sympathies gaullistes[9],[29] et pour la Résistance[8].
Il s'engage alors, début 1942, dans le réseau « F2 » sous le pseudonyme « Vox »[8]. Comme informateur, il fournit aux Alliés des renseignements très importants sur la marine allemande. Sa femme Lotka (nom de résistante Kalo) est très active à ses côtés dans ce réseau[9]. Après une première dispersion du réseau, consécutive à l'occupation de la zone sud en novembre 1942 par les Allemands et les Italiens et à de nombreuses arrestations, Trolley de Prévaux participe à sa reconstruction. Pour les renseignements de la plus haute importance qu'il fait parvenir à Londres, les Britanniques lui décernent la Distinguished Service Order en 1943[9]. Il est à la tête du réseau « Anne », branche « Méditerranée » (Marseille, Toulon, Nice), du « F2 » reconstitué en [8]. Ce réseau, très actif pendant plus d'un an, transmet quantité de renseignements sur les mouvements des unités allemandes navales et aériennes[8], les travaux de fortifications[8], renseignements très utiles pour le débarquement allié en Provence[35].
Il est arrêté par la Gestapo, le à Marseille, ainsi que sa femme. Emprisonné aux Baumettes puis à la prison Montluc à Lyon, il est torturé. Il ne parle pas et endosse la responsabilité des actions de son réseau[8].
Le , ils sont tous deux fusillés à Bron[8], lors d'une des dernières exécutions opérées par les nazis avant leur départ de Lyon.
1945 : contre-amiral (), à effet rétroactif au et annulation de la mise en congé d'activité décidée par Darlan. Jacques de Prévaux était considéré comme disparu depuis son arrestation (les preuves de son exécution datent de ), il s'agit donc d'une véritable promotion et non d'une nomination à titre posthume[15].
L'ordre de la Libération compte 1 038 compagnons dont seulement 6 femmes[39],[40], cependant, Lotka de Prévaux est associée à son mari dans le texte du Mémorial des Compagnons de la Libération le concernant :
« Unis dans l'action de résistance, unis dans l'épreuve des prisons, ils se trouvèrent encore unis dans le sacrifice. Nous ne les séparerons donc pas sous le signe de la Croix de Lorraine et la devise de notre Ordre[41]. »
La fille de Jacques et de Lotka, Aude de Prévaux, née en , ne découvre sa propre filiation qu'à l'âge de 23 ans, en 1966, lorsqu'un lecteur âgé, découvrant son nom, l'aborde à la Bibliothèque nationale. À la disparition de ses parents elle avait été recueillie et élevée dans la famille d'un frère de son père, le général François Trolley de Prévaux, fidèle au régime de Vichy, et tenue dans le secret de sa naissance. Elle est l'auteure d'un livre sur ses parents Un Amour dans la tempête de l'histoire – Jacques et Lotka de Prévaux (Kiron – Éditions du Félin, 1999), prix du maréchal Foch de l'Académie française (médaille de bronze) et prix Saint-Simon, en 1999[51],[52],[53]. Son parcours a été évoqué dans l'émission de télévision Prise directe, sujet : « Enfants de salauds, enfants de héros », animée par Béatrice Schönberg, sur France 2, le [54].
↑En 1773, une descendante de Jean d'Arc, aurait épousé Pierre Trolley de Prévaux, écuyer du roi, cf. Aude Yung-de Prévaux, Un Amour dans la tempête de l'histoire..., op. cit., p. 23.
↑Robert Aron, Grands dossiers de l'histoire contemporaine, éd. Librairie Académique Perrin, Paris, 1962-1964 ; rééd. CAL, Paris, chap. « Le drame de Mers el-kébir », p. 164.
↑Winston Churchill, The Second World War, Plon, 1948-1954 ; rééd. La Deuxième Guerre mondiale, Le Cercle du Bibliophile, 12 vol. , 1965-1966 ; Tome troisième : L'heure tragique – la chute de le France, 1940, chap. XI : « L'amiral Darlan et la flotte française, Mers-el-Kébir », p. 249.
↑Jean-Marc Tanguy, « Des noms de héros et héroïnes de la Seconde Guerre mondiale pour les futurs patrouilleurs hauturiers », Le Marin, (lire en ligne, consulté le ).
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Aude Yung-de Prévaux (préf. Michel Debray), Un Amour dans la tempête de l'histoire – Jacques et Lotka de Prévaux, Paris, Kiron – Éditions du Félin, coll. « Résistance – Liberté – Mémoire », , 2e éd. (1re éd. 1998), 222 p., poche (ISBN2-86645-550-9 et 978-2866455507), recension par Laurent Douzou, prix du maréchal Foch de l'Académie française en 1999 – prix Saint-Simon 1999.
(de) Traduit en allemand : Aude Yung-de Prévaux, Jacques und Lotka – Ein Liebe in den Zeiten der Resistance, éd. Kiepenheuer & Witsch, 2001 (ISBN3-462-02978-9 et 978-3462029789).