Le père de Francis Poulenc, Émile Poulenc (1855-1917), est l’un des fondateurs des établissements Poulenc frères, qui deviendront plus tard le groupe Rhône-Poulenc[2]. Sa mère, Jenny-Zoé Royer (1864-1915), fille d’artisans parisiens[2], lui apprend le piano alors qu'il n'a que cinq ans[2]. À partir de 1915 il se perfectionne auprès de Ricardo Viñes, qui lui fait rencontrer notamment Erik Satie, Claude Debussy et Maurice Ravel[3].
Pendant son enfance il est fréquemment à Nogent-sur-Marne où habite son grand père, Louis François Royer, au 4 rue de la Muette, où par ailleurs sa sœur Jeanne est née le 26 mai 1886.
Il compose Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (1918), un cycle de mélodies reprenant des poèmes de l'œuvre éponyme de Guillaume Apollinaire, et en confie la première exécution à Suzanne Peignot (1919)[11]. Notons également un enregistrement notable de cette oeuvre enregistré avec Poulenc en personne au piano et Pierre Bernac pour le chant. C'est à cette époque que se crée, sous l'impulsion de Jean Cocteau et d'Erik Satie, un collectif de jeunes compositeurs que le critique Henri Collet surnomme en 1920 le « groupe des Six », en référence au « groupe des Cinq » russes. Constitué, outre Francis Poulenc, de Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Germaine Tailleferre, il se veut une réaction contre le romantisme et le wagnérisme, mais aussi, dans une certaine mesure, contre le courant impressionniste, incarné notamment par Claude Debussy. Le groupe des Six ne créera pourtant que deux œuvres collectives : un recueil pour le piano, Album des Six, et un ballet, Les Mariés de la tour Eiffel (sur un texte de Cocteau).
En 1926, il rencontre le baryton Pierre Bernac, à qui il demande d'interpréter les Chansons gaillardes composées la même année[13]. Pierre Bernac deviendra son interprète fétiche (Franck Ferraty parle de « partenaire affectif privilégié »[14], même si, selon Wilfrid Mellers, « malgré les inclinations homosexuelles de Francis, lui et Bernac ne furent pas amants »[15]) et pour lequel il composera 90 de ses 145 mélodies[16]. Il l’accompagne au piano à partir de 1935 (et jusqu'en 1959) dans des récitals de musique française à travers le monde entier.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Poulenc écrit texte et musique des Animaux modèles, ballet plein d’humour créé à l'Opéra de Paris en 1942 sur une chorégraphie de Serge Lifar, avec les costumes de son ami, le peintre et décorateur de théâtre Maurice Brianchon. L’œuvre peut être vue comme un acte de résistance en ce qu’elle fait entendre un passage de Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine – que les officiers allemands ne reconnurent pas à l'époque. Cette pratique d'introduction de passages d'oeuvres patriotiques connues au sein d'oeuvres musicales nouvelles est commune au groupe de Résistance du Front National des Musiciens, assez proche du P.C.F.. La même année, il compose la musique du film La Duchesse de Langeais de Jacques de Baroncelli. Dans la même période, il met clandestinement en musique le poème "C" d'Aragon.
Le , il donne son premier récital avec Pierre Bernac aux États-Unis. Il y rencontre notamment la soprano Leontyne Price, qui le met au programme de ses récitals, et le compositeur Samuel Barber, dont les Mélodies passagères seront créées à Paris par Bernac et Poulenc en février 1952.
En 1953, le directeur des éditions Ricordi commande à Poulenc un ballet sur sainte Marguerite de Cortone pour la Scala de Milan. Poulenc décline l'offre mais s'intéresse au livret en italien que Flavio Testi a tiré d'une pièce représentée à Paris l'année précédente au théâtre des Arts par Jacques Hébertot, Dialogues des carmélites, d'après un texte inédit de Georges Bernanos. Malgré des problèmes de droits et de santé, Poulenc se lance à corps perdu dans un sujet qui ne tarde pas à l'obséder, les angoisses de Blanche de la Force face à la mort faisant écho aux siennes, confronté à la longue agonie de son compagnon de l'époque, Lucien Roubert, un voyageur de commerce[22]. Il adapte lui-même le texte de Bernanos pour une version française et achève sa partition en août 1955, au moment même de la mort de Lucien. Dialogues des carmélites est créé en italien à Milan le avec Leyla Gencer (Mme Lidoine) et Virginia Zeani (Blanche), puis, dans la version française originale, à l'Opéra de Paris le 21 juin suivant sous la direction de Pierre Dervaux, avec Régine Crespin et Denise Duval dans les mêmes rôles. La première aux États-Unis a lieu en septembre de la même année au San Francisco Opera avec Leontyne Price, qui fait sa première apparition sur une grande scène d’opéra dans le rôle de Mme Lidoine.
Il est suivi en 1958 par La Voix humaine, tragédie lyrique d’après Cocteau, dédiée à son dernier amour, Louis Gautier, un travailleur manuel rencontré en 1957[23]. En 1960-61, il est aux États-Unis pour les créations des Mamelles de Tirésias et de La Voix humaine. Son Gloria pour soprano solo, chœur mixte et orchestre est créé simultanément à Boston par Charles Munch et à Paris par Georges Prêtre (janvier-février 1961). La même année, il publie un livre sur Emmanuel Chabrier.
Le critique Claude Rostand, pour souligner la coexistence chez Poulenc d’une grande gravité, due à sa foi catholique, avec l’insouciance et la fantaisie, a forgé la formule célèbre « moine ou voyou ». Ainsi, à propos de son Gloria, qui provoqua quelques remous à sa création, le compositeur lui-même déclara : « J’ai pensé, simplement, en l’écrivant à ces fresques de Benozzo Gozzoli où les anges tirent la langue, et aussi à ces graves bénédictins que j’ai vus un jour jouer au football. »
Gloria (1959), pour soprano solo, chœur mixte et orchestre, créé simultanément à Boston par Charles Munch et à Paris par Georges Prêtre (janvier-février 1961)
Poulenc a composé près de deux cents mélodies ou chansons, la plupart accompagnées au piano, les autres par un orchestre de chambre ou un grand orchestre.
Les premières œuvres sont souvent des chansons légères telles Toréador (1918), « chanson hispano-italienne » ou le cycle Cocardes (1919) sur des textes de Jean Cocteau (Poulenc était fasciné par le cirque, le music-hall et par des chanteurs comme Maurice Chevalier[25]), mais à partir de sa rencontre avec Pierre Bernac, les mélodies se font plus lyriques, mettant en musique le plus souvent des poèmes de son cercle d’amis : Apollinaire, Louise de Vilmorin, Max Jacob et surtout Paul Éluard. Par la suite, il alterne les deux genres, revenant à la fantaisie avec, par exemple, en 1942 Chansons villageoises, et en 1960 La Courte Paille.
Parmi ses adaptations de textes d’Apollinaire, Bleuet (1939) et Montparnasse (1945), mélodie qui demanda à Poulenc trois ans de travail pour trois courtes pages[26] présentent le Poulenc de la maturité. Tout à fait à l’opposé, une œuvre comme Les Chemins de l’amour composée pour la « diva de l’opérette », Yvonne Printemps, pour la pièce d'AnouilhLéocadia (1940), correspond à sa veine populaire, tout comme Voyage à Paris du cycle Banalités (1940).
C (1943), sur le poème de guerre de Louis AragonLes Ponts-de-Cé, est une de ses mélodies les plus souvent reprises.[réf. nécessaire]Liberté, sur le poème Liberté d’Éluard, clôt la cantate Figure humaine, créée sur la BBC en 1945 et dont la première française n’eut lieu qu’en 1947.
Cocteau notait à propos des chansons et mélodies : « La particularité de Poulenc, c'est de mettre le texte en évidence. Le poème Liberté d'Éluard y gagne. On se demande si le texte ainsi chanté n'est pas la seule forme possible de déclamation d'un poème[27]. »
Écrits
Francis Poulenc, Mes mélodies et leurs poètes, Conférence du 20 mars 1947, revue Conferencia no 36, décembre 1947 ;
Francis Poulenc, Emmanuel Chabrier, Paris, 1961 ;
Francis Poulenc, Moi et mes amis, confidences recueillies par Stéphane Audel, La Palatine, Paris, 1963 ;
Francis Poulenc, Journal de mes mélodies, préface d’Henri Sauguet, texte établi par la Société des amis de Francis Poulenc, éditions Grasset, 1964 ; réédité en 1993, préface de Denise Duval, texte intégral établi et annoté par Renaud Machart, éditions Cicéro et Salabert, Paris, 1993 (ISBN978-2908369106) ;
Francis Poulenc, À bâtons rompus, écrits radiophoniques édités par Lucie Kayas précédés de Journal de vacances et suivis de Feuilles Américaines, éditions Actes Sud, Arles, 1999 ;
Francis Poulenc, Dialogues des carmélites, livret français, collection Opéra de Marseille, éditions Actes Sud, Arles, rééd. 2006.
Francis Poulenc, J'écris ce qui me chante, textes et entretiens, réunis, présentés et annotés par Nicolas Southon, Fayard, Paris, 2011, 920 p.
Francis Poulenc ou l'Invité de Touraine, entretiens avec Claude Rostand réalisés en 1953-1954 – INA/Radio France, 1995 (2 CD)
Discographie sélective
Poulenc a laissé plusieurs enregistrements comme pianiste soliste ou accompagnateur. On dispose aussi d’enregistrements, parfois supervisés par lui, interprétés par des artistes qu’il privilégiait de son vivant, comme le baryton Pierre Bernac, la soprano Denise Duval, le pianiste Gabriel Tacchino ou le chef d’orchestre Georges Prêtre.
Intégrale des mélodies et chansons, avec Gabriel Bacquier, Jean-Christophe Benoit, Pierre Bernac, Liliane Berton, Nicolai Gedda, Mady Mesplé, Jessye Norman, Michel Sénéchal, Gérard Souzay, José van Dam, etc. – EMI Classics, 1998 ; rééd. 5CD
Dialogues des carmélites avec Régine Crespin (Mme Lidoine), Denise Duval (Blanche), Rita Gorr (Mère Marie), Liliane Berton (Sœur Constance), chœur et orchestre de l'Opéra de Paris, Pierre Dervaux (dir.) – EMI Classics, 1958 (distribution de la création)
Dialogues des carmélites, Rita Gorr (Mme de Croissy), Catherine Dubosc (Blanche), Martine Dupuy (Mère Marie), Brigitte Fournier (sœur Constance), José van Dam (marquis de la Force), chœur et orchestre de l'Opéra de Lyon, Kent Nagano (dir.) – Virgin Classics, 1992
Les Mamelles de Tirésias avec Denise Duval, Jean Giraudeau, Émile Rousseau, Robert Jeantet, chœur et orchestre de l'Opéra-Comique, André Cluytens (dir.) – EMI, 1953 (distribution de la création)
La Voix humaine, avec Denise Duval, orchestre de l'Opéra-Comique, Georges Prêtre (dir.) – EMI, 1959 (distribution de la création)
Figure humaine, Quatre motets pour le temps de Noël, Salve Regina, Quatre petites prières de saint François d'Assise, Ensemble vocal de Provence, Hélène Guy (dir.) – Pierre Vérany, 1981
↑« Il a été admirable pour moi. Songez que c'est Stravinsky qui m'a fait éditer à Londres chez Chester, mon premier éditeur, l'éditeur des Mouvements perpétuels, de la Sonate pour deux clarinettes, de ma Sonate pour quatre mains ; toutes ces petites œuvres de début, assez balbutiantes, ont été publiées grâce à la gentillesse de Stravinsky, qui a été vraiment pour moi un père. » Francis Poulenc, Moi et mes amis. Confidences recueillies par Stéphane Audel, La Palatine, Paris, 1963.
↑Messe dont on notera qu'elle ne comporte pas de Credo.
↑Barbedette, Leïla (sous la supervision de Marie-Hélène Benoit-Otis), « 1943. « Figure humaine » : renaître de l'Occupation », dans Nouvelle histoire de la musique en France (1870-1950), sous la direction de l'équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles : disoucrs et idéologies », (lire en ligne).
↑Renaud Machart, Poulenc, Seuil, Paris, 1995, p. 146.
↑D. Duval sera également la créatrice de ses principaux rôles féminins — Blanche dans Dialogues des carmélites, la Femme dans La Voix humaine, La Dame de Monte-Carlo —, ainsi que du cycle de mélodies La Courte Paille (1960).
↑James Harding, livret de Dialogues des Carmélites, Pierre Dervaux (dir.), EMI, rééd. en CD de 1999.
↑« En tout cas, ce que nous préférions à tout c'était Chevalier, le Chevalier du Petit Casino et du Carillon. » Dans : Poulenc/Rostand 1954, p. 135–136.
↑Machart 1995, p. 151 : « J'ai trouvé la musique du vers « Un poète lyrique d'Allemagne » à Noizay en 1941. Toute la fin (depuis « vous connaissez de son pavé ») à Noizay en 1943. Les deux premiers vers, en 1944 à Paris. Restaient quelques vers dont la terrible incidente : « Donnez-moi pour toujours une chambre à la semaine. » Je l'ai cueillie au vol à Noizay en 1943. J'ai laissé macérer ces fragments et tout mis au point, en trois jours, à Paris, en février 1945. »
↑Jean Cocteau, Journal (1942-1945), novembre 1944, coll. Blanche, Gallimard, Paris.
↑Jean-Marie Cassagne, Paris : dictionnaire du nom des rues, Parigramme, (ISBN978-2-84096-764-4), p. 211.