Dans sa jeunesse, Eddy Marnay est notamment touché par les œuvres américaines d'Irving Berlin, George Gershwin et Cole Porter. À Alger, son père, bijoutier réputé et grand amateur de music-hall, l'emmène régulièrement voir les spectacles du Casino. Le futur Eddy découvre Georgel ou encore Damia qu'il portraiture en une phrase poétique digne du talentueux auteur en devenir : « Elle avait des yeux verts de félin, immenses et oblongs, qui remontaient en courbe vers les tempes et toujours noyés de je ne sais quel liquide nostalgique qui la rendait lointaine et cependant tellement charnelle ». Eddy ajoute : « Pour moi, ce fut l'éveil d'une vocation. Mon père m'emmenait dans les coulisses et je voyais de près ces artistes grimés, pavoisants ou tristes, je respirais des odeurs de résine, de fond de teint et de sueur. Ce monde, je le savais, allait être le mien »[3].
Il débarque à Paris en 1937 depuis l'Algérie. Après avoir exercé les métiers de journaliste, de scénariste et d’assistant metteur en scène, il commence une carrière de chanteur, mais c'est comme parolier qu'il obtiendra ses lettres de noblesse bien qu'il continue à enregistrer quelques 45 tours jusqu'au début des années 1960.
En 1975, Eddy Marnay s'essaye à l'écriture de Bistrot, une comédie musicale dont Michel Legrand est le compositeur. Le spectacle est monté aux Théâtre des Champs-Élysées de Paris et mis en scène par Maurice Jacquemont. Malgré la présence d'un artiste chevronné comme Philippe Clay, le succès n'est pas au rendez-vous.
Chansons sur mesures
Eddy Marnay va souvent collaborer avec le compositeur français Emil Stern et, ensemble, ils vont créer du sur-mesure pour des artistes emblématiques français comme Bourvil qui interprète Berceuse à Frédéric et La Ballade irlandaise (Un oranger) reprise par Danielle Darrieux en 1958.
Ils donnent régulièrement au fantaisiste Marcel Amont des saynètes à sa mesure : Pour qu'un bateau (1959), La Carriole espagnole (1960), Pizzicati-pizzicato (1961), Dis Marie (1962) et Et voilà les violons (1968).
Ensuite, il y a, dès 1956, Juliette Gréco qui interprète leurs Ginguettes (dont elle fera une version destinée aux États-Unis en 1957, sa première chanson en anglais adaptée par J. Spencer, The Carrousel) puis L'Or et Chanson bleue en 1968. On trouve aussi Régine avec ses Okazou (1967), Patchouli chinchilla (1968) et Il a vingt ans.
Dans la catégorie des chansons sur-mesure, on peut faire une parenthèse pour la collaboration de Marnay avec l'un des plus célèbres compositeurs et orchestrateurs des années 1960, André Popp qui est notamment l'arrangeur attitré de Marie Laforêt. Ensemble, Marnay et Popp vont enchaîner les succès pour La Fille aux yeux d'or, parmi lesquels : Ah ! Dites Dites (1965), Manchester et Liverpool (1966), Mon amour, mon ami et Ivan, Boris et moi (1967).
Et enfin, en 1973, Eddy Marnay écrit, en collaboration avec Eddie Barclay, pour Brigitte BardotTu es venu mon amour, dont elle enregistre une version italienne titrée Sei arrivato amor mio.
Des classiques pour Frida Boccara
Mais l'une des grandes réussites d'Eddy Marnay est sa collaboration avec Frida Boccara. Il commence par lui écrire, conjointement avec Jacques Larue sur une musique de Guy Magenta, Cherbourg avait raison qui remporte un vif succès en 1961.
Elle va interpréter une multitude d'œuvres d'Eddy Marnay, quelquefois sur des musiques de Michel Legrand comme La Valse des lilas (1962) ou Les Moulins de mon cœur qu'elle reprendra après Legrand en 1968. Une autre fois, ce sera sur des musiques de Michel Magne comme le tube que fut Cent mille chansons en 1968, ainsi que Belle du Luxembourg en 1969, ou encore Au matin de mon premier amour en 1972 (chanson du film "Angélique, marquise des anges").
C'est toutefois sur une musique d'Emil Stern qu'Eddy Marnay lui offre l'un de ses plus grands succès : on se souvient d'Un jour, un enfant, chanson avec laquelle Frida Boccara remporte, pour la France, le Grand Prix du Concours Eurovision de la chanson 1969 à Madrid (ex-æquo avec d'autres candidates).
Pour Frida Boccara, Eddy Marnay coproduit d'ailleurs, la même année, le 33 toursUn jour, un enfant dont il signe tous les textes, enregistrement qui obtient le Grand Prix du Disque de l'Académie Charles-Cros.
Viennent ensuite, en 1970, Les Quatre Chemins de l'amour (sur une musique d'Antonio Vivaldi) et Venise va mourir (sur la musique composée par Stelvio Cipriani pour le film Anonimo Veneziano d'Enrico Maria Salerno). En 1972, Pour vivre ensemble et Trop jeune ou trop vieux (musiques de Jean-Michel Braque) et Taureau sur la musique du compositeur brésilienGeraldo Vandré. Et puis, sur la musique de Georg Philipp Telemann[4], L'Année où Piccoli (album éponyme) en 1978, ainsi que les autres titres qui constituent ce 33 tours ambitieux, toutes les musiques provenant de remarquables adaptations de morceaux classiques : La Nuit (Corelli), Le Dernier Rendez-vous (Beethoven), Et je suis seule (Granados), Les Enfants de Mozart (Mozart), Ma rivière (Smetana), Un sourire au-delà du ciel (Grieg), Aria Cantilena (Villa-Lobos), La Chanson du veilleur (Bach).
Chez les yé-yé
Eddy Marnay a su s'adapter à la déferlante de la vague yéyé et même au disco des années 1970. Dès 1962, il fait ses premières armes en donnant à Richard AnthonyFaits pour s’aimer, version française de la chanson brésilienne Desafinado.
En 1965, il écrit un tube pour France Gall, L'Amérique, sur une musique de Guy Magenta puis une adaptation d'un succès italien, Baci, baci, baci en 1969.
En 1974, Eddy Marnay épouse Laura Conti, de 30 ans sa cadette, qui lui donne sa fille unique, Célia. Il a beaucoup écrit pour le chanteur populaire Claude François dont : Les Moulins de mon cœur, Le monde est grand, les gens sont beaux, Fleur sauvage, Combien de rivières, Un jardin dans mon cœur, Stop au nom de l'amour, Il fait beau, il fait bon, Seule une romance, Mais c'est différent déjà, Soudain il est trop tard, On ne choisit pas, Belinda, Mon mensonge et ma vérité, Je chante pour les gens qui s'aiment, Sha la la, J'ai encore ma maison, À part ça la vie est belle, J'ai perdu ma chance, Notre dernière chanson ensemble, Le Mal-Aimé, Toute ma vie je chanterai pour toi, Une fille suffit, La Plus Belle Fille du monde, Tu es tout pour moi, Où s'en aller ?, Toi et moi contre le monde entier, Le spectacle est terminée, Il ne me reste qu'à partir, Un petit peu d'amour, Fais comme si, Monsieur Crapaud, Dors petit homme, Sale bonhomme, Le Zoo de Vincennes, Cette année-là, C'est le reggae, Il ne t'aime pas, Le Vagabond, Laisse une chance à notre amour, Enfin, Je vais à Rio, Toi et le soleil, Chaque visage dit une histoire, L'amour vient, l'amour va, Sacrée chanson, Pourquoi toi et C'est pour vous que je chante.
On peut aussi ajouter quelques chansons pour Guy Mardel, C’est une larme, Quand on me parle de Paris (1969) et aussi pour Hervé Vilard, Le Dernier Voyageur (1969) et Amore caro, amore bello (1971).
Adaptation française de plusieurs succès de la bossa nova
Sa collaboration avec Mireille Mathieu prend un essor particulier à partir de 1975 et Eddy Marnay devient son auteur fétiche. Elle dira qu'il est celui qui la comprend le mieux. Il écrit pour elle près d'une centaine de chansons dont de nombreux succès : Tous les enfants chantent avec moi (1975), Mille Colombes (sur l’air Casta Diva extrait de l’opéra Norma de Bellini, adapté par le compositeur allemand Christian Bruhn, 1977), Un clown dans mon cœur (reprise 1978), Santa Maria de la Mer et A Blue Bayou en 1978, Un enfant viendra (1979), Une femme amoureuse (1980), Trois milliards de gens sur terre, Nos souvenirs et New York New York en 1982...
Il collabore à la production artistique de nombreux albums de l'artiste, en particulier celui composé par Paul Anka en 1979, Mireille Mathieu chante Paul Anka, dont il écrit toutes les adaptations françaises.
Autres chansons populaires
Au compte de Marnay, il faut ajouter ses textes encore destinés à Marcel Amont : D'où vient le vent (musique de Roger Bourdin, 1961), La Demande en mariage (musique d'Hubert Giraud, 1970).
Pour Nana Mouskouri, il écrit Coucouroucoucou Paloma en 1968 et, en 1979, pour son album Vivre au soleil, outre le titre éponyme qu'il adapte d'après Kaempfert, Singleton et Snyder, il lui écrit, sur des airs traditionnels, L'enfant qui va vivre demain (arrangements de Johns) et Jamais je me marierai (arrangements de Sakel).
Marnay écrit aussi à deux reprises pour Nicole Rieu (Le ciel c'est ici en 1976 et Pour savoir t'aimer, sur l'album Vas-y, en 1998).
Eddy Marnay poursuit pour Serge Reggiani avec Ma fille (1971), La Maison qui n'existe plus et Le Premier Amour du monde (1972), Michèle Torr avec Un homme dans ma vie (1970) et puis Nicoletta avec De minuit à six heures du matin ainsi que pour la chanteuse québécoise Renée Martel qui fait un succès au Québec avec la chanson Liverpool parue en 1967.
En 1974, il écrit pour Esther Galil la chanson pour la paix On est fait pour vivre ensemble.
Une plume québécoise
Lors des Francofolies de Spa1979, Eddy Marnay noue des liens amoureux avec la québécoise Suzanne-Mia Dumont. Il va alors consacrer sa plume à l'écriture de chansons pour beaucoup d'interprètes québécois.
En 1982, il écrit les premières chansons de Céline Dion dont Tellement j'ai d'amour pour toi, musique d'Hubert Giraud, qui remporte la médaille d'or au Yamaha Music Festival de Tokyo la même année. Suivront encore pour Dion, D'amour ou d'amitié (1982, musique de Jean-Pierre Lang et Roland Vincent) puis, en 1983, Du soleil au cœur (chanson écrite par Frida Boccara, musique d'André Popp), Mon ami m'a quittée (musique de Christian Loigerot et Thierry Geoffroy). En 1986, la chanson Fais ce que tu voudras (musique du compositeur québécois René Grignon) devient le premier clip de Céline Dion. Céline et Eddy feront au total cinq albums qui obtiendront plusieurs Prix Félix, les Victoires de la musiquequébécoises. Céline appellera Eddy un de ses enfants en son hommage.
En 1994, Eddy Marnay écrit également la chanson Puisque c'est l'amour pour Lara Fabian.
Jusqu'à son décès en 2003, Eddy Marnay écrira encore pour Diane Juster (Aimer en secret, Tu as laissé passer l'amour) et pour Pierre Sénécal qui enregistrera l'une des dernières œuvres du prolifique parolier, l'album Vivant en 2002. Marie Denise Pelletier enfin, lance en septembre 2003 un album intitulé Les Mots de Marnay, l'opus est un vibrant hommage à l'auteur disparu. Marie-Denise y reprend plusieurs de ses chansons, notamment et en particulier les grands succès de Frida Boccara, sa muse (Cent mille chansons, Les Moulins de mon cœur, La Croix, l'Étoile et le Croissant, Berceuse pour Luciana et bien sûr Un jour, un enfant).
A la question « qu'est-ce qu'une chanson ? », Eddy Marnay avait répondu : « C'est une très belle mélodie et de très belles paroles, mais c'est aussi un cadeau et un miracle qu'on ne peut pas analyser. »
Dans le film franco-belge Cloclo, paru en 2012 et retraçant la vie du chanteur à succès Claude François, un hommage est rendu à Eddy Marnay dans une courte scène. Il apparait en coulisses d'une représentation du jeune Claude François avec son cigare. Ce dernier interroge alors son agent de l'époque sur l'identité de ce mystérieux personnage, et il lui répondra « C'est Marnay ». Eddy Marnay le prendra ensuite sous son aile.