Smilodon

Tigre à dents de sabre

Smilodon
Description de cette image, également commentée ci-après
Monture squelettique de S. populator exposée au musée des sciences de Tellus (en), en Géorgie, aux États-Unis.
2.5–0.01 Ma
Pléistocène inférieur-Holocène inférieur.
120 collections
Classification
Règne Animalia
Embranchement Chordata
Classe Mammalia
Ordre Carnivora
Sous-ordre Feliformia
Famille Felidae
Sous-famille  Machairodontinae
Tribu  Smilodontini

Genre

 Smilodon
Lund, 1842

Espèces de rang inférieur

Synonymes

Smilodon est un genre éteint de grands félidés incarnant un des mammifères préhistoriques les plus connus. Bien que communément désigné sous le nom de tigre à dents de sabre, l'animal ne partage aucun liens de parenté particulièrement proche avec le tigre ou à d'autres félins actuels. Le genre appartient en fait à la sous-famille des Machairodontinae, une lignée aujourd'hui éteinte ayant divergé de celles des félins actuels il y a environ 20 millions d'années. Smilodon est l'un des derniers machairodontes survivants aux côtés de son contemporain Homotherium, ayant vécu dans les Amériques durant le Pléistocène il y a entre 2,5 millions d’années et 10 000 ans avant notre ère. Le genre est nommé en 1842 par Peter Wilhelm Lund sur la base de fossiles ayant été découvertes au Brésil, le nom générique signifiant « dents de scalpel » ou « dents de couteau à deux tranchants ». Trois espèces sont reconnues : S. gracilis, S. fatalis et S. populator. Les deux dernières espèces descendent probablement de S. gracilis, qui lui-même descend probablement de Megantereon. Les centaines de spécimens obtenus de La Brea Tar Pits à Los Angeles constituent la plus grande collection de fossiles de Smilodon.

Dans l'ensemble, Smilodon est plus robuste que n'importe quel félins existants, présentant des membres antérieurs particulièrement bien développés et des canines supérieures exceptionnellement longues. Sa mâchoire a une plus grande ouverture que celle des félins actuels, et ses canines supérieures sont minces et fragiles, adaptées pour une mise à mort de précision. S. gracilis est la plus petite espèce connu, pesant entre 55 et 100 kg. S. fatalis pèse de 160 à 280 kg et mesure 1 m de haut. Ces deux espèces sont principalement connues d'Amérique du Nord, mais des restes d'Amérique du Sud leur sont également attribués (provenant principalement du nord-ouest du continent). Le sud-américain S. populator est la plus grande espèce documenté, pesant 220 à 436 kg pour 1,2 m de haut, figurant parmi les plus grands félidés connus. Le motif du pelage du Smilodon est inconnu, mais il est reconstitué artistiquement avec des motifs unis ou tachetés.

En Amérique du Nord, Smilodon chassait de grands herbivores tels que des bisons et chameaux ancestraux, faisant de même lorsqu'il croise de nouvelles proies en Amérique du Sud tel que Macrauchenia. Smilodon achevait probablement sa proie en la maintenant immobile via ses membres antérieurs et en la mordant, mais il n'est pas admis de quelle manière la morsure elle-même aurait été délivrée. Les scientifiques se demandent si Smilodon avait un mode de vie social ou solitaire, les analyses du comportement des prédateurs modernes ainsi que des restes fossiles de Smilodon pouvant être interprétée dans les deux point de vues. Smilodon vivait probablement dans des habitats fermés tels que les forêts et les fruticées, ce qui auraient fourni une couverture pour les proies tendues à l'affût. Smilodon s'est éteint dans le cadre de l'extinction du Quaternaire il y a environ 13 000 à 10 000 ans, avec la plupart des autres grands animaux des Amériques. Sa dépendance à l'égard des grands animaux est proposée comme la cause de son extinction. Smilodon peut avoir été affecté par le renouvellement de son habitat et la perte de proies sur lesquelles il s'est spécialisé en raison d'éventuels impacts climatiques, des effets de l'arrivée humaine récente sur les populations de proies et d'autres facteurs.

Historique des recherches

Photo de fragments fossiles provenant de la mâchoire inférieure d'un tigre à dents de sabre. Les fossiles sont déposées sur un tissu de coton, lui-même contenue au sein d'un boite ouverte.
Crâne fossile gris (à gauche) et une longue canine fossile blanche (à droite) provenant de tigres à dents de sabre.
L'image à gauche présente une mandibule de S. populator ayant été collectée par Lund, qui décrivit l'espèce en 1842. L'image à droite montre la canine de la collection de Lund à côté d'un crâne découvert ultérieurement, exposées dans le musée d'histoire naturelle du Danemark.

Au cours des années 1830, le naturaliste danois Peter Wilhelm Lund et ses assistants collectent des fossiles dans les grottes de calcaires situés près de la petite ville de Lagoa Santa, dans le Minas Gerais, au Brésil. Parmi les milliers de fossiles découverts, il reconnait quelques dents postcanines isolées comme appartenant à une espèce de hyène qu'il nomme Hyaena neogaea en 1839. Après avoir trouvé davantage de matériaux (incluants des incisives et des os du pied), Lund conclut que les fossiles appartiennent en fait à un genre distinct de félidés, bien que le considérant comme transitoire vers les hyènes. Il déclare que l'animal aurait égalé en taille les plus grands prédateurs actuels et qu'il serait plus robuste que n'importe quel félins existants. Lund voulait à l'origine désigner le nouveau genre Hyaenodon, mais réalisant que ce nom fut déjà appliqué à un autre grand prédateur préhistorique, il le nomme alors Smilodon populator en 1842. Le nom générique Smilodon vient du grec ancien σμίλη / smilē, « scalpel » ou « couteau à deux tranchants », et οδόντος / odóntos, « dent », le tout pouvant donner « dents de scalpel » ou « dents de couteau à deux tranchants ». L'épithète spécifique populator signifie en latin « destructeur », pouvant être traduit par « celui qui apporte la dévastation ». Lund basa ce nom scientifique sur la base de la forme des incisives, les célèbres grandes canines n'étant documentés qu'à partir de 1846, année ou le naturaliste acquiert presque toutes les parties du squelette provenant de différents individus du même taxon . D'autres spécimens furent trouvés dans les pays voisins par d'autres collectionneurs au cours des années suivantes[1],[2],[3]. Bien que certains auteurs ultérieurs aient utilisé l'épithète spécifique original proposée par Lund, neogaea, au lieu de populator, il est maintenant considéré comme un nomen nudum invalide, car n'étant pas accompagné d'une description appropriée et d'aucun spécimens types désignés[4]. Certains spécimens sud-américains ont été référés à d'autres genres, sous-genres, espèces et sous-espèces, tels que Smilodontidion riggii, Smilodon (Prosmilodon) ensenadensis et S. bonaeriensis, mais il est maintenant admis qu'ils représentent des synonymes plus récents de S. populator[5].

Gravure représentant une molaire (à gauche) et une incisive (à droite) d'un tigre à dents de sabre.
Lithographie de 1869 présentant le maxillaire fragmentaire et la molaire de l’holotype de S. fatalis.

Les fossiles de Smilodon commencent a être découvertes en Amérique du Nord à partir de la seconde moitié du XIXe siècle[1]. En 1869, le paléontologue américain Joseph Leidy décrit une fragment d'un maxillaire accompagné d'une molaire qui ont été découvert dans un gisement de pétrole situé dans le comté de Hardin, au Texas. Il attribue les fossiles au genre Felis (qui était alors utilisé à tort pour classer la plupart des félins, existants comme éteints), mais le trouve suffisamment distinct pour représenter son propre sous-genre, sous le nom de F. (Trucifelis) fatalis[6]. L'épithète spécifique fatalis vient du latin est veut dire « mortel »[7]. Dans un article sur les félins américains disparus publiée en 1880, le paléontologue américain Edward Drinker Cope souligne que la molaire de F. fatalis est plus proche de celle de Smilodon, proposant la nouvelle combinaison S. fatalis[8]. La plupart des découvertes nord-américaines furent rares jusqu'au début des fouilles menées dans le site de La Brea Tar Pits à Los Angeles, où des centaines d'individus de S. fatalis sont découverts depuis 1875[1]. S. fatalis a des synonymes plus récents tels que S. mercerii, S. floridanus et S. californicus[5]. En 1985, la paléontologue américaine Annalisa Berta considère que l'holotype de S. fatalis serait trop incomplet pour représenter un spécimen type adéquat, et que l'espèce est parfois proposée comme étant un synonyme plus récent de S. populator[4]. Néanmoins, dans un article publiée en 1990, les paléontologues nordiques Björn Kurtén et Lars Werdelin soutiennent tout de même la distinction des deux espèces[9]. En 2018, le paléontologue américain John P. Babiarz et ses collègues concluent que S. californicus, représenté par les spécimens de La Brea Tar Pits, représenterait une espèce distincte de S. fatalis et que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour clarifier la taxonomie de la lignée[10].

Toujours dans son article de 1880 sur les félins disparus, Cope nomme également une troisième espèce de Smilodon, S. gracilis, sur la base d'une canine partielle ayant été découverte dans la grotte de Port Kennedy (en), près de la rivière Schuylkill, en Pennsylvanie. Cope identifie la canine comme distincte de celle des autres espèces de Smilodon en raison de sa taille plus petite et de sa base plus comprimée[8]. Son épithète spécifique fait référence à sa carrure plus légère[11], et est connue à partir de restes moins nombreux et moins complets que les autres espèces du genre[12]. S. gracilis fut parfois considéré comme faisant partie d'autres genres tels que Megantereon et Ischyrosmilus (en)[13]. S. populator, S. fatalis et S. gracilis sont actuellement considérées comme les seules espèces valides de Smilodon, et les caractéristiques utilisées pour définir la plupart de leurs synonymes juniors sont rejetées car étants des variation intraspécifiques[5],[4]. Étant l’un des mammifères préhistoriques les plus célèbres, Smilodon est souvent représentés dans les médias populaires et est désigné comme fossile d’État (en) de Californie[1].

Description

Schéma montrant les différentes tailles des diverses espèces de Smilodon (montré en orange, en marron et en rouge) à celui d'un homme (montré en noir).
Diagramme montrant la taille de diverses espèces de Smilodon par rapport à un homme.

Anatomie squelettique

Smilodon est à peu près de la taille des grands fauves actuels, mais est de construction plus robuste. Il a une région lombaire (en) réduite, une omoplate haute, une queue courte et des membres larges avec des pattes relativement courts[14],[15]. Smilodon est surtout célèbre pour ses canines relativement longues, qui figurent parmi les plus longues identifiés chez les machairodontes, mesurant environ 28 cm de long chez la plus grande espèce, S. populator[14]. Les canines sont minces et présentent de fines dentelures à l'avant et à l'arrière[16]. Le crâne est robuste, le museau étant court mais large. Les os zygomatiques sont profondes et largement arquées, la crête sagittale est proéminente et la région frontale est légèrement convexe. La mandibule a une bride de chaque côté du devant. Les incisives supérieures sont grandes, pointues et inclinées vers l’avant. Il y a aussi un diastème entre les incisives et les molaires de la mandibule. Les incisives inférieures sont larges, recourbées et placées en ligne droite. La dent prémolaire p3 de la mandibule est présente dans la plupart des plus anciens spécimens connus, mais est absent chez les spécimens plus récents, n'étant présent que dans 6 % des fossiles provenant de La Brea Tar Pits[4]. Il y a un débat quant à savoir si Smilodon serait sexuellement dimorphe. Certaines études sur les fossiles de S. fatalis trouvent peu de différence entre les sexes[17],[18]. À l'inverse, une étude de 2012 révèle que même si les fossiles de S. fatalis présentent moins de variations de taille entre les individus que les espèces actuelles du genre Panthera, ils semblent montrer la même différence entre les sexes dans certains traits[19].

S. gracilis est la plus petite espèce connu, estimée à entre 55 et 100 kg, soit une mensuration semblable à celui d'un jaguar. Il est similaire à son prédécesseur Megantereon de même taille, mais sa dentition et son crâne sont plus avancés, se rapprochant de S. fatalis[20],[5]. S. fatalis est de taille intermédiaire entre S. gracilis et S. populator[14]. Le poids de l'animal aurait varié de 160 à 280 kg[20], et a une hauteur d'épaule de 1 m pour une longueur corporelle de 1,75 m[21]. Il est semblable à un lion en termes de dimensions, mais est plus robuste et plus musclé, et avait donc une masse corporelle plus importante. Son crâne est également similaire à celui de Megantereon, bien que plus massif et avec des canines plus grandes[5]. S. populator est l'un des plus grands félidés connus, ayant une masse corporelle allant de 220 kg à plus de 400 kg[20], avec au moins une estimation suggérant qu'il aurait atteint jusqu'à 470 kg[22]. Un crâne particulièrement grand de S. populator d'Uruguay mesurant 39,2 cm de long indique que cet individu aurait pu peser jusqu'à 436 kg[23]. L'animal avait une hauteur d'épaule de 1,2 m[14]. Comparé à S. fatalis, S. populator est plus robuste et a un crâne plus allongé et plus étroit avec un profil supérieur plus droit, des os nasaux plus hauts, un os occipital plus vertical, des métapodes plus massifs et des membres antérieurs légèrement plus longs que les membres postérieurs[5],[9]. De grandes traces fossiles d'Argentine (pour lesquelles le nom d'ichnotaxon Smilodonichium est proposé) attribuées à S. populator mesurent 17,6 cm sur 19,2 cm[24]. C'est plus grand que les empreintes du tigre du Bengale, auxquelles les empreintes ont été comparées[25].

Traits externes

Reconstitution d'un tigre à dents de sabre présenté au milieu d'un paysage forstier.
Reconstitution d'un tigre à dents de sabre tacheté sur fond blanc.
À gauche, une reconstitution datant de 1903 par Charles R. Knight, présentant un S. populator ayant un pelage uni. L'image à droite représente quant à elle un S. fatalis reconstitué avec un pelage tacheté. Ces reconstitutions sont tous deux vues comme des possibilités.

Smilodon et d'autres félins à dents de sabre sont souvent reconstitués avec des pelages de couleurs unies ou ayant des motifs tachetés (ce qui semble être la condition ancestrale des féliformes), deux cas considérés comme possibles[26]. Des études menées sur les félins modernes montrent que les espèces vivant à l'air libre ont tendance à avoir un pelage uniforme, tandis que celles qui vivent dans des habitats plus végétalisés ont plus de marques, à quelques exceptions près[27]. Certaines caractéristiques du pelage, comme la crinière des lions mâles ou les rayures du tigre, sont trop inhabituelles pour être prédites à partir de fossiles[26].

Traditionnellement, les félins à dents de sabre sont restaurés artistiquement avec des caractéristiques externes similaires à celles des félidés existants, par des artistes tels que Charles R. Knight en collaboration avec divers paléontologues au début du XXe siècle[26]. En 1969, le paléontologue G. J. Miller propose plutôt que Smilodon aurait été très différent d'un félin typique et semblable à un bouledogue, avec une lèvre inférieure (pour permettre à sa bouche de s'ouvrir largement sans déchirer les tissus du visage), un nez plus rétracté et oreilles placées plus bas[28]. En 1998, le paléoartiste Mauricio Antón et ses coauteurs contestent cette affirmation, soutenant que les traits du visage de Smilodon ne seraient globalement pas très différents de ceux des autres félins. Antón note que les animaux actuels comme l'hippopotame sont capables d'ouvrir la bouche extrêmement grand sans déchirer les tissus en raison d'un muscle orbiculaire plié, et un tel arrangement musculaire existe chez les grands félidés modernes[29]. Antón déclare en 2013 que l'utilisation des parents actuels les plus proches d'un taxon fossile est le moyen le plus fiable pour reconstituer l'apparence de la vie des animaux préhistoriques, rendant ainsi des reconstitutions de Smilodon datant du début XXe siècle tel que ceux faites par Knight comme étants toujours précises[26]. En 2022, Antón et ses collègues conclut que les canines supérieures de Smilodon seraient toujours visibles lorsque la bouche est fermée, contrairement à celles d’Homotherium, après des examinations menées sur les fossiles et des grands félins existants[30].

Classification et évolution

Crâne fossile fragmenté d'un tigre à dents de sabre stocké dans une boite blanche.
Crâne partiel de S. gracilis, la plus ancienne espèce connu du genre, à l’Académie des sciences naturelles.
Squelette monté d'un tigre à dents de sabre exposée dans un musée.
Squelette de S. fatalis exposée au musée national d'histoire naturelle des États-Unis à Washington.
Statue reconstituant un tigre à dents de sabre dans un parc.
Statue de S. populator au parc zoologique de Berlin-Friedrichsfelde.

Étant l'un des félins à dents de sabre les plus documentés, Smilodon est l'un des membres les plus connus du groupe, au point que les deux concepts sont souvent confondus. Le terme « dent de sabre » en lui-même fait référence à un écomorphologie composé de divers groupes éteints de synapsides (un clade réunissant les mammifères et leurs proches parents éteints) prédateurs, qui ont évolué de manière convergente via leurs canines des maxillaires extrêmement longues, ainsi que des adaptations du crâne et du squelette liées à leur utilisation. Cela comprend les membres des Gorgonopsia, des Thylacosmilidae, des Machaeroidinae, des Nimravidae, des Barbourofelidae et des Machairodontinae[1],[31]. Au sein de la famille des Felidae, les membres de la sous-famille des Machairodontinae sont appelés félins à dents de sabre, et ce groupe est lui-même divisé en trois tribus : Metailurini (fausses dents de sabre) ; Homotherini (félins à dents de cimeterre); et Smilodontini (félins à dents de poignard), duquel appartient Smilodon[5].

Les membres des Smilodontini sont définis par leurs canines longues et minces avec des dentelures fines ou inexistantes, tandis que les Homotherini sont caractérisés par des canines plus courtes, larges et plus aplaties, avec des dentelures plus grossières[32]. Les membres des Metailurini sont moins spécialisés et ont des canines plus courtes et moins aplaties, et ne sont pas reconnus comme membres des Machairodontinae selons certains chercheurs[5].

Malgré son nom vernaculaire de « tigre à dents de sabre », Smilodon n'est pas étroitement lié au tigre moderne (qui appartient à la sous-famille des Pantherinae), ni à tout autres félidés existants[15]. Bien qu'une analyse ADN publiée en 1992 suggère que Smilodon devrait être regroupé avec les félins actuels (sous-familles des Felinae et Pantherinae)[33], une étude de 2005 révèle au contraire que Smilodon appartient à une lignée distincte[34]. Une étude publiée en 2006 le confirme également, montrant que les machairodontes se sont éloignés très tôt des ancêtres des félins vivants et n'étant pas étroitement liés à aucunes espèces existantes[35]. Il est admis que les ancêtres des félins actuels et des machairodontes auraient divergé il y a environ 20 millions d'années[36]. Le cladogramme suivant montre le placement de Smilodon parmi les félidés éteints et existants sur la base des données fossiles et ADN d'après Rincón et al. (2011)[37] :

 Felidae

Proailurus




Pseudaelurus




Pantherinae

Panthera (tigres, lions, jaguars et léopards)


Felinae

Caracal




Leopardus (ocelot et taxons apparentés)




Felis (chats domestiques et taxons apparentés)




Herpailurus (jaguarondi)




Miracinonyx



Puma (puma)








Machairodontinae

Dinofelis





Nimravides




Machairodus




Homotherium



Xenosmilus







Paramachairodus




Megantereon


Smilodon

Smilodon gracilis




Smilodon populator



Smilodon fatalis











Les plus anciens félidés sont connus de l'Oligocène d'Europe, comme Proailurus, et le plus ancien représentant identifié ayant des canines allongés est le genre Pseudaelurus, datant du Miocène[5]. La morphologie du crâne et de la mandibule des premiers félins à dents de sabre sont semblables à celle du léopard nébuleux actuel du genre Neofelis. La lignée s'adapte ensuite à l'abattage de précision des grands animaux en développant des canines allongées et des espaces plus larges, sacrifiant ainsi une force de morsure élevée[38]. À mesure que leurs canines deviennent plus longues, les corps des ces félins deviennent plus robustes pour immobiliser leurs proies[32]. Chez les Smilodontini et les Homotherini dérivées, la région lombaire de la colonne vertébrale et de la queue se raccourcie, tout comme les membres postérieurs[5]. Du Miocène au Pliocène, les machairodontes représentent un groupe dominant de félidés répartis en Afrique, en Eurasie et en Amérique du Nord[39], mais déclinent progressivement au cours du Pléistocène[40], au point qu'à la fin de cette période, il ne reste plus que deux genres de machairodontes, Smilodon et Homotherium, tous deux largement confinés aux Amériques. Sur la base de séquences d'ADN mitochondrial extraites d'os fossiles, il est suggéré que les lignées d’Homotherium et de Smilodon ont divergé il y a environ 18 millions d'années[36].

La plus ancienne espèce connu du genre Smilodon est S. gracilis, ayant existé il y a entre 2,5 millions d'années et 500 000 ans, étant le successeur nord-américain de Megantereon, à partir duquel il est probablement le descendant. Megantereon lui-même entra en Amérique du Nord depuis l'Eurasie au cours du Pliocène, avec Homotherium. S. gracilis atteint alors les régions du nord de l'Amérique du Sud au début du Pléistocène dans le cadre du grand échange faunique interaméricain[37],[32]. S. fatalis exista quant à lui il y a entre 1,6 million d'années à 10 000 ans et remplace S. gracilis dans le territoire nord-américain[9]. S. populator exista il y a entre 1 million d'années et 10 000 ans, occupant les régions orientales de l'Amérique du Sud[41].

Paléobiologie

Chasse

Smilodon aurait été un superprédateur. On estime d'après sa morphologie, sa masse musculaire et sa mâchoire qu'il chassait les grands mammifères : Bison latifrons, Bison antiquus et Bison priscus (trois espèce du genre Bison qui sont les plus grands bovidés de l'histoire), des équidés et des camélidés. On sait qu'il était également charognard car beaucoup de ses fossiles ont été retrouvés autour d'autres fossiles à La Bréa. Il pouvait manger jusqu'à 8 kg de viande par jour. Son absence de queue (dont les félins se servent pour équilibrer leur course) et sa morphologie laissent penser qu'il ne pouvait pas courir longtemps[42] et devait donc approcher ses proies par surprise.

Sa mâchoire étudiée par des bio mécaniciens[43] montre une capacité de pression bien inférieure à celle d'un lion actuel et équivalente à celle d'un gros chien. La longueur et la courbure de ses dents de sabre mais surtout leur grande fragilité sur des mouvements latéraux limitaient grandement sa gamme de proie et sa manière de les attaquer. Il ne pouvait ainsi pas les saisir avec la mâchoire comme les félins actuels, mais sans doute les agripper avec ses griffes, les faire tomber, et ensuite d'un coup de mâchoire à la gorge, trancher avec ses dents de sabre les artères vitales de la proie[42] (les félins actuels étouffent le grand gibier en serrant leur mâchoire sur leur gorge).

Smilodon n'était pas le plus grand prédateur nord-américain du Pléistocène, il était contemporain de Panthera atrox (lion d'Amérique) et d' Arctodus simus (ours à face courte), les deux plus grands prédateurs de l'époque.

Une autre hypothèse est que le smilodon utilisait ses dents lorsque ses mâchoires étaient fermées pour casser la glace, ou assommer ses proies (Eusmilus) à la façon des morses pour ensuite déchirer les épaisses couches de graisse d'autres mammifères. Il possédait une alimentation et un comportement proche de celui de l'ours polaire, peut-être était-il même meilleur nageur que celui-ci. La musculature du cou ainsi que la taille des vertèbres cervicale et dorsale peuvent étayer cette hypothèse.[réf. nécessaire]

Vie sociale

Les scientifiques se demandent si Smilodon était animal social. Une étude sur les prédateurs africains a révélé que les prédateurs sociaux comme le lion ou la hyène tachetée réagissent davantage aux appels de détresse des proies qu'aux espèces solitaires. Étant donné que les fossiles S. fatalis sont communs aux puits de goudron de La Brea et étaient probablement attirés par les appels de détresse des proies coincées, cela pourrait signifier que cette espèce était également sociale[44]. Une étude critique affirme que cette dernière néglige d'autres facteurs, tels que la masse corporelle (les animaux plus lourds sont plus susceptibles de rester coincés que les plus légers), l'intelligence (certains animaux sociaux, comme le lion américain, ont peut-être évité le goudron parce qu'ils étaient capables de mieux reconnaître le danger), le manque de leurres visuels et olfactifs, le type de leurre audio et la durée des appels de détresse des proies. L'auteur de cette étude réfléchit à ce que les prédateurs auraient répondu si les enregistrements avaient été joués en Inde, où les tigres autrement solitaires sont connus pour s'agréger autour d'une seule carcasse[45]. Les auteurs de l'étude originale ont répondu que même si les effets des appels dans les puits de goudron et les expériences de lecture ne seraient pas identiques, cela ne serait pas suffisant pour infirmer leurs conclusions. En outre, ils ont déclaré que le poids et l'intelligence n'affecteraient probablement pas les résultats, car les carnivores plus légers sont beaucoup plus nombreux que les herbivores lourds et que des fossiles de Canis dirus se trouvent également sur les sites de La Brea[46]. La structure des os hyoïdes suggère que Smilodon communiquait par rugissement comme les grands félins modernes[47]. La capacité de rugir peut avoir des implications dans la vie sociale des félins[48]. Un autre argument pour la sociabilité est basé sur les blessures cicatrisées de plusieurs fossiles de Smilodon, ce qui suggère que cet animal avaient besoin d'autres congénères pour lui fournir de la nourriture[49]. Cet argument a été remis en question, car les félins actuels peuvent se remettre rapidement de dommages osseux même graves et un Smilodon blessé pourrait survivre s'il avait accès à l'eau[50]. Le cerveau de Smilodon était relativement petit par rapport à celui d'autres espèces de félins. Certains chercheurs ont soutenu que le cerveau de Smilodon aurait été trop petit pour qu'il ait été un animal social[51]. Une analyse de la taille du cerveau chez les grands félins vivants n'a permis de trouver aucune corrélation entre la taille du cerveau et la sociabilité[52]. Un autre argument contre le fait que Smilodon ait été social est qu'être un chasseur d'embuscades dans un habitat fermé aurait probablement rendu la vie en groupe inutile, comme chez la plupart des félidés modernes[50]. Pourtant, il a également été proposé qu'étant le plus grand prédateur dans un environnement comparable à la savane d'Afrique, Smilodon aurait pu avoir une structure sociale similaire à celle des lions modernes, qui vivent peut-être en groupes principalement pour défendre un territoire optimal contre d'autres lions (ces derniers sont les seuls grands félins sociaux aujourd'hui)[bib 1]. Le fait que Smilodon soit sexuellement dimorphe a des implications sur son comportement reproducteur. Sur la base de leurs conclusions, selon lesquelles Smilodon fatalis n'avait pas de dimorphisme sexuel, Van Valkenburgh et Sacco ont suggéré en 2002 que, si les félins avaient été sociaux, ils auraient probablement vécu dans des paires monogames sans compétition intense entre les mâles pour les femelles[53]. De même, Meachen-Samuels et Binder (2010) ont conclu que l'agression entre les mâles était moins prononcée chez S. fatalis que chez le lion américain[54]. Christiansen et Harris (2012) ont constaté que, comme S. fatalis présentait un certain dimorphisme sexuel, il y aurait eu une sélection évolutive pour la compétition entre les mâles[55]. Certains os montrent des signes indiquant qu'ils ont été mordus par d'autres Smilodon, peut-être en raison de batailles territoriales, ou de la concurrence pour les droits de reproduction ou l'accès aux proies[bib 1]. Deux crânes de Smilodon populator d'Argentine montrent des blessures apparemment mortelles et non cicatrisées qui semblent avoir été causées par les canines d'un autre Smilodon (bien qu'il ne puisse être exclu qu'elles aient été causées par des coups de griffes). Dans le cas où ces blessures auraient été causées par des combats entre membres d'une même espèce, cela peut également indiquer que ces félins avaient un comportement social pouvant conduire à la mort, comme on le voit chez certains félins modernes (cela indique également que les canines pouvaient pénétrer dans les os)[56]. Il a été suggéré que les canines exagérées des félins à dents de sabre ont évolué pour permettre l'affichage sexuel et la compétition, mais une étude statistique de la corrélation entre la canine et la taille du corps dans S. populator n'a permis de trouver aucune différence dans la mise à l'échelle entre la taille du corps et celle des canines, et a conclu qu'il était plus probable que ces canines ont uniquement évolué pour une fonction prédatrice[57].

Distribution et habitat

Illustration de deux Canis dirus contre un Smilodon avec une carcasse de Mammuthus columbi à La Brea par R.Bruce Horsfall[58]. Ces deux animaux ont vécu à la même époque en Amérique tout entière.

Smilodon a vécu à l'époque du Pléistocène en Amérique, il y a 2,5 millions d'années à 10 000 ans et était l'un des derniers représentants des machairodontes. Il vivait probablement dans des habitats fermés comme des forêts[59]. L'habitat de l'Amérique du Nord comprenait des forêts subtropicales et de la savane au sud et des steppes au nord. Des fossiles de S. fatalis ont été trouvés au Canada[60]. La végétation en mosaïque de bois, d'arbustes et d'herbes du sud-ouest de l'Amérique du Nord abritait de grands herbivores tels que des chevaux, des bisons, antilopes, cerfs, camélidés, mammouths, mastodontes, et des paresseux terrestres. Le continent nord-américain a également connu d'autres félins à dents de sabre, tels que Homotherium et Xenosmilus, ainsi que d'autres grands carnivores, y compris des loups, des ours à face courte, et le lion américain[bib 2],[bib 3],[61]. La concurrence de ces carnivores peut avoir empêché le Smilodon fatalis nord-américain d'atteindre la taille du Smilodon populator d'Amérique du Sud. La similitude de taille de S. fatalis et de Panthera atrox suggère un chevauchement de niche écologique et une concurrence directe entre ces espèces, et elles semblent s'être nourries de proies de taille similaire. Smilodon gracilis est entré en Amérique du Sud du début au Pléistocène moyen, où il a probablement donné naissance à S. populator, qui vivait dans la partie orientale du continent. S. fatalis est également entré dans l'ouest de l'Amérique du Sud à la fin du Pléistocène, et les deux espèces étaient censées être divisées par les Andes. Cependant, en 2018, un crâne de S. fatalis trouvé en Uruguay à l'est des Andes a été signalé, ce qui remet en question l'idée que les deux espèces étaient géographiquement séparées[62]. Le grand échange faunique interaméricain a abouti à un mélange d'espèces envahissantes partageant les prairies et les bois en Amérique du Sud; les herbivores nord-américains comprenaient les proboscidiens, les chevaux, les camélidés et les cerfs, les herbivores sud-américains comprenaient les Toxodon, les Litopterna, les paresseux et les glyptodontes. Les prédateurs métathériens (y compris les thylacosmilidés) avaient disparu au Pliocène et ont été remplacés par des carnivores nord-américains tels que les canidés, les ours et les félins[bib 2].

S. populator a connu un grand succès, tandis que Homotherium n'a jamais été répandu en Amérique du Sud. L'extinction des thylacosmilidés a été attribuée à la compétition avec Smilodon, mais c'est probablement incorrect, car ils semblent avoir disparu avant l'arrivée de ces félins. Les Phorusrhacidae ont pu dominer la grande niche des prédateurs en Amérique du Sud jusqu'à l'arrivée de Smilodon[bib 2]. S. populator a peut-être pu atteindre une taille plus grande que S. fatalis en raison d'un manque de concurrence au Pléistocène en Amérique du Sud; l'animal est arrivé après l'extinction de Arctotherium angustidens, l'un des plus grands carnivores de tous les temps, et pourrait donc assumer la niche des méga-carnivores[63]. S. populator a préféré les grandes proies des habitats ouverts tels que les prairies et les plaines, sur la base des preuves recueillies à partir des rapports isotopiques qui ont déterminé le régime alimentaire de l'animal. De cette façon, l'espèce sud-américaine de Smilodon était probablement similaire au lion moderne. S. populator a probablement rivalisé avec le canidé Protocyon, mais pas avec le Guépard américain, qui se nourrissait principalement de proies plus petites[64],[65].

Extinction

Deux hypothèses ont été émises concernant sa disparition, qui intervient en même temps que de nombreuses autres espèces animales de la mégafaune des Amériques[42]. La première met en cause le changement climatique qui aurait entraîné la disparition de ses proies habituelles, et une inadaptation aux nouvelles proies de l'Holocène, telles que le bison des plaines. Le chasseur très spécialisé qu'était le smilodon n'aurait pu s'adapter à ce changement[42]. La seconde hypothèse est celle d'une chasse par l'homme, ou la disparition de ses proies victimes de la surchasse par l'homme.

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Bibliographie

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Publication originale

  • (da) P. W. Lund, Blik paa Brasiliens Dyreverden för sidste Jordomvæltning, Copenhagen, Det Kongelige Danske Videnskabernes Selskabs Naturvidenskabelige og Matematiske Afhandlinger, , 54–57 p. (lire en ligne)

Liens externes

Notes et références

Notes

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