La révolte atteint ses objectifs mais les Britanniques qui l'ont encouragée lorsqu'ils étaient en guerre contre l'Empire ottoman trahissent les promesses faites aux Arabes une fois la victoire obtenue[7]. L'État arabe unifié ne verra jamais le jour.
Prémices
Au début du XXe siècle, le Proche-Orient était presque entièrement sous la domination de l'Empire ottoman (depuis la conquête de Sélim Ier), dont le sultan était aussi le calife, commandeur des croyants. Un mouvement nationaliste arabe (nahda = réveil, renaissance) existait à l'état embryonnaire, en réponse au nationalisme turc alors en plein essor, mais sans structure centralisée. Il s'exprimait moins en revendications politiques qu'en aspirations à faire revivre l'héritage culturel – et notamment littéraire – arabe. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, les nationalistes arabes de la première heure recherchaient avant tout une reconnaissance de leur culture, qu'ils voulaient voir traitée d'égale à égale avec les autres civilisations, sans prétendre à une souveraineté étatique pour les pays de langue arabe.
La situation changea lorsque la Première Guerre mondiale commença à toucher le Proche-Orient. La confrontation entre l'Entente(Royaume-Uni, France, Russie) et les Empires centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman) vint politiser ce mouvement nationaliste, qui vit se préciser la possibilité de faire appuyer ses visées émancipatrices par la France et le Royaume-Uni. L'Entente ne commença à se montrer sensible aux intérêts des nationalistes arabes que lorsque le sultan, en sa qualité de calife, appela en 1914 au djihad contre les ennemis mécréants de l'Entente. Londres trouva en la personne du chérif de La MecqueHussein ben Ali une personnalité arabe suffisamment renommée et influente pour empêcher les populations arabes d’adhérer à cet appel au djihad[8].
Les Alliés poussent Hussein ben Ali, chérif de la Mecque, à se révolter contre les Ottomans. En échange, il reçoit de Henry McMahon, Haut commissaire du protectorat britannique sur l'Égypte, la promesse de l'indépendance arabe sur les territoires ainsi libérés. Les Britanniques envoient des officiers de liaison au chérif de La Mecque Hussein, dont T.E. Lawrence. La France envoie pour sa part une mission[10] dirigée par le lieutenant-colonel Brémond. Débarquée en , elle se compose principalement de soldats et sous-officiers musulmans de l'empire colonial français, tirailleurs et sapeurs ; les officiers non musulmans, pour éviter une violation des lieux saints de l'islam, restent cantonnés à Djeddah. En , elle comprend 42 officiers et 983 sous-officiers et hommes de rang ; elle atteindra 1 200 hommes à son maximum. Destiné d'abord à un rôle de formation et conseil technique, ce contingent est progressivement affecté à des missions de combat où certains de ses membres se distinguent[11].
Les tribus druzes du sud du Hauran, traditionnellement en dissidence du pouvoir ottoman, fournissent de la nourriture à la guérilla arabe et hébergent des militants poursuivis, puis des réfugiés chassés par la famine au Levant. Le chef druze Sultan el-Atrache contribue à cette aide, d'ailleurs bien rétribuée par les Britanniques, et, à partir de 1917, ses guerriers viennent se joindre aux forces arabo-britanniques[13].
En juin 1917, les troupes arabes conduites par Fayçal ben Hussein, fils du chérif Hussein, remportent la bataille d'Aqaba (dans la Jordanie actuelle), prenant ainsi la ville portuaire située sur la mer Rouge, et harcèlent efficacement les troupes ottomanes sur le tracé du chemin de fer du Hedjaz[12].
En 1918, l'offensive reprend dans le Levant. Les Britanniques remportent la bataille de Megiddo (en Palestine) les 19- et font leur jonction à Deraa, en Syrie, avec l'armée arabe du Nord commandée par Nouri Saïd et le chérif Nassir. La prise de Damas ( - 1er octobre) leur ouvre la capitale syrienne mais donne lieu aux premières contestations entre les Britanniques et les Hachémites qui n'acceptent pas le régime de tutelle franco-britannique prévu par les accords Sykes-Picot. Cependant, les forces britanniques et arabes continuent leur avance vers le nord et, les 25-, remportent la bataille d'Alep, obligeant les Ottomans à évacuer la Syrie.
Les combats en Arabie du Sud avaient abouti aussi à une impasse, les Ottomans n'étant plus en mesure de ravitailler leurs garnisons au Yémen.
Après la Révolte arabe
À l'issue de la guerre, les Britanniques trahissent leurs engagements à l'égard des Arabes[14],[15] et les Turcs sont définitivement chassés de la péninsule Arabique. Dans les faits, la contribution des troupes arabes qui a favorisé la défaite de l’Empire ottoman n'est pas récompensée. Les Britanniques qui avaient promis aux Arabes l'indépendance se sont engagés par ailleurs de manière contradictoire, vis-à-vis des Français, et vis-à-vis du mouvement sioniste. Ainsi d'une part, ils ont également signé avec les Français les accords Sykes-Picot qui donnent le contrôle de la Syrie et du Liban à ces derniers. D'autre part, les Britanniques se sont engagés le 2 novembre 1917, par la déclaration Balfour, à créer un « foyer national juif » en Palestine, sans en définir précisément les contours, sur une partie du territoire du futur royaume arabe[16]. N'ayant pas été entendu lors de la Conférence de la paix de Paris, qui ne retient pas l'idée d'un grand royaume arabe, Fayçal le proclame lui-même, dans Damas occupé par l'armée française. L’existence du Royaume arabe de Syrie est brève : il est créé en janvier 1920, mais l'armée française en juillet de la même année écrase les forces arabes et met fin à cette entité nouvelle.
Soucieux de conserver des soutiens dans la région, les Britanniques créent, dans la partie de leur mandat à l'est du Jourdain, un émirat de Transjordanie confié à l'émir Abdallah, un des fils d'Hussein[17]. Ils mettent également Fayçal sur le trône du royaume d'Irak, qui succède au mandat de Mésopotamie. La dynastie hachémite conserve ainsi deux trônes, même quand elle est chassée du Hedjaz par Ibn Saoud en 1925.
↑ Noureddine Séoudi, La formation de l'Orient Arabe contemporain 1916-1939 : Au miroir de la Revue des deux Mondes, L'Harmattan, 2005, p. 69.
↑Ali Moussa Iye, Albert Ollé-Martin, Violaine Decang, Histoire de l'humanité : 1789-1914, Unesco, 2008, p. 1199.
↑Bichara Khader, Le monde arabe expliqué à l'Europe : histoire, imaginaire, culture, politique, économie, géopolitique, Paris Louvain-la-Neuve, Harmattan Academia-Bruylant, , 530 p. (ISBN978-2-296-07421-7 et 978-2-872-09935-1, OCLC804518941, lire en ligne), p. 66.
↑Gilbert Achcar, « La « grande révolte arabe » du xxie siècle : considérations sur le bouleversement en cours dans l’espace arabophone », La lettre du Collège de France, no 35, , p. 24 (ISSN1628-2329, DOI10.4000/lettre-cdf.2394, lire en ligne, consulté le ).
↑Vincent Arbaretier, « Le roi Hussein de Jordanie un chef de guerre religieux ?: », Revue Historique des Armées, vol. 289, no 4, , p. 69-78 (ISSN0035-3299, DOI10.3917/rha.289.0069, lire en ligne, consulté le ).
↑«Négociés secrètement en mai 1916 entre Français et Britanniques, les accords Sykes-Picot octroient aux puissances européennes deux zones d’administration directe ou indirecte sur des territoires pourtant déjà promis au chérif Hussein par les Britanniques», Entretien avec Henry Laurens, réalisé par Raphaële Balu, Isabelle Safa, « Les populations du Maghreb et du Machrek à l’épreuve des guerres mondiales (1914-1945) », Les Cahiers de l'Orient, 2015/3 (N° 119), p. 11-29, lire en ligne.
↑(de) Henner Fürtig, « Naher Osten – Zwischen Kolonialismus und Nationenbildung », Informationen zur politischen Bildung, no 331, , p. 20.
↑Hayat Touhadi, « Les soldats formant le contingent français au Hedjaz : origines et parcours (1916–1920) », Chroniques yéménites, (DOI10.4000/cy.3036, lire en ligne).
↑ abc et dEntretien avec Henry Laurens, réalisé par Raphaële Balu, Isabelle Safa, « Les populations du Maghreb et du Machrek à l’épreuve des guerres mondiales (1914-1945) », Les Cahiers de l'Orient, 2015/3 (N° 119), p. 11-29, lire en ligne.
↑Selon l'historien Samir Saul, «en 1916 [lors des accords Sykes-Picot], Britanniques et Français contrarient la naissance d’un État arabe unifié dans l’ensemble du Moyen-Orient et de la péninsule arabique, promis par la Grande-Bretagne aux Arabes en 1915 en contrepartie d'une aide des troupes arabes contre l’Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale», SAUL Samir, « Découpage colonial et nation-building en Syrie mandataire : regards français sur les suites de l’accord Sykes-Picot (1916-1938) », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2015/1 (n° 257), p. 111-136. DOI : 10.3917/gmcc.257.0111. URL : lire en ligne.
↑Selon le politologue Daniel Meier, les accords Sykes-Picot, « cette entente entre puissances marquait du sceau de la trahison un découpage effectué par devers le Chérif Hussein, gardien des lieux Saints de La Mecque et Médine auquel la Grande-Bretagne avait promis la création d’un grand royaume arabe une fois l’Empire ottoman liquidé grâce au soutien de ses troupes arabes », Daniel Meier, « La frontière comme analyseur », Orients Stratégiques, no 4, (lire en ligne, consulté le ).
↑ a et bDominique Perrin, Palestine : une terre, deux peuples, Villeneuve d'Ascq, France, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire », , 346 p. (ISBN978-2-85939-603-9, OCLC300915168, lire en ligne), p. 151-153.