Dans le cadre de la Question jurassienne, le plébiscite jurassien (ou les plébiscites jurassiens) est une votation organisé, le , par le gouvernement bernois par lequel le peuple jurassien décide de se séparer du canton de Berne pour former le canton du Jura. Ce plébiscite en découlera deux autres en 1975.
Le , par décision du Congrès de Vienne, le Jura est annexé à la Suisse et attribué au canton de Berne, canton germanophone, pour compenser ses pertes, le Canton de Vaud et de l'Argovie. Au XIXe siècle, le Jura parvient, malgré la férule bernoise, à préserver sa langue et sa culture. Au sein même du Jura, des tensions apparaissent entre le nord, agricole et catholique, et le Sud, protestant et qui petit à petit s'industrialise. Lors de la Première Guerre mondiale, le fossé linguistique et culturel s'élargit entre Berne et le Jura et, en 1917, plusieurs mouvement séparatistes se forment.
Le , Georges Moeckli, conseiller d’État jurassien francophone, se voit refuser par le parlement bernois, la direction du Département des travaux publics sous prétexte qu'il parle mal le dialecte bernois et que cela engendrerait des problèmes de communication. En conséquence, un Comité d'action pour la défense des droits du Jura, qui sera nommé plus tard « Comité de Moutier », est créé à Delémont le . Il est chargé de réunir les forces politiques des régions jurassiennes et d'en dresser le catalogue de revendications. Dans le même temps, le « Mouvement séparatiste jurassien » est fondé le par les groupes souhaitant une séparation d'avec le canton de Berne. Le Mouvement séparatiste jurassien devient le Rassemblement jurassien et se constitue officiellement et demande la création d'un 23e canton suisse[1].
« Commission Petitpierre »
Étant toujours certain qu'un statut d'autonomie est la bonne solution pour résoudre la Question jurassienne, le Conseil-exécutif bernois demande de l'aide de la Confédération. le Conseil-exécutif bernois (sur proposition du Conseil fédéral) nomme, le 16 juillet 1968, la « Commission confédérée de bons offices pour le Jura (CBO) » (nommée aussi « Commission Petitpierre ») dans le but de régler le problème jurassien. Celle-ci est de deux anciens Conseillers fédéraux Max Petitpierre et Friedrich Traugott Wahlen ainsi que de deux Conseillers nationaux Pierre Graber et Raymond Broger. Les discussions entre la CBO et le Conseil-exécutif bernois vont porter sur la question du choix entre un plébiscite (et son organisation) ou un nouveau statut du Jura[2]. Les discussions entre la CBO et le Conseil-exécutif bernois vont porter sur la question du choix entre un plébiscite ou un nouveau statut du Jura. Pour la CBO, deux éléments sont importants. D'une part, il faut que les Jurassiens puissent avoir le choix entre la séparation ou un nouveau statut du Jura qui doit donc être élaboré avant qu'un plébiscite soit organisé. D'autre part, étant donné les trois forces que compte le Jura (Nord, Sud, Laufonnais), il est nécessaire que les Jurassiens aient la possibilité, après la votation populaire sur la séparation, d'organiser d'autres votations dans les districts dont la majorité des électeurs ne seront pas d'accord avec le résultat du premier vote. C'est donc ici que naît l'idée des « plébiscites en cascade »[3]. Le premier rapport de la CBO est publié le et évoque « le rassemblement des Jurassiens de toutes tendances, à un large statut d'autonomie qui serait obtenu, voir imposé au canton de Berne »[N 1],[5].
Dispositions constitutionnelles relatives au Jura
Sous pression de différents milieux, dont la Confédération, le Conseil-exécutif bernois présente, le son projet de « nouvelles dispositions constitutionnelles relatives au Jura » qui définit soit un statut d'autonomie spécial de la région jurassienne au sein du canton de Berne, soit l'indépendance. Contrairement aux revendications de la CBO, le Conseil-Exécutif bernois indique à la population que les fameux plébiscites, menant à une éventuelle indépendance du Jura, ne peuvent avoir lieu avant que l'additif sur les « nouvelles dispositions constitutionnelles relatives au Jura » soit définitivement accepté en évoquant des « raisons de délai ». Le projet est accepté le , à l'unanimité, par le Grand Conseil bernois et passe donc en votation populaire, sur l'ensemble du canton, l'année suivante[6].
L'additif constitutionnel passe alors en votation populaire cantonale et est accepté le et entre en vigueur le [N 2].
Résultats de la votation populaire cantonale bernoise du 1er mars 1970
Question
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Invalide/
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Inscrits
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Votes
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Votes
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« Acceptez-vous l'additif sur les nouvelles dispositions constitutionnelles relatives au Jura ? »
Le , le Conseil-Exécutif bernois met en vigueur les dispositions constitutionnelles qui présente les modalités d'une procédure d'autodétermination dans le Jura en trois étapes de « votation en cascade », appelée « plébiscites jurassiens »[9],[2].
Additif sur les nouvelles dispositions constitutionnelles relatives au Jura
Premier plébiscite : Décision des sept districts concernés de créer, ou non, un nouveau canton ;
Deuxième plébiscite (sur demande dans les six mois par les district concernés) :
Si, dans l'ensemble des sept districts, la majorité se prononce pour un canton du Jura (oui), les districts qui auront donné une majorité négative (non) pourront demander, dans un délai de six mois, un nouveau scrutin qui leur permettra de décider s'ils veulent adhérer au nouveau canton ou demeurer bernois ;
Si, dans l'ensemble des sept districts, la majorité se prononce contre un canton du Jura (non), les districts qui auront donné une majorité pour (oui) pourront, dans les six mois, demander un nouveau plébiscite; ils auront ainsi la faculté de se constituer en canton indépendant ;
Concernant le district de Laufon, celui-ci dispose de droits spéciaux. Si une procédure de séparation est engagée, et qu'elle ne concerne pas ce district, il pourra demander, dans un délai de deux ans, l'ouverture d'une procédure de rattachement à un canton voisin ;
Troisième plébiscite (sur référendum) : Si, à la suite de ces deux votes, un canton du Jura à territoire limité voit le jour, les communes limitrophes de la nouvelle frontière pourront, dans un délai de deux mois, s'autodéterminer pour ou contre une adhésion au nouveau canton.
Cette proposition de « vote en cascade », bien que peu contestée lors sa votation, a été par la suite vivement critiquée par les milieux séparatistes, puisqu'elle a provoqué, selon eux, la division du peuple jurassien.
Premier plébiscite
Affiche en faveur du non.
Affiche en faveur du oui.
Feuille officielle des résultats du premier plébiscite.
Le premier plébiscite, qui propose la création d'un nouveau canton, est fixé aux 22 et . Les vagues d'intimidation séparatistes et anti-séparatistes sont limitées lors de ce vote. Le 22 juin dans la nuit, Maurice Wicht, un jeune de 23 ans, est abattu par un anti-séparatiste après avoir hissé le drapeau jurassien[10]. Au soir du 23, une majorité se dégage en faveur de la création d'un nouveau canton[réf. souhaitée]. Le futur canton se formera donc des sept districts historiques.
Les séparatistes calment le jeu en espérant que les pro-bernois accepteront de travailler à la construction du nouveau canton. Cependant, dès le lendemain, les anti-séparatistes engagent les procédures afin d'organiser, par le biais d'initiatives, le deuxième plébiscite dans les districts méridionaux où le non fut majoritaire (Moutier, Courtelary, La Neuveville et Laufon)[11].
Source : Feuille officielle des résultats du premier plébiscite (23 juin 1974)
Second plébiscite
Le , l'organisation antiséparatiste Force démocratique dépose les initiatives (avec 16 067 signatures) afin organiser le deuxième plébiscite. Ce dernier doit déterminer si les trois districts francophones qui ont voté non restent dans le canton de Berne ou suivent les trois districts du nord pour créer un nouveau canton du Jura. En parallèle, le , la Commission du district de Laufon dépose une initiative (avec 3 312 signatures) pour l'organisation d'une votation stipulant : "Voulez-vous que le district de Laufon - sous réserve de rattachement à un canton voisin - continue à faire partie du canton de Berne ?". Le , Force démocratique re-dépose de nouvelles initiatives (avec 19 761 signatures) afin organiser le deuxième plébiscite[12].
Une nouvelle vague de violence s'installe lors de la mise en place du deuxième plébiscite, manifestations, rassemblements, attentas, etc. Ces actions séparatistes sont centrées sur des saccages d'appartements et attaques à l'explosif[13]. Lors du plébiscite du , les districts de Moutier, Courtelary, La Neuveville décident de demeurer dans le canton de Berne. Le district de Laufon, lui, votera le sur l'initiative "Voulez-vous que le district de Laufon - sous réserve de rattachement à un canton voisin - continue à faire partie du canton de Berne ?". Il décidera également de rester dans le canton de Berne afin de mettre en route les démarches à son rattachement à un autre canton.
Résultats du deuxième plébiscite du 16 mars 1975
Question
Districts concernés
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« Voulez-vous continuer à faire partie du canton de Berne ? »
Dès lors, le canton du Jura ne sera formé que des trois districts du nord de Delémont, Franches-Montagnes et Porrentruy.
Plusieurs manifestations de protestation et incidents entre séparatistes et anti-séparatistes se produisirent après les résultats. Les anti-séparatistes demandent à leurs adversaires de reconnaître les résultats du deuxième plébiscite et d'enterrer la question jurassienne. Cependant, les séparatistes engagent les procédures afin d'organiser, par le biais de référendums, un troisième plébiscite dans les communes se trouvant le long de la future frontière. Le Rassemblement jurassien dépose également des recours contre le deuxième plébiscite, qui seront rejetés par le Conseil fédéral[12].
Comme prévu, le district de Laufon, lui, décide le 14 septembre 1975 de rester dans le canton de Berne afin de mettre en route les démarches à son rattachement à un autre canton.
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Résultats du deuxième plébiscite du 14 septembre 1975
Question
District concerné
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Votes
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« Voulez-vous que le district de Laufon - sous réserve de rattachement à un canton voisin - continue à faire partie du canton de Berne ? »
Le troisième plébiscite, concerne les communes se situant à la nouvelle frontière cantonale entre le futur canton du Jura et celui de Berne. Celles-ci, par référendum, peuvent choisir de rester ou non dans le canton de Berne, tandis que les communes des trois districts séparatistes limitrophes du canton de Berne pourront choisir de rester dans le canton de Berne[14].
Des échauffourées se produisent avant et pendant le troisième plébiscite, notamment à Moutier entre séparatistes et forces de l'ordre, (nommées par la suite les « évènements de Moutier ») entre le 1er et le . Durant ce laps de temps, la ville est littéralement occupée par les séparatistes qui finissent par être délogés de manière musclée par les forces de l'ordre[15].
Sept communes demandent de pouvoir revoter sur leur appartenance cantonale : Corban, Courchapoix, Châtillon, Rossemaison, Les Genevez, Lajoux, Vellerat[N 4]. Le vote est fixé au . À cette date, les sept communes votent toutes en faveur de leurs rattachement au canton du Jura. Cependant le Conseil fédéral informent les communes concernées que la votation devra être répétée. Le , les sept même communes, ainsi que celle de Courrendlin, de Mervelier, de Moutier, de Perrefitte, de Grandval, de La Scheulte, de Roches, de Roggenbourg et de Ederswiler[N 5]demandent, à nouveau, de pouvoir revoter sur leur appartenance cantonale. Les votations sont organisées le 7 et et le [16].
Parmi ces seize communes, deux posent un problème : Vellerat et Ederswiler (la première, possède une population à majorité séparatiste et la deuxième, possède une population à majorité germanophone). Ces deux communes ne se trouvent pas le long de la future frontière cantonale, leur demande ont donc été rejetée. Cependant, ces deux communes décident d'organiser, quand même, une votation non officielle, dite « sauvage »[17].
Le : Dix communes votent (à savoir : Châtillon, Corban, Courchapoix, Courrendlin, Les Genevez, Rossemaison, Moutier, Grandval, Perrefitte et Rebévelier).
Le : trois communes votent (à savoir : Mervelier, Lajoux et La Scheulte) et une commune vote inofficiellement (à savoir : Vellerat)[18].
Le : une commune vote (à savoir : Roggenbourg).
Le : une commune vote inofficiellement (à savoir : Ederswiler)[19],[20].
Les résultats de Vellerat (favorable au rattachement au canton du Jura) et d'Ederswiler (favorable au rattachement au district de Laufon) ne sont pas pris en compte car il s'agit de votations inofficiels, dites «sauvages».
Résultats du troisième plébiscite du 7 et 14 septembre et du 19 et 26 octobre 1975
Question
Communes concernées
Dates
Pour
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Blanc
Total
Inscrits
Participation
Résultat
Carte
Votes
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Votes
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« Voulez-vous continuer à faire partie du canton de Berne ? »
Afin d'accueillir un nouveau canton au sein de la Confédération, il faut modifier l'article 1er de la Constitution fédérale contenant la liste des cantons suisses; de ce fait, un référendum constitutionnel obligatoire, nécessitant l'accord de la majorité du peuple et des cantons suisses, est organisé le 24 septembre 1978. Lors de ce référendum no 288, une majorité de 82,3 % des électeurs de tous les cantons vota en faveur de la création du nouveau canton du Jura et 22 cantons sur 22 (soit 100 %) l'acceptèrent également.
Résultats de la votation populaire fédérale du 24 septembre 1978
Question
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Invalide/
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Total
Inscrits
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Cantons pour
Cantons contre
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Entiers
Demi
Entiers
Demi
« Acceptez-vous l'arrête fédéral du 9 mars 1978 sur la modification constitutionnelle fédérale sur création d'une République et Canton du Jura ? »
Dans le canton de Berne, généralement dans le Jura bernois, certaines communes ont nommées une rue ou une place au nom du deuxième plébiscite jurassien. En voici une liste non exhaustive :
↑Les mouvements séparatistes refusent de rentrer en contact avec CBO car les membres de celle-ci ont été nommés par le Conseil-exécutif bernois[4].
↑Dans la partie jurassienne du canton, le résultat a été de 20 421 voix pour contre 2 259 voix contre.
↑Le district de Laufon déclare cependant que le non au plébiscite du 23 juin 1974 n'est pas une reconnaissance de fidélité à Berne.
↑La commune de Vellerat, à majorité séparatiste, a également demandée le droit de pouvoir se prononcer lors du troisième plébiscite. Mais, comme elle ne se trouve pas sur la frontière cantonale, son souhait est rejeté. La commune organisera malgré tout un vote dit «sauvage».
↑La commune de d'Ederswiler, à majorité de langue germanophone, a également demandée le droit de pouvoir se prononcer lors du troisième plébiscite. Mais, comme elle ne se trouve pas sur la frontière cantonale, son souhait est rejeté. La commune organisera malgré tout un vote dit «sauvage».
↑Extrait : « La tension monte à l'approche du plébiscite. La veille du scrutin, en Ajoie, un jeune militant du Bélier est tué d'un coup de feu alors qu'il tente de hisser un drapeau jurassien sur le toit d'un immeuble. Ce sera la seule mort violente enregistrée durant la longue lutte pour l'indépendance du Jura. »Alain Pichard, La Question Jurassienne : avant et après la création du 23e canton suisse, Presses Polytechniques Romandes, , p. 80
↑ a et bChronologie jurassienne, « Plébiscite JU-Sud 1975 » , sur www.chronologie-jurassienne.ch (consulté le )
↑Antoine Berthoud, Radio Sottens, , 20 h.[« Il y a eu plusieurs blessés ; les autonomistes utilisent des charges explosives, des pavés et j’ai vu des grenadiers de la police bernoise emmenés sur des civières. L’un d’eux avait le genou grand ouvert par une charge de plastic. »].
↑ a et bChronologie jurassienne, « Plébiscite communes 1975 » , sur www.chronologie-jurassienne.ch (consulté le )
↑Alain Pichard, « 24 Heures » (Lausanne), [« Étrange situation que celle de la ville de Moutier : les vaincus y tiennent le haut du pavé. Depuis le début de la semaine, en effet, les rues sont contrôlées par les autonomistes qui y ont peint leur écusson, collé partout les affiches en faveur du NON, et les ont surveillées nuit et jour. Hier matin, dans le centre de Moutier, on ne voyait pas un seul emblème bernois, pas une affiche pour le OUI. »].
Pierre Boillat, Jura, naissance d'un État : aux sources du droit et des institutions jurassiennes, Lausanne, Payot, coll. « Histoire », , 207 p. (ISBN978-2-601-03054-9, LCCN89196052)
Adolf Gasser (trad. de l'allemand), Berne et le Jura (1815-1977), Berne, Imprimerie fédérative SA, , 75 p. (ISBN978-3-7280-5302-2)
Claude Hauser, L'aventure du Jura : cultures politiques et identité régionale au XXe siècle, Lausanne, Editions Antipodes, coll. « histoire.ch », , 167 p. (ISBN978-2-940146-41-3, LCCN2006388826)
Alain Pichard, La Question jurassienne : avant et après la création du 23e canton suisse, vol. 16, Lausanne/Paris, Presses Polytechniques Romandes, coll. « Le savoir suisse », , 141 p. (ISBN978-2-88074-575-2, lire en ligne)