L’ordre du Carmel est un ordre religieuxcatholiquecontemplatif. Ses membres sont appelés carmes[a] (pour les hommes) et carmélites[b] (pour les femmes). Leur père spirituel est le prophète Élie. Fondé par des ermites sur le mont Carmel en Palestine à la fin du XIIe siècle, les premiers Carmes quittent leurs ermitages au début du XIIIe siècle pour se réfugier en Europe. Après bien des tribulations, l'ordre érémitique se transforme en ordre monastique. Il connaît de nombreuses réformes dont la plus marquante est la réforme instituée par Thérèse d'Avila au XVIe siècle.
Il existe aujourd'hui deux branches principales : les Grands Carmes (n'ayant pas suivi la réforme de sainte Thérèse d'Avila) et la branche issue de la réforme thérésienne, les Carmes déchaux. Ces deux branches sont découpées en trois ordres :
les Carmes (pour les hommes) ;
les Carmélites (pour les femmes), appelées le second ordre (du Carmel) car leur ordre a été créé après l'ordre des Carmes ;
Dès le XIIe siècle, des hommes s'inspirant du prophète Élie viennent vivre en ermites dans les grottes du mont Carmel. Albert Avogadro, Patriarche latin de Jérusalem, leur donne une règle de vie en 1209. Cette règle, constituée de quelques thèmes majeurs empruntés à la Bible, est centrée sur la prière. C'est l'acte fondateur de l'Ordre, qui prend le nom de « ordre des Frères de Notre-Dame du Mont-Carmel » ou Carmes[2]. Plus tard, en 1247, le pape Innocent IV donnera aux Carmes l'appellation officielle de Frères de Notre-Dame du Mont-Carmel[2].
Le siège de Jérusalem en 1187, qui achève la conquête de la Palestine par Saladin, oblige les chrétiens venus d'Occident lors des croisades à partir. De retour en Europe en 1238, ils vivent de plus en plus dans les villes où ils constituent de petites communautés. En 1247, l'ordre érémitique qu'est le Carmel est organisé par le pape Innocent IV en ordre monastique mendiant[3]. En 1274, l'existence de l'Ordre est définitivement confirmée par le pape Grégoire X.
En 1435, le pape Eugène IV assouplit les rigueurs de la règle monastique par une mitigation qui entraînera de nombreuses tentatives de contre-réforme (tentatives de réformes par Jean Soreth, réforme de Mantoue, réforme de Touraine)[4].
Des femmes proches de ces communautés de Frères Carmes sont attirées par leur vie de prière. Ainsi par exemple, des béguinages aux Pays-Bas donnent naissance à des monastères de carmélites dans la seconde moitié du XVe siècle. Jean Soreth, frère du couvent des Carmes de Caen, supérieur de l'ordre du Carmel de 1451 à 1471, travaille à la transformation de quelques béguinages des Pays-Bas en monastères de carmélites. Le mouvement ainsi lancé se répand en Bretagne avec la duchesse de Bretagne Françoise d'Amboise[c] mais aussi en Italie et en Espagne.
En 1604, le cardinal de Bérulle et Barbe Acarie fondent le premier carmel déchaussé en France, où cet ordre connaît rapidement un très grand succès (74 carmels féminins et 67 couvents de Carmes réformés sont présents à la fin du XVIIe siècle, contre seulement 6 couvents de carmélites non réformées)[7]. Plusieurs grands noms de la noblesse ou de la société parisienne entrent au Carmel, comme Louise de La Vallière ou Louise de France.
Les guerres de Religion au XVIe siècle entraînent des exactions et la destruction de plusieurs couvents. Plus tard, le siècle des Lumières est un temps de fléchissement spirituel pour la vie religieuse confrontée aux remises en question du rationalisme : les vocations religieuses diminuent[8].
Avant même la Révolution Française (1789), l'empereur Joseph II du Saint-Empire romain germanique supprime tous les couvents des ordres religieux des ordres religieux contemplatifs (le Carmel, mais également les visitandines). Tous les monastères de son empire (Allemagne, Autriche, Pologne, une partie de l'Italie, les Pays-Bas) sont supprimés, et les religieux et religieuses sont soit expulsés, soit envoyés dans les couvents d'autres ordres ; même l'intervention et la visite personnelle du pape Pie VI en 1782 ne le font pas changer d'avis[9].
Quelques années plus tard, la Révolution entraîne la fermeture de tous les couvents de Carmes et de Carmélites de France (l'Assemblée Constituante supprime les congrégations religieuses à vœux solennels le ). Les biens des religieux sont saisis et vendus. Les Carmes disparaissent de France jusqu'en 1840 ; les carmélites restent et entrent dans la clandestinité[9]. Plusieurs religieux et religieuses sont exécutés[d].
En Espagne, au cours du XIXe siècle, plusieurs émeutes et révoltes amènent les populations à brûler des couvents voire à y massacrer les religieux. En 1835, le gouvernement ordonne la suppression des couvents qui comptent moins de 12 membres. C'est ainsi que plus de 900 couvents sont fermés[9]. Un siècle plus tard, en 1936, avant même le début de la guerre d'Espagne, les milices républicaines attaquent et incendient de nombreux couvents, vont jusqu'à massacrer les religieux (voir Terreur rouge : Violences antireligieuses)[10].
Après la fermeture des couvents de France en 1792, des carmélites organisent des couvents clandestins.
Mère Thérèse-Camille de l’Enfant Jésus (Marie-Thérèse-Françoise-Camille de Soyécourt) qui a pu récupérer la fortune familiale va utiliser cet argent pour racheter des anciens couvents saisis et vendus par la république afin de réinstaller des religieuses. En 1800, Mme de Soyecourt organise un premier couvent clandestin qui servira de plaque tournante pour recueillir les carmélites isolées et les renvoyer vers de nouveaux couvents (clandestins). Ainsi, en 1804, vingt-cinq couvents sont reconstitués[9]. Après la chute de Napoléon Ier, les restaurations de couvents de carmélites se poursuivent et de nouvelles fondations voient le jour (cinquante-sept restaurations et fondations jusqu'en 1850)[11]. Les Carmes déchaux, qui avaient fui la France reviennent y fonder un premier couvent en 1840. Les fondations se multiplient en France jusqu'à la fin du XIXe siècle. En 1901, on compte alors cent trente-deux couvents de carmélites, soit cinquante-huit de plus qu'avant la Révolution[9]. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les ordres carmélites français lancent des fondations sur d'autres continents (Inde, Palestine)[12].
Après la guerre civile espagnole, sainte Maravillas de Jesús restaure le couvent de Cerro de los Angeles et fonde 10 nouveaux couvents en Espagne et à l'étranger (un couvent en Équateur). L'ordre des Carmes déchaux se développe rapidement en Espagne pour atteindre les 149 couvents[13]. En Grande-Bretagne plusieurs fondations de couvents ont lieu au milieu du XIXe siècle. Ces couvents essaiment à leur tour dans différents pays anglophones (Australie, Irlande, États-Unis)[13].
D'autres personnalités contribuent à la restauration du Carmel : l'Espagnol François Palau y Quer, l'officier polonais Raphaël Kalinowski, le pianiste et carme allemand Hermann Cohen.
En 1831 en Inde, le bienheureux Kuriakose Elias Chavara fonde la Congrégation des Serviteurs de Marie Immaculée du Mont-Carmel, communément appelés Carmes de Marie Immaculée. Il fonde également la congrégation féminine du Carmel de Marie en 1866. Ces deux congrégations se répandent en Afrique et en Europe.
Renouveau spirituel
Sainte Thérèse de Lisieux et sainte Élisabeth de la Trinité renouvellent le message spirituel du Carmel. La lecture d' Histoire d'une âme de la sainte de Lisieux a un immense retentissement, ainsi que sa canonisation en 1925. En 1933, le Carmel de Cologne accueille Edith Stein, philosophe Allemande réputée. D'origine juive, elle s'est convertie au catholicisme et prend l'habit sous le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix. Son œuvre théologique et philosophique a beaucoup influencé son époque, et ce jusqu'à aujourd'hui. Transférée prudemment aux Pays-Bas par ses supérieurs, elle mourra cependant avec sa soeur à Auschwitz. A le même époque, le père Jacques de Jésus, prêtre Français meurt également en camp de concentration.
La famille carmélitaine comprend aujourd'hui deux branches :
les Grands Carmes ou Carmes de l'ancienne observance qui ne sont pas issus de la réforme thérèsienne mais de la réforme de Rennes appelée aussi Réforme de Touraine, effectuée par le Fr. Philippe Thibaut aidé de Jean de Saint-Samson. Cette branche est structurée en trois ordres :
les Carmes (hommes ; chassés à la Révolution, les Grands Carmes ont réalisé au début des années 2000 leur réimplantation en France (à Nantes et Angers),
les Carmélites chaussées (de l'ancienne observance),
la Fédération carmélitaine apostolique qui rassemble trois congrégations[15] (Notre-Dame-du-Mont-Carmel d’Avranches, les Sœurs de la Providence de la Pommeraye, Sainte-Thérèse d’Avesnes sur Helpe) ;
Les carmes et carmélites travaillent pour subvenir à leurs besoins. Ce point est indiqué dès le départ dans la règle du Carmel[24]. Si pour les Grands Carmes, la taille des couvents n'est pas limitée (le couvent de l'Incarnation à Avila comptait deux cents religieuses au XVIe siècle), Thérèse d'Avila a limité les effectifs des couvents de carmes déchaux à vingt personnes plus la prieure.
Les religieux, regroupés dans un couvent, élisent un responsable (le père supérieur, ou la mère supérieure pour les carmélites). Ce responsable est élu lors d'un chapitre pour 3 ans. Les couvents sont regroupés en province. Un pays peut être découpé en plusieurs provinces, ou, s'il y a peu de couvents, la province peut inclure les couvents de plusieurs pays. Les communautés séculières du Tiers-Ordre carmélite sont rattachées aux provinces carmélitaines comme les couvents de l'Ordre. Les différents couvents d'une province élisent (pour trois ans) lors du chapitre provincial, le responsable de la province nommé provincial. L'ensemble des provinces Carmes élisent (pour 3 ans) le prieur général de l'Ordre appelé général de l'Ordre. Le général de l'Ordre est commun aux deux branches chaussées et déchaussées.
Les moines carmes déchaux et les moniales carmélites déchaussées vivent le même rythme de prière et consacrent quatre heures chaque jour à la prière, dont deux heures à l’oraison silencieuse (ils prient quotidiennement cinq offices de la Liturgie des Heures). Les frères carmes ont également des activités apostoliques de prédication axées sur la tradition spirituelle du Carmel. Les laïcs du Tiers-Ordre s'engagent également à prier la Liturgie des Heures, mais celle-ci est (pour eux) limitée aux laudes et aux vêpres.
La règle du Carmel
La règle du Carmel[24] rédigée en 1209 était destinée à des ermites vivant dans les grottes du mont Carmel[25]. Celle-ci a dû être légèrement modifiée par le pape Innocent IV en 1247 quand les ermites ont dû se réfugier en Europe et quitter la vie érémitique pour passer à une vie monastique. Par la suite d'autres révisions ont eu lieu[3],[4].
Initialement contemplatif, le Carmel voit sa spiritualité évoluer lors de son retour en Europe avec la fin du mode de vie érémitique.
Après l'approbation d'Innocent IV en 1247, le charisme du Carmel se développe selon une double dimension : une vie contemplative et une vie apostolique (vie mixte). Cette évolution de la spiritualité carmélitaine ne s'achève qu'au XIVe siècle[3].
La mission apostolique se retrouve dans la paternité d'Élie, le "prophète de Feu", vénéré dès les premiers temps par les ermites sur le mont Carmel. Élie fait partie intégrante de la spiritualité du Carmel. Le père carme Kilian, prieur général de l'Ordre en 1959, auteur de plusieurs livres, insiste sur le charisme fondamental de l'Ordre « qui est d'être des "prophètes de feu" à la suite d’Élie, invitant chacun à mettre Dieu au centre de sa vie »[26]. La Vierge Marie (vénérée sous l'appellation de Notre-Dame du Mont-Carmel) est également très présente dans la spiritualité carmélitaine[27].
L'oraison est un temps de prière à laquelle le carme doit se consacrer. Ce temps de prière est décrit dans la Règle comme un "veiller dans la prière". Le frère carme Bruno Secondin, professeur de théologie indique que « Prier, c'est alors passer dans le secret du cœur de Dieu que la Parole révèle et communique; c'est s'avancer vers Quelqu'un qui habite la Parole, qui est la Parole vivante[28],[24] ». Ce temps de prière silencieuse (et les moyens d'y entrer), même s'il n'est pas exclusif du Carmel, a beaucoup été développé et mis en valeur par l'Ordre.
Blason publié dans "Heraldischer Atlas". Stuttgart 1899.
Blason sur la clef de voute dans le chœur de l’ancienne chapelle des Carmes de Rennes.
Symbolique du blason
Le blason du Carmel existe sous de multiples formes plus ou moins simplifiées. La plus basique conserve juste les 3 étoiles avec le cœur marron entouré de deux lobes blancs.
L'écu central représente deux lobes blancs surplombant un cœur marron : le tout symbolisant les deux pans blancs du manteau carmélitain s'ouvrant sur la robe de bure (brune). La partie brune monte et se termine sur une croix ; elle indique que la croix est la voie qui conduit au mont Carmel où se fait la rencontre avec Dieu[29].
Les 3 étoiles peuvent représenter, selon une interprétation habituelles les trois vertus théologales (foi, espérance et charité)[29], ou bien les trois vœux prononcés lors de l'entrée en religion (pauvreté, obéissance et chasteté).
Le blason, de l'Ordre reprend deux versets bibliques ancrés sur le prophète Élie (considéré comme le père fondateur de l'Ordre)[29] :
la devise écrite en latin autour du blason « Zelo zelatus sum pro Domino Deo Exercituum » (Je suis rempli d'un zèle jaloux pour le Seigneur Sabaoth) 1 Rois 19,14 qui est d'ailleurs la devise du Carmel, et auquel s'ajoute le verset « Il est vivant le Seigneur devant qui je me tiens. » (1 Rois 18,15)[30] ;
la main brandissant une épée flamboyante rappelle la victoire d’Élie sur les prêtres de Baal sur le mont Carmel (1 Rois 18,22-40) « Le prophète Élie se leva comme un feu, sa parole brûlait comme une torche » (L'Ecclésiastique chap 48 v1)[31],[32].
↑« Carmes » prend une majuscule initiale pour désigner l’ensemble de l'ordre dans la locution « les Carmes… », « les Grands Carmes », « les Carmes déchaux », etc. Pour désigner un carme individuellement ou un groupe restreint de carmes, on écrit « un carme », « un grand carme », « un carme déchaux », « un carme déchaussé », « des carmes », etc. Source : Conventions typographiques.
↑« Carmélites » prend une majuscule initiale pour désigner l’ensemble de l'ordre dans la locution « les Carmélites », « les Carmélites déchaussées », etc. Pour désigner une carmélite individuellement ou un groupe restreint de carmélites, on écrit « une carmélite », « une carmélite déchaussée », « des carmélites », etc. Source : Conventions typographiques.
↑Françoise d'Amboise épouse le duc de Bretagne à l'âge de 15 ans. Veuve à 30 ans, elle fonde un couvent de carmélites près de Vannes avec l'aide de Jean Soreth et y prend l'habit.
↑Lors de leur fondation, la congrégation est nommée congrégation religieuse autochtone pour les hommes. C'est plus tard qu'elle prendra le nom de Carmes de Marie Immaculée (ou CMI).
↑Menestrier, P182 ; cité dans Armoiries et emblèmes d'ordres religieux sur les vases de pharmacie, Rudolf E. A. Drey, 1978, p. 14-15 (voir l'extrait sur le site persee.fr).
Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Œuvres, édition publiée sous la direction de Jean Canavaggio, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, 2012, (ISBN2-070-12294-8)
La doctrine de ces auteurs tourne beaucoup autour du thème de la nuptialité (telle qu'évoquée entre autres dans le Cantique des Cantiques, le livre d'Osée et même par Jésus dans les Évangiles), soit de l'union de l'âme avec Dieu qui est l'époux. Les écrits de Thérèse d'Avila et de Jean de la Croix constituent un véritable enseignement sur l'art de l'oraison, et en particulier de la contemplation mystique au cours de laquelle Dieu prend lui-même l'initiative durant l'oraison.
Autres ouvrages de synthèse
Kilian Healy (trad. de l'anglais), Élie, prophète de feu, Les Plans (Suisse)/Paris, Parole et silence, coll. « Grands Carmes », , 219 p. (ISBN2-84573-358-5 et 978-2845733589).
Sr Pascale-Dominique Nau, Suivre le Christ avec sainte Thérèse d'Avila, (Bayonne, 2008).
Sr Pascale-Dominique Nau, Quand Dieu parle: Saint Jean de la Croix et la lectio divina, (Bayonne, 2008).
Christopher O'Donnell, Marie et le carmel, une présence amoureuse : étude de l'héritage marial de l'Ordre, Parole et silence, coll. « Grands Carmes », , 184 p. (ISBN978-2-84573-937-6 et 2-84573-937-0).
Robert Serrou et Pierre Vals, Le Carmel, Carmélites et Carmes, éditions Horay, 1957, 208 p.
Anne-Elisabeth Steinmann, Carmel vivant, Paris, St Paul, coll. « Terre et louange », 4e trimestre 1963, 384 p..