Nadejda Sergueïevna Allilouïeva (en russe : Надежда Сергеевна Аллилуева), née le à Tiflis et morte le à Moscou, fut la deuxième épouse de Joseph Staline.
Biographie
Nadejda est la plus jeune enfant du révolutionnaire russe Sergueï Allilouïev, électricien[1] employé des chemins de fer, et de sa femme Olga Fedorenko, une Allemande. La famille vit dans le Caucase.
En 1911, Nadejda n'a qu'une dizaine d'années quand elle voit Joseph Staline pour la première fois[Information douteuse]. Il s'est échappé de Sibérie et a trouvé refuge chez son père Sergueï ; vers cette époque, Staline sauva sa future épouse de la noyade[1]. En 1917, Staline vient vivre quelque temps auprès de la famille Allilouïev.
Pendant que Staline dirige l'URSS, Nadejda vit au Kremlin, d'où elle ne sort presque jamais, sauf pour assister aux cours de l’Académie d’industrie. Lors de la dékoulakisation, elle commence à contester les décisions de son mari, incitée à la fois par les conflits que le problème rural déclenche à l’Académie, et par les confidences de Nikolaï Boukharine et Avel Enoukidzé, opposés à Staline sur ce point[2]. Elle s’oppose également à Staline lorsque ce dernier commence à s’attacher à Beria, qu’elle voit immédiatement comme un « salaud » qu’elle ne veut pas revoir mettre les pieds chez elle[3].
Circonstances de sa mort
Elle se suicide le soir de la célébration du quinzième anniversaire de la révolution d'Octobre. Durant le grand dîner donné à cette occasion, Staline flirte avec une jeune convive, ce qui rend Nadejda folle de jalousie[4]. Elle fait tout pour provoquer son mari, comme danser avec son parrain Avel Enoukidzé, séducteur notoire de ballerines mineures[5], et ainsi attirer son attention sur elle mais rien ne se passe et Staline reste indifférent, ce qui exaspère Nadejda. Plus tard durant ce même repas, Staline aurait proposé de porter un toast pour fêter l'anéantissement des « ennemis de l'État », mais Nadedja refuse par provocation de lever son verre ; son mari la bombarde de cigarettes et de pelures d’orange pour obtenir une réaction, sans succès. « Eh toi ! Bois un coup ! » lui aurait lancé Staline par colère. « Mon nom n'est pas Eh toi ! » aurait répondu Nadejda[4]. Sur ce, elle se retire, suivie de Polina Molotova. Après avoir discuté avec son amie des flirts insupportables de Staline et s’être vu faire la morale sur son manque d’esprit de parti[1] — en l’espèce de solidarité avec son époux —, elle finit par se calmer et rentre finalement dans sa chambre[4]. Elle écrit ensuite une lettre à Staline, « une terrible lettre » selon sa fille Svetlana, puis va s'étendre sur son lit.
Sa femme de chambre rentre la première dans la pièce le lendemain et découvre sa maîtresse dans une mare de sang, un pistolet Mauser offert par son frère Pavel auprès d’elle[5]. Effrayée, elle ne réveille pas Staline dormant à quelques mètres de là, mais contacte les proches présents à la célébration de la nuit précédente[4], mais ces derniers ne savent pas comment annoncer cela au Vojd. Finalement, Staline entre lui-même dans la chambre et un de ses camarades, sûrement Grigory Ordjonikidze lui dit « Iossif, Nadejda Sergueïevna nous a quittés. Iossif, Iossif, Nadia est morte ! ». Staline, découvrant la lettre laissée par sa femme, en est blessé et choqué. Selon le neveu de Staline, cet épisode « changea le cours de l'histoire, il rendit la Terreur inévitable »[1].
Le suicide de la deuxième femme de Staline fut caché à la population russe pendant environ soixante ans. Afin d’éviter que son suicide puisse être vu comme une protestation politique envers son mari[6], on annonça au peuple qu'elle avait succombé à une appendicite[7]. Elle eut droit à des obsèques nationales (chose rare), mais fut enterrée dans la plus stricte intimité au cimetière de Novodevitchi, selon sa volonté. Incapable de parler, son époux confia son oraison funèbre à Lazare Kaganovitch[8].
Une pièce de théâtre de Jean Reinert, jouée en France en 2012, reprend le fil de la fin de sa vie : Nadiejda, L’œil du souffleur, 2012.
Beata de Robien consacre plusieurs chapitres à la femme de Staline dans sa biographie La malédiction de Svetlana[9] basée sur les documents d’archives russes et le témoignage de Svetlana Allilouïeva.
Vie privée et familiale
De visage ovale, belle mais pas selon les critères communs, « Tatka » était sans humour et égocentrique, souvent froide, hystérique ou déprimée, et notoirement jalouse ; sa propre famille la qualifia de « parfois dérangée et trop sensible, tous les Allilouïev ayant du sang tsigane instable ». Sa propre mère la qualifiait d’idiote pour les scènes de jalousie publiques, accompagnées de grands cris, qu’elle faisait à Staline. Elle considérait pourtant parfois l’effet des charmes de son mari avec indulgence[10], et savait se montrer affectueuse avec lui et leurs enfants, dont elle se souciait de l’avenir. Staline voyait « Tatka » comme une baba[11] et elle remplissait souvent ce rôle. Elle nuançait toutefois cette affection d’une sévérité marquée : elle ne complimenta jamais sa fille Svetlana, contestait l’habitude de Staline de gâter leurs enfants, et, selon leur nounou, se désintéressait de ces derniers — au profit de ses études selon Svetlana. Elle était également une bolchevique pure et dure, « capable d’être l’indic de son mari et de lui dénoncer ses ennemis », et était une des rares personnes proches de Staline capable de l’influencer[12]. Elle essayait de ne pas se contenter de l’ombre de son mari mais d’avoir un travail séparé : après avoir fait de l’agitprop, elle reprit des études à l’Académie d’industrie, qu’elle ne put mener à terme du fait de son suicide[1].
D’après son dossier médical, conservé par Staline après sa mort, elle était atteinte d’une maladie psychiatrique, une schizophrénie d’après sa fille, de problèmes gynécologiques depuis un avortement en 1926, et d’une malformation cardiaque. À cela venaient s’ajouter fatigue chronique, angines à répétition et arthrite. Peu avant son suicide, elle affirma « en avoir plus qu’assez de tout […], même des enfants », signe d’une forte dépression que les tensions liées à la collectivisation n’arrangeait certainement pas[13]. Elle se vit prescrire de la caféine, que Staline soupçonna, à juste titre, d’aggraver son état mental[13].
Son mariage avec Staline était fait de hauts et de bas : ils étaient tous deux de caractère difficile et, bien que ce dernier l’aimât sincèrement et tendrement, et fut anéanti par sa mort, il était souvent accaparé par le travail et son caractère instable n’arrangeait rien. De plus, il ne parvenait pas à gérer les troubles psychologiques de sa femme, et le harcèlement dont il faisait parfois l’objet de sa part. Cette situation mena à une relation en dents de scie, tantôt brutale, tantôt chaleureuse. De fait, leur correspondance écrite fait état d’une relation qui pouvait également être passionnée : Staline recevait souvent de sa « Tatochka » des livres et des photos et en reçut un jour un pardessus, cette dernière craignant qu’après ses vacances au sud, il puisse attraper froid — ils s’enquéraient d’ailleurs régulièrement de leur santé mutuelle. De son côté, Staline lui envoyait des photographies de vacances et des citrons, qu’il prenait plaisir à cultiver[1]. Vers la fin, les tensions augmentaient. Même si leurs difficultés conjugales existaient déjà avant, la connaissance que Nadia avait de l’état du pays jetait de l’huile sur le feu : en une occasion, Nadia jeta à la figure de son mari « Tu es un bourreau, voilà ce que tu es ! Tu tourmentes ton propre fils, ta femme, le peuple russe tout entier. »[14]. Staline confia à Khrouchtchev qu’il lui arrivait de s’enfermer dans une pièce pendant que Nadia hurlait et tambourinait à la porte : « Tu es un homme impossible. Il est impossible de vivre avec toi ! »[14].
Une partie de la famille de Nadia fit partie un temps des proches de Staline, avant d’être décimée au fil des ans. Il s’agit de :
Pavel Allilouïev, son frère, commissaire de l’Armée rouge, marié à Génia Allilouïeva, actrice et mère de Kira ;
↑ abc et dClaude-Catherine Kiejman, Svetlana, la fille de Staline, Tallandier 2018 pp. 37-48.
↑ a et bSimon Sebag Montefiore (trad. de l'anglais par Florence La Bruyère et Antonina Roubichou-Stretz), Staline : La cour du tsar rouge, vol. I. 1929-1941, Paris, Perrin, , 723 p. (ISBN978-2-262-03434-4).
Simon Sebag Montefiore (trad. de l'anglais par Florence La Bruyère et Antonina Roubichou-Stretz), Staline : La cour du tsar rouge, vol. I. 1929-1941, Paris, Perrin, , 723 p. (ISBN978-2-262-03434-4).