En 1919, à son retour du Brésil, où il avait été impressionné par le folklore et une chanson populaire de l’époque, O Boi no Telhado en français : « le bœuf sur le toit », le compositeur Darius Milhaud avait formé à Montmartre, avec ses amis compositeurs, un groupe appelé ultérieurement « Les Six ». Il proposa cette mélodie à Jean Cocteau, principal animateur du groupe, pour le projet de ballet-concert que celui-ci conçut de réaliser avec ces amis[3] pour prolonger le succès de Parade. Le ballet adopta le titre Le Bœuf sur le toit, soit la traduction littérale du nom de la chanson brésilienne. À partir de , on put souvent entendre Milhaud en interpréter, en compagnie de Georges Auric et d’Arthur Rubinstein, une version à six mains à La Gaya, un bar situé au 17, rue Duphot appartenant à Louis Moyses[4]. La présence de Cocteau et de son cercle rendit La Gaya très populaire et, lorsque Moyses transféra, en , son bar au 28, rue Boissy-d'Anglas[3], il le renomma Le Bœuf sur le toit, sans doute pour s’assurer que Milhaud, Cocteau et leurs amis l’y suivraient[5],[6], ce qu’ils firent. Le Bœuf était né. Au fil du temps, cet établissement est devenu une telle icône culturelle que la croyance commune à Paris fut que Milhaud avait nommé son ballet-comédie d’après le bar alors que c’est l'inverse[7].
Historique
Le Bœuf sur le toit connut, dès son ouverture, un succès immédiat, pour devenir rapidement le centre de la société de cabarets de Paris sur laquelle il régna tout au long des années vingt[7],[8]. À la soirée d’ouverture, le pianiste Jean Wiéner, que Moyses avait amené avec lui de La Gaya, jouait des airs de Gershwin, accompagné au tambour par Cocteau et Milhaud. Selon Maurice Sachs, le public présent à la soirée d’ouverture comprenait Picasso, Diaghilev, René Clair et Maurice Chevalier[9].
Le Bœuf sur le toit rassemblait des artistes en tous genres, curieux de découvrir du jazz tel que joué aux États-Unis. Le pianiste Eugene McCown, fraîchement débarqué de son Missouri natal, fit beaucoup dans les premiers mois de l'établissement pour familiariser le public parisien avec le fox-trot, le kentucky ou le blues de son pays[10]. L’œuvre dadaïste désormais célèbre de PicabiaL’Œil cacodylate[11] trônait sur le mur dominant sur la scène, mais Le Bœuf sur le toit se consacrait principalement à la musique et on pouvait y entendre Eugene McCown jouer du jazz, Jean Wiéner jouer Bach, le pianiste virtuose Clément Doucet jouer Cole Porter ou Marianne Oswald interpréter les chansons de Kurt Weill. On y rencontrait Stravinsky, Francis Poulenc ou Erik Satie[5]. Parmi les invités fréquents figuraient également le jeune compositeur américain Virgil Thomson et d’autres musiciens classiques du groupe des Six[12],[13],[14],[15].
En 1928, le propriétaire Louis Moyses fut obligé de déménager vers un nouvel emplacement, et Le Bœuf sur le toit a déménagé à plusieurs reprises depuis sa création, toujours dans le même quartier[16] :
34, rue du Colisée (1941), où il se trouve toujours actuellement.
Maurice Sachs évoque Le Bœuf sur le toit dans nombre de ses écrits, notamment dans Au temps du Bœuf sur le toit, paru en 1939 aux éditions de La Nouvelle Revue critique[5]. Les nombreuses délocalisations se sont avérées ruineuses pour l’esprit effervescent du cabaret d’origine. Cependant, Le Bœuf sur le toit existe toujours aujourd’hui comme salle de music-hall associée à un restaurant huppé[7],[17],[1].
La nuit de Cristal
En 1938, les propagandistes nazis réagirent furieusement à l'assassinat du diplomate allemand Ernst vom Rath par Herschel Grynszpan, un jeune Juif, assassinat qui fut utilisé comme prétexte pour déclencher la nuit de Cristal. Mais selon l'historien Hans-Jürgen Döscher, l'assassinat n'était pas politiquement motivé, comme on le croit communément, mais le résultat d'une relation homosexuelle ayant mal tourné : Grynszpan et vom Rath étaient devenus intimes après s'être rencontrés au Bœuf sur le toit qui était à l'époque un lieu de rencontre d’homosexuels de la haute société[3],[18].
« Faire un bœuf »
Comme Paris était avant tout la ville du jazz[8], les musiciens de jazz des autres clubs de Paris se présentaient après leurs heures au Bœuf sur le toit pour jouer jusqu’à tard dans la nuit. De là vient l’expression « faire un bœuf » pour désigner une rencontre informelle entre musiciens qui jouent leur répertoire de manière décontractée.
↑Monique Schneider-Maunoury, Dominique Le Buhan et Henri Sauguet (préf. Georges Bernier), Au temps du Bœuf sur le toit : 1918-1928, Paris, Artcurial, , p. 8.
↑ a et b(en) « Cafe Music » [archive du ], sur time.com (Time Magazine), (consulté le ) : « In Paris after the War one Louis Moyses, a demobilized soldier, tried his luck in the cafe business. Soldier Moyses had no money, no notion of attracting a smart clientele. He had a sister who, he figured, could be a cashier, a half-brother who could be waiter, a soldier-friend who played the piano. He assembled a few tables and chairs in a room near the Madeleine […] Composers Igor Stravinsky and Maurice Ravel started going to hear them along with Composer Darius Milhaud, who named a pantomime Le Boeuf sur le Toit. ».
↑ a et b(en) Virgil Thomson, Virgil Thomson, New York, Library of America & Penguin Random House, (ISBN978-1-59853-476-4, lire en ligne), p. 135-136. Virgil Thomson et Le Bœuf sur le Toit sur Google Livres.
↑ a et b(en) Alex Ross, The Rest is Noise : Listening to the twentieth Century, New York, Picador, , 684 p. (ISBN978-0-312-42771-9, lire en ligne), p. 110, Virgil Thomas et Le Bœuf sur le Toit sur Google Livres.
↑ a et b(en) Steven Watson, Prepare for Saints : Gertrude Stein, Virgil Thomson, and the Mainstreaming of American Modernism, New York, Random House, , 400 p. (ISBN978-0-307-82273-4, lire en ligne), Le Bœuf sur le toit et Virgil Thomson et les Six sur Google Livres.