Au début des années 1980, son savoir-faire devient cependant désuet en raison de l'arrivée des effets spéciaux numériques et de la concurrence de l'animatronique beaucoup plus rapide à produire. Avec Schneer, tous deux âgés de 60 ans, ils décident de quitter le cinéma mais non sans un dernier film qui constituera l'apogée de leur art et de leur collaboration. Ils choisissent de retourner vers le récit fantastique avec le mythe de Persée contre Méduse. Fort d'un budget élevé, avec des acteurs connus à l'affiche et la collaboration d'animateurs reconnus comme Jim Danforth(en), Le Choc des Titans sort en 1981, le même jour que Les Aventuriers de l'arche perdue, ce qui ne l'empêche pas de devenir un succès commercial et critique, et Schneer et Harryhausen tirent leur révérence.
La première de King Kong dont les trucages sont réalisés par Willis O'Brien scelle la vocation du jeune Ray Harryhausen[10] âgé alors de treize ans. Il développe dès lors ses premiers projets personnels (Cave Bear et Evolution of the World), se passionnant pour la reconstitution d'animaux préhistoriques. Un heureux hasard veut qu'il puisse montrer ses premiers travaux (des Dinosaures en pâte à modeler) à Willis O'Brien (également considéré comme le père de l'intégration d'animation en volume avec des prises de vues réelles, comme le prouve notamment son travail sur Le Monde Perdu) qui l'encourage. Il étudie ensuite les arts dramatiques, la photographie et la sculpture, puis la réalisation artistique et le film. C'est à cette époque qu'il se lie d'amitié avec Ray Bradbury.
En 1941, il montre ses travaux à George Pal, l'animateur, qui l'engage comme assistant sur la série des Puppetoons. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Harryhausen est incorporé à l'unité de Frank Capra dans l'Army Signal Corp.
En 1945, il réalise des épisodes pour une série de contes de fées, Mother Goose Stories, qui trouvent un débouché dans les milieux scolaires et éducatifs. Il est aidé de sa mère pour les costumes et de son père pour la fabrication des accessoires et des armatures.
Premiers travaux sur des longs-métrages (1947-1955)
En 1947, Willis O'Brien l'engage pour être l'un de ses deux assistants sur le tournage de Monsieur Joe et lui laisse l'essentiel de l'animation du Gorille. La qualité du travail développé, aussi bien en termes d'animation que d'intégration, montre clairement que Harryhausen a dès lors le talent et la maturité pour développer des projets personnels au cinéma. Cette nouvelle étape se fait sans O'Brien qui n'arrive rapidement plus à concrétiser aucun projet.
En 1953, Harryhausen signe les effets spéciaux de Le Monstre des Temps Perdus (The Beast from 20,000 Fathoms) d'Eugène Lourié. Harryhausen y poursuit son travail d'intégration d'animation image par image avec des plans d'acteurs dans des décors réels. Ce film constitue son premier succès personnel.
Les années Charles H. Schneer (1955-1980)
En 1955, Harryhausen rencontre Charles H. Schneer. Leur collaboration dure plus de 25 ans, Schneer s'occupant de la production, Harryhausen des aspects techniques (et parfois participe à la conception de l'histoire). Douze des quinze films que Harryhausen signe sont produits par Schneer avec quelquefois Harryhausen comme coproducteur.
Le Monstre Vient de la Mer (It Came from Beneath the Sea) est un coup d'essai pour lequel Schneer espère profiter visiblement du succès du Monstre des temps perdus, le film développant une thématique très similaire. Le second, Les Soucoupes Volantes Attaquent (Earth vs. the Flying Saucers), réalisé par Fred F. Sears en 1956, donne à Harryhausen l'occasion d'élargir sensiblement l'étendue de son travail qui va dès lors au-delà de la simple animation de modèle pour englober l'ensemble des trucages optiques possibles (illustration des champs de force, lasers, scène de destruction massive).
Avec Le Septième Voyage de Sinbad (1958), premier film de la trilogie Sinbad, son travail est en outre sublimé par la couleur (premier long métrage couleur en Dynamation) et la musique de Bernard Herrmann. Ces films issus de cette collaboration avec le compositeur attitré d'Alfred Hitchcock restent les plus aboutis.
Il développe ou améliore encore, pendant cette période, ses techniques d'animation et d'incrustation des miniatures avec des prises de vue en action réelle, procédés auxquels il convient désormais d'attribuer des noms toujours plus « fantastiques » (Dynamation, Superdynamation…).
En 1960, il s'installe finalement à Londres, en raison de la proximité géographique avec la péninsule ibérique, qui offre énormément de décors naturels pour le tournage de ses futurs films.
Le Choc des Titans (1981) constitue la dernière tentative de Ray Harryhausen pour réanimer un genre que l'on considère alors moribond. Fort d'un budget élevé et d'un appui sérieux des studios, ce film est à la fois le film testament et le film dit de prestige de la carrière de Harryhausen. Devant l'étendue du travail à fournir, Harryhausen sollicite pour l'occasion le talent d'autres animateurs avec lesquels il partage à regret son travail.
Plus qu'un maître de l'animation
Un artiste complet
Le travail de Ray Harryhausen ne se réduit pas à la seule animation de modèle. Premièrement, par ses apports importants aux techniques de l'animation et particulièrement à celui de l'intégration dans des séquences de prise de vue réelles, et ce, avec des interactions toujours plus poussées. Les divers procédés de Dynamation avec leur principe de cache et d'expositions successives de la pellicule, ainsi que ses recherches sur la lumière et la photographie.
Harryhausen est l'artisan total de la réalisation de ces séquences. De leur conception sur papier (les illustrations et story-board), des premiers modèles réels sculptés par l'artiste lui-même, jusqu'à la localisation des extérieurs et supervision des prises de vue avec les acteurs. Et pour finir, les réglages précis des lumières pour combiner l'ensemble des éléments et le montage des séquences elle-même.
Le procédé Dynamation
L'apport le plus significatif de Harryhausen au domaine du trucage cinéma restera l'élaboration d'une nouvelle technique de combinaison des prises de vue réelle et de miniatures, technique dont il aura un usage presque exclusif au cinéma et qu'il ne cessera d'affiner. Le principe est de renforcer l'effet d'intégration en distribuant des éléments de la prise de vue réelle en avant et en arrière-plan de celui de l'objet animé. Soit en plus clair, donner la possibilité à l'animateur de faire passer l'élément animé devant ou derrière des éléments choisis de la prise de vue réelle.
La technique traditionnelle utilisée jusqu'alors se « résumait » à filmer la miniature devant une rétro-projection de la prise de vue réelle (la marionnette est photographiée devant un écran semi opaque sur lequel est projetée en synchronisation (image par image), par l'arrière, la prise de vue réelle). Cette technique poussait naturellement la miniature en premier plan. Pour atténuer cet effet, les techniques employées étaient alors soit l'ajout de miniatures complétant ou reproduisant l'arrière-plan (ex : des arbres miniatures devant un arrière-plan de forêt derrière lequel le personnage animé peut alors passer), soit l'emploi d'un cache sous la forme d'une peinture sur verre en premier plan (matte painting). Ce sont les techniques employées dans le premier King Kong.
L'idée de Harryhausen fut de simplifier la prise de vue et de minimiser le coût en exploitant en substitution à ces deux techniques précédentes l'ancestrale technique de la double exposition avec cache (déjà utilisée par Méliès !). Le film est exposé deux fois, les portions de l'image déjà exposées étant masquées par un cache noir placé entre le sujet et l'objectif. Ce qui donne dans la pratique pour la Dynamation, l'exécution de l'animation devant la rétro-projection avec un cache masquant toutes les portions de la prise de vue réelle que l'on désire ramener en premier plan. Puis, une seconde exposition du film obtenu devant la rétro-projection seule avec cette fois-ci pour cache le complémentaire du cache précédent afin d'imprimer sur la pellicule le premier plan sur les portions encore non exposées de celle-ci.
Dans la pratique, Harryhausen avait régulièrement recours à des expositions complémentaire de la pellicule pour l'ajout d'effets de lumière ou effets atmosphériques (feu, fumée…).
Les héritiers
À l'aube des années 1990, l'avenir de l'animation en volume intégrée à des prises de vue réelles fut définitivement scellé devant la démonstration convaincante du potentiel de l'animation calculée. Jurassic Park (sur lequel Harryhausen fut consultant à titre honorifique) sonna comme une oraison funèbre.
L'animation en volume pure connut en revanche un regain d'intérêt considérable porté par le travail de fond des studios Will Winton aux États-Unis et Aardman Animation en Angleterre au travers de courts, clips ou films publicitaires. Ce fut cependant le retour au format long qui concrétisa cet élan avec L'Étrange Noël de Monsieur Jack de Henry Selick, accompagné durant la même période par une première exploitation commerciale en salle d'une sélection des films Aardman, incluant les travaux multi-oscarisés de l'incontournable Nick Park.
Une référence à Ray Harryhausen est présente dans le film d'animation Monstres & Cie : le nom du restaurant où Bob invite sa copine Celia au début du film, repas avorté lorsque Sulli débarque en catastrophe, est Harryhausen. On le voit sur l'enseigne et sur les cartes.
Une autre référence apparait dans le film Les Noces funèbres de Tim Burton : la marque du piano sur lequel joue Victor au début du film n'est autre que Harryhausen. On peut la voir sur la plaque en métal habituellement réservée à cet effet.
À la fin du clip Worried About Ray de The Hoosiers est indiqué « inspired by the films of Ray Harryhausen » (inspiré par les films de Ray Harryhausen).
Evil Dead III, dont les nombreuses créatures squelettiques sont animées en stop-motion, constitue en grande partie un hommage aux travaux de Harryhausen.
(en) Ray Harryhausen et Tony Dalton, Ray Harryhausen : an animated life : adventures in fantasy, Londres, Aurum, (1re éd. 2003), 240 p. (ISBN978-1-84513-501-0)
(en) A century of model animation : from Méliès to Aardman (en collaboration avec Tony Dalton), Aurum Press, London, 2008, 240 p. (ISBN9781845133672) (OCLC236120426)
(en) The art of Ray Harryhausen (en collaboration avec Tony Dalton, avec une préface de Peter Jackson), Aurum, London, 2005, 230 p. (ISBN9781845137120)
Xavier Kawa-Topor et Philippe Moins "L'âge d'or des effets spéciaux" in Stop Motion, un autre cinéma d'animation, Paris, éditions Capricci, 2020, pp. 174-195.
Laure Gontier (dir.), Jason et les Argonautes : le grand classique de Ray Harryhausen, maître des effets spéciaux, Dreamland, 2000
Bertrand Borie, « Entretien avec Ray Harryhausen », in L'Écran fantastique, no 12, 1er trimestre 1980, p. 64
Guy Braucourt, « Harryhausen le magicien », in Cinéma no 113, p. 19
Marc Lenoir, L'influence de Ray Harryhausen dans le cinéma des années 1980-90, Université de Metz, 2004, 119 p. (mémoire de maîtrise Arts du spectacle)
Numéro spécial consacré à Ray Harryhausen, in Positif, no 249,
(en) Dennis Hardingham (intr.), The Legend of Harryhausen, DLI Museum & Arts Centre, Durham, 1984, 16 p. (catalogue d'exposition)
(en) Jeff Rovin, From the land beyond beyond : the films of Willis O'Brien and Ray Harryhausen, Berkley Pub. Corp., New York, 19"77, 277 p. (ISBN0425035069)
(en) Roy P. Webber, The dinosaur films of Ray Harryhausen, McFarland, Jefferson, N.C., London, 2004, 226 p. (ISBN0786416661)
" Ray Harryhausen: Le magicien de la dynamation", L'Écran fantastique vintage, no 8, janvier 2022.