Fils du colonel Paul Léopold Jean Baptiste Blanchot (1836-1914), dont il est le onzième et avant-dernier enfant, il passe son enfance à Bordeaux puis emménage à Paris (son père est nommé commandant militaire du Sénat). Il est inscrit au lycée Henri-IV, établissement où il rencontre André Dunoyer de Segonzac et Maurice Constantin-Weyer qui resteront ses amis les plus proches.
Enfant sportif, dessinateur impénitent et rêveur à l'excès[2], c’est à l’âge précoce de cinq ans qu’il invente son nom d’artiste, Gus Bofa[3],[4].
Carrière
Premières armes
Suivant une tradition familiale qui remonte à plusieurs générations, il se destine à la carrière militaire mais y renonce au moment de présenter le concours de Saint-Cyr « car arrivé à la porte de cet établissement je me suis aperçu que j'étais antimilitariste »[2]. À quinze ans, alors qu'il est encore au lycée, il vend, « pour deux louis », ses premiers dessins à Maurice Méry, directeur du journal Le Sourire[2]. Il collabore ensuite avec Le Rire et La Risette. Une fois bachelier, il suit quelque temps les cours des Beaux-Arts où il est l'élève de Luc-Olivier Merson et de Fernand Cormon[5].
Après son service militaire, il occupe quelques emplois de bureau sans intérêt (ingénieur dans une fonderie d’aluminium et secrétaire d’une mine de cuivre[6]), tout en dessinant des affiches. Vers 1906, il crée les Affiches Gus-Bofa.
Fort de son succès d’affichiste, il écrit des contes pour la presse, des revues pour le music-hall et tient la chronique théâtrale du Rire journal qu’il dirige à partir de 1909 et où il fait débuter Pierre Mac Orlan, d'abord comme dessinateur, puis comme écrivain. En 1912, il quitte Le Rire, que son propriétaire estime dériver, sous sa direction, vers des horizons trop intellectuels, et rejoint Le Sourire, où il crée La Petite Semaine en compagnie de son ami Roland Dorgelès.
Il dessine aussi des costumes et décors pour le théâtre et pratique parallèlement la boxe, la natation, l'escrime et l'équitation[2],[6].
Première guerre mondiale
En 1914, il est mobilisé dans l'infanterie et répond à l'appel, avouant une « curiosité un peu malsaine pour un jeu inconnu, vers quoi s’était tournée toute mon enfance, et une autre curiosité, plus intime, de savoir comment mon bonhomme intérieur allait réagir aux émotions et aux accidents de ce jeu dangereux. »[7]
En 1916, il épouse Alice Lœwenstein, marraine de guerre et riche bourgeoise de vingt ans son aînée, qui lui épargne dès lors le souci de gagner sa vie[6]. Ils s'installent rue Lafayette et il prend un atelier rue Edouard Détaille, loin de la bohème artistique.
Au lendemain du conflit qui l’a réduit « à l’état de mutilé translucide et décoloré »[7], il commence, poussé par Mac Orlan, une carrière d’illustrateur de livres de luxe[8]. Il met ainsi en image Mac Orlan, Courteline, Swift, Voltaire, De Quincey, Cervantès ou Octave Mirbeau[4]’[7]. Parallèlement, il se remet sur pied, reprend même la boxe, et publie trois livres personnels qui soldent son expérience de la guerre : Chez les Toubibs (1917), Rollmops, ou le Dieu assis (1919), et Le Livre de la Guerre de Cent Ans (1921)[4],[7].
Illustrations de Gus Bofa pour son livre Rollmops, le Dieu assis (1919).
Illustrations de Gus Bofa pour Le Chant de l'Équipage de Pierre Mac Orlan (1918).
Illustrations de Gus Bofa pour U713 ou les Gentilshommes d'infortune, de Pierre Mac Orlan (1917)
A la fin de l’année 1919, Georges Weil, qui dirige à Paris la galerie Devambez, propose à Gus Bofa d’exposer ses œuvres. Au lieu de cela, ce dernier lui propose de créer un nouveau salon artistique. Il entend en effet « pousser les dessinateurs rescapés de la guerre », « protester contre le mouvement tristement humoriste qui avait illustré les années précédentes » et rompre en douceur avec la génération des « humoristes » cocardiers, grivois et dénués de fonds qui organisent leur propre salon et dont les « gauloiseries » tiennent toujours le haut du pavé. Contrairement à ces derniers, le Salon de l'Araignée, ainsi que le baptisent ses fondateurs[Notes 1], ne s'institutionnalisera jamais. Il déjoue le rythme annuel en organisant, dès 1920, deux salons, le premier en février, le second en novembre. Contrairement au salon des Humoristes, l'Araignée — tout en réservant une large place aux illustrateurs — accueille des sculpteurs, des graveurs, des orfèvres, des écrivains, des journalistes[5].
Ce salon exigeant, sélectif[Notes 2] et reconnu, qui sera sabordé au bout d'une dizaine d'années par crainte de son institutionnalisation[Notes 3], occupe une place importante dans l'histoire de l'illustration[9],[4],[2],[5],[Notes 4].
« Nous avions torpillé l’Araignée en 1927, parce qu’elle avait fourni toute sa carrière utile et épuisé jusqu'au bout son esprit d’aventure. Elle était morte en beauté, pavillon haut, depuis deux ans, lorsque Carlo Rim, un jeune capitaine à lunettes, vint nous demander l’autorisation de le remettre à flot... Nous avons donc accepté cette résurrection de l’Araignée et même de nous y embarquer, tous les anciens, comme passagers de pont cette fois. Notre rôle commode et décoratif y consistera à jouer les vieux loups de mer retirés des affaires, à nous promener en fumant notre pipe à longueur de journées, et de critiquer, à tout propos et hors de propos, la manœuvre de nos cadets, du haut de notre expérience... L'Araignée nouvelle, couverte de toiles, sort du port sous le signe de la Jeunesse, souhaitons lui bon vent et bonne vogue... »
— Gus Bofa, dans la préface du catalogue du Xlème et dernier salon de l'Araignée en 1930.
Maturité
En 1929, il rencontre Cécile Grosos. Son épouse, alors âgée et malade, ne s'oppose pas à cette liaison qui aboutira à un mariage en 1940, six ans après sa mort[6].
Gus Bofa s’occupe aussi de la chronique littéraire du Crapouillot, magazine littéraire et artistique, qu’il tiendra jusqu’en 1939[4].
Avec les années 1930, son œuvre prend un tour de plus en plus personnel et hanté. Malaises décrit l’angoisse existentielle et La Symphonie de la peur propose la peur comme moteur de l’histoire humaine. Zoo présente l’homme comme un animal dénaturé[4].
En 1940, avec l'entrée de l'armée allemande à Paris, Bofa, qui loge alors à Cormeilles-en-Vexin, se replie en Seine-et-Marne, à Mauperthuis, « à l’abri des radios, des journaux, des insupportables discussions entre sourds et aveugles, sur la guerre inconnaissable ». Il quittera le village en 1947, assez déçu par le comportement des habitants à son égard[10].
Les années 1950 marquent la fin de l’édition de luxe et, pour Gus Bofa, le début de l’oubli. Indifférent à la gloire, il approfondit, à travers des livres autobiographiques, dont il signe textes et images, comme La Voie libre, Déblais ou La Croisière incertaine, une réflexion désabusée et pessimiste sur la condition humaine.
En proie à l'oubli et dans le besoin, il meurt en 1968, à quatre-vingt-cinq ans, à Aubagne, où les Bofa se sont retirés en 1966. Son atelier est dispersé à Drouot le 20 octobre 1969 et le 12 février 1970[6].
Postérité
Son ami Pierre Mac Orlan dit de lui : « Gus Bofa est avant tout un écrivain qui a choisi le dessin pour atteindre ses buts. Un texte de Bofa, un dessin de Bofa sont construits dans la même matière et l’un et l’autre sont animés de ce même rayon de poésie humoristique qui comprend tout ce qui tient une place entre la vie et la mort[11].»
Gus Bofa a une influence indéniable sur les auteurs de bande dessinée. Varlot Soldat de Jacques Tardi, par exemple, est inspiré par ses illustrations de guerre publiées dans La Baïonnette[12].
David Prudhomme dit que « l'œuvre de Bofa ouvre beaucoup de pistes » : il « utilise les flous, les zones d'ombre, les non-dits, les hors-champ » avec « l'art de viser de côté pour trouver l'angle révélateur ». Blutch estime que « ses images ont une force d'évocation rare » et ajoute : « quand je l'ai découvert, il m'intimidait, peut-être par sa virulence, ce trait indompté, tellement éloigné du trait amidonné de la bande dessinée dans laquelle j'ai été élevé ». Pour Jean-Yves Ferri, Bofa « a une économie de moyens formidable. Il fait passer un caractère en peu de chose »[12].
Expositions
Gus Bofa et les illustrateurs de l'entre-deux-guerres, Musée-galerie de la Seita, 5 mai - 10 septembre 1983
Exposition Gus Bofa, l'Adieu aux armes, au Festival d'Angoulème en 2014, couplée aux dessins de Tardi à l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, 30 janvier - 2 février 2014[13].
Exposition Gus Bofa, l'Adieu aux armes, Paimpol, 18 octobre - 16 novembre 2014.
Exposition Gus Bofa, l'Adieu aux armes, Mairie du XVVème, Paris, 26 novembre 2014 - 31 janvier 2015.
Mark Twain, Wilson tête de mou, L'Édition Française Illustrée, Paris, 1920
Pierre Mac Orlan, La Maison du retour écœurant, La Renaissance du Livre, 1913
Pierre Mac Orlan, Les Contes de la Pipe en Terre, L'Édition Moderne, librairie Ambert, Paris, 1913 et 1927
Pierre Mac Orlan, Le Rire jaune, Albert Méricant éditeur, Paris, 1914
Pierre Mac Orlan, Les Bourreurs de crâne, La Renaissance du Livre, Paris, 1917
Francis Carco, Les Mystères de la morgue, La Renaissance du Livre, Paris, 1918
Pierre Mac Orlan, Bob bataillonnaire, Albin Michel, Paris, 1919
Pierre Mac Orlan, La Bête conquérante, suivi de Le Rire jaune, L’Édition Française illustrée, Paris, 1920.
Arthur Morrison, Dorrington détective marron, Les Enquêtes du prestigieux Hewitt, Nouvelles enquêtes du prestigieux Hewitt, Dernières enquêtes du prestigieux Hewitt, L’Édition française illustrée, Paris, 1912
Maurice Dekobra, Sammy volontaire américain, L’Édition française illustrée, Paris, 1918
Paul Lombard, Les Contes de la mise en boîte, Le Merle Blanc, 1920
Gabriel de Lautrec, Les Histoires de Tom Joë, L’Édition française illustrée, Paris, 1920
Jerome K. Jerome, Mes enfants et moi, La Renaissance du Livre, Paris, 1921
↑Les Cahiers Pierre MacOrlan, Prima Linea [pour le compte du] Comité des Amis de Pierre MacOrlan et la municipalité de Saint-Cyr-sur-Morin, (lire en ligne)
↑ a et b« Des générations d'auteurs guidées par le trait de Gus Bofa », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑« Au fait... ce titre... cette enseigne... l’Araignée ? Quelqu’un mit la rubrique aux voix... Elle fut adoptée à mains levées, d’enthousiasme ou par nonchalance. Qui sait si le Scorpion rose ou le Zébu n’eussent pas autant touché les âmes fantaisistes ? » — André Salmon, préface du catalogue du premier Salon de l’Araignée (1920).
↑La candidature de Poulbot y sera par exemple blackboulée.
↑« J'ai vu le moment ou Monsieur Je-ne-sais-plus-qui, qui était ministre de l'Instruction publique, allait venir nous inaugurer l'année suivante ».
↑En 1930 Carlo Rim entrepris de réactiver, après trois années d'absence, le salon de l'Araignée. En 2023, la Galerie Michel Lagarde, qui a racheté le fonds Gus Bofa, a tenu un Salon de l'Araignée à l'occasion du 140ème anniversaire de la naissance de l'artiste.