Une grotte peut servir d'abri ou d'habitat troglodytique.
Étymologie et traductions
Le mot grotte est emprunté à l'italiengrotta qui remplace en 1537 le moyen français croute, lui-même issu du latincrupta (crypta) ayant pour origine le verbe greckruptein « cacher, couvrir ».
Les désignations correspondantes sont bârma (et les variantes plus rares bâlma, boêra, et boêre) en arpitan[1] et balma et bauma en occitan[2] ; ces termes sont fréquemment francisés en balme, barme, baume (comme dans le toponyme tautologiqueLa Balme-les-Grottes, nom d'une commune de l'Isère).
À l'instar de cette dernière, le terme anglaiscave à une acception plus vaste en désignant aussi des cavités verticales.
Définitions
Selon le dictionnaire Les mots de la géographie, les grottes « [vues] surtout comme abris, refuge, n'ont pas la même connotation redoutable que les antres, gouffres et abîmes, ni la puissance de rêve des cavernes, bien qu'il s'agisse de la même chose »[3]. La première édition du Dictionnaire de l'Académie française (1694) précise qu'une grotte peut être « naturelle ou faite par artifice ».
Selon Philippe Marchetti, journaliste au magazine Ça m'intéresse, « le mot « grotte » est réservé pour désigner des cavités naturelles, creusées par le ruissellement d’eau acide dans des terrains calcaires par exemple. Une caverne est aussi une cavité naturelle ou originellement naturelle, mais comportant une connotation liée à l’activité humaine, à une présence animale ou encore associée à un mythe[4] ».
Grottes et cavernes naturelles
Géomorphologie
Une grotte est qualifiée d'active si l'infiltration des eaux s'y poursuit, contribuant ainsi à la transformation de la cavité par creusement, dépôts de sédiments et formations de spéléothèmes. Certaines grottes connectées à un réseau hydrogéologique dynamique peuvent comporter un lac souterrain.
La plupart des grottes karstiques sont épigènes (creusées par l'action des eaux météoriques), par opposition aux grottes hypogènes formées par des eaux d'origine profonde (ex. : les eaux minéralisées ou thermales).
Etudiée depuis la fin du XXe siècle, la karstogenèse dite « fantôme de roche » est une altération modérée des carbonates, avec séparation de phase. La phase soluble inclut principalement le calcium, le magnésium, le bicarbonate et la silice colloïdale. Ces composants sortent du système par la voie souterraine. Par ailleurs, la phase solide est constituée d'altérite résiduelle qui inclut une partie des carbonates moins solubles (par exemple, la calcite sparitique et la dolomie), et les composants insolubles comme les minéraux argileux, le quartz et la matière organique.
Dans un premier temps, les masses formées par les éléments solides évoluent : leur porosité et leur fragilité mécanique augmentent. Ceci se déroule lorsque le potentiel hydrodynamique est très réduit, avec des circulations phréatiques très lentes mais chimiquement agressives. Les volumes ainsi créées peuvent être totalement circonscrits dans la masse rocheuse (pseudoendokarsts), ou peuvent prendre la forme de couloirs descendant du toit de la roche mère, remplis par l'altérite résiduelle.
Dans un second temps, une surrection et l'incision des rivières apporte un potentiel hydrodynamique et l'altérite peut être mécaniquement érodée par des circulations fluviatiles : c'est la formation de grottes « spéléologiques »[5],[6].
L'étude de la faune et de la flore cavernicoles est l'objet de la biospéologie. Cette science s'intéresse principalement aux espècestroglobies vivant exclusivement en cavités souterraines, troglophiles n'y passant qu'une partie de leur vie et trogloxènes dont la présence y est occasionnelle. Concernant les animaux à sang chaud, généralement, les espèces volantes (chauves-souris, oiseaux) les ont plus facilement colonisées[7]. Les grottes (aven-pièges notamment) sont des sites privilégiés pour les paléontologues car ils ont souvent piégé et conservé les ossements d'animaux fossiles. Les peintures rupestres préhistoriques renseignent aussi sur les paléoenvironnements des époques correspondantes. Les grottes marines et sous-marines constituent des biotopes particuliers[8]. Dans de nombreux pays, dont la France, la qualité des habitats naturels de grotte tendent à se dégrader (en France, 68 % seulement sont encore classés favorable, pour 24 % défavorable et 8 % inconnu selon Bensettiti et Puissauve - 2015 - repris par le CCG en 2016)[9].
Des grottes préhistoriques jusqu'aux interprétations psychanalytiques jungiennes du XXe siècle, en passant par le mythe de la caverne de Platon, les grottes souterraines ou marines se sont vues attribuer des fonctions sociales, initiatiques, religieuses ou symboliques diverses.
Des grottes sanctuaires, généralement bien accessibles et situées près des zones habitées, abritent des objets religieux (par ex. la grotte de Lourdes) et sont parfois assorties de légendes ou croyances diverses. La traduction anglaise appropriée pour ces grottes sanctuaires est grotto.
Il existe de nombreuses grottes naturelles ouvertes au public partout dans le monde. Ces grottes touristiques représentent une activité économique parfois non négligeable : on parle alors de grottes aménagées. Fort prisé des touristes, Crystal Caves, près de St. Georges, aux Bermudes, en est un bon exemple.
En Asie du Sud-Est notamment, des grottes ont servi de cimetière à des générations de familles, abritant les restes parfois momifiés des ancêtres. D'autres sont depuis longtemps exploitées pour le guano des oiseaux et/ou des chauves-souris ainsi que pour les nids d'hirondelles. Des grottes ont aussi servi d'abri à certains brigands et pirates, suscitant de nombreuses histoires de « grotte aux trésors ». Elles ont aussi servi de caches durant les guerres civiles ou les invasions (cf. les muches en Picardie et les souterrains d'Audenarde en Belgique).
Les grottes artificielles sont des éléments fréquents à travers l'histoire des jardins européens[11]. Dans l'Antiquité, les grottes étaient vénérées comme habitat des divinités et des nymphes ; avec la redécouverte des Anciens, ce type d'édifice a fait l'ornement des jardins princiers d'Italie puis de France vers le milieu du XVIe siècle, devenant l'une des expressions du style maniériste. Vasari donne une typologie des grottes artificielles dans l'introduction des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (1550).
Le parement extérieur des grottes artificielles pouvait être architecturé, évoquant un portail rustique ou la façade d'un temple, ou au contraire prendre l'apparence d'un rocher ou d'une corniche rocheuse. On trouvait ordinairement à l'intérieur des fontaines, des concrétions, des stalactites et même des imitations de pierres précieuses et des trompes (parfois en céramique) ; hermès, sirènes et naïades dont les amphores se vidaient dans un bassin, donnaient le ton. Les grottes, fraîches et saturées d'humidité, offraient une retraite appréciable sous le soleil d'Italie, mais elles se prêtèrent aussi bien au climat pluvieux de l'Île-de-France, telle la fameuse grotte de Téthys au château de Versailles, dont on dit parfois qu'elle aurait servi les amours de Louis XIV. Près de Moscou, à Kouskovo, le domaine de Sheremetev comporte une remarquable grotte d'été, aménagée en 1775.
Les grottes pouvaient également être utilisées comme bains : au Palais Te, le Casino della Grotta comporte une loggetta (petite loggia) et une suite de pièces entourant une grotte. Les convives pouvaient s'y changer, avant d'aller se baigner sous la petite cascade tombant sur un sol de galets et de coquillages maçonnés à même le sol et les parois.
Les grottes artificielles étaient des lieux de recueillement privilégiés ; elles ont servi de chapelles ou, comme à la Villa Farnèse de Caprarola, de petit théâtre au décor grotesque. Elles étaient souvent associées à des fontaines en cascade dans les jardins de la Renaissance.
La grotte des Pins, construite vers 1543 sous la conduite de Sebastiano Serlio ou de Primatice au château de Fontainebleau, est l'une des premières grottes artificielles de France. La grotte ou salle des rocailles de la Bastie d'Urfé, qui existe toujours, fut bâtie vers 1550. Le château de Meudon eut son « palais de la Grotte » conçu par Primatice à partir de 1559, à la voûte peinte et ornée de rocailles. On en possède des descriptions et représentations. Catherine de Médicis fit créer au moins deux grottes, l'une par Philibert Delorme, en 1557-1558, pour le château de Montceaux ; l'autre, édifiée à partir de 1566, dans le jardin des Tuileries, par Bernard Palissy, fut célèbre en son temps. Palissy a laissé une description très précise de son projet (« …je feray plusieurs bosses à mon rocher, le long dudit fossé, sur lesquelles bosses je mettray plusieurs grenouilles, tortues, chancres, escreuisses, et un grand nombre de coquilles de toutes especes, à fin de mieux imiter les rochers.»[13]). Il y a aussi des grottes dans les jardins d'André Le Nôtre à Versailles. La grotte du château des Gondi à Noisy-le-Roi (bâtie à partir de 1582) nous est connue notamment par une gravure de Jean Marot (1654). Elle était ornée de « congélations » (stalagmites ou stalactites) et de coquillages. Construite à la fin du XVIIe siècle, la grotte de la nymphée de Viry-Chatillon, au décor de rocailles et coquillages, est toujours visitable (21, rue Maurice-Sabatier ).
En Angleterre, l'une des plus anciennes grottes artificielles est celle de Wilton House, construite dans les années 1630, sans doute par Isaac de Caus.
De nombreuses grottes et montagnes artificielles ont également été créées dans les jardins chinois, notamment sous l'influence du taoïsme. Par ailleurs, dans le bouddhisme, les grottes possèdent une grande importance depuis l'Antiquité. Les moines et les nonnes s'y réfugiaient lors de la saison des pluies ; mais elles tenaient lieu également de temples et même de reliquaires. On peut ainsi citer les grottes de Longmen, celles de Mogao et de Yungang en Chine. De même, Ajantâ et Nashik sont des lieux connus en Inde pour leurs cavernes[20].
Quelques animaux des grottes
Les chiroptères
Les chauves-souris ou chiroptères sont les seuls mammifères volants, grâce à la transformation de leurs membres antérieurs en ailes. Contrairement à certaines croyances, les chauves-souris ont une assez bonne vue, mais elle est mal adaptée pour voir la nuit. Ces animaux utilisent l'écholocalisation. Les chauves-souris ont une remarquable longévité par rapport aux autres petits mammifères : elle est d'environ 5 ans pour une pipistrelle mais peut atteindre 20 à 30 ans (voire 40 ans) pour d'autres espèces.
Les niphargus
Le Rubicon qui traverse la grotte de Remouchamps héberge des crustacés cavernicoles, dont le type le plus caractéristique est le niphargus. Cette crevette aveugle, d'un blanc translucide, mesure de 1 cm à 3,5 cm. Elle se nourrit d'argile, de proies vivantes ou mortes et de débris végétaux.
Les protées
Plus grand prédateur cavernicole, le Protée anguillard est un amphibien mesurant de 20 à 40 cm de long. Il se nourrit de petits gastéropodes, de crabes et d'insectes. Évoluant dans un milieu où peu d'êtres vivants sont présents, le protée peut rester plusieurs années sans manger[21]. Il maintient dans ce cas ses déplacements et ses dépenses d'énergie au minimum. Le protée vit en moyenne une soixantaine d'années[22]. Il a perdu l'usage de la vision mais se repère grâce à ses autres sens. C'est un animal présent sur le flanc oriental de la mer Adriatique, en Italie, en Slovénie, en Hongrie, en Bosnie Herzégovine et dans certaines grottes des Alpes françaises comme celle de Choranche[23].
↑Laroulandie V. (2000), Taphonomie et achéozoologie des oiseaux en grotte : application aux sites paléolithiques du Bois Ragot (Vienne), de Combe Saunière (Dordogne) et de La Vache (Ariège). Thèse de Doctorat de l'Université de Bordeaux I, F, no 2341
↑Harmelin J. G., Vacelet J., & Vasseur P. (1985), Les grottes sous-marines obscures: un milieu extrême et un remarquable biotope refuge, Téthys, 1(3-4), p. 214-229, (notice Inist-CNRS)
↑« Le nymphée », sur Séminaire Saint-Sulpice (consulté le ).
↑D'après Frederick Bracher, « Pope's Grotto: The Maze of Fancy Pope's Grotto: The Maze of Fancy », The Huntington Library Quarterly, no 12, , p. 141-162; Anthony Beckles Willson, « Alexander Pope's Grotto in Twickenham », Garden History, vol. 26, no 1, , p. 31-59.
↑D'après Alison Hodges, « Painshill, Cobham, Surrey: The Grotto », Garden History, vol. 3, no 2, , p. 23-28
↑D'après (en) James Turner, « The Structure of Henry Hoare's Stourhead », The Art Bulletin, vol. 61, no 1, , p. 68-77
↑(en) Kenneth Woodbridge, « Henry Hoare's Paradise », The Art Bulletin, vol. 47, no 1, , p. 83-116
↑(en) Charles S. Prebish, The A to Z of Buddhism, New Delhi, Vision Books, , 280 p. (ISBN978-81-7094-522-2), p. 84.
↑Lilijana Bizjak Mali et Boris Bulog, « Histology and ultrastructure of the gut epithelium of the neotenic cave salamander,Proteus anguinus (Amphibia, Caudata) », Journal of Morphology, vol. 259, no 1, , p. 82–89 (ISSN0362-2525 et 1097-4687, DOI10.1002/jmor.10171, lire en ligne, consulté le )
↑Yann Voituron, Michelle de Fraipont, Julien Issartel et Olivier Guillaume, « Extreme lifespan of the human fish Proteus anguinus: a challenge for ageing mechanisms », Biology Letters, vol. 7, no 1, , p. 105–107 (ISSN1744-9561 et 1744-957X, DOI10.1098/rsbl.2010.0539, lire en ligne, consulté le )
[Dupont et al. 2018] Nicolas Dupont, Yves Quinif, Caroline Dubois, Hai Cheng et Olivier Kaufmann, « Le système karstique de Sprimont (Belgique). Holotype d'une spéléogenèse par fantômisation », Earth Sciences Bulletin, vol. 189, no 1, (lire en ligne [sur bsgf.fr], consulté en ).
[Quinif & Bruxelles 2011] Yves Quinif et Laurent Bruxelles, « L'altération de type « fantôme de roche » : processus, évolution et implications pour la karstification », Géomorphologie, vol. 17, no 4 « Nouveaux paradigmes de la karstologie, mise en perspective », , p. 349-358 (lire en ligne [sur journals.openedition.org], consulté en ).
[Quinif 2014] Yves Quinif, « La fantômisation - Une nouvelle manière de concevoir la formation des cavernes », Regards, no 79, 2e semestre 2014, p. 42-72 (lire en ligne [sur researchgate.net], consulté en ).
[Mader 2003] Brigitta Mader, « Observations on Historical Terminology: Grotte and Höhle in German Texts », Acta Carsologica, vol. 32, no 2, , p. 83-90 (résumé).