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Le boustrophédon est une écriture dont le sens alterne d'une ligne à l'autre, à la manière du bœuf marquant les sillons dans un champ, allant de droite à gauche puis de gauche à droite. Le terme vient de l'adverbegrec ancienβουστροφηδόνboustrophêdón, de βοῦςboũs « bœuf » et στροφήstrophế « action de tourner », allusion au trajet du bœuf lors du labour. Souvent, le ductus des lettres s'inverse avec le changement de direction ; par exemple, la lettre Є tracée de gauche à droite deviendra Э de droite à gauche.
Le boustrophédon a été principalement utilisé à des stades anciens d'écritures avant que celles-ci ne se fixent dans un sens précis : le grec, par exemple, s'est d'abord écrit de droite à gauche[1].
Remarque : l'inscription se présente en deux alphabets et dialectes : ionien puis attique (avec l'alphabet épichorique local) ; l'exemple donné ne reprend que le texte écrit en dialecte ionien (d'où l'utilisation de η là où l'attique serait ᾱ), avec les lettres actuelles et non celles du document originel. En effet, celui-ci datant d'avant la réforme de -403 (adoption d'un alphabet officiel légèrement différent des usages locaux), il ne suit pas non plus l'orthographe classique : ο, par exemple, sert à noter la voyelle /ọ̄/ (long et fermé), qui sera ensuite transcrite ου (Φανοδίκο = Φανοδίκου, etc.).
Le texte signifie : « Je suis [la stèle] de Phanodikos, [fils] d'Hermokratês, [fils] de Prokonnêsos, et il a donné aux Sigéens un vase pour le vin avec son support, ainsi qu'une passoire, [déposés] dans le prytanée ».
Le code de Gortyne est un autre exemple bien conservé d'une très longue inscription en boustrophédon rédigée dans la première moitié du Ve siècle av. J.-C.
L'écriture « boustrophédon » était notamment utilisée dans les κατάδεσμοί / katádesmoí (« tablettes de défixion »), qui étaient des tablettes de magie dans la Grèce antique. Ces sorts étaient rédigés (ou plutôt « fixés ») dans la matière, c'est-à-dire sur des tablettes de terre, de cire ou de plomb. Ils étaient jetés à l'encontre d'un adversaire dans le but de le diminuer ou de contrarier sa victoire, pour empêcher une conquête amoureuse ou encore s'assurer une victoire sportive ; des κατάδεσμοί ont en effet été trouvés sur le site des Jeux olympiques, implorant les divinités d'accorder la victoire à leur auteur[3].
Dès le VIe siècle av. J.-C., on décèle des « tentatives pour ramener l'écriture à des normes communes[4] ». L'écriture boustrophédon, « qui ne présentait aucune commodité[4] » est abandonnée peu à peu. En -403, l'archonte Archinos prend un arrêté qui fixe le sens de l'écriture de gauche à droite.
Le latin ancien a été écrit en boustrophédon jusqu'au IVe siècle av. J.-C. où « la direction d'écriture s'est fixée définitivement de gauche à droite »[5].
C'est également le cas de l'écriture de Rapa Nui. Les tablettes rongo-rongo de l'île de Pâques sont écrites en boustrophédon inversé : on lit la première ligne de la gauche vers la droite, puis on fait tourner la tablette de 180°, on lit également la deuxième ligne de la gauche vers la droite, et ainsi de suite.
Écritures sémitiques
L'écriture phénicienne avait adopté l'orientation de droite à gauche vers l'an -1000[6], entraînant par la suite l'orientation de l'ensemble des écritures sémitiques : hébreu, araméen, arabe, etc.
Usages actuels
En informatique
Le terme de boustrophédon désigne une manière de fonctionner des têtes d'impression d'une imprimante, lorsqu'elles sont capables d'imprimer dans les deux sens de déplacement du chariot.
En robotique
En robotique, une trajectoire en boustrophédon est un parcours où les lignes vont alternativement de gauche à droite et de droite à gauche, comme le tracé des sillons creusés dans les champs par les allers et retours d'une charrue. Par exemple ce terme est employé en robotique navale, où des drones sous-marins peuvent effectuer des relevés sonar suivant ce type de trajectoire, ou encore en robotique terrestre où par exemple des drones agricoles peuvent épandre un désherbant dans un champ suivant ce parcours.
Le terme s'emploie pour la réalisation de certains vitraux médiévaux. Par exemple, la verrière de la Passion de la cathédrale Notre-Dame de Chartres doit être lue en boustrophédon[8],[9].
Dans les pratiques d'écriture
Chez l'enfant
Lorsqu'un enfant ne perçoit pas assez tôt et assez fort « l'impératif d'écrire selon le choix d'Archinos », de gauche à droite pour les langues issues du grec (ou de droite à gauche pour les langues sémitiques, par exemple), il explore l'écriture « en miroir » ; il écrit parfois même spontanément en mode boustrophédon[10].
Chez les plus âgés
On observe chez certaines personnes très âgées ou chez des personnes atteintes de troubles de la pensée un « retour » à l'écriture « naturelle » en mode boustrophédon[11].
Citations
Michel Serres : « Écrivain, je vivais comme l'archaïque paysan du boustrophédon, vieux mot qui signifiait que le bœuf tirant la charrue se retourne au bout du sillon pour attaquer celui qui suit, en ligne parallèle mais en sens inverse » (in Variations sur le corps, Paris, Le Pommier, 2002, p. 8).
Alexandre Postel : « North, égal à lui-même, imprimait à sa tondeuse la trajectoire régulière du boustrophédon » (in Un homme effacé, Gallimard, coll. « Blanche », 2013, p. 201).
Damso : « Son flow va dans tous les sens, écrit-il en boustrophédon ? Si j’rappe près d’une pompe à essence, explosion sans précédent » (in Poseidon, album OKLM Mixtape. Volume 1, 2015, piste 2).
Notes et références
↑(en) Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions, Berlin/New York, W. de Gruyter, , 737 p. (ISBN3-11-007344-7).
↑ a et bAlphonse Dain, « L'écriture grecque », in M. Cohen et J. Peignot, Histoire et art de l'écriture, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2005, p. 623.
↑Jean-Paul Fischer, L'écriture en miroir des enfants : une histoire complète, (lire en ligne), p. 28.
↑(en) Cunsheng Ding, Tor Helleseth, Sequences and Their Applications, Springer, 1999, p. 122 The Boustrophedon transform.
↑Florens Deuchler, Le sens de la lecture. À propos du boustrophédon, dans Études d'art médiéval offertes à Louis Grodecki, éditions Ophrys, Paris, 1981 (ISBN978-2-70800485-6).
↑Hervé Cabezas, Études d'archéologie du vitrail français du XIXe siècle - III-Le sens de lecture des vitraux à séries de scènes, p. 65-76, dans Revue d’Archéologie Moderne et d'Archéologie générale, no 7.
↑Véronique Klaubert, « Boustrophédon », Encyclopædia Universalis : « Mode d'écriture archaïque (on l'observe chez l'enfant ainsi que chez certains malades mentaux) ».
↑Jeanne Vallet et Julie Cortadellas, Attention soutenue chez la personne âgée atteinte de démence : validité pathologique de l’adaptation du Test des 2 Barrages de Zazzo, , 87 p. (lire en ligne [PDF])
Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme d’État de Psychomotricien, Université Paul Sabatier - Toulouse III, Faculté de Médecine Toulouse Rangueil, Institut de Formation en Psychomotricité.