La traite des Slaves est le commerce organisé de Slaves réduits en servitude et déportés, le plus souvent à travers l'Europe. Ce trafic a duré plusieurs siècles au cours du Moyen Âge. Il a pris une telle ampleur que le nom des Slaves est devenu le nom même de l'esclave.
L'esclavage chez les Slaves
Les Slaves anciens avaient eux-mêmes des esclaves, qui étaient soit des prisonniers de guerre, soit des paysans endettés réduits en servitude. Cette servitude était souvent temporaire, selon le pseudo-Maurice qui précise : « Les Slaves ne réduisent pas leurs prisonniers au même type d'esclavage que les autres peuples. Ils ne les gardent pas pendant un temps illimité, et leur proposent le choix suivant : ils peuvent revenir chez eux moyennant une rançon, ou bien rester esclaves quelque temps avant de se retrouver libres et amis »[1]. Ce témoignage remonte au VIIe siècle.
Du VIIe siècle au XIIe siècle, des centaines de milliers de Slaves ont été vendus et déportés par des marchands varègues, tarakans, francs, hispaniques, khazars, mizrahites ou radhanites, tant vers le monde chrétien que vers le monde musulman. L'ampleur de ce trafic aboutit à une substitution de mots dans les langues européennes ; les vocables désignant l'homme réduit en servitude (latin servus, mancipium ; grec δοῦλος ; vieil-anglais þeów...) sont remplacés par le nom même des Slaves, qui aboutit à slave (anglais moderne), slaaf (néerlandais), Sklave (allemand), schiavo (italien), esclau (catalan), esclave (français), σκλάβος (grec moderne). Francis Conte note « le nom d'une ethnie est devenu très rapidement synonyme de peuple asservi, pour l'ensemble des pays européens », et il souligne « la force d'expansion considérable » du mot sclavus : païens, « les Slaves étant considérés au Moyen Âge comme les esclaves par excellence »[2]. En 939, un diplôme du roi de Francie orientale Otton Ier utilise le mot sclavus dans ce nouveau sens[3].
Les routes de l'esclavage
Une route empruntée par la traite des Slaves partait de la Baltique et de la Bohême pour aller jusqu'à Verdun, puis Lyon, Arles et Narbonne. À Verdun, de nombreux Slaves étaient castrés. Selon l'historien arabe Ibrahim al-Qarawi « Les Francs sont voisins des Slaves. Ils font ceux-ci prisonniers à la guerre et les vendent en Espagne où il en arrive beaucoup. Ils sont châtrés. Ces castrats sont exportés d'Espagne dans tous les autres pays du monde musulman »[4]. Selon Francis Conte, l'empire byzantin s'est mis au Xe siècle à acheter ces eunuques slaves en Occident, pour les revendre aux Arabes du Proche-Orient chez lesquels ils étaient très prisés ; la route de l'esclavage, de Cordoue à Bagdad, longeait la côte méditerranéenne par Tortosa et passait par Narbonne vers Marseille, où la « marchandise humaine » était embarquée vers Tripoli, Beyrouth, Acre et Jaffa[5].
La victoire remportée en 929 par Henri Ier l'Oiseleur à Lenzen inaugure la poussée allemande vers l'Est, au détriment des Slaves qui vont alimenter les convois d'esclaves vers l'Espagne musulmane : selon Francis Conte « les esclaves slaves forment l'article d'exportation le plus important de l'Occident vers le monde islamique d'Espagne, en particulier entre l'Allemagne et le califat de Cordoue »[6]. Une voie orientée en sens contraire remontait à travers la Francie jusqu'à Verdun, Mayence, Ratisbonne, Prague, Cracovie, Przemysl et Kiev, pour rejoindre l'émirat de Bolgar sur la Volga. Au IXe siècle les Khazars et les Bulgares de la Volga avaient fait de Bolgar et d'Astrakhan des plaques tournantes du commerce des esclaves[7].
Sous le règne du calife Abd al-Rahman III (912-961), le nombre d'esclaves slaves (Saqaliba) dans la ville de Cordoue passe de 3 750 à 13 750. Le seul palais de Madinat al-Zahra en compte plus de trois mille à la fin du règne. De nombreux Saqaliba seront affranchis et vont jouer un rôle grandissant sous le califat d'Al-Hakam II (961-976). Lors de la désintégration du califat omeyyade de Cordoue, deux émirats slaves verront le jour, à Dénia et Almeria, au temps des royaumes de taïfas[8].
Durée
Charles Verlinden cite des ventes d'esclaves qualifiés de « Russes », surtout des adolescentes et des femmes, à des Marseillais, des Montpelliérains et des Perpignanais, entre 1382 et 1466. Ces femmes coûtent en général le double des hommes, et de 80 % à 100 % plus cher que les captives tatares[9].
↑Clément Venco, « Par-delà la frontière : marchands et commerce d'esclaves entre la Gaule carolingienne et al-Andalus (VIIIe – Xe siècle) », Las fronteras pirenaicas en la Edad Media (Siglos VI-XV) / Les frontières pyrénéennes au Moyen Âge (VIe – XVe siècle), Saragosse, , p. 125-167. (lire en ligne)
↑Mikhail Kizilov, « Slaves, Money Lenders, and Prisoner Guards:The Jews and the Trade in Slaves and Captives in the Crimean Khanate », Journal of Jewish Studies, vol. 58, no 2, , p. 189–210 (ISSN0022-2097, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Ronald Wixman, « Adygei », dans The Peoples of the USSR: An Ethnographic Handbook, M.E. Sharpe, , 5-6 p. (ISBN9780765637093).
↑(en) Amjad Jaimoukha, The Circassians: A Handbook, New York, Palgrave, (ISBN978-0-312-23994-7)
↑Régis Genté, « Les habitants perdus de Sotchi : 1864, l’exil forcé des Circassiens chassés par les Cosaques de l’Empire russe », Atlantico, (lire en ligne).
Voir aussi
Bibliographie
Charles Verlinden, L'Esclavage dans l'Europe médiévale, t. I, Bruges, .
Charles Verlinden, L'Esclavage dans l'Europe médiévale, t. II, Liège, .
Charles Verlinden, « Traite et esclavage dans la vallée de la Meuse », Études sur l’histoire du pays mosan au Moyen Age. Mélanges Félix Rousseau, Bruxelles, 1958, p. 673-686
Charles Verlinden, « Les Radaniya et Verdun. A propos de la traite des esclaves slaves vers l’Espagne musulmane aux IXe et Xe siècles », Estudios en homenaje a D. Claudio Sánchez Albornoz, t II, Buenos Aires, 1983, p. 105-132
Francis Conte, Les Slaves. Aux origines des civilisations d'Europe centrale et orientale, Paris, Albin Michel, (ISBN2-226-02606-1).
Alexandre Skirda, La traite des Slaves. L'esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle, Paris, Max Chaleil, 2010