Le rock chinois prend son essor à la fin de la Révolution culturelle et la mort de Mao Zedong en 1976. Les politiques de réformes économiques initiées par Deng Xiaoping permettent à la musique populaire étrangère de pénétrer en Chine, avec l'arrivée de cassettes pirates venues de Taïwan et Hong Kong[1] et d'étrangers. On retrouve dans les années 1980 des styles musicaux influencés par le rock, comme le Xibeifeng (西北风, « vent du Nord-Ouest »), un genre musical venu du nord-ouest de la Chine, mêlant chants folkloriques du Shaanxi au tempo rapide du rock 'n' roll[2],[3], ou encore les Qiuge (囚歌, « chant de prison »), qui mettaient en musique les récits des marginaux et vagabonds à la fin de la révolution culturelle[4].
Le premier groupe de rock chinois, Wan Li Ma Wang (万里马王) (composé du nom de famille des quatre membres du groupe) se forme en 1979 au sein de l'Université d'études internationales de Pékin, et reprend des classiques de rock occidental comme les Bee Gees ou les Beatles[5]. La même année Graham Earnshaw créé le groupe de reprise rock Peking All-Stars composé d'étrangers qui se produit dans les hôtels internationaux[6]. En 1983, un autre groupe de reprise, le Dalu Yuedui (大陆乐队), également composé d'étrangers se forme à Pékin, suivi en 1984 par le groupe chinois Bu Dao Weng (不倒翁).
Les premiers groupes de rock chinois se produisent principalement dans les hôtels internationaux, lors de « parties » comme au restaurant Maxim's de Pékin, où se retrouve le « cercle du rock » (Yaogun quan, 摇滚圈)[7].
Ascension et popularisation croissante
La popularité du rock chinois va aller croissant dans les années 1980, notamment grâce à Cui Jian et son groupe ADO, qui se produit le en direct à la télévision chinoise pour un concert de charité organisé au Stade des travailleurs de Pékin, où il interprète pour la première fois à la télévision chinoise un titre rock, Yi wu suo you (一无所有)[8]. La même année, Cui Jian publie l'album Returning Wanderer (浪子归), très influencé par les « chants de prison » et le « vent du Nord-Ouest ». Le , Cui Jian se produit pour la première fois à la télévision chinoise, lors du concert de charité 让世界充满爱 (Rang shijie chongman ai, littéralement « Remplir le monde d'amour ») organisé au Stade des Travailleurs de Pékin[9],[10]. Cui Jian y interprète Je ne possède rien, qui devient la première chanson rock en chinois à être diffusé à la télévision chinoise[11] et suscite l'enthousiasme du public et de la jeunesse. Devant la popularité de cette chanson, les organisateurs décident de la publier dans la cassette audio tirée du concert, faisant du portrait de Cui Jian l'image de couverture de l'album.
D'autres groupes de rock chinois se créent à la fin des années 1980 : MayDay (Wuyuetian, 五月天, à ne pas confondre avec le groupe taïwanais homonyme) et son chanteur He Yong, The Breathing (Huxi, 呼吸), The Face (Miankong, 面孔), le premier groupe de rock entièrement féminin Cobra (Yanjing she, 眼鏡蛇), et 1989 (de Zang Tianshuo). Les groupes formés par la suite incluent Tang Chao (唐朝, Dynastie Tang, également connu sous le nom Tang Dynasty) le chanteur et guitariste Ding Wu, et peut être le groupe de rock chinois le plus connu : Hei Bao (黑豹), conduit d’abord par le pionnier de la musique alternative chinoise Dou Wei. Au printemps 1989, Je ne possède rien devient de facto l’hymne des étudiants protestataires de la place Tian'anmen, Cui Jian lui-même soutient les étudiants et se produit en sur la place Tian'anmen[12].
Déclin post-Tian'anmen et renouveau dans les années 1990
La participation des rockers chinois au mouvement démocratique de 1989 entraîne un relatif déclin du rock 'n' roll, avec un contrôle accrue des groupes de rock par le pouvoir chinois. De nombreux travaux universitaires[13],[14] parlent de « crise du rock and roll chinois », évoquant les difficultés de Cui Jian à se produire sur scène - il sera interdit de concert à Pékin jusqu'en 2007[15] - et la popularisation croissante de la musique pop venue de Hong Kong (Cantopop) ou de Taïwan (Mandopop).
Au milieu des années 1990 l'afflux de cassettes et CD pirates en provenance de Taïwan et Hong Kong — dont celles du groupes de rock hongkongais Beyond — ainsi que l'arrivée des CD et cassettes audio dakou (打口)[16],[17], surplus de l'industrie musicale occidentale revendu sur le marché noir chinois, ouvre la jeunesse chinoise à des influences musicales et stylistiques étrangères, dont le rock, punk, metal ou grunge. De nouveaux groupes, mélangeant différents genres musicaux comme XTX (谢天笑), Catcher in the Rye (麦田守望者), UnderBaby (地下婴儿), Tongue (舌头) se forment au milieu des années 1990. Une scène punk émerge au même moment à Pékin et Wuhan[18], avec comme fer de lance le collectif nommé « L'armée de l'ennui » (无聊军队, composé de Brain Failure 脑浊, 69, Anarchy Boys 无政府主义男孩 et Reflector 反光镜) à Pékin, et SMZB (生命之饼), Sidoule (死逗了) et Shit Dog à Wuhan[19]. Des lieux dédiés à la nouvelle scène rock indépendante s'ouvrent un peu partout dans la pays à partir des années 2000, comme le Scream Club puis le Happy Paradise à Pékin[20], le VOX à Wuhan ou le Yuyintang, à Shanghai.
Depuis les années 2000
Le rock chinois et ses avatars — grunge, punk, metal, nu metal, etc. — s'est progressivement inscrit dans l'espace musical chinois. Des labels dédiés au rock indépendant, comme Modern Sky (摩登天空), fondé par le chanteur du groupe de brit-pop Sober (清醒) Shen Lihui[21], ou Maybe Mars (兵马司), fondé par le professeur d'économie américain Michael Pettis et gérant du bar rock D-22 à Pékin[22] se sont constitués au fil des années 2000 pour produire les grands noms du rock chinois indépendant, comme Hedeghog (刺猬), Joyside, Demerit (过失) ou Carsick Cars.
Plus récemment, le concours de télé-crochet centré sur le rock indépendant chinois diffusé sur la plateforme de vidéos en ligne iQiyiThe Big Band (Yuedui de xiatian, 乐队的夏天) a popularisé le rock indépendant auprès du grand public[23]. Les deux saisons (une première en 2019[24] et une seconde en 2020[25]) ont permis à des groupes tels que Hedgehog, Miserable Faith (痛苦的信仰), New Pants (新裤子), Carsick Cars, Re-Tros (重塑雕像的权利), Joyside, Wutiaoren (五条人) ou encore Mosaic (马赛克) de connaître une renommée importante bien que tardive[26],[27].
↑(en) Thomas B. Gold, « Go with Your Feelings: Hong Kong and Taiwan Popular Culture in Greater China », The China Quarterly, no 136, , p. 907–925 (ISSN0305-7410, lire en ligne, consulté le ).
↑(en) Wang Qian, The Crisis of Chinese Rock in the mid-1990s: Weakness in Form or Weakness in Content?, Liverpool, University of Liverpool, (lire en ligne).
↑Nathanel Amar, « The Lives of Dakou in China: From Waste to Nostalgia », Études chinoises. 漢學研究, vol. 37, no 2, , p. 35–60 (DOI10.3406/etchi.2018.1647, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Andreas Steen, « Sound, Protest and Business. Modern Sky Co. and the New Ideology of
Chinese Rock », Berliner China-Hefte, , p. 40-64 (lire en ligne [PDF]).
Catherine Capdeville-Zeng, Rites et rock à Pékin: tradition et modernité de la musique rock dans la société chinoise, Paris : Les Indes Savantes, 2001.
Andrew F. Jones, Like a Knife: Ideology and Genre in Contemporary Chinese Popular Music, Ithaca : Cornell University Press, 1992.
Jeroen de Kloet, China with a Cut. Globalisation, Urban Youth and Popular Music, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2010.
Nathanel Amar, Scream for Life. L'invention d'une contre-culture punk en Chine populaire, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2022.