Raymondaopus 67 d'Alexandre Glazounov est l'ultime grand ballet du XIXe siècle finissant, symbole d'une époque importante pour cet art. Aujourd'hui encore, les œuvres de ces années de la Russie impériale déterminent l'idée que nous nous faisons du ballet classique.
Raymonda allie la pureté de la danse classique française à la virtuosité italienne. Marius Petipa y intègre étroitement des danses de caractères issues des traditions folkloriques russes mais retranscrites dans un style classique occidental.
Glazounov n'a travaillé qu'une seule fois pour la scène, à l'occasion de Raymonda. C'était l'époque où il achevait, avec son maître Rimski-Korsakov, le fragment d'opéra Le Prince Igor d'Alexandre Borodine. Le jeune compositeur n'a encore aucune expérience dans le domaine de la danse classique lorsqu'il commence sa collaboration avec le vieux maître du ballet classique Petipa. Leur collaboration va s'avérer très difficile, mais Glazounov restera reconnaissant, sa vie durant, envers le génial chorégraphe et aura toujours beaucoup d'estime pour lui par la suite.
Après la mort inattendue de Tchaïkovski, Petipa contacte Glazounov. Bien avant que ce dernier n'ait même écrit les premières mesures de Raymonda, Petipa s'en est déjà fait des idées très détaillées du point de vue musical et chorégraphique. Vieux routier de la danse et de la scène, Petipa tente d'imposer des limites étroites au compositeur. Malheureusement, ce dernier ne veut pas se soumettre aux nécessités impérieuses de la danse classique. Il ressent, par exemple, la prescription d'une période de 32 mesures comme un corset dans lequel il n'est pas disposé à se laisser enfermer. Là où le chorégraphe exige des coupes et lutte pour avoir des passages courts, précis, persuasifs, avec une gestuelle décisive, Glazounov ne veut pas toucher à sa brillante partition. Aujourd'hui encore, les nombreuses différences entre la version scénique de la musique, d'une part, et la partition d'autre part, à l'époque destinée au piano, témoignent de cette lutte obstinée. C'est ce qui a souvent empêché que des modifications chorégraphiques nouvelles, effectuées par Petipa juste lors des répétitions, soient intégrées à temps dans la première version imprimée de la musique. Dans une lettre adressée à un ami, Petipa se plaint en ces termes :
« M. Glazounov ne veut pas changer une seule note, non plus dans la variation pour Mlle Legnani ou au moins un petit trait au galop. C'est horrible de travailler avec un compositeur qui a donné sa musique à une maison d'édition et qui l'a déjà publiée à l'avance. »
C'est seulement après la première représentation que Glazounov reconnaît enfin l'importance décisive des adaptations scéniques faites par le maître chorégraphe, et la nécessité, pour le compositeur, de se montrer plus souple à cet égard et de s'y adapter. Lors des représentations suivantes, il tient compte des propositions de Marius Petipa. Et le compositeur écrit :
« La nécessité de se tenir aux conditions du chorégraphe m'a imposé, il est vrai, une contrainte. Mais [...] en même temps, elle m'a donné de la force pour surmonter les difficultés symphoniques. [...] Mais n'est-ce pas peut-être précisément de ces chaînes que jaillit la meilleure école pour le développement du sentiment et de la forme ? »
Lorsque Petipa tombera en disgrâce, Glazounov, désormais reconnu pour occuper une position prépondérante sur la scène artistique russe, prendra toujours fait et cause pour le vieux maître de ballet.
La nouvelle génération de chorégraphes, en rébellion contre le XIXe siècle, emprunteront de nouvelles voies mais l'héritage qu'a laissé Petipa constitue toujours aujourd'hui la base incontournable pour l'ensemble du patrimoine chorégraphique classique.
D'ailleurs, avec son dernier chef-d'œuvre, Petipa se tourne déjà vers la modernité. Il émancipe la danse pour la danse, comme l'a détachant de l'histoire racontée sur scène. Le troisième acte, en particulier, annonce déjà une nouvelle époque. Dans le ballet Raymonda, la danse ne veut plus se présenter que pour elle-même et veut s'affranchir du drame qui se joue. La forme elle-même - à la fois ensemble de danse classique, de danse de semi-caractère et de caractère - devient le principal contenu. L'acte final appartient aux pièces de la chorégraphie originale de Petipa, qui nous a été transmise par une tradition de représentation plus ou moins continue. La pièce centrale du dernier acte, le Grand Pas hongrois, s'est imposée au sein du répertoire international des compagnies de ballet classique, indépendamment du reste de l'œuvre.
Pourtant ce ballet, malgré son grand succès en Russie, son pays d'origine, ne sera présenté pour la première fois en Europe qu'en 1935 : la première représentation en est donnée à Londres par le Ballet National de Lituanie, dans une version de Nicholos Zverev.
Pendant plus d'un siècle, Raymonda connaît régulièrement différents arrangements scéniques, qui témoignent de la confrontation infatigable des successifs chorégraphes avec l'héritage classique de Petipa, solide comme un roc, s'éloignant de Petipa mais y revenant toujours.
Argument
L'action voulue à l'origine par Lydia Paschkova se passe au temps des croisades.
Acte I
Raymonda fête son anniversaire dans le château de sa tante aux côtés de son fiancé, le chevalier Jean de Brienne. Les deux amoureux doivent se séparer avant que la fête se termine car le chevalier doit rejoindre l'armée du roi André II de Hongrie sur le chemin de la guerre. La comtesse Sibylle, tante de Raymonda lui parle de la statue de la vieille Dame Blanche, située dans les jardins du château. Celle-ci reprend vie la nuit et est une protectrice de la famille. La nuit venue, Raymonda tombe dans un sommeil agité au cours duquel la Dame Blanche lui apparaît et l'enlève dans un jardin magique plein de secrets. Elle y rencontre son amant. Soudain, Jean de Brienne se transforme en un cheik arabe qui lui fait une déclaration d'amour pressante. Effrayée, Raymonda est contrainte d'accepter et s'évanouit. Elle se réveille à l'aube, seule, avec les souvenirs de son cauchemar.
Acte II
De nouvelles festivités sont organisées au château avec des invités venus de contrées lointaines. À sa grande frayeur, Raymonda reconnaît le cheik Abderamane qu'elle a vu dans son rêve. Ce dernier l'assaille avec sa demande en mariage que Raymonda refuse. À la fois désespéré et blessé dans son amour propre Abderamane la fait enlever. C'est à ce moment que Jean de Brienne et le roi de Hongrie rentrent de la bataille par surprise. Le roi, ne voyant pas d'issue à la situation, ordonne un duel entre les deux rivaux. Brienne sort vainqueur avec l'aide de la Dame Blanche. Grièvement blessé, Abderamane déclare une nouvelle fois sa flamme à Raymonda avant de mourir.
Acte III
Le couple, à nouveau réuni, célèbre ses noces dans le palais du roi.
À noter également le documentaire Dancer's dream : Raymonda, consacré au travail de Rudolf Noureev sur la reprise du ballet à Paris (avec les danseurs Manuel Legris, Noëlla Pontois...).