Accusée d'avoir notamment incité les milices interahamwe à violer des femmes lors du génocide des Tutsi en 1994, elle est jugée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda dans l'affaire dite de Butare, et condamnée en 2011, pour sept chefs d'accusation de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, à la prison à vie. Elle est alors la première femme condamnée pour génocide. En , en appel, sa peine est réduite à quarante-sept années de prison.
Après son cursus, elle devint assistante sociale. En , elle se maria avec Maurice Ntahobali et ensemble, ils eurent quatre enfants. Elle a travaillé pour le ministère d'État des Affaires sociales et de l'Information des femmes, notamment dans le domaine de la santé et de la garde des enfants. En , elle étudia le droit à l'université nationale du Rwanda. Nommée ministre de la Famille dans le gouvernement de 1992 de Habyarimana[2], elle est également membre de l'Akazu[3].
Le génocide au Rwanda commença le après l'assassinat de Habyarimana. Les Hutus, armés, se déployèrent dans toute la campagne mettant en place des points de contrôle afin d'empêcher les Tutsis de s'enfuir. Les Hutus qui refusaient de participer au génocide furent attaqués[4],[5]. Alors que le secteur de Butare refusait de participer au génocide, le gouvernement intermédiaire envoya Pauline Nyiramasuhuko de la capitale, Kigali à Butare, sa ville natale afin qu'elle y intervienne[6]. Elle ordonna au gouverneur de l'époque d'organiser des massacres et lorsqu'il refusa, il fut limogé puis tué. Nyiramasuhuko appela alors des milices de Kigali. Le , alors que des milliers de Tutsis étaient rassemblés dans un stade où la Croix-Rouge leur fournissait un abri et de la nourriture, Nyiramasuhuko y aurait organisé un piège[1],[7]. Les interahamwe, conduits par Arsène Shalom Ntahobali, le fils de Pauline, encerclèrent le stade. Les réfugiés furent violés, torturés, tués et leur corps furent brûlés[8],[9]. Pauline Nyiramasuhuko supervise le carnage. « Avant de tuer les femmes, vous devez les violer », ordonne-t-elle[10],[8]. Lors d'un autre événement, elle ordonna à ses hommes de prendre des bidons d'essence de sa voiture et de les utiliser pour brûler un groupe de femmes à mort, en laissant une victime de viol survivre en tant que témoin[1]. Le nombre de rescapées violées — et pour nombre d'entre elles contaminées par le VIH — dans la région de Butare est estimé à 30 000[6].
Pauline Nyiramasuhuko quitte finalement Butare le , date de la veille de l'arrivée du FPR[11].
En fuite au Zaïre, elle est arrêtée au Kenya le lors de l'opération « NAKI » (Nairobi-Kigali)[n 1] mise en œuvre par Louise Arbour, alors procureure du Tribunal pénal international pour le Rwanda[12],[13]. Elle comparaît un mois et demi plus tard en plaidant non coupable[14]. En , l'acte d'accusation du tribunal est amendé ; il contient les charges d'entente en vue de commettre un génocide, complicité de génocide, crimes contre l'humanité et violations du droit de la guerre[15]. Le procès du « groupe de Butare » s'ouvre en [16]. Sa belle-fille Beatrice Munyenyezi témoigne en sa faveur, niant les massacres et l'implication de Nyiramasuhuko et d'Arsène Shalom Ntahobali[17].
Son agenda — retrouvé à son domicile kenyan — constitue l'élément clé de la stratégie du bureau du Procureur. Selon André Guichahoua, sociologue et expert auprès du tribunal, le document qu'il a analysé et traduit met en lumière une femme qui « "s'affiche comme l'un des activistes les plus combatifs et les plus virulents dans la dénonciation et le châtiment des ennemis", les Tutsis »[18]. Alison Des Forges la présente également comme l'une des ministres, fervente supportrice du Hutu Power, ayant le plus appuyé la mobilisation de la population en soutien aux militaires et miliciens, dont le nombre était insuffisant pour tuer les Tutsis à grande échelle et de façon rapide[19].
Le , elle est reconnue coupable de génocide, crimes contre l'humanité et violations graves à l'article 3 commun aux Conventions de Genève et au Protocole II et condamnée à la prison à perpétuité[20],[21],[n 2]. En particulier, les juges considèrent qu'en ordonnant à des individus sous sa responsabilité, c'est-à-dire les interahamwe, la commission de viols et de meurtres, elle s'est légalement rendue complice de tels actes[22]. Au demeurant, il est fait grief à l'ancienne ministre d'avoir organisé ces actes « en vertu d'une stratégie délibérée et planifiée », le jugement faisant notamment état d'une distribution de préservatifs de sa part début juin avec des directives explicites[23]. Elle est alors la première femme de l'histoire condamnée par une juridiction pénale internationale pour génocide[2] et demeure l'unique mise en accusation par le TPIR[24].
Si le cas de Pauline Nyiramasuhuko est emblématique en raison de son niveau de responsabilité élevé s'agissant de la mise en œuvre du génocide, il témoigne aussi d'une certaine évolution du rôle et de la place des femmes : alors qu'elles ont constitué lors des massacres précédents « le dernier rempart » à l'extension de la violence liée aux discours idéologiques extrêmistes, elles ont pour la première fois en 1994, pour certaines, pris part directement aux actes et ont, de facto, servi de « relais » au sein de la sphère familiale[25]. En toute hypothèse, à l'instar des poursuites lancées contre Biljana Plavšić[n 3], la justice pénale internationale marque une évolution « relative [...] dans l’inculpation de femmes pour responsabilité de commandement et non pour responsabilité individuelle dans des faits de violence ou de sadisme »[26].
En , la Chambre d'appel confirme le verdict de culpabilité mais réduit sa peine à quarante-sept années d'emprisonnement en considérant que le droit à être jugé dans un délai raisonnable a été violé, le procès initial s'étant étalé sur dix ans[27].
Notes et références
Notes
↑ Neuf individus sont arrêtés durant cette opération s'étalant sur plusieurs jours en juillet parmi lesquels figurent Jean Kambanda, ancien Premier ministre du gouvernement intérimaire et Georges Ruggiu, ancien présentateur à la RTLM.
↑ Ses co-accusés sont condamnés aux peines suivantes : son fils Arsène Shalom Ntahobali et Elie Ndayambaje, ancien maire de Muganza, tous deux condamnés à la prison à vie ; Sylvan Nsabimana, ancien préfet de Butare, condamné à 25 années de prison ; Alphonse Nteziryayo, alors préfet de Butare, condamné à 30 ans de prison et Joseph Kanyabashi, maire de Ngoma, condamné à 35 ans.
↑ a et bGaël Lombart, « Pauline Nyiramasuhuko, une criminelle aux airs de "mère-poule" », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑Stéphanie Maupas, « Les experts », dans Stéphanie Maupas (dir.), Juges, bourreaux, victimes : Voyage dans les prétoires de la justice internationale, Paris, Autrement, , 192 p. (ISBN978-2-7467-1207-2), p. 76-87, spéc. p. 85
↑(en-GB) « Profile: Female Rwandan killer Pauline Nyiramasuhuko », BBC News, (lire en ligne, consulté le )
↑ a et b(en) Philip Zimbardo, The Lucifer Effect : Understanding How Good People Turn Evil, New-York, Random House Trade Paperbacks, , 551 p. (ISBN0-8129-7444-1, lire en ligne), p. 13 et s.
↑Claudine Vidal, « Enquêtes au Rwanda : Questions de recherche sur le génocide tutsi », Agone, vol. 53, no 1, , p. 103-142, spéc. p. 112
↑André Guichaoua, De la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994), Paris, La Découverte, , 621 p. (ISBN978-2-7071-5370-8), p. 545-546
↑Claire Fourçans, « La répression par les juridictions pénales internationales des violences sexuelles commises pendant les conflits armés », Archives de politique criminelle, Pedone, vol. 34, no 1, , p. 155-165, spéc. p. 159
↑Violaine Baraduc, « Tuer au cœur de la famille - Les femmes en relais », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Presses de Sciences Po, vol. 122, no 2, , p. 63-74, spéc. p. 63-64
↑Isabelle Delpla, « Les femmes et le droit (pénal) international », Clio. Femmes, genre, histoire, Belin, vol. 39, no 1, , p. 183-204, spéc. p. 190