La baronne Pannonica de Koenigswarter, dite Nica de Koenigswarter, née Rothschild le et morte le , est une mélomanebritannique, passionnée de jazzbebop. Surnommée la « Baronne du jazz », elle fut une importante bienfaitrice, mécène et militante des droits civiques des musiciens de jazz noirs dans les années 1950-1960 dans un contexte de ségrégation raciale.
Biographie
Famille
Née le 10 décembre 1913 à Londres, Kathleen Annie Pannonica Rothschild est la plus jeune fille de Charles Rothschild et de son épouse, la baronne hongroise Rózsika Edle von Wertheimstein, fille du baron Alfred von Wertheimstein du comté de Bihar. Son grand-père paternel est Nathan Rothschild, 1er baron Rothschild appartenant à la branche londonienne de la dynastie financière des Rothschild[1]. Elle est la cadette d'une famille de quatre enfants. Sa sœur aînée est la zoologiste et auteure Dame Miriam Rothschild. Le nom «Pannonica» (abrégé en «Nica» comme surnom) provient d'une espèce inconnue de papillon que son père Charles Rothschild a découverte dans une région d'Europe centrale appelée dans les temps anciens Pannonie. Il décida d'en donner le nom au papillon et à sa fille[2].
Pannonica grandit à Tring Park Mansion et à Waddesdon Manor, ainsi que dans d'autres maisons familiales. Alors qu'elle est âgée de 10 ans, son père qui souffre de troubles de l'humeur se suicide en se tranchant la gorge[3].
Attirée dès son plus jeune âge par le dessin et la peinture, elle remporte à onze ans une médaille d’argent à la Royal Drawing Society. Elle poursuit des études d’histoire de l’art au début des années 1930, étudie l'art à Londres, Paris et Vienne puis s'intéresse à la photographie[4]. Jeune femme d'une grande beauté ayant un tempérament libre, elle souhaite devenir pilote d'avion. Elle rencontre à l'aérodrome du Touquet le baron Jules de Koenigswarter, jeune militaire français et veuf. Ils se marient en 1935[5]. En 1937, ils achètent le Château d'Abondant, un château du XVIIe siècle dans le nord-ouest de la France qu'ils acquièrent auprès de la famille du banquier américain Henry Herman Harjes - celui-ci en avait fait l'acquisition en 1920 auprès de la marquise de Morès - et s'y installent[6].
Après la guerre, Jules de Koenigswarter devient diplomate à Oslo et Mexico. Le couple a cinq enfants (deux fils et trois filles)[8] et divorce en 1956[9].
Vie à New-York
En 1954, Pannonica de Koenigswarter déménage et s'installe à New York tandis que ses enfants sont scolarisés en France. Très rapidement après son arrivée, elle se passionne pour la musique, en particulier le jazz. Elle fréquente les clubs new-yorkais et vit plusieurs années dans de grands hôtels de New York comme le Stanhope, l’Algonquin ou le Bolivar où elle invite régulièrement des grands musiciens. Elle rencontre Thelonious Monk et lie avec lui une solide amitié qui durera plus de 30 ans[10],[11]. Elle déclare à son sujet : « C'était le plus bel homme que je n'aie jamais vu. Très grand, il pouvait être assis sur une chaise ou allongé sur un lit, parler ou se taire, il dominait toujours la pièce dans laquelle il se trouvait »[12]. Selon Hannah Rothschild (film maker)(en), auteure d'une biographie, le suicide de son père est au cœur du lien improbable entre Nica et Monk. Celui-ci souffrait d'une maladie présentant des symptômes similaires à celle de son père ; la protection morale et financière de Nica à l'égard de Monk est une façon de réparer une injustice antérieure[13].
En 1955, elle accueille également Charlie Parker et le soigne. Sans domicile fixe, il meurt quelques jours plus tard dans sa suite à l’hôtel Stanhope[14]. Les directions des établissements où elle séjournei, exaspérées par les réunions festives et bruyantes qu'elle organise, font tout pour l’expulser. En 1958, lassée d’être traitée en indésirable, Pannonica achète une maison à Weehawken (New Jersey), avec vue sur Manhattan. Cette maison, construite à l'origine pour le réalisateur Josef von Sternberg, sera nommée Cathouse – « Cats » dans l’argot jazz noir américain signifie gars, musiciens – car, en plus d’y héberger de nombreux musiciens, dont Monk qui y vivra dix ans après l'incendie de son appartement[14], Pannonica y recueille une centaine de chats[15]. Barry Harris vit également dans cette maison pendant plus de 30 ans[14].
Lutte pour les droits civiques
Personnalité flamboyante, Pannonica de Koenigswarter rayonne sur ses contemporains avec une passion et une générosité exceptionnelles. Elle s'engage auprès des jazzmen new-yorkais durant une période particulièrement marquée par la discrimination raciale pour promouvoir leur musique et aussi améliorer leurs conditions de vie. Elle devient membre du syndicat des musiciens et joue un rôle déterminant pour le maintien du Cabaret Card, la licence qui autorise les musiciens de se produire dans les clubs de jazz new-yorkais en 1967[8],[10]. Charlie Parker, Bud Powell, et surtout Thelonious Monk, trouveront chez elle un refuge.
Le 30 novembre 1988, Pannonica de Koenigswarter meurt d'une crise cardiaque. Selon ses dernières volontés ses cendres sont dispersés dans l'Hudson à New-York.
Publication
Pannonica de Koenigswarter posa à 300 jazzmen une question particulière :
« Si on t'accordait trois vœux qui devaient se réaliser sur le champ, que souhaiterais-tu ? »
Leurs réponses sont présentées dans le livre très richement illustré des photos prises par la baronne Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux[16]. Le livre a reçu le Prix du Livre de Jazz décerné par l'Académie du jazz en 2006[17].
En octobre 2023, Buchet Castel publie le livre L'Œil de Nica : Photographies de Pannonica de Koenigswarter, un album de photos prises par Nica qui réunit des portraits des plus grands jazzmen américains, des vues de Manhattan, des moments saisis dans les clubs de jazz, des clichés de l’Amérique profonde. Il s'agit d'un témoignage visuel bouleversant sur les années 1950-1960 américaines, rehaussées par les couleurs singulières du Polaroïd[18].
↑ a et b(en) Dan Friedman, « Pannonica », sur The Jewish Daily Forward.,
↑(en-GB) Rachel Cooke, « Hannah Rothschild on Nica: 'I saw a woman who knew where she belonged' », The Observer, (ISSN0029-7712, lire en ligne, consulté le )
↑Nadine de Rothschild, Trés chères baronnes de Rothschild, Editions Gourcuff Gradenigo, (ISBN978-2-35340-376-9)
↑(en-GB) Rachel Cooke, « Hannah Rothschild on Nica: 'I saw a woman who knew where she belonged' », The Observer, (ISSN0029-7712, lire en ligne, consulté le ) :
« Hannah believes that Charles's suicide lies at the heart of Nica's unlikely bond with Monk, who suffered from a similar illness, with similarly debilitating symptoms. "Her father's death was incredibly violent, but afterwards it was never mentioned: suicide was still illegal. When she met Thelonious, there must have been huge resonances. He behaved in a very similar way to Charles, and Charles had been made to live a certain kind of life, going to the office every day, when what he wanted to be doing was collecting butterflies. Her passionate attempts to dignify Thelonious's life, to protect him, to say it's all right to spend the day sleeping if that's what you want or need to do… I'm sure this was her way of addressing an earlier injustice. It was a kind of reparation. In return, he gave her an incredible sense of purpose and belonging. If you think of her as a woman who'd been evicted from a close family, that's quite a frightening thing. But Thelonious and a whole group of musicians said to her: come and be part of this. We'll hang with you." Monk wasn't the only one who wrote a song for Pannonica. So did Art Blakey, Sonny Clark, Kenny Drew and at least a dozen others. »
↑Pannonica de Koenigswarter, Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux : Propos recueillis et photographies, Paris, Buchet/Chastel Meta-Editions, , 318 p. (ISBN2-283-02038-7).
↑« Palmarès 2006 », sur academiedujazz.com (consulté le ).
(en) Hannah Rothschild, The baroness : The search for Nica, the rebellious Rothschild, Londres, Virago Press Ltd, , 320 p. (ISBN978-1-84408-603-0).
Youssef Daoudi (trad. de l'anglais), Monk ! : Thelonious, Pannonica, une amitié, une révolution musicale, Paris, Éditions Martin de Halleux, , 352 p. (ISBN978-2-490393-02-2).