Cette chanson, écrite pour la chanteuse parisienne Mistinguett, s'inspire de la pièce de théâtre de 1920 Mon homme du théâtre de la Renaissance de Paris, d'André Picard et Francis Carco. Bien que l’intrigue de la pièce soit éloignée des paroles de la chanson, la chercheuse Kelley Conway souligne la parenté entre les deux œuvres puisque Carco explore « la confrontation entre les femmes de la classe supérieure et la pègre » et ainsi « souligne les contradictions, mais aussi les rapports, inhérents à la tradition du café-concert, qui réunit un public hétérogène de bohémiens et de bourgeois, de femmes « libérées » et d'hommes déconcertés[6] ». La chanson aura tellement de succès qu'elle finira par être intégrée au spectacle de Carco[7].
Les auteurs-compositeurs Albert Willemetz, Jacques Charles et le pianiste Maurice Yvain, créent une première version de la chanson sur la base musicale d'un fox-trot. Le texte évoque alors une recette de cuisine. Face à la colère de Mistinguett, alors en vacances dans une villa normande, à qui les paroles déplaisent, les deux auteurs se ravisent. Ils consultent un livre, trouvé par hasard sur un canapé du salon de cette villa, qui évoque la pièce de théâtre éponyme Mon homme. Inspirés par ce titre qu'ils donnent à la chanson, ils réécrivent le texte tout en gardant la musique mais jouée sur un rythme plus lent[8]. Les deux auteurs indiqueront ultérieurement qu'ils se seraient inspirés de la relation tumultueuse entre la Miss et son amant de l'époque Maurice Chevalier, pour en écrire le texte[9].
Cette chanson réaliste, sarcastique et autodérisoire de music-hall des Années folles d'entre-deux-guerres, est écrite sur le thème de « l'amourfou de Mistinguett pour son homme ». Elle l'interprète avec beaucoup de succès avec sa célèbre gouaille parisienne en vogue de l'époque, sur des airs comiques d'opéra bouffe « Sur cette terre, ma seule joie, mon seul bonheur, c'est mon homme, j'ai donné tout ce que j'ai, mon amour et tout mon cœur, à mon homme, ce n'est pas qu'il soit beau, qu'il soit riche ni costaud, mais je l'aime, c'est idiot, il me fout des coups, il me prend mes sous, je suis à bout, mais malgré tout, que voulez-vous, je l'ai tellement dans la peau, que j'en deviens marteau, dès qu'il s'approche c'est fini, je suis à lui, quand ses yeux sur moi se posent, ca me rend toute chose, je l'ai tellement dans la peau, qu'au moindre mot, il m'ferait faire n'importe quoi, j'tuerais, ma foi, j'sens qu'il me rendrait infâme, mais je ne suis qu'une femme... ».
Le couple de vedettes du music-hall Mistinguett et Maurice Chevalier (l'homme qu'elle avait alors dans la peau) se rencontrent avec la revue des Folies Bergère et le film La Valse renversante (ou Les Danseurs obsédants) de 1912[10], avec lequel ils débutent une relation amoureuse artistique et médiatique d'environs 10 ans, relation fougueuse flamboyante et tumultueuse faite d’autant de passion que de jalousie réciproque[11],[12],[13],[14],[15],[16]. Maurice Chevalier rêve de voler de ses propres ailes et se sépare de Mistinguett au début des années 1920, pour devenir la coqueluche du Tout-Paris. Il enregistre et interprète alors avec succès la version parodique-sarcastique-humoristique de cette chanson C’est ma bonne, en 1921[17].
Le 30 décembre 1975, Françoise Giroud est l'invitée de Bernard Pivot dans une émission intitulée Encore un jour et l'année de la femme, ouf ! C'est fini diffusée sur Antenne 2[32]. Celui-ci la fait réagir à plusieurs séquences en lien avec l'Année internationale de la femme créée par l'ONU en 1975 et qui vient donc de s'écouler. Parmi ces séquences, une interprétation en direct de Mon homme par Marie-Therèse Orain accompagnée au piano par Jean Bertola. La réaction de Françoise Giroud, consistant à déclarer « Mais c’est une chanson d’amour ! » et à proposer à Bertola de chanter une version où les paroles « Mon homme » sont remplacées par « Ma môme », afin d'inverser le rapport des sexes, a fait polémique dans les milieux féministes[33],[34]. La séquence, montée avec d'autres interviews de Giroud, sert notamment de base au film Maso et Miso vont en bateau réalisé par Nadja Ringart, Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder quelques semaines après. Dans ce film, Delphine Seyrig, « qui a enregistré l’émission sur son magnétoscope, appelle ses copines ; ensemble elles prennent rapidement la décision de faire un film en guise de réponse[35] » afin de « démontrer que le secrétariat d’État à la condition féminine est une mystification[36] ». Le film consiste en un montage de séquences télévisuelles où apparaît Giroud en « boucles répétitives jusqu’à une dizaine de fois, [avec] ajout de cartons soulignant le grotesque ou la grossièreté des propos [...]. Le montage procède aussi par l’ajout de mélodies populaires ou par la répétition en boucle de refrains chantés et ce afin de scander des assertions qui nous laissent sans voix, assourdis par le bruit des lieux communs[37] », refrains parmi lesquels celui de Mon homme qui est ainsi omniprésent dans le film[38].
Littérature
Le roman La Femme de Gilles de Madeleine Bourdouxhe de 1937 (adapté en 2004 en film La Femme de Gilles, de Frédéric Fonteyne) qui fait une comparaison entre Victorine, un des personnages principaux, et Mistinguett, a été rapproché du texte de Mon homme[39] qui, selon le chercheur Sorin C. Stan, « compte plus d᾿une ressemblance avec la trame romanesque [du roman en question] », ayant en commun « la dénonciation d᾿un amour tyrannique qui rend la femme prisonnière de l᾿homme aimé[40] ».
Analyse
Les paroles évoquent l'amour inconditionnel d'une femme pour « [son] homme[41]». La première strophe est répétée au début de la chanson
«
Sur cette terre, ma seule joie, mon seul bonheur
C'est mon homme
J'ai donné tout ce que j'ai, mon amour et tout mon cœur
À mon homme... »
Dès la quatrième strophe le texte indique que, même si l'interprète qui déclare son amour est battue, spoliée, elle reste très attachée, en précisant « Je l'ai tellement dans la peau - Qu'j'en suis dingo », répétant de très nombreuses fois la petite phrase à la façon d'un leitmotiv : « C'est mon homme, c'est mon homme, c'est mon homme ».
Pour la chercheuse Kelley Conway, « la chanson raconte l'histoire, si typique de la chanson réaliste, d'une femme sous la coupe de son homme[42] ». Celle-ci fait toutefois remarquer que « bien que les paroles de la chanson soient tout à fait dans la tradition de la chanson réaliste, l'interprétation de Mistinguett occupe un registre différent, plus comique que [par exemple] l'interprétation de La Sérénade du pavé de Buffet ou de Où sont tous mes amants ? de Fréhel[42] » (que Maurice Chevalier a quitté en 1911 pour son histoire d'amour avec Mistinguett). De même, Lucienne Cantaloube-Ferrieu affirme que, dans les chansons de Mistinguett, « la vérité et la satire sociale affleurent sous le sourire qui raille. Lorsqu’elle chante J’en ai marre ou Mon homme, sa voix, le ton, la démarche font naître un sourire qui écarte le mélodrame facile et c’est alors peut-être que, plus durement et le mieux, Mistinguett représente, comme le pensait Pierre Mac Orlan « l’expression stylisée pour le music-hall d’un subconscient infiniment tragique[43] ». Cantaloube-Ferrieu cite ici le poète et parolier Pierre Mac Orlan qui a également écrit à propos des interprétations de Misstinguett :
« Si, dans ses chansons — fort bien faites d’ailleurs —, Mlle Mistinguett évoque, le plus souvent, une silhouette de pauvresse sous la bise, c’est avec les mains violettes d’avoir tenu les premiers brins de muguet et la voix douloureuse pour avoir crié L’Intran qu’elle nous offre le cœur toujours inédit d’une fillette de Belleville à qui rien n’interdit un avenir doré. »[44]
— Pierre Mac Orlan
Pour Conway, l'interprétation de Mistinguett « distante du matériel musical et textuel » s'explique par le souci d'entretenir « son image de star[42] ». Selon la chercheuse, « sa personnalité était toujours « plus grande » que n'importe quelle chanson ou revue individuelle qui mettait en valeur son talent[42] ». Le décalage entre le contenu des chansons du répertoire faubourien et la starification des chanteuses est critiqué à la fin des années 1920[42], notamment par Pierre Bost ciblant notamment Mon homme de Mistinguett[45].
↑Viviane Thill, « La tentation de l’absolu. “La femme de Gilles“ de Frédéric Fonteyne », forum für Politik, Gesellschaft und Kultur, Luxembourg, , p. 41-44 (lire en ligne [PDF])
↑Ludivine Bantigny, « « Histoires d’elles »: Groupes femmes et expériences sensibles du politique dans la France des années 1970 », Sensibilités, vol. no 7, no 1, , p. 54–66 (ISSN2496-9087, DOI10.3917/sensi.007.0054, lire en ligne, consulté le )
↑Hélène Fleckinger, « Une révolution du regard. Entretien avec Carole Roussopoulos, réalisatrice féministe », Nouvelles Questions Féministes, vol. 28, no 1, , p. 98 (ISSN0248-4951 et 2297-3850, DOI10.3917/nqf.281.0098, lire en ligne, consulté le )
↑Valérie Vignaux, « Le devoir d’image ou le droit à la parole. Caméra militante, Luttes de libération des années 1970, Carole Roussopoulos », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze. Revue de l'association française de recherche sur l'histoire du cinéma, no 64, , p. 210–213 (ISSN0769-0959, lire en ligne, consulté le )
↑Sorin C. Stan, « Le corps et son image. Éveil tragique d’une conscience dans La femme de Gilles de Madeleine Bourdouxhe » », dans Vanda Mikšić et Sarah Yigit, Des prémices à la maturité : quelques jalons du champ culturel francophone belge, Zadar, Morepress, (ISBN978-953-331-258-3, lire en ligne).
↑Lucienne. Cantaloube-Ferrieu, Chanson et poésie des années 30 aux années 60 : Trenet, Brassens, Ferré--, ou, Les "enfants naturels" du surréalisme, Paris, Nizet, (OCLC8679047, lire en ligne), p. 48
↑Mac Orlan, Pierre, 1883-1970., La lanterne sourde : suivi de Le livre de la guerre de cent ans ; La chanson des rues ; L'argot et la poésie ; L'argot dans la littérature ; Histoires montmartroises ; Images de Paris ; Surprenants visages de Paris, Gallimard, (OCLC405596886, lire en ligne), « Mademoiselle Mistinguett », p. 72