Petite-fille du photographe parisien Alexandre Casajeus dit Crillon[2],[3], Mathilde nait au Caire en 1871, où sa mère Clémentine séjourna plusieurs années auprès du khédiveIsmaïl Pacha à l'occasion des fêtes d'inauguration du canal de Suez[4],[5]. De retour à Paris, Clémentine épouse en mai 1874[6] son cousin Paul Louis Delattre, originaire de Crespin (Nord) qui légitimera la fillette de trois ans[4], officiellement née de père inconnu.
Mathilde Delattre dans son atelier parisien, vers 1903. Fonds Atelier Mathilde Delattre[12]
C'est surtout à l'aquarelle, où elle se signale dans les grands formats, que sa sensibilité s'exprime le plus intensément, même si elle expose également natures mortes, paysages et portraits, et s'adonne un temps à la céramique. Dans les années 1910, elle réalise à Perros-Guirec[5]une série de petits "paysages bretons" où elle flirte avec une technique impressionniste. Sa "grande toile "Veille de fête au cloître" (1911) est remarquée par Guillaume Apollinaire[13]. Ses compositions florales où elle a toujours le souci de créer un cadre, une "circonstance" aux fleurs, dégagent, selon la critique, une atmosphère très subtilement poétique, et évoluent vers un art de "plein air"[12] qui s'éloigne du pur souci de précision ou d'intensité de coloris de ses contemporaines aquarellistes[14].
Femme célibataire et indépendante, Mathilde Delattre vit de son travail artistique jusque dans les années 1930[4], contrairement à certaines de ses contemporaines qui abandonnent la carrière professionnelle. Elle accrochera ses œuvres dans plus de 130 expositions, dont une quarantaine au Salon de la Société des artistes français. Elle obtient le premier prix au Salon de l'Union des femmes peintres et sculpteurs de 1903;[15]sociétaire des Artistes français depuis 1902, elle obtient au Salon une médaille d'or en 1930[16]. Elle est nommée Officier d'Académie le [17], puis Officier de l'Instruction publique, le [18],[1]. Sociétaire à la Société Nationale d'Horticulture de France (1902), Membre du jury et du comité de l'Union des Femmes peintres et sculpteurs, du comité de la Société des artistes français (1912), secrétaire de la Société des aquarellistes (1938), elle introduit ses élèves dans de nombreux salons et expositions.
Alors que le marché de l'art se déplace des salons vers les galeristes, elle présente en 1927 une exposition particulière à la galerie Georges Petit à Paris, mais exprime une certaine réticence envers les prix excessifs des "marchands". En 1937, et comme une consécration de son travail, elle est admise par le jury, à côté d'artistes plus célèbres invitées, à l'exposition organisée à l'occasion de l'Exposition universelle "Les femmes artistes d'Europe exposent au Jeu de Paume", initiative d'ampleur inégalée regroupant des créatrices de 15 pays.
Invitation à l'exposition particulière Mathilde Delattre, Galerie George Petit, Paris, février 1927
En 1927, elle remporte au Salon le prix Pillini, créé l'année précédente pour récompenser des artistes peintres non favorisés par la fortune. Le décès en 1931 de sa mère, qui gérait ses obligations et visiteurs[4], retentit sur sa production et inaugure une période de difficultés financières, aggravée par des accidents, qui la contraignent en 1942 à quitter son logement-atelier de la rue Duperré. Elle expose une dernière fois en 1943 au Salon des artistes français, Contre-jour. Sa santé la contraint en 1949 à quitter définitivement son refuge de verdure du Grand Andely, et elle finit ses jours à la résidence pour dames de la fondation Greffulhe à Levallois-Perret[19],[4].
« Je vous écris de ma petite galerie en plein soleil tamisé par un rideau de fleurs, volubilis & grands pétunias de toutes couleurs, polygonum encore en neige & de brillants géraniums, c'est adorable (...) je crois n'avoir jamais vu si doux & si bel automne (…) cela avec les phlox & les capucines & les feuillages rouges de la vigne vierge & celui des vignes qui ne le sont plus, c'est un véritable enchantement »[20].
Principales expositions
À Paris
en 1889 puis de 1897 à 1943, au Salon de la Société des Artistes Français (médaille de bronze en 1905, médaille d'argent en 1927 et médaille d'or en 1930[21])
de 1890 à 1891, au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts[22]
de 1895 à 1900, à la Société des Amis des arts de la Seine & Oise, au château de Versailles (médaille d'argent en 1897[23])
de 1897 à 1939, au Salon de l'Union des femmes peintres et Sculpteurs[24] (1er prix de l'Union en 1903)
de 1898 à 1932, à la Société Nationales d'Horticulture de France[11]
en 1899, 1900 et 1900, à l'Exposition des "XII" à la Bodinière, Paris
en 1908, 1909 et 1912, à l'Exposition du Syndicat des Artistes Femmes à Enghien
Semur-en-Auxois, musée municipal : Soleils, aquarelle, acquis par l'état en 1897, don à la Société des Sciences Historiques et Naturelles de Semur-en-Auxois en 1898, dépôt au musée en 2010[29].
Elèves introduites aux Salons par Mathilde Delattre
Hélène Aigner; Louise Alix; Suzanne André; Marguerite Bernard; Marie-Hélène Bernard; Marie-Clotilde Berthon[30]; Yvonne Blanchon; Zina Blondel-Weiss[31]; Maria Del Pilar de Bourbon de Bavière[4],[32]; Germaine Boy[33]; Madeleine Caudel(en)[31]; Marie-Louise Charliat; Paule Collas-Primer[34]; Marie Defransure d'Heilly; Suzanne Ernault[35]; Thérèse Fortin[31]; Francine Gaudrion[36]; Germaine Gloria[37]; Renée Colomb-Gloria[31]; Marcelle Marie Hilpert[31]; Louise Holfeld[31],[38]; Marthe Huctin[39]; Marie Lelavandier[31]; Louise Leroy; Yvonne Meley(en)[31] ; Ysabel Minoggio; Lucie Muller[31]; Camille Olivier; Marie Pertué[40]; Marthe Marie Rabier[31]; Marthe Roy [1]; Geneviève Schmitt[41]; Marguerite Vallancienne; Valentine Verchere[31]; Jacqueline Vermandel[42].
Postérité
Dans les années 2020 est redécouverte une correspondance émouvante qui montre la constante énergie comme l'indépendance de cette grande artiste (« Je vous assure que mon existence manque de calme, où qu'elle se déroule - & j'ai le grand besoin de m'appartenir un peu, de vivre un peu de ma vie intérieure qui est pleine de richesses[4]) et sa famille décide de s'engager dans un travail de mémoire. En janvier 2023 est créée l'association "Atelier Mathilde Delattre", dont l'objectif est la promotion de l’œuvre et de l'artiste, à distance de toute récupération marchande. Dans cette période de reconsidération des femmes peintres oubliées ou dont les œuvres dorment au fond des collections des musées, l'association se mobilise pour une première exposition rétrospective.
Pour l'heure, la seule exposition posthume connue incluant des œuvres de Mathilde Delattre est Histoire de la peinture lors des Journées du patrimoine 2022 à Crespin, au cours de laquelle ont été accrochés les tout premiers portraits réalisés par l'artiste en 1894[43].
L'association lance un appel à toutes personnes ou institutions en possession d’œuvres ou autres témoignages sur Mathilde Delattre, aux fins d'élaboration progressive du catalogue raisonné de l'artiste.
↑Pierre Sanchez, préface de Ch. Beauvalot, Dictionnaire de l'Union des femmes peintres et sculpteurs: répertoire des artistes et liste de leurs oeuvres: 1882-1965, Echelle de Jacob, Dijon
↑Œuvre vraisemblablement détruite lors du bombardement allemand et de l'incendie du musée le 8 juin 1940.
↑Née Gallien à Constantine (1870-1959), elle était connue aussi sous le nom de Gallien-Berthon. Elle est la mère du peintre Maurice Alexandre Berthon (1888-1914).
↑Paule Collas née Paula Primer dite Collas-Primer (1885-19..) ne doit pas être confondue avec la lithographe Paule Collas présente au Salon entre 1913 et 1922.
↑Francine Gaudrion (1882-1941) a eu longtemps son atelier dans la même rue que celui de Mathilde Delattre, au 9 de la rue Duperré.
↑Germaine Gloria (1888-1962) est également connue comme décoratrice, illustratrice et affichiste. Elle a notamment travaillé avec Paul Colin au Salon d'Automne. Les deux sœurs Gloria sont parfois dites Gloria-Colomb (patronyme de leur mère). Germaine reste célibataire tandis que Renée épouse Marie Joseph Clément en 1915.
↑Louise Holfeld (1882-1967) travaillera ensuite le cuir et sera dame de compagnie et héritière de la fille du sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux.