Martiros Sarian ou Saryan (en arménien Մարտիրոս Սարյան ; né le à Rostov-sur-le-Don, mort le à Erevan) est un peintre arménien né en Russie. Il est souvent considéré comme le père de la peinture arménienne moderne.
En 1901, il a l'occasion de se rendre en Arménie russe[3] et visite notamment le Lorri et le Shirak, ainsi qu'Etchmiadzin, Haghpat, Sanahin, Erevan et Sevan. De 1910 à 1913, Sarian voyage fréquemment dans l'Empire ottoman (1910), en Égypte (1911) et en Iran (1913)[4]. Il se rend à nouveau à Etchmiadzin en 1915 afin de porter secours aux rescapés du génocide arménien. Il se rend ensuite à Tiflis en 1916, où il épouse Lusik Aghayan (la fille de Ghazaros Aghayan)[5] et où il contribue à l'organisation de la Société des artistes arméniens. Les impressions de son premier voyage au pays de ses ancêtres se retrouvent dans son cycle panthéiste Contes et Rêves réalisé sous l'influence du symbolisme. Se référant à l'esprit populaire, Sarian représente la nature, les gens, la végétation, les animaux, les oiseaux, comme une famille unique, un vrai paradis terrestre. Selon le peintre, « La nature engendre l'homme pour qu'elle puisse à travers ses yeux se voir, s'émerveiller de sa propre beauté », c'est ainsi qu'il définit sa philosophie de la nature. Cette philosophie, cette Sagesse au sens grec de sophia, aura beaucoup d'influence sur son élève, son fils spirituel : Minas Avétissian avec lequel il dialoguera pendant toute sa vie.
De 1926 à 1928, Sarian vit à Paris ; dix seulement de ses œuvres datant de cette période, au nombre de quarante sept ne reste aujourd'hui. En janvier 1928, Il présente ses toiles réalisées à Paris, lors d'une exposition privée. Puis, avant de repartir en Arménie, il confie 5 des œuvres réalisées à Paris, à son amie Anna Boudaghyan et lui demande de les vendre pour acheter du matériel de peinture de grande qualité et le lui envoyer en Arménie. Malheureusement, le , le navire de retour qui transportait le reste des peintures, le Phrygie, subit un incendie alors qu'il était au le port de Constantinople. Celui-ci brûla 35 des tableaux de l'artiste, soit deux ans de travail. Seules les 5 œuvres confiées à Anna Boudaghyan, et les quelques unes qu'il avait déjà vendues ou offertes à des amis en France ont été préservées. Il a aussi pu sauver celles qu'il a transporté en train avec lui[8],[9],[10].
Durant les années 1930, il se consacre principalement à la peinture de paysages et de portraits. Sa peinture est néanmoins critiquée par le pouvoir en raison de son caractère décoratif et de la vivacité de ses couleurs ; Martiros, s'il se retient, refuse toutefois d'exécuter un portrait de Staline[11]. L'arrivée au pouvoir de Khrouchtchev en 1953 libère l'artiste[12]. Il reçoit à trois reprises l'ordre de Lénine, ainsi que d'autres décorations.
Martiros Sarian meurt à Erevan le . Il est enterré à côté de Komitas. Sa maison est transformée en musée[13].
Œuvre
Martiros Sarian est considéré comme le père de la peinture moderne arménienne[14] ; lorsqu'il découvre l'Arménie, ressent une « passion presque charnelle » pour elle, et n'a « de cesse de la représenter par des toiles inondées de lumière et vibrantes de couleurs »[15]. Il fut le premier à réaliser la nécessité d'élaborer un style propre basé sur les anciennes traditions nationales. Sa palette est « délibérément gaie, vive et colorée »[16]. Il disait lui-même :
« La couleur devrait chanter. Elle devrait exprimer la perception de l'essence de la vie qui réside en chaque être humain. En utilisant la couleur, j'augmente encore plus ce que je vois, afin que la lumière puisse être plus brillante dans mes œuvres. »
En 1909, Sarian se tourne vers les changements réels qui affectent son temps. Il observe l'éloignement de l'homme et de la nature. Il choisit de peindre des motifs que la civilisation industrielle n'avait pas encore touchés et qui portent l'empreinte et l'enseignement d'une vie séculaire. Il devient ainsi passeur de mémoire des lieux et des jours. Il généralise à l'extrême la nature et il révèle l'expressivité des formes. Il construit l'art de sa composition sur un seul plan en répartissant régulièrement de grandes taches de couleur pure. Il s'inspire en cela du principe et de l'art de la miniature arménienne, ainsi que l'art de l'enluminure arménienne à l'exemple de l'art de Toros Roslin. Les couleurs de la palette de Sarian irradient la lumière. La combinaison harmonieuse et contrastée de trois ou quatre tons principaux permet au peintre d'obtenir expressivité, chaleur et surtout lumière. Cette lumière alliée à des couleurs suaves et chantantes qu'elle fait rayonner sont devenues des symboles de la patrie du peintre. Sa sagesse et son habileté ont pu le préserver des persécutions politiques dont son fils spirituel Minas Avétissian fut mortellement frappé. C'est pour cela que les historiens de la peinture arménienne ont toujours privilégié la peinture du jeune Sarian à celle plus académique du vieux peintre.
L'écrivain Louis Aragon écrivait en 1960 : « Comme cette lumière de Rome qui nous parvient à travers les siècles français par le pinceau de Nicolas Poussin, puis de Jean-Baptiste Corot, la lumière d'Arménie nous atteint grâce à Martiros Sarian. Lumière enfin dégagée des larmes qui brouillaient la voix des poètes de Naïri, lumière enfin heureuse sur les fruits, les hommes, les montagnes, elle est un trésor retrouvé, comme si les eaux du déluge s'étant retirées, la plaine d'Erevan n'était que la pure couleur de l'avenir. Si bien que les siècles, à côté de notre Cézanne et de notre Matisse, placeront Sarian à la première place, au-dessus des peintres fêtés, car il est un peintre du bonheur »[18].
Il a écrit : « La terre est comme un être vivant : elle a une âme. Sans liens étroits avec la patrie, il est impossible de se trouver, de découvrir son âme. Je suis persuadé qu'il ne peut y avoir de peintre sans qu'il soit attaché à sa terre. Le cœur de la terre bat dans le cœur de l'homme. Tout prend naissance dans ce cœur »[19].
↑Martiros Sarian 1880-1972 par Chahen Khatchatourian, ed. Thalia, avril 2009, (ISBN9782352780496), p. 14
↑Chahen Khatchatourian, Peintres arméniens du XIXe et du XXe siècles, Gallery National of Armenie USA, New York, 1993 (ISBN2-00-003701-1), épigraphe, p. 2.